Léo Major, partie 4 – la colline 355

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– M’man? Y’est où mon linge civil?
– Ah, on l’a vendu parce qu’on pensait que t’allais te faire tuer là-bas. Pis de toute façon, on avait besoin d’argent. 

C’était pas exactement l’accueil que Léo Major, héros de Zwolle, aurait espéré. 

Au début d’août 1945, Léo Major était r’venu à Montréal, pis c’était comme si la guerre avait été yinque un rêve épouvantable que personne à part ses compagnons d’armes pouvait comprendre, et qui le hanterait pour le restant de ses jours. 

Y s’était quand même pas attendu à ce que ses parents y’ouvrent la porte avec des confettis pis du sucre à’crème, mais au ton indifférent à sa mère, y’avait quasiment l’impression de déranger.  

Pas le genre à se pogner le beigne, Léo quitta l’ambiance de salon funéraire  avec les fenêtres ouvertes au mois de janvier qui régnait dans la maison de ses parents et s’en alla gagner sa vie. 

Dans les années qui suivirent, il fit plusieurs jobs : magasiner pour l’armée, ce qu’il trouvait plate à mort, plombier et tuyauteur. Pis, il rencontra la belle Pauline, qui allait devenir sa femme. Mais là, le 25 juin 1950, la Corée du Nord envahit la Corée du Sud : c’était le début de la Guerre de Corée. 

Ben vite, les États-Unis, le Canada pis d’autres pays de l’ONU se mobilisèrent pour défendre la Corée du Sud, tandis que la Chine se mit du bord de la Corée du Nord. Léo, lui, venait de se faire offrir une job en Afrique du Nord quand il reçut un appel de Gustave Olivier Taschereau, son commandant pendant la Deuxième Guerre mondiale :

– Major, j’aimerais ça que tu viennes à une rencontre avec une couple d’officiers au centre de recrutement.
– Comment ça? 
– Y’a le lieutenant-colonel Jacques Dextraze qui veut vraiment te voir. 

Son nom avait beau sonner comme un ingrédient louche dans les cochonneries sucrées qu’y vendent au dépanneur, Dextraze, c’était tout un homme. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, y’avait dirigé le régiment des Fusilliers du Mont-Royal pis avait fait tellement une bonne job qu’il avait été décoré de l’Ordre du Service distingué. Ses hommes le considéraient comme toffe, sévère, mais efficace. Avec lui, t’étais aussi ben de te tenir les fesses serrées. 

Là, y reprenait du service pour diriger le deuxième bataillon du Royal 22e Régiment en Corée, pis y’avait l’œil sur Léo. Y voulait créer un peloton de francs-tireurs avec lui en charge. Connaissant Léo, pour lui vendre sa salade, il lui dit : 

« T’auras pas d’officier sur ton dos pour te dire quoi faire! »

Heille, y le connaissait-tu, son homme? Ce fut assez pour convaincre Léo, qui s’enrôla le 15 août 1950 : c’était reparti. 

Après plusieurs mois d’entraînement vraiment raide, d’abord à Valcartier, puis à Fort Lewis, aux États-Unis, Léo pis son peloton s’embarquèrent pour la Corée du Sud en avril 1951 et arrivèrent au début de mai. 

Les six mois d’après passèrent en patrouilles pis, pour Léo pis son peloton, en raids et en missions de reconnaissance. Pour les gars, c’était loin d’être une partie de poches dans’cour chez ton mononcle : l’hiver, y se gelaient le cul pis pognaient le rhume, la grippe, des engelures pis le « pied des tranchées » – ça, essentiellement, c’est quand tes pieds commencent à pourrir parce qu’ils sont trop souvent trempes pis frettes. L’été, y se faisaient manger tout ronds par les bebittes, pognaient des coups de chaleur, pis j’en passe. Un m’ment’né, Léo vit un rat passer dans le campe avec une barre de chocolat dans’yeule. Le gars qui a mangé la barre, y’est mort de la fièvre de Mandchourie. Ayoye.

L’ennemi était partout, pis fallait tout le temps se méfier. D’ailleurs, les gars s’entendaient sur un mot de passe à tous les soirs, mais ça arrivait qu’il y en ait qui oublient, faique à la place, ils lâchaient un bon gros « tabarnak! ». Avec ça, c’était assez clair que c’était pas un Chinois qui essayait de se faufiler en arrière des lignes. 

Mais là, le 22 novembre 1951, la marde était sur le bord de pogner solide. 

À ce moment là, le Royal 22e était campé au nord de Séoul, la capitale de la Corée du Sud, pis devait aller rejoindre les Américains de la 3rd US Infantry Division, qui occupaient la colline 355, qui s’appelait de même parce qu’elle faisait 355 verges de hauteur. La 355 était la plus haute dans ce boutte-là. 

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La compagnie B pis la compagnie C étaient au sud, la compagnie A était au milieu, pis la compagnie D était entre la colline 355 pis la colline 227 juste à côté, nommée elle avec pour sa hauteur, qui était pas occupée. 

Léo était avec le lieutenant-colonel Dextraze pis jasait de son dernier raid quand les Chinois attaquèrent la colline 355. Pendant une demi-heure, les Américains mangèrent une pluie d’obus en pleine gueule avant de se faire ramasser par l’infanterie ennemie. Pis là, drette de même, ils se sauvèrent, laissant là toute leur équipement pis leurs armes. Léo, qui voyait ça aller, était ben découragé : 

« Gang de pissous! Les Yankees, là, sont ben meilleurs pour faire des films que guerre que pour se battre pour de vrai. Y devraient avoir honte! »

La colline 355 étant aux mains des Chinois, la Division D se retrouvait le flanc à l’air et risquait d’être attaquée des deux bords, pis c’est justement ce qui arriva durant une bonne partie de la journée du 23. Heureusement, les gars tinrent le coup. 

Après ça, les Américains reprirent la colline 355, mais c’était pas pour durer. 

Vers la fin de l’après-midi le 24, les Chinois passèrent encore une fois à l’attaque, pis là toute se mit à péter. La compagnie D était assaillie de tout bord tous côtés, pis ça regardait mal en bâzouelle. La colline 355 repassa aux Chinois. 

Pour contre-attaquer, le lieutenant-colonel Dextraze avait comme idée de faire monter la compagnie D sur le dessus de la colline 227, pis la compagnie B sur le flanc de la 355, pour pogner les Chinois en tenaille pis les crisser dehors. Malheureusement, la compagnie B était même pas rendue à la moitié de la côte que les tirs nourris des Chinois la forcèrent à revirer de bord. La compagnie D, elle, réussit à monter sur la 227, mais l’ennemi l’attaqua tusuite à partir de ses positions défensives, tellement raide qu’a l’était pu capable de rien faire. 

Au milieu de t’ça, Léo voyait le monde mourir, pis ça y rappelait quand son chum Willy s’était fait descendre juste avant la libération de Zwolle. Comme à ce moment-là, y’était en tabarnak. Mais même si toute en-dedans de lui était en feu, y gardait la tête froide. 

C’est là que Dextraze, voyant que son plan avait foiré, se tourna vers Léo : 

« Léo, t’es mon dernier espoir. J’ai yinque eu des victoires depuis la Normandie, pis j’ai pas envie d’être battu pour la première fois. »

Léo comprenait exactement ce que Dextraze y demandait, pis c’était une gériboire de grosse commande. Après avoir pensé à son affaire, y répondit : 

« Ce que tu me demandes, ça va être ben difficile. J’ai juste 65 hommes pour capturer une montagne qu’un régiment au complet a pas été capable de tenir. Mais, j’veux ben essayer, pis même, ch’pense pouvoir tasser les Chinois de d’là. Pour ça, faut que j’utilise l’effet de surprise au maximum. Tchècke ben comment qu’on va faire… » 

À 9 h du soir, Léo pis ses hommes partirent à pied pour se rendre en arrière de la colline 355, par où les Chinois s’attendraient jamais à une attaque. À 11 h et demie, Ils étaient prêts à commencer à monter la montagne. Pis à 1 h moins quart, y leur restait juste un petit boutte à monter. C’est là que, comme Léo l’avait demandé, les mortiers du Royal 22e tirèrent en avant de la colline : comme ça, pendant que l’équipe de choc montait les dernières verges, les Chinois avaient les yeux tournés de l’autre bord pis pouvaient pas l’entendre arriver au travers du bruit des explosions. 

Quand Léo pis sa gang arrivèrent au sommet, les Chinois furent pognés complètement les culottes à terre et se mirent à paniquer. Tout le long de l’attaque, Léo, en communication radio avec Dextraze, lui disait où diriger les tirs de mortier pis de mitraillettes.  

Grâce aux efforts coordonnés de Léo et de Dextraze, à 2 h du matin, les Chinois avaient décrissé, pis Léo était le roi de la montagne. Bon ok, y’aurait jamais dit ça de même, mais y’avait réussi à battre l’ennemi qui était cinq ou six fois plus nombreux que lui pis ses gars. Pis en plus, y’avait pas perdu un homme! C’était un tabarouette d’exploit. 

Mais la colline 355 avait changé de mains un tapon de fois dans les derniers jours; la prendre, c’était une affaire, mais la garder, c’en était une autre. 

Léo, connaissant les Chinois, se dit qu’y allaient sûrement attaquer à l’aube. En attendant, il fit évacuer trois blessé graves pis patcha les autres. Ensuite, il appela Dextraze pour faire placer les mortiers pis les mitraillettes de manière à ce que les Chinois, en arrivant dans la vallée en face de la colline, se fassent ramasser pendant leur approche. Après ça, il alla explorer les positions que les Américains avaient abandonnées.

Y trouva des tranchées, des dug-outs – des espèces d’abris creusés dans la terre – pis surtout, des caisses pis des caisses de grenades. Ohhh yes. Les grenades, c’est parfait pour garrocher en bas d’une montagne sur les ennemis qui s’en viennent. Après avoir séparé ses hommes en petits groupes pour mieux défendre la montagne, Léo était prêt pour les Chinois.

Une p’tite neige se mit à tomber tandis que Léo faisait le tour du sommet, regardant de temps en temps à l’horizon pour voir si l’ennemi s’en venait. Pis là, se détachant contre le blanc du fond de la vallée, arrivèrent deux colonnes de Chinois qui s’en venaient drette dans la direction de Léo. 

De où ce qu’y était, Léo pourrait très bien diriger les tirs d’artillerie sur l’ennemi qui arrivait, comme si y’était un chef d’orchestre pis que les obus pis les balles étaient les notes de sa symphonie. C’était tellement efficace qu’y a pas grand Chinois qui réussirent à se rendre au pied de la 355. Pis ceux qui arrivèrent à monter la montagne se firent ramasser par des grenades. 

Enfin, Léo fit arrêter les tirs pour laisser les Chinois ramasser leurs morts pis leurs blessés. Après ça, il passa encore trois jours dans un frette épouvantable à défendre la colline 355 avec l’aide du peloton de mortiers, repoussant plusieurs autres attaques. 

Finalement, Léo put descendre en bas de la colline pour aller se reposer. En arrivant au camp, écœuré pis brûlé raide, y revira de bord un jeune René Lévesque, qui était dans ce temps-là correspondant de guerre pis qui voulait une entrevue : 

« Si vous voulez vous renseigner, allez voir le colonel Dextraze. Y’est en ben meilleur état d’âme que moé, pis moé, j’ai rien à vous dire. »

Pour avoir tenu son boutte avec sa petite gang dans une situation complètement désespérée, guidant pis inspirant son monde comme un grand chef de guerre, Léo allait recevoir sa deuxième médaille de Conduite distinguée. 

Mais à ce moment-là, y sut que ça serait sa dernière bataille. Y n’avait vu pis faite assez… 


Source : Luc Lépine, Léo Major : Un héros résilient, Éditions Hurtubise, 2019.

8 commentaires sur “Léo Major, partie 4 – la colline 355

  1. Où prenez-vous tous ces détails tellement précis?
    Pour avoir collaboré un peu avec le livre de Luc Lépine, les détails que je lis sont presque tout confirmés.
    Merci de me répondre.

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    1. Justement, pour la partie 4, je me suis fondée en grande partie sur le livre de Luc Lépine et, bien sûr, je l’indique à la fin du billet! Je suis très reconnaissante de ce travail de moine qui m’a permis d’inclure plein de petits détails croustillants!

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      1. Oui j’ai vu, mais les trois premières parties… Le livre n’était pas sorti encore à ce que je sache. Les détails sont étonnants dans ces trois premières parties…

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