Orphelines possédées, bonnes sœurs qui se prennent des mordées et autres cas d’hystérie collective

Ah, le yâble! J’te dis qu’y a l’dos large. Toute est tout le temps de sa faute. Les patates prennent au fond? Le yâble. Un mouton pète au frette? Le yâble. Rogatien a le goût d’aller se coller en cuiller avec Fernand, son voisin de dortoir au camp de bûcheux? C’est le yâble qui y met ces idées-là dans’tête. Tant qu’à moé, si Fernand est consentant, lui pis Rogatien pourraient ben s’en aller tou’é deux dans le soleil couchant pis s’acheter une fermette à Saint-Colomban, mais vous voyez ce que je veux dire.

Or, dans l’ancien temps, y s’est passé des affaires tellement bizarres qu’on n’avait quasiment pas le choix de mettre ça sur le dos du yâble : du monde qui viraient fous toute ensemble pis toute en même temps, sans aucune raison apparente. Comme une espèce d’hystérie collective.

Quins, par exemple : en 1661, dans un orphelinat de Lille, en France, les petites filles se mirent toutes à dire qu’elles étaient possédées par Satan.

Ça sortait pas tant de nulle part : la directrice de l’orphelinat, Antoinette Bourignon, avait vraiment le piton collé sur le yâble. Au lieu d’être fine avec ses orphelines, a les fessait à coups de strap pour « faire sortir le méchant ». Au lieu de parler de Dieu, a parlait yinque de damnation. A voyait Satan vraiment partout – même au-dessus des têtes de ses protégées :

« Les filles, faites pas le saut, là, mais je vois comme une volée de démons au-dessus de vous-autres. »

Faut croire qu’à force d’en parler tout le temps, Antoinette avait attiré le yâble dans son orphelinat : un m’ment’né, une fille qui avait été mis en pénitence dans une pièce barrée réussit à sortir toute seule. A dit « qu’un homme » l’avait faite sortir. Y’avait juste une affaire : les hommes avaient pas le droit de rentrer dans l’orphelinat d’Antoinette Bourignon.

Trois mois après, une autre fille, qui allait se faire fouetter pour avoir volé de quoi, dit :

« C’est pas de ma faute! C’est le yâble qui me fait voler des affaires! Y vient me voir la nuite! »

Là, ça commençait à être bizarre. Une par une, les orphelines se mirent à dire qu’elles avaient fait un pacte avec le yâble.

– La nuit, y nous amène dans son château pis y nous montre des affaires épouvantables!
– Ouais! Pis y nous invite à manger chez eux pis on mange plein de cochonneries!

Étonnamment, Antoinette grimpa pas tusuite dins rideaux :

« Messemble, ouin, qu’y passent la nuite à se bourrer la face à’table du yâble! Yinque à les voir saper leur gruau le matin, on voit ben que c’est des menteries! »

Quand même, Antoinette prit pas de chance pis appela les prêtres, qui sortirent toute leur réguine d’exorcisme. Les pauvres filles furent pognées pour passer deux heures par jour dans une pièce fermée avec des bonshommes qui essayaient de leur sortir le démon du corps. Ça devait être le fun en ti-père.

Mais là, ça commença à mémérer en ville :

« La Bourignon est une sorcière! A l’a corrompu les jeunesses à l’orphelinat! »

Faique Antoinette, sentant la soupe chaude, se sauva aux Pays-Bas, et on entendit pu parler des orphelines possédées de Lille.

Mais ben avant ça, au Moyen-Âge, y’avait eu plusieurs cas de bonnes sœurs virées folles.

Un bon m’ment’né, dans un couvent de France, une bonne sœur se mit à miauler. Drette de même, sans raison. Mais là, au lieu de lui dire « Ben voyons, c’tu fais là, sœur Marie-Ange du Calvaire? Es-tu après pardre la carte? », les autres sœurs se dirent que ça pourrait être le fun de miauler elles avec. Ben vite, le couvent au complet était rendu une annonce de Meow Mix.

À partir de là, tous les jours, les bonnes sœurs se mirent toutes à miauler en même temps, des heures de temps. 

Le monde de la ville étaient à boutte, pis ben sur le bord d’aller leur garrocher des souliers par la tête. Faique un jour, une compagnie de soldats se pointa à la porte du couvent et dit : 

« Bon, là, mes p’tites madames, ça va faire, le miaulage! Si vous arrêtez pas, on va vous fouetter toute la gang! »

J’te dis qu’après ça, la chorale arrêta assez sec. 

Dans un autre cas du genre, des bonnes sœurs se mirent à se mordre. Ça a commencé par une, pis deux, pis ben vite toutes les sœurs du couvent s’entremordaient allègrement. Ça devait défouler, faut croire. Mais là, la folie du mordage partit de ce couvent-là en Allemagne pis se répandit dans tous les couvents du Royaume, pis en Hollande, pis jusqu’à Rome! Qu’essé qui leu avait pogné don là? L’histoire le dit pas.

En 1632 à Loudun, en France, un couvent d’Ursulines au complet se fit brasser par une vague de possessions. La mère supérieure, sœur Jeanne des Anges, commença à faire des sparages bizarres : convulsions, criage, yoga démoniaque la langue sortie, toutes sortes d’affaires, pis d’autres encore qui sont pas disables icitte, parce que je risque de scandaliser les matantes. Hubert Lenoir avec son trophée dans yeule, à côté de t’ça, c’est rien! 

Les autres sœurs se mirent à faire pareil, à halluciner des fantômes dans les corridors pis même à aller se jouquer sur le toit du couvent en pleine nuite. 

On fit venir un exorciste au plus crisse. Pendant une séance, sœur Jeanne des Anges, qui était convaincue d’être possédée par sept démons, dit qu’elle avait des pensées impures pour le père Grandier, le nouveau curé de la paroisse, qu’elle avait pourtant jamais vu de sa sainte vie. Elle l’accusa d’être un sorcier pis de grenouiller avec le yâble pour la séduire.

Grandier avait rien à voir là-dedans, mais y’avait une réputation de courailleux, une grande gueule pis, ça a d’l’air, des ennemis puissants, dont le fameux cardinal de Richelieu – tsé, le gars que tu veux absolument pas te mettre à dos?

Faique quand ça se mit à mémérer dans le royaume que le curé Grandier était un sorcier, y se fit tusuite arrêter. 

Ce fut un vrai procès de Mickey Mouse : Richelieu pis sa gang voulaient la peau de Grandier, pis c’était le prétexte parfait pour l’avoir. 

On fit venir sœur Jeanne des Anges. À travers elle, le démon Léviathan, qui avait ben de la jasette c’te jour-là, déclara que lui pis d’autres démons avaient fait un pacte avec Grandier. Pis drette après, l’évêque responsable du procès remarqua de quoi à côté de son pied : 

« Quins donc! Y’a un papier à terre! J’me demande c’que c’est! Voyons voir… Ah ben tu parles d’un adon! C’est le pacte signé par Léviathan pis le curé Grandier! »

Ça en prit pas plus pour que le pauvre Grandier soit condamné au bûcher. Mais même après qu’y fut rendu un ti tas de cendres, les bonnes sœurs étaient encore possédées. Les braves exorcistes lâchèrent pas la patate pis finirent par sortir un par un les démons de sœur Jeanne des Anges. Pis une fois la mère supérieure calmée, les autres sœurs se calmèrent aussi. 

Après ça, sœur Jeanne des Anges l’exorcisée devint une superstar et partit en tournée dans toute la France. Elle rencontra le cardinal de Richelieu, la reine d’Anne d’Autriche pis le roi Louis XIII, qui accorda la protection royale à son couvent. Grâce à ça, les Ursulines de Loudun furent pleines aux as jusqu’à la mort de sœur Jeanne des Anges. Payante, la possession, tu dis?

Pour finir, j’ai un cas un peu plus extrême pour vous-autres. J’vous avertis, ça fesse. Si vous voulez aller aux toilettes, ça serait un bon temps. C’est beau? Bon, si vous êtes sûrs, on y va! 

Margaretta Peter, une jeune Suissesse, était convaincue que Napoléon II était l’antéchrist, pis que la bataille finale entre Dieu pis le yâble allait commencer. Elle avait même des disciples, qu’elle avait crinqués ben raide pour combattre le mal. Un bon soir, y’en a un qui fit une crise d’épilepsie, faique Margaretta dit : 

« Tchéquez ça! Y’est après avoir une vision des armées de Napoléon II qui s’en viennent! Pognez toutes les armes que vous pouvez pis v’nez-vous en! »

Mais, au lieu de se battre contre les forces de l’antéchrist, Margaretta pis ses disciples passèrent trois heures dans la maison à décâlisser les murs pis les meubles. C’que ça faisait de bon, fouillez-moé, mais entécas, eux-autres, y’étaient dedans en simonac.

Attirés par le train qu’y menaient, les policiers arrivèrent pis séparèrent les hommes des femmes pour les interroger. Pendant qu’y s’occupaient des hommes, Margaretta, qui était restée avec les femmes, les crinqua encore plus : 

« Êtes-vous prêtes à mourir pour sauver votre âme? » 

Elizabetta, la sœur de Margaretta, répondit : 

« Moé! Moé chus prête à mourir! » et commença à se fesser elle-même. 

Faique Margaretta pogna un marteau et se mit à en sacrer des grands coups à sa sœur. Les autres femmes, folles raides, se jetèrent elles avec sur Elizabetta, qui fut tabassée à mort.

Après ça, pour Margaretta, dans la lutte contre le yâble, c’était égalité à une minute de la fin de la troisième période en septième match des séries. C’tait le temps de toute donner : 

– Bon, là, les filles, y reste yinque une affaire à faire pour sauver le monde : va falloir me crucifier!
– Euh…
– Mais, c’est pas grave, je vais r’venir dans trois jours!
– Ah, ben fallait le dire! 

Faique les disciples de Margaretta la crucifièrent. Les armées de Napoléon II se pointèrent jamais la face. Pis après trois jours, Margaretta revint pas d’entre les morts comme elle avait promis. Oups. Les disciples, ben déçus, finirent toutes en prison.

Faique ouais, le yâble, y’a le dos large en tabarouette. Mais tant qu’à moé, les humains ont toute c’qui leu faut dans le ciboulot pour partir en peur pis se faire des accroires, sans l’aide de rien pis de personne. 

Alors, que vous la passiez à soir ou demain, joyeuse Halloween! 


Sources :

https://arbredor.com/ebooks/AntoinetteBourignon.pdf

https://www.faculty.umb.edu/gary_zabel/Courses/Phil%20281b/Philosophy%20of%20Magic/Arcana/Witchcraft%20and%20Grimoires/Loudun.html

https://archive.org/details/epidemicsofmiddl1844heck/page/118

https://www.ancient-origins.net/history-famous-people/crucifixion-margaretta-peter-0011535

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