L’espion poche de New Carlisle

Un matin de novembre 1942, en Gaspésie, dans les eaux de la baie des Chaleurs pas encore tout à faite réveillée, un sous-marin allemand s’avançait sans faire de bruit comme un brochet en fer de 700 tonnes.

Ça faisait déjà une bonne couple de mois que des U-boat nazis rôdaient dans le coin; rendus fantasses par l’absence du gros de la flotte de la marine canadienne, partie défendre la Méditerrannée pis le golfe du Mexique, ils faisaient la pluie pis le beau temps dans le fleuve Saint-Laurent en coulant des cargos pis des corvettes.

Mais ce sous-marin-là, y’avait une autre mission. Pas loin de New Carlisle, il fit surface, pas pour tirer une torpille, mais pour faire débarquer un espion.

Werner von Janowski, espion poche

Étant donné qu’il avait déjà passé une bonne secousse au Canada dans les années 1930, Werner von Janowski, lieutenant de la flotte allemande, nom de code « Bobbi » (mais on va l’appeler « Ti-Werne »), était drette le bon gars pour entrer en contact avec des organisations nazies clandestines au Canada, apprendre des affaires secrètes pis tout bavasser au Reich. En tout cas, c’est ce que les Nazis pensaient. Ils avaient juste pas idée d’à quel point y se planterait, pis dans un temps record, à part ça.

Faique notre Ti-Werne débarqua sur une plage à quelques milles de New Carlisle, encore habillé en marin allemand. L’idée, c’était que s’il se faisait pogner habillé de même, il se ferait traiter comme un prisonnier de guerre, c’est-à-dire pas trop pire, tandis que s’il était habillé en civil, il risquait la peine de mort.

Quand il fut certain de pas se faire voir, il se changea et enterra son uniforme. Ensuite, il prit la direction du village. Son plan : prendre le prochain train pour Montréal.

À 9 h du matin, Ti-Werne arriva à l’hôtel The Carlisle. Sous le nom de William Brenton, il dit qu’il venait d’arriver sur l’autobus et demanda une chambre avec un bain, car il voulait se décrotter un peu.

Faut dire que la traversée de l’Atlantique avait pris 44 jours; après avoir passé autant de temps enfermé dans une canne de bines sous l’océan avec un tapon d’autres gars, il sentait le swing, l’humidité pis le diésel à plein nez. Et ça, c’est juste un des détails louches que Simonne Loubert, la jeune femme de chambre qui lui répondit, spotta tout de suite.

Tsé, un étrange qui r’soud de nulle part de bonne heure le matin dans un village d’à peu près 1 000 habitants, ça fesse. En plus, Ti-Werne avait l’air sur les nerfs et parlait avec un accent bizarre. Quand il s’acheta un paquet de cigarettes, il paya avec de la vieille argent qui datait de la guerre de ‘14. Mais le plus louche, c’était qu’y disait être arrivé sur l’autobus. Simonne savait ben que l’autobus passait pas c’te journée-là. Pis même à ça, l’autobus aurait débarqué le monsieur drette en avant de l’hôtel, pis y serait pas arrivé à pied.

Simonne était pas folle : a savait que les Allemands se promenaient autour de la Gaspésie en sous‑marin, pis qu’y en avait qui pourraient essayer de débarquer. Faique quand Ti-Werne fut parti dans sa chambre, elle alla voir Earle Annett Jr., le garçon du propriétaire de l’hôtel.

– Ça marche juste pas, son affaire. En plus, tsé, ça m’a l’air d’un gros fumeur, pis y savait même pas comment ça coûte, un paquet de cigarettes! Penses-tu que ça pourrait être un espion?
– Ouin, j’avoue que c’est crissement suspect! M’a voir ce que je peux faire.

Earle Jr., un jeune homme de 20 ans, aurait vraiment voulu partir péter des gueules de Nazis comme beaucoup de ses chums de gars. Ce qui était plate, c’est qu’il s’était irrémédiablement scrappé le genou en prenant une débarque en bécycle quand il était flot, faique l’armée l’avait pas accepté. Tant qu’à rester pogné du mauvais bord de l’Atlantique, il avait ben l’intention de participer à l’effort de guerre pis de démasquer l’espion.

Entre-temps, Ti-Werne s’était installé dans la salle à manger pour déjeuner. Earle Jr. trouva que son linge était bizarre – lui, y venait pas d’icitte, c’était évident. Pis quand il se leva pour partir, Earle Jr. vit qu’il avait échappé une boîte d’allumettes à côté de sa chaise.

Earle Jr. la ramassa et lut « Fait en Belgique » dessus. Ça, c’était suspect en viarge : dans ce temps-là, tous les paquets d’allumettes vendus au Canada portaient le même sceau spécial, qui était pas sur cette boîte-là, pis en plus, la Belgique était occupée par les Nazis depuis trois ans.

Earle Jr. était maintenant sûr de sa shot : c’était ben un espion.

Comme le train pour Montréal partait dans même pas une heure, fallait qu’y se grouille. Il embarqua dans son pickup et partit en direction de la gare. Rendu là-bas, il trouva notre Ti-Werne en train de prendre un café. Faique, ben relax, comme si de rien était, il s’assit à ras lui :

– Fait pas chaud à matin, hein?
Ah, z’est pas zi mal, répondit Ti-Werne, avec son accent bizarre du fond de la gorge.
– Cigarette?
– Oui, merzi.

Earle Jr. lui donna une cigarette, puis attendit qu’il lui offre du feu pour allumer la sienne. Alors, Ti-Werne sortit un autre paquet d’allumettes belges. Bingo!

– Ch’ai fu que le train z’arrêtait à Matapédia, demanda l’Allemand. Z’est quel genre d’endroit? Petit, che zuppose?
– Ouais, c’est grand comme ma yeule. Y’a pas grand-chose à faire là*
– Ah bon.

Y’avait un malaise dans l’air, comme quand quequ’un lâche un gros pet, pis que tout le monde le sent mais personne parle. L’espion soupçonnait-tu qu’on le soupçonnait?

Enfin, le train entra en gare pour 20 minutes. Pas le temps de niaiser – à c’t’heure qu’il avait une preuve, Earle Jr. alla tout de suite avertir le constable Alfonse Duchesneau de la Police provinciale.

Duchesneau était pas trop convaincu, mais il alla quand même à la gare. Il arriva drette comme le train partait et sauta dedans au dernier moment. À bord, il spotta tout de suite Ti-Werne grâce à la description qu’Earle Jr. lui avait donnée. Il alla s’asseoir avec.

– Bonjour Monsieur, constable Duchesneau de la Police provinciale. Ch’peux-tu voir vos papiers siouplaît?
– Bien zûr, répondit Ti-Werne en sortant ses cartes au nom de William Brenton.
– Qu’est-ce qui vous amène par icitte?
– Che zuis représendant de commerce et ch’afais affaire dans la région.
– Ok, pis ch’peux-tu voir votre valise itou, siouplaît?

Rendu là, Ti-Werne devait suer de la raie pas mal, car il dit aussitôt :

« Za zera pas nézessaire. Che zuis un offizier allemand, et che zers mon pays, comme fous. »

Et voilà : grâce à la vigilance de braves Gaspésiens, la carrière d’espion de Werner von Janowski était kaput après même pas 12 heures. Si c’était pas un record, c’était pas loin.

Après ça, Ti-Werne fut emmené à Montréal, où la GRC essaya d’en faire un agent double. Après un an, il avait fourni zéro pis une barre de renseignements, faique les autorités le shippèrent en Angleterre, où il passa le reste de la guerre dans un camp pour prisonniers allemands.

L’histoire dit pas si Ti-Werne voulait la gloire, mais en tout cas, il s’attendait sûrement pas à se retrouver pour l’éternité dans les palmarès des pires espions de tous les temps!


*Ne représente pas l’opinion de l’auteure. C’est un maudit bon spot de plein air! #TourismeGaspésie


Source principale : Dan Beeby, Cargo of Lies: The True Story of a Nazi Double Agent in Canada, 1996. https://utorontopress.com/us/cargo-of-lies-4

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