La consanguinité chez les Habsbourg : de quessé, pourquoi, comment?

Les Habsbourg, ça vous dit-tu d’quoi, ça?

Si vous v’nez souvent écouter mes histoires, y’a des grosses chances que oui.

Pour les autres, m’as vous l’dire tu’suite, « Habsbourg » c’est pas un village thématique des Canadiens d’Montréal avec le resto à Mario Tremblay pis des marigorondes genre « Les Montagnes russes à Kovalev » pis « Le Slapshot à Boum-Boum Geoffrion ».

Les Habsbourg, c’t’une famille de monarques européens qui étaient tellement consanguins qu’y ont passé proche de s’auto-faire disparaître.

Là, vous vous dites peut-être : « Consanguins? Dans l’sens qu’y mariaient leux cousines? Comme Ti-Clin Dufour du rang 12? Tu parles de des colons! »

On l’sait, c’te genre d’union-là passe assez mal dans’société, que tu soyes un big shot ou pas.

Mais quand même, entre Ti-Clin Dufour pis les Habsbourg, y’a une bazouelle de grosse différence.

Ti-Clin, lui, ça se peut que l’choix d’femmes à marier était pas vargeux dans son rang 12 – y voyait sa cousine Floridâ à tou’és jours su’l lot d’à côté, pis y’a fini par se dire ouin, a s’en vient pas pire la p’tite, j’irai pas charcher plus loin!

Mais les Habsbourg, eux-autres, y’étaient riches et puissants, pis l’Europe au complet était leu buffet quand v’nait l’temps de s’marier.

Faique pourquoi, d’abord, toujours piger dans le même plat d’bonbons?

Justement parce qu’y étaient riches et puissants, pis qu’y voulaient l’rester.

Toute ça, on va dire que ça a commencé – parce qu’y faut ben commencer queque part! – par le gars qu’on appelait Charles Quint.

Avant lui, les Habsbourg étaient quand même pas des tout nus : c’taient des archiducs d’Autriche pis des empereurs du Saint-Empire.

Mais Charles, y’a amené ça à un autre niveau en devenant le souverain d’une quantité de territoires qu’on avait rarement vue mise toute ensemble depuis l’empire romain!

Comment c’t’arrivé, don? Charles était-tu un méga conquérant?

Pantoute!

C’est que, grâce à des mariages ben stratégiques arrangés par son grand-père pis son arrière-grand-père, pis une bonne dose de chance, Charles Quint a hérité des titres de ses QUATRE grands-parents – d’habitude, tsé, yinque un, c’est ben en masse!

C’qui était excessivement rare, c’est que Charles avait deux grands-mères régnantes, c’t’à dire qu’y régnaient de leu propre droit, comme feu Élizabeth, au lieu d’être juste « la femme de », ou « consort », comme Camilla.

Sa grand-mère paternelle, c’tait Marie, duchesse régnante de Bourgogne. Dans c’te temps-là, le duché de Bourgogne était un grand territoire qui comprenait, en plus d’la Bourgogne en tant que telle (en France), une partie d’la Belgique pis des Pays-Bas.

Son grand-père paternel, c’tait Maximilien Ier, archiduc d’Autriche pis empereur du Saint-Empire.

Par son père Philippe, qu’on appelait « le Beau », Charles a hérité de toutes leux titres, sauf celui d’empereur du Saint-Empire – fallait être élu pour ça, mais, souvent, les princes-électeurs se cassaient pas trop l’bécique pis élisaient le fils ou le frère de l’ancien. Faique, à’mort de son grand-père Maximilien, Charles a été élu à sa place, vu que son père avait déjà passé l’arme à gauche.

(Là, faites-vous en pas si je vous garroche plein de noms d’même – vous êtes pas obligés de vous souvenir de toute, c’pas grave.)

L’empereur Maximilien, sa femme Marie, son fils Philippe, ses petits-fils Charles pis Ferdinand, pis Louis, roi de Hongrie, le mari d’la fille à Philippe – c’qui fout là, lui, on s’en reparle plus tard. On voit que les titres pis les territoires, c’tait pas la seule affaire qui se transmettait de génération en génération.

Sa grand-mère maternelle, c’tait Isabelle Ière, reine régnante de Castille. Son grand-père maternel, c’tait Ferdinand II, roi d’Aragon.

Donc, par sa mère, Jeanne Ière, qu’on appelait « la Folle » (pourquoi, je rentrerai pas là-dedans, c’t’une histoire en soi), Charles a hérité de la Castille pis de l’Aragon.

Mais, quand ses parents se sont mariés, c’tait loin d’être évident que Charles allait hériter de toute.

D’abord, Jean, le frère à Jeanne pis le prince héritier, est mort jeune, supposément parce qu’y avait trop baratté l’beurre avec sa nouvelle femme, mais y’a plus de chances que c’tait la tuberculose. Après ça, Isabelle, sa sœur plus vieille, est morte elle avec, pis son bébé garçon aussi.

Faique quand la reine Isabelle est partie arjoindre le p’tit Jésus, c’est Jeanne qui est devenue reine de Castille, pis Charles a co-régné avec elle jusqu’à sa mort.

Ferdinand d’Aragon, dans l’espoir de se fricoter un nouvel héritier doué de zouiz pour son royaume à lui, s’est armarié avec Germaine de Foix. Sauf que, à 63 ans, y’avait l’manche un peu mou, faique sa femme y’a fait faire une p’tite potion à base de gosses de taureau pis d’extrait de coléoptère. Malheureusement, l’apothicaire aurait raté le dosage, pis Ferdinand est mort empoisonné.

Et pouf! Charles s’est artrouvé roi d’Aragon.

Les grands-parents maternels à Charles Quint. Isabelle de Castille a l’air d’une maman dévouée mais au bord du burn-out; Ferdinand d’Aragon a l’air de ton chummy poteux qui squatte ton divan depuis 3 semaines « le temps de s’arvirer d’bord ». 

Bref, une fois toutes ses aïeux éteints, Charles V du Saint-Empire, ou Charles Quint, s’est ramassé avec un astie de tapon de territoires, y compris les colonies espagnoles en Amérique.

À c’t’heure, fallait qu’y s’arrange pour garder ça, pis les mariages allaient être au cœur de sa stratégie.

Pour mieux comprendre pourquoi, faut se d’mander à quoi ça sert, un mariage royal.

Premièrement – on peut pas passer à côté – ça sert à produire des héritiers, de préférence doués de zouiz. Dans un système héréditaire de même, y’avait rien de plus important.

Des fois, ça pouvait influer su’és décisions. Au départ, Charles Quint était censé marier sa cousine Marie Tudor, la fille à sa matante Catherine pis la future reine d’Angleterre, mais y’a changé d’idée parce qu’y voulait des d’héritiers au plus maudit, pis Marie, a l’avait juste cinq ans.

Deuxièmement, un mariage royal, ça sert à créer des alliances ou à les rendre plus fortes. Quand Charles Quint a fini par marier une autre cousine, Isabelle du Portugal, c’tait pas parce qu’y l’avait croisée une couple de fois dins partys d’famille pis qu’y’a trouvait cute, mais parce qu’une alliance avec le Portugal était ben d’adon pour l’Espagne. Vu que, dans c’tes années-là, les deux royaumes étaient après explorer pis coloniser à tour de bras, c’tait important qu’y s’accordent pis qu’y s’pilent pas su’és pieds. À part de ça, l’Portugal était riche en simonac; bref, c’tait mieux pour l’Espagne qu’y soye allié avec elle plutôt qu’avec, genre, la France.

Tin-Clin Dufour et sa cousine Floridâ, un portrait du bonheur conjugal.
(Charles Quint pis Isabelle de Portugal)

Avançons un ti-peu dans l’temps. À 55 ans, Charles Quint, malade pis tanné de courir partout, a abdiqué. Son frère Ferdinand Ier a ramassé les terres ancestrales des Habsbourg en Autriche pis a été élu empereur du Saint-Empire. Son fils Philippe II est devenu roi d’Espagne pis a ramassé toute le reste. À partir de c’te moment-là, les Habsbourg ont été séparés en deux branches : la branche espagnole pis la branche autrichienne.

C’est là qu’on voit que renforcer des alliances, c’est pas yinque avec les étranges. Ça peut être en dedans d’une même famille. Icitte, fallait éviter que les deux branches s’écartillent complètement pis aient pu les mêmes intérêts, pis la stratégie avait commencé ben avant l’abdication à Charles : Maximilien II, le garçon à Ferdinand, avait marié Marie, la fille à Charles.

Phillipe II, le fils à Charles, s’est marié quatre fois :

  1. avec Marie-Manuelle, sa double cousine portugaise (son père à lui pis sa mère à elle étaient frères et sœurs, pis sa mère à lui pis son père à elle aussi);
  2. avec Marie Tudor (la même que son père avait failli marier);
  3. avec Élizabeth de Valois, une princesse française;
  4. avec Anne d’Autriche – nulle autre que sa nièce, la fille à sa sœur Marie pis à son cousin Maximilien II. C’est avec elle qu’y a fini par produire son héritier doué de zouiz, le futur Philippe III.
Beau comme un prince : Philippe II d’Espagne

Quand sa quatrième femme est morte, Philippe a voulu s’armarier avec sa sœur à elle, qui avait yinque 14 ans. Su’l ch’min de l’Espagne pour ses noces, la p’tite a faite « fuck non » pis est entrée en religion.

Bravo, ma belle. J’aurais faite pareil.

Là, si l’cœur vous lève un peu, vous êtes pas tu’seuls. Mais, ça fait yinque commencer.

Troisièmement, un mariage royal, ça sert à garder la richesse dins mains d’la même p’tite gang de privilégiés.

Quand des monarques négociaient un mariage entre leux arjetons, c’tait pas yinque, ma fille marie ton gars, une poignée de main, c’est ça qu’y est ça. Nenon. C’tait un échange à pu finir de propositions pis de contre-propositions :

« Faique toé tu m’donnes un boutte du Tyrol pis moé ch’te donne un coin de Sicile, avec tel motton d’argent, tu donnes deux-trois fiefs à ma fille pour ses p’tites dépenses, pis moé ch’t’aide à taper su’és Ottomans aux frontières… »

Des fois, ça servait à régler des conflits, mais en temps de paix, les deux parties finissaient souvent ni plus riches ni moins riches qu’avant. Ça montre que c’tes tractations-là étaient pas tant un moyen de s’enrichir, mais plus du WD-40 pour alliances diplomatiques.

L’affaire, c’est que ça marchait yinque quand les mariés avaient l’même rang social. Fallait pas – horreur – qu’un mariage inégal fasse passer d’la richesse dins mains de des ROTURIERS.

Ark!

Y’a juste à voir la réaction à Ferdinand Ier quand son p’tit darnier, Ferdinand Junior, est tombé en amour avec une femme d’la bourgeoisie, l’a mariée en secret pis a eu deux p’tits gars avec :

« Voir si j’vas laisser le moindre ti-boutte du motton des Habsbourg aller à des pas propres! Heille, des affaires pour qu’y s’enflent la tête pis s’prennent pour des princes! Ça commence par une, pis dans pas long toute la racaille va nous garrocher ses filles à marier! L’ordre social au complet va crisser l’camp! »

Faique Ferdinand Junior a dû garder son mariage secret, arnoncer à toute succession pour ses gars pis faire semblant de les « trouver » en avant d’la porte d’entrée comme deux chatons abandonnés, en échange de quoi son père s’est engagé à y verser une rente pour pas qu’y crèvent de faim.

Le genre d’affaire qui a aucun sens dans notre logique d’à c’t’heure.

Le meilleur moyen de garder la richesse toute à’même place, ça reste de s’marier le moins possible avec du monde d’en dehors, c’que les Habsbourg ont faite à la perfection.

À’génération suivante, Philippe III d’Espagne s’est marié avec Marguerite d’Autriche-Styrie, sa petite-cousine ET cousine germaine éloignée au premier degré. Dans l’doute, argardez l’arbre, c’est ben plus clair de même.

Ensemble, y’ont eu huit enfants, dont l’héritier Philippe IV pis l’infante Marie-Anne.

Marie-Anne, a s’est mariée avec Ferdinand III du Saint-Empire, son cousin, lui-même fils de l’empereur Ferdinand II pis de Marie-Anne de Bavière, sa cousine ET cousine germaine éloignée au premier degré.

Après ça, sa fille à elle, aussi appelée Marie-Anne, s’est mariée avec Philippe IV d’Espagne, son cousin PIS son mononcle en MÊME TEMPS.

Simonac, gang. Le ciboulot m’chauffe.

Finalement, quand on conclut un mariage royal, faut pas yinque penser à c’qui s’passe dans l’moment; faut aussi voir loin dans l’avenir. J’vous donne un exemple.

Tsé, le gars qui avait pas rapport dans l’portrait tantôt, pis j’ai dit que j’vous en reparlerais?

Menute.

J’vous rappelle, Louis II de Hongrie, y’était marié avec Marie, la petite-fille à Maximilien Ier. Y’était aussi le beau-frère à Ferdinand Ier, qui lui était marié avec sa sœur Anne. En gros, si y’a été mis dans l’portrait d’la belle-famille, c’tait pour la propagande, du genre :

« Ah ouais, le p’tit Louis, on l’aime assez! Y’é d’la famille! Ses affaires, c’est nos affaires! »

Mais, pourquoi beurrer aussi épais?

Quand Louis II de Hongrie est mort nèyé en prenant une fouille dans sa grosse armure pesante tandis qui s’sauvait des Ottomans à la bataille de Mohács, comme y’avait ni enfants ni frères, Maximilien Ier a r’vendiqué la couronne de Hongrie au nom de sa p’tite fille Marie, la veuve à Louis, PIS au nom d’Anne Jagellon, sa bru pis la sœur à Louis.

Voyez-vous l’coup double, là? Maximilien Ier avait commencé à préparer ça avant même que Louis vienne au monde! Ben sûr qu’y pouvait pas savoir si Louis allait mourir jeune, mais c’tait un coup de dés qui a payé : au boutte de pas mal de crêpage de chignon, le royaume de Hongrie est allé aux Habsbourg, qui l’ont gardée pendant des siècles après ça.

C’qu’on comprend de ça, c’est que mettons que t’étais un monarque, tu pouvais arvendiquer la succession à ton gendre si sa lignée était éteinte.

L’inverse était aussi vrai : si TA lignée à TOÉ s’éteignait, ben là c’est la belle-famille qui pouvait arvendiquer ta succession au nom à ta fille, pis là t’avais des étranges su ton trône.

C’est l’genre de passe que tu veux pas te faire faire.

Alors, encore une fois, le meilleur moyen d’éviter ça, c’est de s’marier en famille, hein?

Sauf que là, la Stratégie Habsbourg contre l’ingérence étrangère allait carrément s’arvirer contre eux autres.

Là où on a laissé la branche espagnole, Philippe IV d’Espagne avait marié sa cousine ET nièce Marie-Anne d’Autriche.

Ça pouvait juste pas faire des enfants forts : y’en ont eu 5, pis y’en a trois qui sont morts au berceau.

Leu plus vieille, Marguerite-Thérèse, s’est rendue à l’âge adulte pis a marié – icitte, m’as faire une p’tite pause avec un gros soupir – Léopold Ier du Saint-Empire, son oncle PIS son cousin EN MÊME TEMPS.

Y’ont eu quatre enfants, pis y’en a trois qui sont morts au berceau. Marguerite-Thérèse elle-même est morte à 21 ans.

L’autre enfant survivant à Philippe IV d’Espagne pis à Marie-Anne d’Autriche, c’tait Charles II d’Espagne.

Mettons que tu voulais faire une affiche du ministère d’la Santé pis des Services sociaux pour avertir le monde des dangers de la consanguinité, ben c’est sa face que tu mettrais dessus.

Y’avait d’la misère à marcher. Y’avait d’la misère à parler. Y’avait d’la misère à manger. Y bavait partout. Y saignait du nez. Y faisait des crises d’épilepsie. Y’avait des hallucinations pis des migraines. Y’a jamais eu sa puberté, faique y’était stérile.

Y’était tellement magané qu’on l’appelait « l’Ensorcelé ». Parce que son état avait AUCUNE autre explication que la sorcellerie pis la possession démoniaque. Voyons don!

Quand y’ont faite des tests d’ADN su lui des siècles plus tard, y’ont découvert qu’y était aussi consanguin que si ses parents avaient été frère et sœur.

Y’était littéralement un cul-de-sac génétique.

Y’é mort à 37 ans, pas d’héritier, pas de frères ni de sœurs, ni mononcle du bord à son père. La branche espagnole des Habsbourg était officiellement éteinte.

Les vautours avaient commencé à virer autour de lui pis d’l’Espagne ben avant ça, par’zempe : y’était même pas encore mort que la France, l’Angleterre pis les Pays-Bas étaient déjà après décider entre eux autres qui allait prendre quel boutte de ses territoires. Pis ça, c’tait sans compter Léopold Ier du Saint-Empire, qui était sûr de toute ramasser vu qu’y était le mononcle ET le beau-frère à Charles.

Entécas, à c’t’heure que Charles II était parti trouver ses ancêtres, le free-for-all allait éclater pour de vrai : c’tait le début de la guerre de succession d’Espagne.

D’un bord t’avais, ben sûr, Léopold, qui arvendiquait au nom à sa femme Marguerite-Thérèse, morte depuis 27 ans, avec dans l’idée de donner l’trône espagnol à son fils qu’y avait eu avec sa troisième femme.

De l’autre, t’avais nul autre que Louis XIV de France, qui arvendiquait au nom à sa femme Marie-Thérèse, la demi-sœur à Charles II, pour donner le trône à son p’tit-fils le duc d’Anjou.

Après 13 ans de guerre, c’est la France qui a gagné, le duc d’Anjou est devenu le nouveau roi d’Espagne, pis ses descendants règnent encore aujourd’hui.

Faique voilà : après avoir passé deux cents ans à essayer de toute garder dans’famille, les Habsbourg se sont ramassés drette dans la situation qu’y voulaient éviter : avec un étrange su leu trône.

À force de trop vouloir toute contrôler, y se sont auto-empissettés; là où y’ont voulu imposer leu volonté, la nature a fini par les rattraper.

N’empêche que Ti-Clin Dufour, lui, y’aurait pu s’forcer pour aller s’charcher une femme une couple de rangs plus loin. 


Source : Paula Sutter Fichtner, « Dynastic Marriage in Sixteenth-Century Habsburg Diplomacy and Statecraft: An Interdisciplinary Approach », The American Historical Review vol. 81, No. 2 (Apr., 1976), pp. 243-265.

Wikipédia pour les p’tits détails (ben oui, Wikipédia ça s’utilise, faut juste se sarvir de sa jugeotte pis pas toute prendre pour du cash)

L’histoire de Sophie Dorothée : quand le conte de fées vire au cauchemar — partie I

M’as vous conter une histoire qui a toute : une princesse, une méchante sorcière, un ogre pis un beau comte séduisant avec les cheveux longs pis une moustache de D’Artagnan.

On dirait un conte de fées, hein? Le genre qui aurait faite un film de Disney dans l’temps de Blanche-Neige pis d’la Belle au bois dormant, avec des tounes quétaines qui finissent pu pis des tis zwéseaux?

C’pas ça pantoute.

C’t’une histoire vraie, ben su’l plancher des vaches, pleine de monde croche qui s’rentrent des couteaux dans l’dos. Une histoire qui sent la bête morte en d’sour d’un bouquet d’roses. Pis, aussi, l’histoire d’une pauvre femme qui s’est faite manger toute crue par l’époque où c’qu’a vivait.

Il était une fois deux frères – deux princes – de la maison de Hanovre qui étaient pour hériter d’un tapon de territoires dans le nord-ouest de l’Allemagne d’à c’t’heure.

Le plus vieux des deux frères, Georges-Guillaume, était pour épouser Sophie, princesse du Palatinat, mais ça y tentait pas pantoute :

« Ah! A me pompe l’air, la grébiche! C’t’une péteuse de broue qui fait yinque parler de livres pis d’astrologie! J’veux rien savoir! Pis en plus, j’veux pas me caser, j’veux voyager pis courir la galipote! »

Mais là, c’tait pas d’avance : comme y’avait un contrat entre le père à Georges-Guillaume pis le père à Sophie, y’avait pas moyen de casser les fiançailles sans mettre la grosse chicane dans la cabane.

Faique Georges-Guillaume alla voir son frère :

« Heille Ernest-Auguuuuuuuuuuste? J’ai d’quoi à te proposer… »

Y’avait un plan parfait : y cédait à Ernest le duché de Brunswick-Lunebourg pis ses fiançailles avec Sophie, tandis que lui, y gardait yinque le p’tit duché de Celle pour son revenu, c’qui le laissait libre de courailler comme y voulait. La seule condition : Georges-Guillaume devait jamais avoir d’héritier pour que le duché de Celle arvienne du bord à Ernest à sa mort.

À part de ça, Sophie était parente d’la fesse gauche avec les souverains d’la Grande-Bretagne; si y continuaient comme ça, à s’entredéchirer pour des affaires de Bon Dieu pis à pas avoir d’enfants, quiconque la mariait avait p’t-être une chance de mettre la patte su’l trône britannique.

Un fou d’une poche! Ernest accepta, y s’maria avec Sophie pis y’eurent une trâlée d’enfants. Leu plus vieux, Georges-Louis, était l’héritier.

Pendant c’te temps-là, par’zempe, toute se passa pas comme prévu pour Georges-Guillaume. Y courailla pendant queques années, mais un jour, pendant un party, y’aparçut une sapristi d’belle créâture :

« Simonac! Qui c’est ça, c’te pétard-là? »

En même pas une seconde, le duc de Celle était tombé en amour cul par-dessus tête. C’tait comme si un spot de lumière illuminait la belle; y’avait pu rien d’autre qui existait. Les vitres auraient pu toutes péter en même temps que Georges-Guillaume aurait même pas r’marqué.

La créâture en question s’appelait Éléonore d’Esmier d’Olbreuse; c’tait une fille d’la p’tite noblesse française pis la demoiselle de compagnie d’une duchesse en visite chez sa sœur, la femme du… ah, pis c’pas important.

C’qu’y faut artenir, c’est qu’a l’avait des yeux de biche, d’la jarnigoine pis du charme à pu finir, pis qu’a l’était d’un rang pas mal plus bas que Georges-Guillaume. Mais, c’tait pas pour autant qu’a l’allait céder aux avances du duc de Celle, qui voulait qu’a soye sa maîtresse : une femme qui a pas de titres pis pas d’argent peut yinque se draper dans sa vertu pis sa dignité, comme Scarlett O’Hara dans ses rideaux en v’lours :

« Wô Monsieur! Vous m’flattez ben gros, mais ch’t’une honnête femme pis j’accepterai jamais de vivre dans l’péché! »

Heille là, Georges-Guillaume était fourré : y’avait payé le prix fort pour être libre, mais à c’t’heure, y voulait pu yinque se mettre la corde au cou, pis y pouvait pas.

« Astie, qu’est-cé m’as faire? J’me peux pu, j’mange pu, j’dors pu, j’vois des points blancs… Ch’peux pas vivre sans elle! »

Y lui restait pu yinque une solution, un peu plate, mais qui allait devoir faire la job : le mariage morganatique.

Ça, c’tait une sorte de mariage qui t’mettait en règle avec le Bon Dieu, faique parsonne pouvait te traiter de fornicateur en t’pointant du doigt su’l parvis d’l’église, mais qui comptait pas vraiment pour toute le reste; on appelait aussi ça un mariage privé ou un mariage d’la main gauche.

Concrètement, Éléonore devenait la femme à Georges-Guillaume, mais a s’rait jamais princesse et duchesse de Celle, pis ses enfants pourraient pas hériter des titres de noblesse d’leu père.

C’tait mieux que rien.

Ben crère que ça fit un p’tit scandale dans la famille. Quand a l’apprit la nouvelle, Sophie, la belle-sœur péteuse de broue, dit :

« Ark! Faire rentrer ça dans la famille! C’est comme d’la crotte de souris au travers des grains d’poivre! »

Mais c’tait pas grave : Éléonore pis Georges-Guillaume se firent leu p’tit bonheur à Celle. Plus on la bitchait, plus Éléonore se rendait difficile à haïr : a restait toujours fine, souriante, sans jamais dire un mot plus haut que l’autre.

Un an après les noces, y’eurent une p’tite fille, Sophie-Dorothée.

Et les années passèrent…

Sophie-Dorothée était rendue à 11 ans, pis Georges-Guillaume commençait à r’gretter sérieusement le deal qu’y avait faite avec son frère Ernest-Auguste. C’tait ben beau les promesses quand toute ça était abstrait, mais là, y’avait une femme pis une fille qu’y adorait, pis c’est comme si y comptaient pas pantoute. Sophie-Dorothée pouvait pas avoir le titre de princesse ni hériter du duché de Celle, pis comme sa mère était « d’la crotte de souris », y’avait ben des chances que les princes pis les ducs lèvent le nez dessus quand viendrait l’temps pour elle de s’trouver un mari.

Fallait qu’y rende sa femme pis sa fille légitimes. Son plan était ben simple :

Georges-Guillaume se mit donc à aider l’empereur Léopold dans ses campagnes militaires pis y rendit plein de bons services; y sut se rendre indispensable. Faique quand y se décida à y demander sa grosse faveur, la réponse fut :

« Ben sûr, mon homme! »

Mais pour qu’Éléonore devienne une comtesse, ça y prenait un fief. Mais lequel? L’empereur avait–tu ça, lui, un fief de lousse?

Ça prit trois ans pour régler toutes les détails. Mais, finalement, Éléonore devint comtesse de Wilhelmsburg; un an plus tard, elle pis Georges-Guillaume se mariaient pour de vrai, en avant de Dieu pis des Hommes.

Ça y était : Sophie-Dorothée était une princesse.

En plus, a l’était belle comme un cœur, avec en plus d’la bonne humeur, d’la jarnigoine pis plein de talents – un vrai p’tit rayon d’soleil. Pis son pére y’avait transféré plein d’argent pis de terres, faique a l’était riche, en plus, la p’tite vlimeuse. Quand la nouvelle de son nouveau statut s’répandit dins Europes, les offres de mariage se mirent à rentrer de tous bords tous côtés.

Quand y sut ça, Ernest-Auguste vira su’l top. Y fit appeler sa femme, la belle-sœur péteuse :

— SOPHIE!
— Qu’est-cé qu’y a, don?
— Astie, figure-toé don que mon frére Georges-Guillaume, qui m’a juré s’a tête de toués saints qu’y s’marierait jamais à part d’la main gauche, vient juste de marier sa madame pour de vrai! Faique là, la p’tite Sophie-Dorothée est une princesse!
— Ouan mais tsé, ça veut rien dire. C’t’une princesse, oui mais ça y donne pas automatiquement l’droit d’hériter du duché de Celle.
— T’oublies qu’icitte, les règles de succession sont pas mal lousses. Tout l’monde fait un peu c’qu’y veut. Pis là, ça jase que l’prince de Wolfenbüttel est su’l bord de demander la p’tite en mariage. Magine si y décide, lui-là, de faire valoir les droits à sa femme? Ça va être la guerre! C’t’à moé, c’te duché-là. J’me laisserai pas déposséder d’même!
— Ok, mais qu’est-ce que tu veux faire?
— Ça m’écœure, là, mais… On aura pas l’choix de marier notre Georges-Louis à la p’tite Sophie-Dorothée.
— Ark, non! Non, Ernest, tu peux pas être sérieux? Une roturière mal élevée!
— Argarde, ma femme : en politique, des fois, faut s’boucher l’nez, pis c’est ça qu’on va faire.

Même si c’tait pas la chicane ouverte entre Ernest-Auguste et Sophie pis Georges-Guillaume et Éléonore, vous vous doutez ben que c’tait pas l’amour non plus. Mettons que les bitcheries incessantes que Sophie disait dans l’dos d’Éléonore y étaient pour de quoi.

Bref, pour que le mariage se fasse, fallait opérer un rapprochement au plus crisse.

Ernest-Auguste pis Sophie commencèrent par arconnaître officiellement le nouveau statut à Éléonore.

Après ça, y se mirent à voisiner Georges-Guillaume pis Éléonore pis à les inviter à souper pis à les flatter dans l’sens du poil. Pis Sophie était dooon fiiiine avec Éléonore!

Éléonore se doutait ben qu’y avait anguille sous roche :

« Coudonc, elle, qu’est-cé qui y pogne-là? A s’est-tu pété sa grosse tête enflée su’l’cadre de porte? »

Pis finalement, le chat sortit du sac : après des grosses négociations serrées avec Ernest-Auguste, Georges-Guillaume avait conclu le mariage entre Georges-Louis pis Sophie-Dorothée.

Ça avait coûté les yeux de la tête à Georges-Guillaume : en dédommagement de « la tache » des origines à Sophie-Dorothée, y’avait dû s’engager à verser 100 000 par année, plus d’autres redevances.

Malgré toute, le duc de Celle était ben content : y’avait réussi à placer sa fille avec l’héritier du duché de Brunswick-Lunebourg par son père pis, peut-être, j’vous rappelle, du trône d’Angleterre par sa mère! En plus, comme son autre frère dont j’vous avais pas parlé, le prince de Calenberg, était mort pas d’héritier, ça réunirait enfin toutes les territoires d’la maison de Hanovre! Y’avait d’quoi se péter les bretelles.

Mais Éléonore, elle, avait comme une boule dans l’estomac. Sophie la péteuse avait beau faire des risettes pis des ronds d’jambe, y’avait rien qui l’empêcherait de traiter Sophie-Dorothée comme d’la schnoutte une fois qu’a s’rait mariée pis installée chez eux, à Hanovre.

À part de t’ça, le fameux Georges-Louis, là, c’tait un air bête notoire, un gars plate pis ben à ch’fal su’é convenances. Autrement dit, y’avait une personnalité de 7up flat pis l’dos raide comme un barreau d’chaise – toute le contraire de Sophie-Dorothée. Même ses parents l’aimaient pas ben ben; y’avaient essayé de l’envoyer en France pis en Angleterre dans l’espoir de le dépogner, mais y’était toujours aussi bizarre pis malaisant. La seule affaire qu’y faisait comme faut, c’tait la guerre.

À c’te moment-là, Sophie-Dorothée avait 16 ans. Élevée dans un environnement relax par des parents qui l’aimaient pis qui s’aimaient, c’tait une fille pétillante pis obstinée qui avait pas peur de dire sa façon de penser.

Faique quand a sut qu’a l’allait marier son cousin plate pis aller rester chez sa matante méchante…

J’ai vu trois versions différentes de sa réaction.

La première dit qu’a l’était contente.

La deuxième dit qu’a pleura toutes les larmes de son ti corps su les genoux à sa mère.

La troisième est à prendre avec un grain de sel, mais c’est la plus croustillante, faique m’as vous la conter pareil.

Drette en apprenant la nouvelle, Sophie-Dorothée s’rait allée trouver Georges-Guillaume dans son bureau :

— Papaaaa?
— Quoi, ma fille?
— Ça a d’l’air que tu m’as fiancée sans m’en parler?
— Oui, ma chouette. Mais j’ai dit qu’y fallait que tu soyes d’accord.
— Ah, c’est don fin, mon père! Ok, d’abord : c’est non.

Georges-Guillaume resta frette : y s’pensait généreux en donnant à Sophie-Dorothée l’impression qu’a l’avait l’choix, mais y s’tait pas attendu à s’faire répondre de même.

— Pardon?
— C’est non. Y’est pas question que j’marie Georges-Louis.
— T’as l’air d’oublier que c’est ton d’voir d’obéir à tes parents.
— Ben pourquoi, d’abord, t’as dit qu’y fallait que j’soye d’accord si t’es pour pas m’écouter? Ah non, papa, s’te plaît! Pour vrai, si tu m’aimes, cancelle toute la patente! Me marier avec Georges-Louis, c’est m’envoyer dans l’tordeur.
— Ben voyons don, ma fille, prends-tu ton cousin pour le Bonhomme Sept Heures?

En entendant ça, Sophie-Dorothée ouvrit le livre qu’a l’avait dins mains – un livre de contes pour enfants. A trouva vite la page qu’a voulait, c’t’à-dire celle où y’avait un dessin de Barbe-Bleue, pis la montra à son père en pointant de l’autre main un médaillon avec le portrait de Georges-Louis qu’y avait sur le bureau :

— Quins, papa. Tu vois? Même face. MÊME. FACE.
— T’es-tu après chavirer? Sophie-Dorothée, tu vas m’arrêter tu’suite tes sparages si tu veux pas que j’me fâche!

Mais Sophie-Dorothée voulut rien savoir pis continua de s’obstiner. Finalement, Georges-Guillaume perdit patience :

— Bon, ça va faire! Si t’arrêtes pas drette là, ch’te jette au cachot pour deux jours au pain noir pis à l’eau!
— Ah, tu peux ben, papa. Tu peux même me traîner par les ch’feux jusqu’à l’autel, mais tu j’aurai jamais d’autre réponse que celle-là!

À c’tes mots-là, la princesse pogna le médaillon avec le portrait de George-Louis, le garrocha après le mur pis sortit du bureau en claquant la porte.


Sources :
Charles-Prosper-Maurice Horric de Beaucaire, Une mésalliance dans la maison de Brunswick, 1665-1725: Éléonore Desmier d’Olbreuze, duchesse de Zell, 1884.
Henri Blaze de Bury, « Le Dernier des Koenigsmark », Revue des Deux Mondes, 1853.

Le Vasa : Chronique d’un flop annoncé

Merci Christine Labrecque pour le dessin 😀 ❤

Le dimanche 10 août 1628 à Stockholm, en Suède, des centaines de woireux s’étaient ramassés su’l quai pas loin du palais royal pour assister à d’quoi de ben spécial : le premier voyage du Vasa, le nouveau vaisseau amiral d’la flotte suédoise.

Trois mâts, dix voiles, deux rangs d’canons – le darnier cri dans c’temps-là – des sculptures, des dorures, des couleurs à pu finir : c’tait une vraie forteresse flottante pensée exprès pour gonfler d’fierté le ti cœur des Suédois pis foutre la chienne aux voisins. 

En l’voyant virer l’coin d’la pointe de terre qui l’cachait à’vue, le monde se mirent à pousser des cris d’joie. Sans doute qu’y avait aussi un orchestre qui jouait une tite toune de guerre de circonstance. Après toute, un bateau d’même, ça méritait une chanson thème, comme les lutteurs à’TV.

À bord, c’tait toute autant l’party. Pour l’occasion, l’équipage avait eu l’droit d’emmener femmes pis enfants pour un p’tit tour avant que le Vasa s’en aille à’guerre. Partout autour, y’avait plein de monde dans des chaloupes qui leux faisaient des tatas.

Le Vasa longea l’quai bondé d’monde. Jusque-là, y’avait été tiré avec des cordes à partir d’la terre ferme, mais c’tait l’temps pour lui de larguer les amarres.

« Aweillez les gars, ouvrez les voiles! » 

Le Vasa sortit d’la baie qui l’gardait à l’abri du vent pis ouvrit ses sabords – tsé les tites portes par où on fait sortir les canons? Vous allez vous coucher moins niaiseux à soir! Pis y tira une salve avant de s’en aller. 

« BA-BA-BA-BABANG! »

Sauf que là, y’eut un p’tit coup d’vent. Pas grand-chose – à peine assez pour artrousser le toupette à Ti-Poil. Mais le Vasa, y réagit comme si y’avait mangé une claque d’ouragan :

Le navire pencha su’l côté, l’eau rentra dans ses sabords grand ouverts, pis en queques menutes, la fierté d’la Suède coula au fond du havre sous l’argard horrifié des Stockholmois. 

Mais qu’est-cé qui avait ben pu se passer? Un navire qui était censé être le joyau d’la flotte, une commande spéciale du roi par-dessus l’marché, qui varse pis qui coule en 20 minutes comme la vieille chaloupe poquée à Mononc’Georges au fond du lac Long! Coudonc, c’tait-tu la STQ qui avait faite le cahier des charges?

Pour mieux comprendre, on va faire un p’tit post-mortem.

En 1626, le roi Gustave II Adolphe de Suède était en guerre contre son cousin, Sigismond III, roi de Pologne, pis sa flotte v’nait de manger une christie d’volée : 10 de ses navires s’taient faite ramasser par une tempête, le navire amiral avait été capturé par l’ennemi, pis un autre navire s’tait faite sauter pour pas subir le même sort. Ben, son équipage l’avait faite sauter. On s’comprend.  

Bref, Gustave Adolphe avait besoin de nouveaux bateaux au plus crisse, pis y passa sa commande au chantier naval de Stockholm. 

L’affaire, c’est qu’y arrêtait pas de changer ses instructions comme un gars mêlé en avant de la fenêtre d’la cabane à patates frites :

« J’veux un gros bateau pis deux p’tits. Non – deux gros. Trois moyens! Une grosse molle marbrée? Une douze pouces all dressed pis six egg rolls! »

Pis quand finalement les ouvriers du chantier eurent achevé de bâtir la quille du navire qui allait dev’nir le Vasa, là Gustave Adolphe entendit dire que son voisin Christian, roi du Danemark, avait faite construire un navire de guerre avec pas un, mais DEUX ponts de canons couverts.

« Heille LÀ! Voir si j’vas laisser Christian faire son frais-chié dans toute la Baltique avec ses deux ponts d’canons! »

Donc, y’ordonna qu’on mette la même affaire sur le Vasa.

Heille, si d’quoi d’même arrivait aujourd’hui, ça s’rait comme crisser une roche s’un nique de guêpes : tout l’monde serait en tabarnak, pis ça se mettrait à bourdonner dans tou’és sens pour arfaire les dessins, les calculs, les budgets…

Mais dans c’temps-là, la construction de bateaux, c’tait pas la même affaire pantoute. Y’avait pas de plans, pas de modèles 3D, a’rien à part la connaissance pis l’savoir-faire des gars qui travaillaient su’l chantier. Du genre :

« Mes ancêtres faisaient des chaloupes, pis après y’ont faite des drakkars, pis moé j’fais des trois-mâts de 1 400 tonnes de tonnage, pis parsonne a jamais eu besoin de ti dessins! »

Sauf que quand on construisait un voilier d’même, fallait faire ben attention au centre de gravité, parce que des fois, y’avait pas grand différence entre un bateau qui s’tenait d’boutte pis un bateau qui varsait au premier coup d’vent. Rajouter un étage su’l fly de même, c’tait pas l’idée du siècle.

Pis tant qu’à faire, le roi fit faire un tapon de boiseries en gros chêne pesant, toutes sculptées pis dorées pis peinturées à’grandeur, pleines de lions pis d’anges tout nus – de quoi flabbergaster toutes les voisins autour d’la mer du Nord.  

En plus, au beau milieu du projet, Henrik Hybertson, le chef constructeur, tomba malade pis trépassa. Y fut remplacé par son second, Hein Jacobsson, un gars qui avait ben d’l’expérience en construction navale, mais pas pantoute en supervision. 

Su’l chantier, y’avait autant d’écoute pis d’communication que dins commentaires en d’sour d’un article de TVA Nouvelles. Un m’ment’né, y’avait pas moins que 400 gars séparés en cinq groupes qui travaillaient su la coque, les sculptures, le gréement, l’armement pis toute le kit sans jamais se dire un maudit mot. 

L’crémage su’l gâteau, c’est que le roi était hyper pressé d’avoir sa belle bébelle toute neuve, pis j’le cite :

« Yé aussi ben d’être prêt pour le 25 juillet, parce que sinon, y’a quequ’un qui va goûter à ma royale disgrâce! »

Pis parsonne, j’dis ben parsonne, avait envie d’goûter à ça; ça avait d’l’air que c’tait ben méchant.

Pas longtemps avant le premier voyage du Vasa, Söfring Hansson, le capitaine qui supervisait la construction, organisa un test de stabilité pour Klas Fleming, le vice-amiral qui s’occupait des achats pour la marine. Jacobsson, le chef constructeur, était même pas là. 

Comment le test marchait, c’est qu’une trentaine de marins montaient à bord pis couraient toutes ensemble d’un bord pis d’l’autre du pont, pour faire rouler le bateau. 

« WÔ! WÔ! STOP! »

Y durent arrêter quasiment tu’suite, parce que le Vasa tanguait tellement qu’y était su’l bord de varser. 

Y avait d’quoi qui marchait pas, c’tait clair comme de l’eau d’roche. Mais parsonne dit un mot. Faique le maître d’équipage, hyper mal à l’aise, ramassa toute son p’tit change pis alla voir le vice-amiral :

— Monsieur, ch’pense que l’navire est trop pesant du top pis pas assez large du fond. Y’est pas stable.
—C’est pas l’premier navire que c’tes gars-là bâtissent », répondit l’vice-amiral sur un ton bête. Chus sûr que ça va être correct. 

Probablement que l’vice-amiral était pas si cave que ça. Yinque à voir, y voyait ben que ça avait pas d’allure. En vrai, y’avait la chienne : 

« Un fou d’une poche, moé-là! Voir si j’vas aller dire au roi qu’y a un problème avec sa bébelle! »

C’est ça, l’affaire, avec les climats de terreur. Ça a l’air le fun de même : tout l’monde obéit pis ça y va aux toasts! Mais quand y’a d’quoi qui va mal pis faut vraiment que tu l’saches, ben parsonne te dit rien.

Faique toute continua comme si de rien n’était, pis l’reste, vous l’savez : yinque 20 menutes après avoir quitté l’chantier naval où y’avait été bâti, le Vasa coula, entraînant avec lui une trentaine de personnes qui étaient resté pognées dans l’pont inférieur. 

Y’eut une commission d’enquête, où tout l’monde trouva ben pratique de dire que c’tait d’la faute du premier chef constructeur qui, lui, avait l’avantage d’être mort. Parsonne fut puni. 

Mais c’tait pas la fin d’l’histoire. 

Trois siècles plus tard, le Vasa fut sorti d’l’eau par une gang d’archéologues, pis y’était quasiment intact, avec les voiles, les canons, la vaisselle, jusqu’aux bobettes d’archange que les marins avaient apportées pour leu voyage. Un vrai trésor! Pis on peut le voir au complet, toute d’un boutte pis ben nettoyé, dans un musée bâti exprès pour lui à Stockholm. 

La Vasa d’nos jours.

Ça f’rait une belle jambe à Gustave II Adolphe, mais au moins, toute ça aura pas sarvi à rien!

Kid Kodak : Henri IV de France pis ses portraits

Aujourd’hui, c’est le 411 anniversaire d’Henri IV, roi de France – tsé, le gars de l’autoroute du même nom, à Québec?

Y’a été tué en pleine rue par François Ravaillac, un fanatique religieux qui pensait que le roi était l’Antéchrist.

Mais bon; mettre des tites bulles drôles sur la peinture de son assassinat, c’t’un peu… J’me sentais pas à l’aise avec ça, faique j’ai décidé de faire autre chose.

Voyez-vous, notre Henri IV était un kid kodak avant l’heure. Y’aimait pas mal ça, s’faire tirer l’portrait.

Faut dire aussi que lui, au départ, c’tait le roi de Navarre. Y’a hérité du trône de France parce que la dynastie des Valois a trouvé l’tour de passer au travers de toutes ses héritiers mâles, pis comme les Français interdisaient aux « gonzesses » d’hériter du trône, ben y’a fallu qu’y’armontent neuf générations en arrière pour se trouver un roi.

J’vous dis ça parce que c’est pas tout l’monde qui trouvait que son auguste darrière avait légitimement d’affaire là. Faique, en utilisant des portraits, y’a lancé une espèce d’opération de relations publiques pour ben paraître pis asseoir comme faut son pouvoir.

Faisons une tite rétrospective.

Le v’là à 15 ans, avec un beau pinch mou. C’est magnifique. Enlève le colette, pis on dirait un nerd qui rentre d’un tournoi de cartes Magic, ben certain qui va gagner, pis qui tient les portes aux filles en disant « Mad’moiselle ».

Notez le pif pis le r’gard de braise – vous allez les arvoir souvent.

Le r’vla quatre ans plus tard, à ses noces, avec Marguerite de Valois, alias la reine Margot, tsé comme dans la vue avec Isabelle Adjani pis Daniel Auteuil.

Comme on peut l’voir à leux faces qui irradient le wouptidou, y s’aimaient pas pantoute. C’tait un mariage arrangé par Catherine de Médicis, la mére à Marguerite, dans l’espoir de faire slaquer la guerre entre catholiques et protestants. Parce que, ouais, Henri était protestant; à cause de ça, y pouvait pas rentrer dans Notre-Dame, faique la cérémonie de mariage a eu lieu su’l perron d’la cathédrale.

Y’ont pas eu d’enfants, pis finalement, Henri a fini par faire annuler son mariage avec Marguerite, pis y s’est armarié avec Marie de Médicis, qui lui a donné un héritier doué de zouiz quasiment tu’suite.

D’ailleurs, quins, argardez l’beau tit portrait de famille avec toutes les enfants (Louis, Elizabeth, Christine – pis l’ti poute, dans son cârosse, c’est MONSIEUR d’Orléans) pis euh… euh… L’gars dans l’coin, là? En bas? C’est Guillaume Fouquet de la Varenne. Y v’nait d’une famille bourgeoise, pis y’était cuisinier pour la sœur d’Henri. Fouillez-moé comment, mais c’est devenu l’grand chum d’Henri, pis y lui a même sauvé la vie à la bataille de Fontaine-Française.

Mais bon. C’est bizarre. Y’a l’air photoshoppé dans’peinture. Tsé, c’t’un peu comme aller au studio Sears avec les flos pour une séance photo quétaine avec des pommes pis mettre ton courtier d’assurances dans l’coin. Ou bedon, ton chum de gars qui travarse une mauvaise passe pis que t’as accepté d’héberger dans ton sous-sol, mais là y s’incruste pis ta blonde est à boutte. En passant, son papier dit « Il m’a fait quérir l’honneur et donné le bien ». Au moins, y’est arconnaissant.

Comme j’vous disais, Henri s’sarvait aussi de ses portraits pour faire un ti peu de propagande, genre :

Là, on l’voit en armure, l’épée dins airs, toute drette, avec un sourire de champion. à gauche, c’est l’nœud gordien, tsé lui qu’Alexandre le Grand a fendu en deux. À drette, c’t’un mini Hydre de Lerne toute étêté, comme dins douze travaux d’Hercule. Tu’suite, on voit qu’y s’prenait pas pour d’la marde.

Mais c’pas fini!

Le faite qu’Henri était protestant, ça fâchait ben du monde, dont la Ligue catholique, qui voulait ARDJIEN savoir de lui su’l trône de France. Y leu a faite la guerre pendant des années. Un m’ment’né, pour acheter la paix, y’a fini par se convertir au catholicisme, mais même à ça, la Ligue continua de l’attaquer comme un chien qui a les dents pognées dins culottes du facteur.

Quand y réussit enfin à avoir l’dessus, cinq ans après sa conversion, on y tira c’te beau portrait-là :

Faique le but de t’ça, c’tait de l’arprésenter en Mars, dieu d’la guerre chez les Romains. Y tient l’bâton du boss, pis y’a l’pied su les bouttes d’armure de ses ennemis vaincus. Notez son armure rose flash! Ça, ça montre que l’rose, ça a pas toujours été associé aux p’tites filles. En faite, jusqu’aux années 1930, le rose, c’tait une couleur associée aux p’tits gars, un genre de rouge-lite qui arprésente la force. Les p’tites filles, elles, étaient habillées en bleu pâle, la couleur d’la sainte Vierge.

Faique les gars, j’vous encourage à mettre des ch’mises roses! Ça fait tellement ben!

Ok. Là on arrive à mon image préférée.

ARGARDEZ. SA. FACE. J’me peux pu. Y’a l’air d’un comédien poche qui joue un héros dans une pièce de théâtre d’été pis qui a apporté son costume à maison pour surprendre sa femme.

Dans c’te portrait-là, y’a r’pris l’idée de l’Hydre de Lerne, mais là, y’est allé à fond. Y’est carrément habillé en Hercule, avec la massue pis toute. Même si la face fait son âge, le corps est toute jeune pis fringant. C’est pour montrer la vigueur pis la santé du roi, mais finalement, ça donne juste le goût d’rire.

Pis là, l’apothéose. Comme j’vous disais au début, y’a été assassiné le 14 mai 1610. Mais même dans’mort, y’avait pas dit son darnier mot. Tchéquez-ça :

(Si c’est trop p’tit, cliquez avec le piton drette pis faites « Voir l’image dans un nouvel onglet »)

Méchante affaire, hein? À gauche, Henri s’fait emmener su l’mont Olympe par Jupiter pis Saturne comme un homme devenu dieu. Au milieu, deux Victoires nu boules s’arrachent les ch’feux. À drette, t’as Marie, la veuve à Henri, qui s’fait offrir la régence du royaume, vu que son gars Louis XIII est encore trop jeune pour régner. Est toute triste pis humble.

C’est la France en parsonne qui y tend l’globe du pouvoir pour qu’a l’prenne. Autour d’elle, y’a la Prudence, la Providence pis la déesse Minerve qui l’encouragent. Pis en bas, ben… c’t’une gang d’hystériques qui endurent pas l’incertitude.

Faique c’est ça! Mais avant d’partir, j’ai un darnier nanane pour vous-autres. Henri, y s’est pas limité à un seul médium pour ben paraître…

Fig. 3