
« Salut, mon beau! C’est-tu ton sabre d’abordage, ou t’es juste content d’me voir? » roucoula la redoutée pirate Anne Bonny en arrivant à côté de son nouveau collègue, Mark Read, qu’elle trouvait pas mal de son goût.
Mark vint tout raide, mais pas où vous pensez. En fait, il était crissement mal à l’aise.
« Euh… On peut-tu aller quequ’part de moins à vue? Faudrait j’vous montre dequoi…
– J’demande yinque ça, mon loup », dit Anne en l’entraînant dans la cale.
Quand ils furent rendus à l’abri des regards indiscrets, Mark dit :
« Ok, faites pas le saut… »
Et il ouvrit sa chemise.
« Ah ben ça parle au yâble! s’exclama Anne en voyant la paire de seins qui la regardait dans le blanc des yeux. Toé’ssi, t’es une créature! »
Mark était en fait Mary. Et c’est d’même que commença l’amitié la plus légendaire des sept mers.
Le vrai pis le moins vrai Quand Anne Bonny et Mary Read se firent pogner par les autorités et jeter en prison pour piraterie, en octobre 1720, ça fit jaser en simonac. Faut dire qu’au 18e siècle, une femme pirate, le monde était pas accoutumé à ça. Tsé, on pensait encore qu’une créature à bord d’un bateau, ça attirait les badloques (le fameux Barbe Noire, lui, niaisait pas avec ça : si son équipage capturait une femme et l’amenait à bord, il l’étranglait pis la jetait par-dessus bord, comme un crapotte de mer quand on essaye de pogner du maquereau). Pis une madame en culottes qui sacre, qui pille, qui boit pis qui tue, c’était pas tout à faite ben vu, mettons. Faique, une femme pirate, c’était déjà quequ’chose. Mais deux? En même temps? Sur le même bateau? Méchante coïncidence. Pour que ça arrive, y’a fallu que deux destins pas d’allure se croisent, pis que ça adonne en plein dans l’âge d’or de la piraterie. On aurait dit que c’était arrangé avec le gars des vues. Remarquez, ça l’était peut‑être un peu : Anne Bonny et Mary Read ont vraiment existé et ont vraiment été des pirates, mais tout ce qu’on sait de leur vie d’avant vient du livre A General History of the Pyrates, qui contient plusieurs affaires douteuses. J’ai décidé de tout vous raconter ça pareil, parce que je me dis que le croustillant est pardonnable quand ça vient avec un grain de sel (ah, pis allez donc vous chercher des chips avant de continuer, tant qu’à faire). |
Quand Anne Bonny devint pirate, c’était pas la première fois qu’elle allait jouer dans’cour des gars. Son père, un avocat irlandais, voulait pas que le monde sache qu’elle était la fille qu’il avait eue en découchant avec la servante, faique il l’avait déguisée en p’tit gars et la faisait passer pour son apprenti.
Quand sa femme sut ça, elle crissa son camp. Avec le mémérage, ça prit pas grand temps pour que ça sorte au grand jour, pis l’avocat perdit tous ses clients. Il alla donc refaire sa vie aux États‑Unis avec la servante pis sa fille.
Rendu là, Anne était devenue une jeune fille pas barrée pour deux cennes qui faisait rien qu’à sa tête. Elle était censée se marier avec un monsieur respectable, mais à la place, elle épousa James Bonny, un marin désargenté. Son père était tellement fâché de t’ça qu’il la sacra dehors.
Elle et son mari s’en allèrent dans les Bahamas, où James trouva une job comme stooleux de pirates. Mais Anne commençait à le trouver plate, faique elle se mit à passer ses journées dans les tavernes à séduire des pirates, dont un certain Jack Rackham, connu sous le nom de « Calico Jack » parce qu’il aimait porter du linge voyant.
James Bonny, lui, était pas trop content de t’ça :
– Heille, veux-tu ben lâcher ma femme, toé, crisse d’agrès?
– Si j’te donne de l’argent, j’peux-tu partir avec? demanda Rackham.
(Ça a l’air horrible, de même, mais à c’qu’on dit ça se faisait souvent dans le temps.)
– Pfft! Tu peux ben aller chier! Bon, c’t’assez, ces folies-là. Viens-t-en, Anne, on s’en r’tourne à maison.
– Ben d’abord, Anne? répliqua Rackham. Tu veux-tu d’venir pirate comme moé?
– Crisse oui!
Pis drette là, sans un regard en arrière pour son mari plate, Anne Bonny changea de vie pour de bon.
Mary Read aussi est venue au monde dans des circonstances pas trop catholiques. La mère de Mary était mariée avec un marin qui, un jour, arrêta de revenir à maison. Avec lui, elle avait un garçon, pis elle recevait un peu d’argent pour lui de la part de la grand-mère (la mère du marin).
Mais là, la mère de Mary sauta la clôture et tomba enceinte – de Mary. Pis après, le p’tit gars mourut. Faique, pour continuer de recevoir de l’argent de la grand-mère, la mère fit passer Mary pour son grand frère mort. Quand la vieille péta au frette (ou se rendit compte qu’on lui passait un sapin), Mary continua de s’habiller pareil en gars. Elle rentra même dans l’armée de Flandres comme soldat!
Un m’ment’né, elle tomba en amour avec un de ses colocs de dortoir, se maria avec et quitta l’armée. Malheureusement pour elle, son mari creva pas longtemps après, faique elle remit ses culottes et s’engagea comme marin, ce qui l’amena dans les Caraïbes et lui fit croiser Anne Bonny et Jack Rackham.
On sait pas trop comment c’t’arrivé; on dit que la gang à Calico Jack captura le bateau sur lequel Mary était, pis qu’on lui donna le choix entre devenir pirate ou bedon boire la tasse. Elle choisit la piraterie, pis personne sut qu’elle était une femme jusqu’à ce qu’Anne commence à y faire des yeux doux.
Ben crère, Anne et Mary devinrent des grandes chums – elles avaient tellement d’affaires en commun! Elles étaient tellement tout le temps ensemble que Jack Rackham commença à se demander si Anne était pas après le tromper. Faique un bon m’ment’né, il rentra enragé noir dans la cabine de sa concubine, un couteau dins mains, prêt à faire la peau à Mary, ou « Mark », comme y pensait à ce moment‑là.
– Wô, wô wôôô, capitaine! Les nerfs! C’est pas c’que vous pensez!
– Ouan, pis moé j’ai une pognée dans l’dos! Viens-t’en icitte, mon sacrament!
Encore une fois, Mary dut s’ouvrir la blouse; Rackham, tusuite convaincu par ses deux irrésistibles arguments, prit son gaz égal. Il accepta de pas bavasser, pis il continua de la traiter comme n’importe quel autre de ses gars (son secret dut finir par se savoir pareil, mais rendu là, une créature de plus ou de moins, hein).
À bord, y’a rien qu’Anne et Mary faisaient pas. Des jokes de cul aux meurtres de sang-froid, elles avaient rien à envier à leurs co-pirates. D’ailleurs, ils faisaient pas grand cas de la présence de créatures à bord, peut-être parce qu’ils savaient qu’ils étaient mieux de pas les écœurer – le seul qui osa chiâler, Anne le provoqua en duel et fit d’la brochette avec.

Elles se battaient côte à côte, habillées avec des tuniques pis des culottes lousses qui cachaient leurs formes, pis un pistolet d’une main, une machette dans l’autre. Ça devait être trippant! Y’étaient libres comme pas grand femme l’était dans ce temps‑là. Au lieu d’être à quatre pattes à frotter la crasse su le plancher, dans une maison où y fait noir comme dans le poêle, l’odeur de marde qui rentre en-dedans parce que le voisin d’en-haut vient de vider son pot de chambre par la fenêtre, avec un bébé qui fait ses dents, un flot aux jambes croches qui a pogné la scarlatine pis un mari qui rentre saoul pis qui leur sacre des claques dans face parce que la soupe au navet est trop fade, elles étaient sous le soleil des Caraïbes, les cheveux au vent, avec la mer qui scintille de toutes les possibles pis personne pour leur dire quoi faire.
L’équipage de Jack Rackham eut deux bonnes années de vaches grasses à capturer des bateaux de pêche et des bateaux de commerce ni trop gros ni trop petits. Mais un m’ment’né, nos joyeuses pirates commencèrent à avoir un peu trop de succès au goût du gouverneur des Bahamas, qui mit leur tête à prix.
Faique un bon soir, pendant que tout l’équipage était chaud mort, un capitaine appelé John Barnet tira sur le bateau à Rackham et péta son mat. Nos pirates préférées avaient donc pu moyen de se sauver. Et là, les hommes de Barnet passèrent à l’abordage.
À bord, y trouvèrent juste Anne et Mary – les autres étaient toutes cachés dans la cale. Elles se démenèrent comme des diablesses dans l’eau bénite, ben décidées à vendre chèrement leur peau. Un m’ment’né, Mary, enragée noir de se faire abandonner de même par les gars, leur cria par la descente de la cale :
« Coudonc, y’a-tu des hommes sur c’t’astie de bateau-là? V’nez vous battre, gang de pissous! »
Personne dit un mot, faique elle tira un coup de pistolet dans la cale, tuant un des gars de l’équipage.
Anne et Mary eurent beau se battre comme des carcajous pognés d’un coin, les hommes de Barnet eurent le dessus, et tout le monde fut capturé et jeté en prison.
Les hommes eurent leur procès en premier et furent condamnés à être pendus. Le jour de son exécution, Jack Rackham se fit accorder une dernière faveur : voir Anne. Mais elle fut pas réconfortante plus qui faut devant la mort :
« C’est ben d’valeur de t’voir de même, mon Jack, mais si tu t’étais battu comme un homme, tu te f’rais pas pendre comme un chien. »
Les deux piratesses étaient accusées des mêmes affaires que les hommes, mais elles eurent un procès séparé parce qu’on voulait vérifier si elles avaient participé activement aux actes de piraterie ou bedon si elles étaient juste là pour décorer. Une certaine Dorothy Thomas fit un témoignage accablant :
– Elles avaient des vestons d’homme pis des longues culottes, des foulards autour de la tête pis des pistolets dins mains. Elles voulaient me tuer pour pas que je parle contre eux-autres, mais comme les autres pirates voulaient pas, elles leur sacraient après.
– Je vois. Et comment saviez-vous que c’étaient des femmes?
– Par la grosseur de leurs seins.
Anne et Mary furent donc condamnées à mort. Or, elles avaient une dernière carte dans leur jeu :
– Vous pouvez pas nous exécuter, votre honneur! On est tou’é deux enceintes!
Après vérification, elles furent renvoyées en prison, et leur exécution reportée après leur accouchement.
J’aurais voulu vous dire que ça avait fini autrement, mais Mary mourut en prison d’une fièvre épouvantable pas longtemps après, et Anne… disparut. Y’a aucune trace d’elle après ça. On pense que son père aurait payé pour la faire libérer.
Mais Anne et Mary sont jamais disparues de l’histoire. À partir du moment où elles ont été arrêtées, elles ont jamais cessé de faire parler d’elles, pis on les voit apparaître encore aujourd’hui dans une pléthore de romans, des vues, de jeux vidéo pis de séries télé.