Madeleine de Verchères

Madeleine de Verchères sur une affiche de recrutement en temps de guerre, 1939-1945.

Madeleine de Verchères! Elle, c’est un peu notre Jeanne d’Arc à nous-autres.

En 1692, alors qu’elle était ado et que ses parents étaient pas là, elle défendit quasiment toute seule le fort de son père, le seigneur de Verchères, contre une attaque d’Iroquois.

Ça, personne va vous astiner là-dessus : Madeleine, c’était une vraie.

L’affaire, c’est qu’elle a conté deux fois son aventure. La première fois, c’était court et touchant, pis ben raisonnable. La deuxième, on dirait qu’elle beurrait épais pis charriait même par bouttes.

Là, j’étais ben embêtée. J’étais pas pour vous conter des affaires qui sont peut-être des menteries! Par contre, la deuxième version de Madeleine est ben plus croustillante, pis c’est celle‑là qu’on voit le plus souvent dans les livres d’histoire.

Donc, je vais la laisser parler elle-même. Comme ça, si elle essaye de vous faire des accroires, ben ce sera pas de ma faute. Prenez juste ça avec un grain de sel.

Faique, vas-y, Madeleine! On t’écoute.


« Mesdames et Messieurs, laissez-moi vous raconter l’aventure qui m’arriva en 1692, l’année de mes 14 ans.  

C’te journée-là, mes parents étaient partis – mon père à Québec, ma mère à Montréal.

Le matin, j’étais à peu‑près à cinq arpents du fort de Verchères, quand j’entendis des coups de fusil.

« Sauvez-vous, Mam’zelle Madeleine! me cria un de mes domestiques. Les Iroquois s’en viennent! »

Je me revirai, pis je vis-tu pas quarante-cinq Iroquois qui tiraient sur les habitants pis qui s’en venaient à la course! Décidée à mourir plutôt qu’à me laisser pogner par eux‑autres, je partis vers le fort, les jambes au cou et priant la sainte Vierge, tandis que les balles me sifflaient chaque bord de la tête.

Quand je fus arrivée assez proche du fort pour qu’on m’entende, je criai : « Aux armes, aux armes! » J’espérais que quelqu’un vienne m’aider, mais personne se montra la face; il y avait deux soldats dans le fort, mais ils étaient probablement allés se cacher dans la redoute, les pissous. Je vis juste deux femmes qui se lamentaient parce que leur mari venait de se faire tuer. Elles voulaient pas rentrer, mais elles eurent d’affaire à me suivre : les Iroquois arrivaient, pis fallait fermer la porte au plus maudit.

Ça avait ben d’l’air que je devrais m’occuper toute seule de défendre le fort. Avant ça, les Iroquois avaient tué mon grand‑frère François-Michel pis deux maris à ma sœur Marie‑Jeanne, faique y’était pas question que je me laisse faire. Je me rendis à la redoute, où étaient les munitions et les deux soldats : y’en avait un qui était caché, pis l’autre qui avait une mèche allumée dans les mains.

– Ben voyons, quessé que vous faites avec ça? lui demandai-je.

– C’est pour allumer la poudre pis nous faire sauter, Mam’zelle, répondit-il, les yeux grands comme des trente‑sous. Y nous pogneront pas vivants!

– Êtes-vous après virer fou? Éteignez-moi ça tusuite! lui ordonnai-je, tellement raide qu’il l’éteignit sur un moyen temps, sa mèche.

Là, j’enlevai mon bonnet; je pris un chapeau d’homme, que je m’enfonçai su’a tête, pis un fusil. Et là, je dis aux deux soldats et à mes deux petits frères de 12 et 10 ans – parce que oui, ils étaient là, s’cusez, j’aurais dû vous le dire avant – :

« Bon, là, écoutez-moi ben. On va se battre jusqu’à mort pour notre patrie pis notre religion! Rappelez-vous de ce que mon père dit tout le temps : les gentilshommes viennent au monde juste pour verser leur sang au nom de Dieu et du roi. Il arrête pas de nous r’battre les oreilles avec ça, pis là, c’est le temps d’y montrer qu’on a compris! »

Crinqués par mes paroles, mes frères pis les deux soldats pissous pognèrent aussi des fusils et se mirent à tirer sur l’ennemi. Quant à moi, je demandai qu’on tire un coup de canon pour faire peur aux Iroquois pis pour avertir les autres soldats qui étaient partis à la chasse de se sauver pis de pas rentrer au fort.

Mais là, même au‑dessus des pets de fusils, on entendait quand même les cris des femmes pis des enfants morts de peur qui braillaient à n’en pu finir. Tannée, j’allai les voir et leur dit :

« Heille ça va faire, le braillage! L’ennemi va vous entendre pis penser qu’on a rien pour se défendre. Je comprends que vous avez la chienne, mais là, avec votre chignage, on a l’air d’une gang de désespérés! Arrêtez-moi ça tout de suite! »

Pendant que je leur parlais, je vis un canot sur la rivière : c’était M. Pierre Fontaine avec sa femme pis ses enfants qui s’en venaient débarquer au fort. C’était évident qu’ils allaient se faire tuer si on faisait rien. 

« Vous-autres! dis-je aux deux soldats. Allez au-devant d’eux-autres pis couvrez-les pendant qu’ils se rendent au fort! »

Il y eut un silence malaisant. Un soldat toussa, pis l’autre se regardait les pieds, les orteils par en‑dedans. J’étais pas ben ben surprise.

« Si c’est de même, je vais y aller, moi. Laviolette! dis-je à mon domestique. Pendant que je vais être sortie, tu surveilleras pis tu garderas la porte ouverte. Si on se fait tuer, ferme la porte pis continuez à défendre le fort. C’tu clair? »

Faique je sortis du fort avec mon chapeau pis mon fusil. J’espérais que les Iroquois pensent que c’était un piège, que j’étais un appât et qu’ils allaient se faire pogner s’ils venaient m’attaquer. J’étais pas dans leur tête, mais en tout cas, ils me laissèrent me rendre sans problème à la rivière.

M. Fontaine, sa femme et ses enfants débarquèrent du canot, et je les fis marcher en avant de moi. J’étais tellement droite pis sûre de mon affaire que je fis accroire aux Iroquois qu’ils avaient plus d’affaire à avoir peur que nous‑autres, et ils nous laissèrent rentrer dans le fort sans essayer de nous tuer.  

Après tout ça, y commençait à faire noir. En plus, le nordet se mit à souffler, accompagné de neige pis de grêle; la nuit allait être longue, d’autant plus que j’avais peur que les Iroquois profitent de l’obscurité pour essayer de grimper après la palissade. Faique là, je rassemblai mes troupes : Pierre et Alexandre, mes deux petits frères; Laviolette, notre domestique; La Bonté et Galhet, les deux soldats pissous; un vieux monsieur de 80 ans; et maintenant, M. Fontaine.

« Aujourd’hui, Dieu nous a sauvés de nos ennemis, commençai-je, mais c’te nuite, va pas falloir dormir au gaz. Vous verrez ben que moi, j’ai pas peur : Pierre, Alexandre, monsieur icitte pis moi, on va s’occuper chacun’un d’un bastion. MM. Fontaine, La Bonté et Galhet, allez trouver les femmes et les enfants dans la redoute. Si je me fais pogner par les Iroquois, rendez-vous jamais, quand bien même que je serais brûlée vive pis coupée en bouttes dans votre face. »

Tout le monde joua ben son rôle : toute la nuit, au-dessus du nordet qui soufflait comme un déchaîné, on entendait crier « Bon quart! » toutes les demi‑heures des bastions à la redoute pis de la redoute au bastion, « Bon quart! », comme si le fort était bourré de soldats.

Quand le soleil se leva, le fort était toujours deboutte, pis nous-autres avec. Soulagée, je m’adressai à ma petite troupe avec le sourire :

« Bon, ben ça a d’l’air qu’on a passé la nuite! Pis si on a passé celle‑là, grâce à Dieu, on peut en passer d’autres! Faut juste continuer à surveiller pis à tirer du canon pour avertir Montréal en espérant qu’ils viennent à notre secours.  »

Mes paroles ont eu l’air de faire effet : tout le monde semblait dedans pour continuer à tenir le fort; tout le monde, sauf Marguerite, la femme à M. Fontaine. Ben crère : c’était une Parisienne, une petite nature, peureuse comme toutes les Parisiennes, pis elle capotait ben raide :

– Heille là, là, Pierre, moi, je veux sacrer mon camp. On paqu’te les p’tits pis on s’en va au fort de Contrecœur. On est déjà chanceux de s’être rendus au matin, au travers des sauvages – qu’est-ce qui nous dit qu’on va être aussi chanceux la nuit prochaine? C’est juste un p’tit fort de rien pantoute, avec personne pour le défendre. Si on reste icitte, on va tous se faire tuer, ou devenir des esclaves, ou bedon mourir à petit feu en attendant des secours qui viendront jamais dans c’te crisse de trou perdu!

– Les nerfs, Marguerite! répondit M. Fontaine. Si tu veux, je peux te remettre toi pis les enfants dans le canot avec une voile, pis te donner une bonne poussée. Les enfants savent canoter, faique ça devrait ben aller. Mais moi, j’abandonnerai jamais le fort tant que Mam’zelle Madeleine va être là pour le défendre.

– Pis moi, je reste icitte, rajoutai-je d’un ton ferme. Savez-vous, Madame, ce qui va arriver si les Iroquois rentrent ici-dedans? Y vont connaître nos défenses pis savoir comment nos forts sont faits, pis ça va juste les rendre plus fantasses quand y vont attaquer d’autres forts français!

[Madeleine précise pas ce qui est arrivé à la madame après; j’imagine qu’elle a pris son trou?]

Après ça, j’enfilai les nuits blanches – je passai deux fois 24 heures sans dormir ni manger! J’allais monter la garde sur les bastions, j’allais voir comment ça allait à la redoute; j’avais tout le temps le sourire dans la face pis l’air de bonne humeur, histoire d’encourager pis de réconforter mon monde.

La huitième nuit (parce qu’on a été de même à la merci des Iroquois pendant huit jours, tout le temps sur le gros nerf dans la peur d’une attaque), les secours finirent enfin par arriver : M. de La Monnerie, le lieutenant de M. de Callière, gouverneur de Montréal, s’en venait sur la rivière avec 40 hommes en essayant de pas faire de bruit, sachant pas si le fort était pris ou pas.

Une des sentinelles, qui devait avoir entendu du bruit, cria : « Qui c’est qui est là? »

Endormie tout croche, la face sur la table, le fusil au travers des bras, je me retroussai aussitôt et je montai sur le bastion.

– Y’a du monde qui parle sur la rivière, Mam’zelle Madeleine, écoutez!, me dit la sentinelle.

– Ben ça parle au yâble, t’as ben raison mon homme! J’espère que c’est des Français pis pas des Iroquois! répondis-je. Vous êtes qui, vous autres? m’exclamai-je.

– C’est La Monnerie, on vient vous aider! fut la réponse. 

J’attendis pas le messie, parce que nos sauveurs venaient d’arriver : je me garrochai à la porte du fort, où je plaçai une sentinelle, pis je courus à la rivière pour accueillir M. de la Monnerie. Aussitôt qu’il mit le pied à terre, je lui dis :

– Soyez le bienvenu, Monsieur! Je vous rends les armes.

– Mademoiselle, me répondit-il en faisant son galant, elles sont entre bonnes mains, on dirait ben!

– Pas mal plus que vous pensez, répliquai-je.

Le lieutenant entra dans le fort avec ses hommes pis trouva que, pour un fort assiégé depuis huit jours, il était pas trop magané. Pis là, enfin, ma petite troupe et moi, on put aller se canter. J’avais jamais été aussi brûlée de ma vie, mais j’avais fait mon devoir.


Source principale : Diane Gervais et Serge Lusignan , « De Jeanne d’Arc à Madelaine de Verchères : la femme guerrière dans la société d’ancien régime » https://www.erudit.org/fr/revues/haf/1999-v53-n2-haf216/005446ar.pdf

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