Ça vous ferait quoi, mettons que, des millénaires après votre mort, la seule chose qui restait de vous autres pis d’l’œuvre de vot’vie, c’tait la critique à une étoile pleine de gros mots qu’un frustré a laissée su’a page Facebook de votre succursale de Subway à Rimouski-Est?
Y’a-tu vraiment une bonne ou une mauvaise façon d’entrer dans l’histoire?
J’aimerais ben poser c’te question-là à Ea-Nasir, un marchand de cuivre mésopotamien de l’an 1750 avant notre ère. Y saurait d’quoi y parle : la première plainte su’l service à la clientèle connue de l’histoire de l’humanité, a parle de lui, de son stock de marde pis de son maudit air bête.
Pis c’est comme ça que son nom s’est rendu jusqu’à nous-autres, 3 800 quelques ans plus tard.
M’as vous mettre un ti peu en contexte.
Les premières traces d’écriture datent de l’âge du bronze, v’là plus que 5 000 ans, pis y’ont été trouvées dans’région de Sumer, en Mésopotamie. Ça, c’est dans l’Irak pis la Syrie d’à c’t’heure.
Dans c’temps-là, l’écriture se limitait à des tits dessins – des pictogrammes – su des tablettes d’argile qui servaient à’comptabilité, c’t-à-dire pour savoir combien t’avais d’sacs de grains, de moutons pis d’autres cossins. Y’avait pas vraiment de direction particulière pour graver les dessins – genre de gauche à droite comme nous autres, ou de haut en bas –, mais y’étaient organisés en colonnes. Faique, en gros, les tablettes de l’époque avaient plus de parenté avec Microsoft Excel qu’avec Microsoft Word!


Au début, l’écriture avait pas de lien avec la langue parlée en tant que telle, pis a servait certainement pas à raconter tes états d’âme.
Mais, ça a pas été si long avant que quequ’un s’dise que ça écrirait plus vite si t’étais pas obligé de dessiner l’plan d’orge au complet su ta tablette : c’est comme ça qu’on a commencé à simplifier les pictogrammes. Pis après, woup! Quequ’un a eu l’idée de prendre des signes pour symboliser les sons qu’on fait quand on parle!
Le peuple de Sumer v’nait d’inventer l’écriture cunéiforme, pis c’tait une vraie révolution.

En plus des substantifs – les mots qui désignent des choses, comme patate, poil pis jarnigoine –, les verbes, les adverbes, les adjectifs pis les prépositions sont entrés dans l’décor, pis ça a ouvert toute un tapon de possibilités.
Moé, c’qui m’fascine, c’est que l’monde ont pas allumé tu’suite su toutes les affaires que tu pouvais faire avec c’te nouvel outil-là.
Ça a commencé par des documents juridiques, comme des contrats pis des actes de vente. À peu-près en même temps, y’a eu les documents religieux comme des textes rituels pis des hymnes. Plus tard, y’a eu les comptes rendus de procès pis d’autres documents juridiques, pis enfin les textes narratifs, genre les mythes pis les épopées. Ah, pis ben sûr, le monde ont commencé à s’écrire des lettres!
Ben vite, entécas, les rois de l’époque ont allumé su queque chose :
« Heille! Tsé des écritures, là… Ça reste! Faique si j’écris su des monuments pis su’é murs à quel point chu bon pis que ch’torche des culs, le monde vont s’en rappeler! »
Y’a ben des souverains qui ont laissé c’qu’on appelle des inscriptions commémoratives su toutes les affaires qu’y ont faites pendant leur règne. Pis c’tait ben d’adon, parce que c’est grâce à c’tes inscriptions-là qu’on connaît une bonne partie de l’histoire d’la Mésopotamie durant l’âge du bronze.
Mais, dans l’tas, y’a un roi qui s’distingue vraiment, pis ça s’peut même que vous connaissiez son nom : Hammourabi.
C’est lui qui a fait écrire le Code de Hammourabi, un des plus anciens codes de lois du monde.
Le texte du code commence par un long prologue où Hammourabi pète d’la broue :
« C’est moé, Hammourabi! Chus le guerrier qui torche tout l’monde; le roi sage pis intelligent qui a organisé des christies d’beaux banquets en l’honneur d’la déesse Nin-tu; le sage gouverneur qui a ramassé les bandits dans leu caverne; le sage pis le parfait qui a faite les plusse meilleurs sacrifices aux dieux; le prince crinqué qui aide son peuple quand ça va pas ben, qui fait triompher la justice pis ah, tant qu’à faire, qui fait briller l’soleil, simonac! Pis, j’vous l’ai-tu dit que ch’tais sage? »
Pis ça, c’est juste queques-uns de ses greatest hits; l’affaire au complet finit pu d’finir. Hammourabi, y s’prenait pas pour un 7up flat!
Après ça, y’a toutes sortes de règlements qui parlent de toutes les aspects d’la vie du temps, du commerce au droit d’la famille. Là-dedans, y’a des grands classiques, comme : si quequ’un t’pète un œil, t’as le droit d’y péter un œil.
Y’a d’autres règlements qui peuvent paraître bizarres pour nous-autres à c’t’heure. Par exemple, ça dit que si t’accuses quequ’un de sorcellerie, mais que tu peux pas le prouver, l’accusé doit se sacrer dans l’fleuve. Si y s’nèye, tu peux prendre sa maison. Si y s’nèye pas, par’zempe, y peut prendre TA maison.
Ça dit aussi que si une prêtresse essaie de rentrer dans une taverne pour se boire une tite frette, a doit être crissée dans l’feu.
Fallait ben que les lois pis la justice commencent queque part, hein?
Bref, Hammourabi a toute faite pour laisser sa marque dans l’histoire, pis y’a réussi. Yé considéré comme un des premiers grands législateurs de l’humanité, on parle encore de lui dins cours de droit à l’université, pis y’a même un astéroïde nommé en son honneur.
Mais pour en arvenir à Ea-Nasir, notre marchand de cuivre qui a vécu autour des mêmes années que Hammourabi… Lui’ssi, y’a laissé sa marque dans l’histoire, non pas en l’écrivant lui-même, mais plus en s’enfargeant dedans pis en faisant une poque dessus.
Faique lui, si on sait c’est qui, c’t’à cause de ça :

À l’âge du bronze, mettons que t’arvenais du garage ben fru parce les essieux su ton chariot à bœufs étaient pas garantis pis qu’tu voulais dire ta façon d’penser au répareux d’chariots, suffisait pas d’écrire trois-quatre lignes de bêtises su Google Maps pis de cliquer su « Publier » en te disant « Quins mon astie ».
À place, fallait que tu d’mandes à un serviteur de graver ta montée d’lait s’une tablette d’argile, que t’attendes qu’à sèche pis qu’tu payes un messager pour qu’y aille la porter là-bas par bateau pis à dos d’âne.
Faique fallait vraiment être en saint-sifflette de barnak pour se donner toute c’te peine-là!
Malgré toute, c’est exactement c’qu’un dénommé Nanni a faite après avoir eu affaire à Ea-Nasir : y lui a envoyé une tablette ben sentie. Quins mon astie!
La tablette en question été trouvée à Ur, dans l’Irak d’à c’t’heure, dans c’qu’on pense être le sous-sol à Ea-Nasir. Pis comme j’disais, c’est la plus ancienne plainte su l’service à’clientèle connue du monde. C’est même dans l’livre des records Guinness!
Là, ben sûr, c’est mon adaptation maison d’une traduction en français d’un texte en akkadien (la langue des Akkadiens, peuple ancien d’la Mésopotamie, à ne pas confondre avec les Acadiens pis leu poutine râpée), faique ça se peut qu’y aille des tits glissements de sens icitte pis là. Mais, en gros, c’que la tablette dit est pas mal intemporel :
« Nanni fait dire à Ea-Nasir :
Quand on s’est vus, tu m’as dit : “Viens chez nous, m’as te vendre des lingots de mon meilleur cuivre”. Pis après, t’es parti, mais t’as pas faite c’que t’as dit pantoute. Quand mon messager est arrivé, t’as essayé d’y passer du mauvais cuivre, pis t’as dit : “Si tés veux, mes lingots, prends-lés; si tés veux pas, décâlisse!”
Heille, pour qui tu m’prends, chose? T’as du front tout l’tour d’la tête pour essayer d’enfirouaper un client comme moé! En plus, t’as gardé ma bourse même si mon messager a pas pris l’cuivre! J’ai envoyé du monde la chercher, mais tés as r’virés d’bord plusieurs fois! T’rends-tu compte qu’y ont dû traverser un territoire ennemi pour se rendre chez vous? Maudit cornet. De toutes les marchands qui importent du stock du royaume de Telmun, y’a yinque toé qui est baveux d’même!
Faique écoute ben, mon chum : tu vas m’rembourser, c’tu clair? Pis à l’avenir, si tu veux m’vendre du cuivre, tu vas v’nir CHEZ NOUS, dans MA cour, pis c’est moé qui va choisir les lingots un par un! T’avais yinque à pas faire ton sans-dessein! »

Heille, y y’a-tu dit un peu!
On saura jamais si Ea-Nasir a répondu à ça, mais chose certaine, Nanni était pas son seul client pas content – on a trouvé plusieurs autres tablettes de plaintes dans sa maison, dont celle d’un gars nommé Imgur-sin qui lâche un cri du cœur :
« Tu l’sais-tu à quel point ch’t’écœuré de ton niaisage? »
Pourquoi notre marchand de cuivre a gardé toute c’tes tablettes-là ben précieusement chez eux, je l’sais pas. C’t’à crère qu’y les arsortait de temps en temps pour les lire en ricanant.
Faique c’est d’même que l’nom d’Ea-Nasir a survécu aux millénaires. Pis par survécu, j’veux pas dire qu’y a quatre-cinq archéologues de musée qui connaissent son histoire pis qui trouvent ça ben drôle. Ea-Nasir, c’t’une vedette de l’Internet!
Vous m’creyez pas? On va aller taper « Ea-Nasir memes » (vous connaissez ça, hein, les mèmes?) dans Google pour voir c’que ça donne :

Qu’est-cé j’vous disais. Pis y’en a des dizaines!
Ça vous donne pas l’frisson, vous autres? Un crosseur qui vivait d’une maison en terre cuite à l’aube d’la civilisation est passé à’postérité d’la façon la plus improbable possible, pis 4 000 ans plus tard, y connaît une deuxième vie s’un médium tellement moderne qu’y aurait probablement d’la misère à comprendre sa célébrité posthume.
Célébrité qu’y doit toute à son client fru, Nanni. Ch’pense que si l’monde ont autant accroché su c’t’histoire-là, c’est que c’est facile de s’identifier à lui : qui s’est jamais faite empissetter par un vendeur pis a pas rêvé d’y dire ses quatre vérités? Dans l’fond, on est toutes des Nanni.
Ea-Nasir, lui, y paraît comme un trou d’cul qui s’assume pis, dans un p’tit coin d’notre ciboulot, on peut pas s’empêcher d’admirer ça. Tsé, qui d’entre nous autres, même la plus fine des soies, s’est pas déjà dit que la vie s’rait plus simple si on avait pas toutes c’tes maudits scrupules?
Entécas, gang, soyez fins avec le monde, pis rappelez-vous toujours qu’on sait jamais comment on va devenir célèbres!