Moé, chus ben impatiente.
Quand queque chose arrive pas aussi vite que j’voudrais, ch’fais l’bacon pis j’dis :
« Si ça arrive pas tu’suite, ça arrivera jamaaaaaais! »
Ch’t’aussi ben perfectionniste pis j’ha-guis être pognée en défaut pis pas réussir.
Bref, ch’pas reposante; vous en parlerez à Mononc’Poêle.
Mais heille, ch’s’rai jamais aussi pire que François Vatel, le « contrôleur général de la bouche » du prince de Condé au château de Chantilly.
Ça mérite un ti-peu d’contexte, hein?
D’abord, « contrôleur général de la bouche », ça veut pas dire que l’bon monsieur Vatel avait comme job de tchéquer l’haleine du prince à chaque fois qu’y sortait d’chez eux ou qu’y arcevait d’la visite.
La « bouche », au 17e siècle, en France, ça voulait dire toute c’qu’y avait rapport au manger dans’maison du monde d’la noblesse. Autrement dit, Vatel s’occupait de faire les listes d’épicerie pis d’organiser les repas – des soupers intimes avec yinque 5 services pis d’la tite musique de chambre aux gros banquets à 3 000 personnes avec des jongleurs pis des feux d’artifice.
Les 23, 24 pis 25 avril 1671, Vatel avait une maudite grosse commande : son boss arcevait Louis XIV, le Roi Soleil EN PERSONNE!
En plus, pour le prince de Condé, fallait absolument que toute se passe comme su des roulettes.
L’affaire, c’est que Condé avait un ti-peu pris les armes contre son cousin Louis XIV pendant la Fronde, dins années 1650, pis les deux étaient comme en frette depuis c’temps-là. En invitant le roi chez eux, le prince espérait vraiment arvenir dans ses bonnes grâces.
À part de ça, Condé avait vraiment besoin d’un bon pouish de Febreeze Aube calme à la vanille™ pour couvrir l’odeur de scandale qui le suivait depuis qu’y avait accusé sa femme d’avoir commis l’adultère avec un domestique pis qu’y l’avait faite enfermer dans une tour.
Pis toute ça tombait su’és épaules à Vatel, qui stressait en baptême.
Les menus, les tables, le décor, la musique, le divertissement, y’avait pensé à toute pis y s’tait fendu en 4 pour que toute soit PAR-FAIT. Y voulait que son boss soit content, mais pas yinque ça : pour lui, c’tait une question d’honneur.
Le jeudi 23, la visite arriva à Chantilly – le roi pis les 3 000 personnes attendues, plus 75 agrès pas de classe qui décidèrent de s’pointer aussi, sans avertir.
Y furent accueillis comme les autres, hein; pas question d’les arvirer d’bord, ça s’faisait juste pas.
Mais y manqua un rôti à deux tables. Pas si grave, tsé, s’une vingtaine de services à 25 tables!
Vatel le prit MAL. Y capotait ben raide pis y’hyperventilait. Y dit à Gourville, son second :
« Ah, ça a pas de bon sens! J’ai l’air d’un astie d’cave! J’m’en r’mettrai jamais! Gourville, va t’occuper de donner des ordres, moé, j’vois pu clair – ça fait 12 jours que j’ai pas dormi… »
Gourville, qui s’inquiétait de voir Vatel dans toutes ses états d’même, alla bavasser au prince de Condé. Pis Condé, qui aimait ben gros son contrôleur général de la bouche, s’rendit jusqu’à sa chambre pour y dire de slaquer l’autoflagellation :
— Vatel, toute est beau! Le souper du roi était ben beau!
— Monsieur, vous êtes ben fin! Mais non! Y’a manqué un rôti à deux tables, ça a-tu d’l’allure!
— Ben non, c’est correct. Relaxe, toute va ben!
Comble de l’humiliation, c’te soir-là, y’avait d’la grosse brume, pis le gros feu d’artifice organisé pour finir la soirée fit patate. Vatel passa une autre nuitte blanche à s’taper d’ssus pis à stresser pour le lendemain.
Le vendredi, c’tait un jour maigre, c’t-à-dire qu’y fallait pas manger d’viande; pis en plus, on était en plein carême.
Faique notre contrôleur général avait prévu un festin de poisson de mer. Dans c’temps-là, y’avait pas de frigidaires; le château était pas équipé pour garder le poisson dans des viviers, pis c’tait pas encore ben répandu d’utiliser d’la glace pour garder la bouffe au frais. Autrement dit, le voyage de poisson devait arriver le jour même, pis pas une menute en retard. À part ça, Chantilly était pas exactement au bord d’la mer.
À quatre heures du matin, Vatel faisait déjà le pied d’grue à attendre après son poisson :
« Voyons, qu’est-cé qu’y fait là, qu’y arrive pas mon poisson? »
Enfin, artontit un p’tit marchand avec sa charrette.
— C’est toute? fit Vatel, découragé; c’tait clairement pas assez pour nourrir le roi pis sa gang de poudrés (ch’parle pas d’la poudre qui rend funné, là).
— Euh… oui? répondit l’marchand.
C’que l’marchand savait pas, c’est que Vatel avait passé des commandes dans toutes les ports de mer; faique, c’tait loin d’être toute.
Mais c’tait rien pour rassurer Vatel, qui continuait de s’tordre les entrailles à attendre. Plus l’temps passait, plus y désespérait, pis y’avait toujours pas d’poisson à l’horizon.
— Ahhhh, Gourville! Déjà qu’hier, j’ai eu l’air d’un maudit moron d’incompétent, qu’est-cé m’as faire si j’ai rien à mettre su’a table de Sa Majesté? M’as devenir connu comme l’astie d’jambon d’incapable qui a affamé le roi d’France! Là, c’est sûr que j’m’en r’mettrai jamais!
— Franchement, répondit Gourville. Y va arriver, vot’poisson! Yé encore de bonne heure, là, prenez don vot’gaz égal!
Mais, à huit heures, Vatel y creyait pu. Dans sa tête, toute était fini; sa réputation était irrémédiablement scrappe.
Y monta dans sa chambre pis ferma la porte.
Y prit son épée pis accota son épée su’a porte, la lame vers lui.
Pis s’embrocha dessus.
Drette comme, dehors, on l’cherchait partout :
« Monsieur Vatel! Monsieur Vatel! Le poisson arrive! De tous bords tous côtés! »
On l’artrouva mort dans son sang.
Pour une affaire de queques menutes.
Vatel devint une légende, un genre de martyre sacrifié su l’autel d’la gastronomie française.
Pis moé, ben, comme j’vous disais, je l’comprends : j’haïs attendre autant que j’haïs perdre la face.
Source : Lettres de Madame de Sévigné, de sa famille et de ses amis (tome II), publié en 1862.