La Légende de sainte Marguerite d’Antioche

Au 4e siècle, dans l’temps que les chrétiens s’faisaient tuer parce qu’y étaient chrétiens, pis ben avant qu’y s’mettent à tuer les autres parce qu’y étaient pas chrétiens (ou pas la bonne sorte de chrétiens), y’avait un beau brin d’fille qui s’appelait Marguerite.

Marguerite était la fille d’un prêtre païen d’Antioche, dans la Turquie d’à c’t’heure, mais a l’avait un secret : a s’tait faite baptiser en cachette.

Un jour qu’a gardait les moutons ben tranquille sans rien d’mander à parsonne, v’là-ti pas qu’artontit l’astie d’Olibrius.

« Capitaine Haddock, sors de ce corps! » vous allez m’dire. 

Ben non. 

Le gars, c’tait le gouverneur d’la province d’Antioche, pis y s’appelait Olibrius. C’tait SON NOM. Pis c’t’à cause de lui que l’mot est une insulte. 

Ça commence ben, hein?

Toujours est-il qu’Olibrius, en passant au bord du champ avec ses hommes pis ses serviteurs, spotta Marguerite pis sentit la sève y monter dans l’érable : 

« Watatow, c’est qui, elle? Amenez-moé ça icitte tu’suite! Si c’t’une femme libre, a va être ma femme; si c’t’une esclave, ben a s’ra ma concubine. »

Ch’précise, juste de même, que Marguerite avait yinque quinze ans. 

Quand a fut en avant de lui, l’gouverneur y demanda : 

« C’est quoi ton nom, ton pays pis ta religion? »

(Pour ceux qui ont connu l’aube des Internets pis les tréfonds obscurs de mIRC, j’imagine que ça devait être l’équivalent de « ASV » au quatrième siècle.)

Marguerite répondit : 

« J’m’appelle Marguerite, chus de race noble, pis chus chrétienne. »

Olibrius fut ben étonné d’entendre ça : 

— Ben voyons, comment’ce qu’une belle pitoune comme toé peut vénérer un dieu de niflette qui a fini broché s’une couple de deux par quatre? 
— Comment tu sais ça? 
— Comment que ch’sais quoi?
— Que Jésus a été crucifié. 
— Ben, j’ai lu les livres des chrétiens. Tsé, pour la science.
— Si t’as lu nos livres pis t’as vu que Notre Sauveur avait été crucifié, t’as aussi vu qu’y avait été ressuscité pis qu’y avait la vie éternelle! T’as vu sa gloire pis sa puissance! Faique pourquoi tu mets ça de côté pis tu gardes juste c’qui fait ton affaire? 

Olibrius, dont l’afflux sanguin était pas tellement à la bonne place pour l’aider à livrer un débat théologique, pogna les nerfs : 

« Ah, tu m’énarves! J’tez-la en prison pis on va voir comment qu’a va filer demain matin! »

Marguerite passa donc la nuite au cachot pis, le lendemain, fut emmenée en avant d’Olibrius. 

— Bon, t’as-tu assez réfléchi? Enwèye don, Marguerite, adore nos dieux! Eux-autres y vont apprécier ta beauté! Pas ton dieu d’braillards!
— Mon dieu fait trembler toutes les créâtures d’la Terre, tu sauras!
— Maudite tête dure! Si tu continues d’même, m’as t’faire torturer pis tu vas te lamenter, ma fille!
— Jésus est mort pour moé, faique moé, ça m’frait plaisir de mourir pour lui! 

C’est là que l’histoire vire pas mal « death metal ». Ça va être intense. Vous êtes avertis.

Olibrius fit attacher Marguerite su’l chevalet. Ça, c’t’une patente qui sert à t’étirer lentement les bras pis les jambes jusqu’à ce que mes muscles pis l’filage autour des os déchirent. 

Après ça, y la fit fesser à coups d’bâtons pis couper avec des ongles en fer, une autre belle patente de torture des siècles anciens. Marguerite pissait l’sang, mais a lâchait pas. Après un boutte, a s’ramassa tellement maganée que même Olibrius se cachait la face avec sa manche de toge pour pas voir ça. 

— Pis, tu vas-tu vénérer nos dieux, là? Ch’pu capable!
— Toé mon maudit chien, tu peux ben avoir mon corps, mais c’est Jésus-Christ qui va avoir mon âme! Plus ch’souffre icitte, plus j’gagne mon salut en haut!

À boutte, Olibrius ordonna qu’on ramène Marguerite dans son cachot. Pis dès qu’la porte fut farmée, une grosse lumière éclata autour d’la fille, tellement brillante qu’on aurait dit qu’l’élément de poêle venait de sauter. 

Pis là, par miracle, Marguerite fut guérie de toutes ses plaies.  

N’importe qui qui aurait eu une grosse journée d’même se s’rait couché dans l’coin pis aurait été dins vapes jusqu’au matin. Mais Marguerite en avait pas eu assez : a pria le Tout-Puissant d’y montrer l’ennemi qu’a l’avait à combattre. Pis tout d’un coup, POUF! Un dragon apparut en avant d’elle pis l’avala d’une bouchée.

Ça aurait pu être la fin de l’histoire. Mais, dans’bedaine du dragon, Marguerite, pas encore digérée, fit le signe de la croix : 

Pis PÂWF! Le dragon péta comme une balloune remplie d’lumière, pis Marguerite en sortit toute propre pis toute d’un morceau comme si de rien n’était! 

Bon, là on va s’arrêter une tite menute. On est-tu rendus dans Donjons et Dragons, coudonc?

L’histoire à Marguerite, on la r’trouve dans La Légende dorée, une espèce de compendium d’la sainteté écrit au 13e siècle par Jacques de Voragine, moine dominicain pis archevêque de Gênes. 

Dans c’te méga best-seller du Moyen Âge, Jacques raconte la vie de 150 saints, pis j’vous dis que par bouttes, ça vient spécial en sivouplaît : y’a des guérisons, des résurrections, des attaques de démons, des cadavres qui suintent le sent-bon, une couple de saints décapités qui se promènent ben relax avec la tête en d’sour du bras…

Toute ça, là, ça passe. 

Mais quand y’arrive au dragon à sainte Marguerite d’Antioche, Jacques écrit : 

« Mais ce récit-là est regardé comme vain et mal fondé. »

Autrement dit :

Pousse, mais pousse égal. Jacques avait pas d’poignée dans l’dos. 

Entécas, les épreuves à Marguerite étaient loin d’être finies : après ça, c’est l’yâble en parsonne qui se pointa dans son cachot! 

Ça aurait mérité des applaudissements pis des rires en canne, comme à’ tévé.

Y’était déguisé en gars ordinaire, mais Marguerite l’arconnut tu’suite; a tomba à genoux pis a s’mit à prier de toutes ses forces. 

Le yâble y prit les mains pis y dit : 

« Ah, mon pauvre p’tit pet de sœur! T’as ben assez souffert, tu peux arrêter, là! » 

Le prince des démons l’savait pas, mais y’avait fait une erreur fatale en s’approchant trop proche de Marguerite : a le pogna par la tête pis le câlissa à terre avec une technique d’amené au sol digne de Georges Saint-Pierre.  

Après ça, a mit son pied su sa tête pis dit : 

— Quins toé! Tu t’sens moins fin, là, hein, en d’sour des pieds d’une créâture?
— Heille, ça se peut-tu? répondit l’yâble, tout débiné. Battu par une floune! 
—Pourquoi t’es venu icitte? Parle! 
— J’voulais t’convaincre d’obéir au gouverneur pour que tu soyes damnée. Moé, tsé, ch’t’un ange déchu pis ça m’écœure TELLEMENT, les p’tits parfaits comme toé qui vont s’en aller au ciel tandis que moé, ch’peux même pu y’aller! 

Quand y’eut fini de s’lamenter Marguerite leva son pied pis dit :

« T’es vraiment une marde. Enweille, décâlisse. » 

Le lendemain matin, Marguerite voulut toujours pas faire de sacrifice aux dieux des païens, faique les tortures arcommencèrent. 

Marguerite fut brûlée avec des torches, encore pis encore pis encore. La foule en revenait juste pas de voir une p’tite jeune fille de même toffer toute ça sans dire un mot. 

Faique le gouverneur la fit jeter dans un bassin d’eau. Mais, tout d’un coup, la terre s’mit à trembler, pis Marguerite sortit de d’là toute guérie. 

En voyant c’te miracle-là, 5 000 hommes – ça fait BEAUCOUP de woireux – se mirent subitement à croire au Tout-Puissant. 

Là, le gouverneur se dit : 

« Heille wô, ça a pas de bon sens, ça là! Si on continue d’même, a va convertir toute la ville! C’t’assez. Qu’on la décapite! »

Marguerite demanda une p’tite menute pour prier avant d’mourir, pis l’gouverneur accepta. A dit : 

« Ch’prie pour toutes mes persécuteurs. J’leu pardonne pis j’leu souhaite de trouver la lumière du Très-Haut. Pis aussi, j’voudrais que les femmes enceintes, si y m’invoquent, y puissent accoucher sans danger. » 

Pis là, toujours selon La Légende dorée, une voix venue du ciel y répondit : 

« Tiguidou, ma brebis! »

Faique Marguerite se tourna vers le bourreau pis dit : 

« Prends ton épée pis vas-y. Fesse. » 

SHLAK. 

C’est d’même que mourut Marguerite d’Antioche, martyre, tête de cochon, championne d’arts martiaux mixtes pis paladin niveau 20 à Donjons et Dragons. 

J’sais pas pour vous autres, mais moé, j’ai une nouvelle sainte préférée. 

Marie Iowa Dorion — partie V

Partie I
Partie II
Partie III
Partie IV

Marie sentait comme un gouffre atroce en dedans d’elle, sombre pis plein d’vent qui hurle, qui lui creusait les entrailles pis qui l’aspirait en même temps. Les jambes y manquaient. La tête y tournait. A l’avait l’goût d’vomir. A l’était tellement découragée, brûlée pis accablée d’peine qu’a put yinque se rouler en boule avec les flos en d’sour d’la peau de bison, sans parler, sans manger, sans même faire un feu.

A ferma pas l’œil d’la nuite tandis que ses pensées viraient en rond sans arrêt :

« Pierre est mort. Pis Reed pis Robinson pis Le Clerc pis les autres… Ah, c’tes pauvres hommes! Seigneur, tu parles d’une fin épouvantable! Y méritaient tellement pas ça! Pis nous-autres, si on reste icitte, on va mourir de faim ou ben s’faire pogner par les asties d’Flancs d’chien. Y fait frette à fendre, y’a ben que trop épais d’neige, on a rien dans l’ventre. Ah, Jésus-Christ, si seulement y’avait quequ’un pour v’nir nous sauver! Mais y’a pu parsonne. Y’a yinque moé. Pierre est mort… »

Si ça avait été yinque d’elle, Marie aurait clanché drette là vers l’ouest, en pleine nuite, pis couru pis couru jusqu’à temps qu’a l’aye pu d’jus, peu importe le danger. C’est ça que ça y criait d’faire au plus profond d’elle-même.

Mais a l’avait ses p’tits avec elle. A l’entendait leu ti respir tandis qu’y dormaient collés su elle. Y’étaient déjà faibles de faim – jamais qu’y tofferaient la run. Peu importe c’qu’a choisissait d’faire, fallait qu’a commence par leu trouver d’quoi à manger.

Y’avait toujours ben ça de clair.

C’est là que Marie pensa à d’quoi :

« Y’est censé avoir une réserve de poisson séché dans’cabane. Faique, à moins que les tueurs soyent partis avec, ça doit être encore là… »

Marie se l’va aux aurores. Avant d’aller à’cabane, fallait qu’a soye sûre qu’y aye pas de Flancs d’chien dans l’coin. Faique a l’emballa Paul pis Jean-Baptiste ben comme faut dans la peau d’bison pis leu dit :

« Faut que Maman aille voir de quoi. Ch’s’rai pas partie longtemps, ok? Restez ben tranquilles, j’vas r’venir, j’vous promets. »

A r’tourna su’a colline qui donnait vue su’a cabane pis observa un tit boutte : encore là, pas un chat.

« Ch’prendrai pas d’chance, m’as y aller c’te nuite. »

Quand à r’trouva ses p’tits gars, y’avaient les lèvres toutes bleues, les dents leu claquaient pis y bougeaient quasiment pu. A voulait pas faire de feu de peur que la fumée les fasse arpérer, mais rendu là, c’tait ça ou bedon les flos mouraient gelés.

Faique a fit une attisée pis l’éteignit dès que ses p’tits cœurs furent réchauffés ben comme faut. Pis une fois la noirceur tombée, a se dirigea vers la cabane : 

« Ah! Merci, merci, merci Seigneur Jésus-Christ, le poisson est encore là! »

Pis y’en avait pas mal, à part de t’ça; Marie put yinque en emporter la moitié pour tu’suite.

Juste avant l’aube, a r’fit le chemin vers son p’tit campement d’fortune. Y’était temps qu’a l’arrive avec de quoi à manger, parce que ses pauvres cocos avaient la p’tite lumière de batterie qui clignotait rouge.  

Marie fit un feu pis, enfin, donna aux flos du poisson séché. Y t’mangèrent ça s’un moyen temps, en grondant, les yeux fiévreux, comme si y’existait pu yinque ça dans l’univers.

Le lendemain, Marie arfit la même affaire pis ramena l’autre moitié du poisson séché. C’te job-là de faite, elle pis les p’tits étaient pu autant proches d’la perdition. Y’étaient quand même dans’marde en saint sifflette, mais… moins. Juste assez pour que Marie baisse un peu sa garde, c’te soir-là… Pis que le gouffre noir en dedans d’elle arcommence à la ronger :

« Pis là… Ch’fais quoi? Y’a rien à faire. Pierre est pu là. Y m’reste pu rien. Quand ben même que j’artournerais à’Willamette, ça donnerait quoi? Pu d’mari, j’vivrais dans’misère pis c’est toute… »

A passa quasiment une éternité presque sans bouger, effoirée par le désespoir; toute était trop grand, trop loin, trop frette, trop dangereux, trop impossible.

« Mourir gelés icitte ou bedon d’un banc d’neige à une semaine de route… Autant s’éviter du trouble pis rester proche des autres le temps que ça finisse… »

Mais au boutte de trois jours, Marie artrouva un semblant de force :

« C’pas vrai que j’ai pu rien. »

A se l’va enfin, paqueta littéralement ses petits, mis toute su le ch’fal pis prit la direction de l’Ouest.

Pendant neuf jours qu’a marcha, dans’grosse neige aux genoux en tirant le ch’fal par la bride, à monter pis à descendre des côtes pis en manquant s’tuer en tombant dins précipices ou bedon dans’bonne vieille rivière Snake. Pis c’tait pas comme dins parcs d’la SÉPAQ, là, que même si t’arrives à 6 h du matin un lendemain de tempête, y’a toujours un crinqué qui a déjà tapé l’sentier. Je l’sais pas si Marie avait des raquettes, mais j’y souhaite en astie.

En plus, pour faire du mal, a d’vait être dans l’même coin où c’qu’a l’avait accouché pis pardu son bebé deux ans avant – rien pour alléger l’atmosphère, mettons.

Pis là, le ch’fal arriva au boutte de ses forces. Y’était sec comme un coton pis c’tait clair qu’y frait pu un pas de plus.

« Bon, ben, advienne que pourra, c’est icitte qu’on va camper pour le reste de l’hiver. »

Marie trouva un spot caché, à l’abri du vent, au pied d’un précipice pardu au beau milieu des montagnes Bleues. Là, a fit boucherie avec la pauvr’bête. A l’accrocha la viande après un arbre pour qu’a gèle pis pour pas que la varmine tombe dedans; ça allait pas mal être la seule affaire qu’elle pis les p’tits auraient à manger jusqu’à ce que l’pire de l’hiver soye passé pis qu’y puissent espérer de s’rendre l’autre bord des montagnes.

Après ça, fallait qu’a pense à s’faire un abri. Comme matériaux, a l’avait des branches de sapin, du foin, d’la mousse pis d’la neige, pis c’tait toute. En plus, c’tait pas comme si y’avait déjà un beau p’tit tas d’branches coupées toute égal qui l’attendait – comme a l’avait pas de hache pis encore moins de sciotte, y fallut qu’a gosse toute à’mitaine avec son ti canif de rien! 

Mais, à force de savant taponnage, Marie finit par construire une p’tite hutte avec juste assez de place pour qu’a puisse rentrer dedans avec les deux flos. Fallait pas que ça soye ben ben plus grand que ça : l’idée, c’tait que l’abri se chauffe avec yinque la chaleur du des corps qu’y avait d’dans. Autrement dit, on était à des milles du shack en bois rond de luxe avec foyer, écran plat pis spa su’a galerie d’en arrière.

Moé, depuis l’début, y’a deux choses qui m’épatent sans bon sens : le courage à Marie, ben crère, mais aussi, la résilience des flos.

Tsé, de nos jours, tu pars juste pour une fin de semaine de vélotourisme dans Bellechasse avec les enfants pis t’es obligé de r’virer d’bord après deux heures parce que c’est plate, fait frette, est où ma tablette, veux des glosettes, perdu ma casquette, alouette, pis quand t’argardes su’l p’tit siège en arrière tu vois yinque une grand’bouche qui braille avec des larmes autour.

Mais Paul pis Jean-Baptiste, eux-autres, y’ont toute toffé comme des champions malgré la faim pis l’inconfort.

Quand Marie décida de l’ver le camp, au milieu du mois d’mars, ça faisait CINQUANTE-TROIS JOURS qu’y étaient là. Les flos d’vaient-tu faire la queue d’veau, un peu, vers la fin? Un bonhomme de neige, ça commence à être moins l’fun quand t’es rendu à ton 42e de suite, pis c’t’un peu poche de jouer à’cachette l’hiver.

Entécas, le temps s’tait assez adouci pour qu’y essayent de travarser les montagnes. Mais surtout, y leu restait pu de viande de ch’fal pis y’étaient passés au travers de leu réserve de poisson séché. C’tait l’temps qu’y partent. Sauf qu’y marchaient même pas depuis deux jours qu’y frappèrent un mur :

« Ahh, bonne Sainte Anne, mes yeux! Ça brûle! J’vois pu rien! »

Quand le soleil fesse su’a neige, sa lumière est réfléchie pis a t’arvient dins yeux; ça brûle, ça picote, ça larmoie pis tu peux même perdre la vue. C’pas pour rien que les Inuits ont toujours des espèces de lunettes avec une fente dedans!

Faique en s’promenant dins champs de neige en d’sour du gros soleil du printemps, Marie s’tait brûlé les yeux. Normalement, ça finit par guérir tu’seul, mais pour tu’suite, Marie était ben mal prise :

« Non, non, non! Ça s’peut pas! C’pas vrai! On peut pu avancer, sinon on risque de virer en rond ou de sacrer l’camp dans une crevasse. »

Une journée passa, pis une autre, pis une autre; Marie voyait toujours rien.

« Voyons, ça va-tu arvenir? D’un coup que ça r’vient jamais? Ben non, calme-toé, Marie, tu l’sais que ça r’vient. Mais c’est ben long! J’en peux pu! »

A stressait ben raide, sachant qu’y avaient pu d’reste de provisions pis chaque jour qu’y pardaient les mettait encore plus en danger de mourir de faim.

Finalement, le matin d’la quatrième journée, Marie s’réveilla en voyant assez pour être capable de s’orienter, faique a décida d’arprendre la route.

Elle pis les p’tits finirent par sortir des montagnes 15 jours après être partis d’leu camp d’hiver, pis y’arrivèrent dans une grande plaine. Sauf qu’y’étaient loin d’être sauvés : y’avait pas âme qui vive dins environs, pis ça faisait deux jours entiers qu’y avaient absolument rien mangé. Les enfants étaient rendus trop faibles pour marcher, faique Marie d’vait les porter.  

Marie avait besoin d’un miracle. Pis là :

« Hein! C’est-tu c’que ch’pense, ou ch’t’après halluciner? »

Au loin dans’plaine, y’avait un tout p’tit filet de fumée, le genre qui vient d’un feu d’camp.

« J’m’en sacre si y faut que j’me traîne avec les dents, mais j’vas me rendre là-bas. »

Sachant qu’a y’arriverait jamais avec Paul pis Jean-Baptiste dins bras, a prit une décision ben difficile :

« Mes cocos, Maman va aller chercher d’l’aide. J’vas r’venir, promis juré. Vous allez voir, dans pas long, on va manger des bonnes choses pis faire dodo près du feu pis on va être sauvés. »

A les emballa dans la peau d’bison, les cacha ben comme faut au travers des grosses roches puis, l’cœur qui savait pu si y d’vait s’gonfler d’espoir ou s’fendre en mille miettes, a partit en direction du filet d’fumée.

Au début, Marie avait pensé être capable de s’rendre au campement avant la noirceur, mais au coucher du soleil, a faisait pu yinque ramper. A pensa aux flos qui d’vaient capoter de passer la nuite tu’seuls pis de pas la voir arvenir, mais a l’était tellement écrasée de fatigue qu’a s’endormit dins fardoches.

A s’armit en ch’min dès qu’a l’ouvrit l’œil, mais a faisait chaque pas comme si a l’avait des boules de quilles dins bottines. Ben vite, a dut s’mettre à genoux. Vers la fin de l’avant-midi, chaque pied, chaque pouce qu’a l’avançait y prenait toute l’amour qu’a l’avait pour ses gars. Pis là, a pardit connaissance.

« Madame? Madame! Êtes-vous correcte? »

Heureusement pour elle, Marie avait pâmé assez proche du camp pour que quequ’un la voye, pis du monde vinrent tu’suite la ramasser. Y’étaient d’la nation des Walla Wallas, pis y furent super fins avec elle. A leur expliqua où c’qu’a l’avait laissé Paul pis Jean‑Baptiste. Une gang partit drette là les charcher pis les ramena le soir même, ben vivants.

L’horreur était finie pour de vrai.

On s’entend qu’après une aventure de même, Marie était ben écœurée de crapahuter pis de s’donner d’la misère; a décida donc de rester un boutte avec les Walla Wallas. Quand la Compagnie du Nord-Ouest construisit un poste de traite pas loin, a rencontra un autre voyageur du nom de Louis Vanier pis a se maria avec. A l’eut une fille avec lui, mais comme Pierre, y fut tué par des Autochtones. Ben coudonc.

Après, a s’armaria avec Jean-Baptiste Toupin, un employé d’la Compagnie d’la Baie d’Hudson. Y’eurent deux enfants ensemble, pis y’allèrent s’installer dans la belle vallée d’la Willamette, où quasiment tout l’monde parlait français. Super croyante pis hyper respectée, a d’vint un pilier de sa paroisse. À sa mort, a fut même enterrée en d’sour du parvis d’l’église, c’est ben pour dire.

Moé, entécas, j’me d’mande qu’est-cé qu’y attendent pour faire une vue ou un programme de tévé su sa vie. Après toute, y’ont ben faite un film su Léonardo DiCaprio qui arvient en ville tout crotté pis habillé en poil; mais lui, on sait ben, y’avait pas la charge mentale d’une femme qui est pognée pour survivre en s’occupant de deux flos en bas âge!  


Source : Larry E. Morris, The perilous West : seven amazing explorers and the founding of the Oregon Trail, 2013.

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La légende de Marie de Montpellier

Je l’dirai jamais assez souvent : au Moyen-Âge, pour la noblesse, y’avait rien de plus important qu’un héritier. Déjà que ça prend pas grand-chose de nos jours pour que ça vire en échauffourée chez l’notaire, dans l’ancien temps, on était toujours à une chaise vide d’la guerre civile. Mais c’qui m’énarve, dans toute ça, c’est la maudite obsession pour le zouiz.

Ben oui!

Quand ça leu z’était pas carrément interdit de succéder (ch’t’argarde, la France, avec ta loi salique niaiseuse), les femmes devaient toujours se battre pour leux droits, parce qu’y avait toujours une gang de bonshommes pour dire : « On peut pas laisser une créâture hériter, ça fait du trouble ».

C’que c’te gang de jambons ont jamais eu l’air de réaliser, c’est que ça fait du trouble parce que c’est EUX-AUTRES MÊMES qui le font, le trouble!

Parlez-en à Marie, seigneuresse de Montpellier pis reine d’Aragon, née en 1142 pis morte en 1213. Le contrat de mariage à ses parents disait noir su blanc qu’a d’vait hériter d’la seigneurie à son pére, mais malgré ça, les hommes de sa vie ont pas arrêté d’y mettre des bâtons dins roues : son pére lui-même l’a mariée à un bonhomme de quatre fois son âge pour s’en débarrasser, son demi-frére a profité d’la lenteur d’la bureaucratie papale pour la déposséder, pis son troisième mari a essayé d’la contrôler, y’a vu que ça marchait pas, faique y’a fini par arfuser complètement d’la voir – c’qui l’a forcée à prendre des moyens pas trop catholiques pour concevoir un héritier.

Mais avant de s’étendre su’és légendes de couchette, commençons par le commencement. Le pére à Marie, c’tait Guilhem, seigneur de Montpellier. Sa mére, c’tait Eudoxie Comnène, la petite-nièce de l’empereur byzantin Manuel Comnène, qui s’tait en venue de Constantinople pour marier Raymond Bérenger, comte de Provence.

Sauf que dans c’temps-là, y’avait un gros frette entre Manuel, empereur romain d’Orient, pis Frédéric Barberousse, empereur romain d’Occident – le suzerain à Raymond. Faique quand Barberousse fut mis au courant des fiançailles, y décida de mettre la hache là-dedans tu’suite :

« Wôôô, toé-là! Pas question qu’tu marises la p’tite byzantine. Comnène me fait assez chier d’même sans que j’le laisse fricoter avec mes vassaux sans rien dire. »

Ayant eu vent de t’ça, Guilhem de Montpellier se s’rait pointé au port de Lattes, qui faisait partie de sa seigneurie, pour accueillir Eudoxie pis y’aurait dit :

« Bien l’bonjour, Bebé! Heille, j’ai une bonne pis une mauvaise nouvelle pour toé. La mauvaise, y’a pas 36 façons de le dire, mais t’es dompée. La bonne, ben… C’est que moé, chus célibataire! »

Pour sauver la face pis pour pas s’artrouver tu’seule sans amis en terre étrangère, Eudoxie eut pas ben ben l’choix d’marier Guilhem. Pis c’t’union-là stressait pas vraiment l’empereur Barberousse, vu que Guilhem était un joueur de ligue mineure comparé à Raymond de Provence.

Dans le contrat d’mariage, c’tait ben écrit que leu premier-né, gars ou fille, hériterait d’la seigneurie de Montpellier. C’tait quand même une grosse condition, pour l’époque! Qu’est-ce qui put ben pousser Guilhem à accepter ça? Premièrement, les troubadours du temps appelaient Eudoxie « le chameau doré à l’empereur Manuel », pis y parlaient pas de sa face : y parlaient de la christie de grosse dot qui v’nait avec. Pis, deuxièmement, Guilhem, en bon macho, avait aucun doute qu’y pouvait pas engendrer autre chose qu’une trâlée de p’tits gars vigoureux.

Faique quand Eudoxie accoucha d’la p’tite Marie, ça fit pas son affaire pantoute! Y’espéra qu’a y donne un bébé garçon par-après, c’qui y’aurait donné les moyens de moyenner; mais, cinq ans plus tard, ça avait pas l’air de s’enligner comme ça. Faique y prétexta qu’Eudoxie avait turluté d’manière inappropriée avec un troubadour – certainement pas un qui l’avait traitée de chameau! – pour l’envoyer végéter dans un monastère pis s’accoter avec une autre qui, elle, allait pouvoir y donner le zouiz tant espéré.

Agnès de Castille, la nouvelle blonde à Guilhem, donna son 110 % dans sa nouvelle job : non seulement a l’eut un garçon, appelé Guilhem comme son père, drette du premier coup, mais a l’eut huit autres enfants par après.

Là, la pauvre Marie s’artrouvait pour ainsi dire dins jambes de tout le monde : son pére voulait que son petit zouiz flambant neuf y succède, pis Agnès voulait se débarrasser d’elle pour assurer son avenir pis celui à son fils.

La solution, c’tait d’la marier au premier du bord – un bonhomme de 40 ans, le vicomte Barral de Marseille – pis de glisser dans le contrat de mariage une clause comme de quoi Marie arnonçait à la seigneurie de Montpellier.

À dix ans, Marie était complètement vulnérable pis y’avait rien de t’ça qui était d’sa faute, mais ça devrait vous faire réfléchir pareil : faut toujours lire les modalités de service écrites tout petit qui finissent pu avec une case à cocher à’fin. On sait jamais! Vidéotron pourrait aussi ben arsoudre pour ramasser votre chien pis votre laveuse!

« Heureusement » pour Marie, Barral péta au frette même pas un an après le mariage, pis a put artourner chez son pére pis sa belle-mère. Pis là, comme la clause de renonciation à la seigneurie faisait partie du contrat de mariage pis qu’y avait pu de mariage, Marie ardevenait l’héritière.

Son pére pis sa belle-mére étaient en maudit :

« A l’arvient, la p’tite torrieuse! Vite, ça y prend un autre époux! »

Faique en 1197, à l’âge de 15 ans, Marie épousa le comte Bernard de Comminges, un répudiateur en série qui v’nait yinque de domper sa troisième femme. Pis comme la dernière fois, Marie dut arnoncer sur papier à la seigneurie de Montpellier.

Guilhem pis Agnès se pensaient enfin débarrassés, mais y’avaient été un peu naïfs. Un an après les noces, Marie accoucha d’une p’tite fille, pis Bernard artomba tu’suite dans ses vieilles habitudes : déjà, y voulait répudier Marie.

Mais vu que l’évêque de Comminges répondit à Bernard que pour une fois, y’allait d’voir s’endurer pis garder la même femme plus que trois secondes, y décida de faire étriver Marie jusqu’à ce qu’a s’en aille d’elle‑même.

Guilhem pis Agnès capotèrent ben raide en la voyant artontir :

« Voyons! Encore elle! Agnès, passe-moé la tapette à mouches, du pouche-pouche, quequ’chose! »

Y pédalèrent donc en maudit pour que Bernard arprenne Marie. Guilhem porta même plainte au pape contre son gendre pour non-respect du contrat de mariage, dans l’idée d’obtenir une injonction pour forcer sa fille à r’tourner chez son mari agresseur.

Ahh, le bon vieux temps.

Entécas, un an plus tard, Marie artourna à Comminges, pis pas longtemps après, a l’eut une deuxième fille.

Mais la relation entre Marie pis Bernard était irrémédiablement scrappe; le pape eut beau menacer Bernard d’excommunication, y se séparèrent quand même en 1202.

Vu que Marie était divorcée, son contrat de mariage était pu valide, faique c’est en tant qu’héritière légitime qu’a l’arvint à Montpellier.

Sauf que son pére, mourant, avait toute faite en son pouvoir pour l’empêcher d’y succéder. Y’avait envoyé deux émissaires au pape pour y demander de faire de Guilhem fils son héritier légitime, ce à quoi l’pontife avait répondu :

« Ouin, mais c’est pas simple de même. Faudrait que ch’commence par voir si ton mariage avec Eudoxie était légitime ou pas… »

Pas satisfait, Guilhem pére envoya un autre émissaire pour inciter l’successeur de saint Pierre à s’ôter les mains d’su l’beigne, mais la décision était toujours pas prise quand y trépassa.

Qu’à cela n’tienne : y’avait fait un testament désignant le jeune zouiz comme héritier, pis au yâble le pape. Guilhem fils, 12 ans, devint donc le nouveau seigneur de Montpellier, sous prétexte que Marie avait jamais officiellement divorcé de Bernard, faique le contrat de mariage continuait de s’appliquer.

Marie était encore dépossédée! Mais, pas longtemps après, toute vira mystérieusement boutte pour boutte. J’dis mystérieusement parce qu’on sait pas pantoute c’qui s’est passé, à part que :

  1. au printemps 1204, Guilhem fils se fit crisser dehors de Montpellier avec sa mére pour pu jamais arvenir;
  2. queques temps plus tard, Marie devint officiellement seigneuresse de Montpellier;
  3. le 15 juin 1204, Marie épousa le roi Pierre d’Aragon, apportant au mariage la seigneurie de Montpellier, pis devint reine d’Aragon.

Pour vrai, c’est toute. On sait pas si y’a eu de la violence, on sait pas si Marie a décidé de prendre les choses en main, si elle a eu de l’aide, rien. L’historien Henri Vidal, lui, y dit que c’est le roi Pierre d’Aragon qui avait toute manigancé pour mettre la patte su Montpellier :

« C’pas compliqué : ch’tasse le flo, j’mets la greluche à sa place, pis une fois qu’est ben installée comme seigneuresse, ben j’l’épouse pis j’ramasse le beurre pis l’argent du beurre! »

C’qui a l’air de donner raison à Vidal, c’est que quand Pierre pis Marie eurent une fille, Sancha, Pierre attendit même pas que la p’tite commence à faire ses dents pour la fiancer au comte de Barcelone… avec une belle p’tite clause dans le contrat :

— Pierre…? J’viens d’apprendre de quoi, mais avant de pogner les nerfs, j’voudrais l’entendre de ta bouche à toé.
— Quoi, don?
— T’as-tu fiancé la p’tite pis tu y’as-tu donné ma seigneurie comme dot sans m’en parler?
— Bah oué.
— Piiiis, qu’est-cé qui t’a faite penser que tu pouvais m’jouer dans l’dos d’même?
— J’ai l’doua. On est mariés, pis c’qui est à toé est à moé.
— Ben non! Montpellier est à MOÉ. C’est MA seigneurie. T’as pas d’affaire à prendre des décisions d’même comme si ch’tais déjà morte!
— Y’a d’quoi que t’as pas compris, toé. T’es ma feume pis tu fais c’que j’dis. D’ailleurs, faut que tu signes le papier, là. Aweille, fais pas ta germaine, ok?
— Va chier, Pierre! J’signerai jamais ça, pis tu peux pas m’forcer!
— Argarde ben, là : si tu signes pas l’contrat, tu vas t’enrtourner chez vous pis t’arranger avec tes troubles, parce que moé, une seigneurie ou une créâture que ch’peux pas faire c’que j’veux avec, ben j’veux rien savoir.

Indignée ben raide, Marie alla voir ses conseillers, qui eurent pas des bonnes nouvelles à y donner :

« Ouin, ça m’fait d’la peine de vous dire ça, Madame, mais vot’mari a raison : à c’t’heure que vous êtes mariés, y peut faire c’qu’y veut avec vous pis avec vos affaires. »

Marie avait le bras ben tordu, faique a décida de signer, mais a mit ça clair pour tout l’monde qu’a faisait pas ça de son plein gré :

« C’te contrat-là par rapport aux fiançailles à ma fille a comme effet d’me lessiver complètement, pis si je l’signe aujourd’hui, c’est yinque parce que j’ai été contrainte pis forcée par les menaces dégueulasses du roi mon mari; aussi ben dire que j’ai été crucifiée! »

Finalement, toute c’te conflit-là eut pu d’raison d’être parce que la p’tite Sancha mourut avant ses deux ans. C’tait tragique, mais ça permit à Marie de récupérer Montpellier.

Le roi pis la reine d’Aragon étaient pas réconciliés pour autant, par’zempe : Marie pardonnait pas à Pierre, pis Pierre, voyant qu’y avait pas marié une p’tite créâture docile qui le laissait faire comme y voulait, y commença des démarches pour faire annuler l’mariage au motif que Marie avait jamais vraiment divorcé de Bernard de Comminges. Y’était tellement décidé à flusher Marie qu’y était déjà après envoyer des émissaires à Marie de Montferrat, l’héritière du royaume de Jérusalem, pour voir si ça y tenterait pas de devenir la nouvelle Madame Pierre.

À partir de là, Marie pis Pierre vécurent séparés : Pierre campé à la frontière de Montpellier en attendant la décision du pape, pis Marie à son château de Mireval.

Pis là, ben… Y s’passa d’quoi : une nuite, queque’part, Pierre pis Marie couchèrent ensemble, Marie tomba enceinte, pis a l’eut un p’tit gars qu’a l’appela Jacques.

Là, j’vous arrête tu’suite : le bebé à Marie était bien celui à Pierre. À sa naissance, ça faisait déjà deux ans que le roi pis la reine d’Aragon vivaient séparés, pis Pierre l’arconnut comme le sien; si y’avait pas couché avec Marie dans c’te temps-là pis que les dates avaient pas fitté, ben sûr qu’y aurait dit que le p’tit était pas à lui.

Faique COMMENT un homme pis une femme qui pouvaient pu s’voir en peinture pis qui faisaient pu vie commune depuis un boutte purent en v’nir à passer une nuite torride en pleine procédure d’annulation de mariage? Ça enflamme l’imagination, pis chus sûre que vous avez déjà la calotte qui chauffe.

L’explication la plus plate est que les deux se sont bouché l’nez pis ont faite leu d’voir, mais ça a pas empêché les historiens du temps de s’en donner à cœur joie avec leux hypothèses. On s’artrouva donc avec plusieurs versions de l’histoire, mais y’en a une en particulier qui est restée, pis c’est ça qui a donné « la légende de Marie de Montpellier ».

Avec la chicane entre Marie pis Pierre, y s’concevait pas de p’tit prince, pis ça commençait à presser.

Faique quequ’un – y’en a qui disent les consuls de Montpellier, y’en a qui disent Marie elle-même – décida de prendre les choses en main. Comme y’avait aucune chance que Pierre embarque volontairement dans le litte de sa germaine de femme, y fallait y’en passer une p’tite vite.

Pierre courtisait une belle p’tite pitoune, une certaine Béatrice (ou Catherine, ça dépend de la version). À c’te moment-là, Béatrice avait pas encore cédé à ses avances. Faique les consuls convainquirent un des chevaliers du roi d’y apporter un faux message de la part de la fille :

« Dans une semaine, Vot’Majesté, j’vas v’nir vous trouver dans votre chambre. Mais chus ben gênée pour ma vertu, faique va falloir qu’on fasse ça dans l’noir dans dire un mot pour pas qu’le Seigneur s’en rende compte. »

L’idée, c’tait que Marie se fasse passer pour Béatrice pour coucher avec Pierre sans qu’y s’en aperçoive. Ça, en passant, ça s’appelle un viol. Mais, mettons que l’idée de consentement était pas hyper développée au 13e siècle.

Entécas, Pierre était tellement pressé d’avoir son nanane qu’y se méfia pas; le rendez-vous était pris.

Les Montpelliérains avaient yinque UNE CHANCE d’avoir un héritier qui les empêcherait de s’artrouver en mains étrangères après la mort de Marie. Faique y mirent le paquet : toute la semaine avant, y prièrent; la veille, y jeûnèrent; pis pendant, on leu z’avait dit d’aller à l’église, où-ce que les clercs allaient dire des messes pour la réussite du royal coït.

Pas de pression pantoute, hein?

Le soir de, la reine enfila une cape de madame mystérieuse et alla discrètement trouver le roi. En faite, oubliez ça, la discrétion, parce qu’a l’était accompagnée par 12 consuls, 12 chevaliers et notables, 12 dames, 12 demoiselles, deux notaires, le représentant de l’évêque, deux chanoines pis quatre religieux! Y’avait tellement d’monde en avant d’la porte à Pierre qu’on se s’rait cru en pleine visite guidée au fort de Chambly organisée par le club de l’âge d’or de Repentigny.

Mais, faut crère que toute c’te monde-là étaient ben, ben discrets, pas grippés pis avaient mis des pantouffes en phentex, parce qu’y passèrent la nuite dans l’corridor sans un maudit bruit, un ciarge dins mains, pendant que Marie pis Pierre faisaient leu z’affaire. Sûrement qu’y s’étaient apporté du popcorn aussi.

À l’aube, la délégation au complet rentra dans’chambre. Pierre fit un méchant step!

« Saint simonac, qu’est-cé ça! Vous êtes-qui, vous autres? Marie?!? Qu’est-cé tu crisses là? Est où, Béatrice? Voyons donc! »

Tandis que Pierre faisait la danse de Saint-Guy en essayant de mettre ses culottes à la va-vite, les deux notaires rédigeaient ben frettement un acte de toute c’qui s’était passé. C’qu’y est sûr, c’est qu’y manquaient pas de témoins!

« Ah, pis mangez don toutes de l’astie d’marde! » cria le roi en sacrant son camp pour de bon.

Entécas, soit Marie avait un timing impeccable, soit les prières pis les ciarges avaient fait leu job, parce que neuf mois plus tard, la seigneuresse de Montpellier accoucha en 1208 d’un p’tit gars qu’a l’appela Jacques.

Malheureusement, a l’avait pas fini d’se battre : quand y’arconnut le bebé comme le sien, Pierre l’enleva à sa mère pour le faire éduquer ailleurs pis le fiancer avec la fille d’un de ses alliés – en leu donnant la seigneurie de Montpellier en cadeau d’noces, yinque pour faire chier Marie.

À boutte, Marie se rendit à Rome pour que le pape ordonne à Pierre d’arrêter ses niaiseries pis la confirme une fois pour toutes comme seigneuresse de Montpellier. En janvier 1213, le pontife rendit un jugement qui y donnait raison su toute la ligne : le mariage à ses parents était valide, faique son demi‑frére était illégitime; son mariage avec Bernard de Comminges avait jamais été valide parce qu’y avait jamais divorcé de ses autres femmes, donc son mariage à Pierre était légitime; a l’était l’unique seigneur de Montpellier, pis son fils Jacques était l’héritier de Montpellier pis de l’Aragon.

Mais, avant même qu’a puisse artourner chez elle pour profiter de sa victoire, Marie rendit l’âme à l’âge de 30 ans. C’tait tellement vite après le jugement du pape en sa faveur qu’y en a beaucoup qui dirent que Pierre l’avait faite empoisonner.

Peu importe : Pierre II d’Aragon mourut su’l champ de bataille pas longtemps après, pis de toute façon, Marie de Montpellier avait gagné le combat de sa vie, malgré toutes les bâtons qu’on y’avait mis dins roues. A lâcha jamais le morceau, envers et contre toute, alors que ça aurait été tellement facile de juste farmer sa yeule pis se contenter d’être la femme d’un roi. A l’était peut-être pas douée de zouiz, mais a l’avait une volonté de fer! 


Source : Christian Nique, « Les deux visages de Marie de Montpellier », Académie des Sciences et Lettres de Montpellier, 2013.

Marie Iowa Dorion — partie IV

Partie I
Partie II
Partie III

Après avoir mangé autant de misère, Pierre, Marie et leux flos décidèrent de s’installer pour de bon dans une belle vallée de l’Oregon où c’qu’y fait beau à l’année, à cultiver d’la graine de lin pis à tisser des paniers d’chanvre…

Ha! Pas pantoute.

On sait pas trop c’qui s’est passé avec eux-autres dans l’année qui a suivi, parce que c’pas écrit nulle part. Mais à l’été 1813, Pierre s’mit à faire la queue de veau pis décida de partir en expédition de trappage avec John Reed, un collègue de l’expédition Hunt, pis deux autres gars. Marie pis les deux p’tits eurent pas le choix de suivre.

Faique les v’là qui étaient arpartis vers l’est, pis avant longtemps, la gang était déjà armontée jusqu’aux rives d’la rivière Snake – que les Canadiens français étaient rendus à appeler « la maudite rivière enragée ».

Plus haut, par’zempe, la rivière pas du monde filait pas mal plus doux; a d’venait pas mal plus large pis lente, faique y’avait pas d’problème pour s’promener dessus pis puiser d’l’eau à boire.  Pis là où la rivière Boisé v’nait se jeter dedans, c’tait bourré de castors. Y’avait aussi d’la truite, des oies, des canards, des lieuvres pis des faisans à manger.

En plus, la tribu de Shoshones qui restaient pas loin étaient super fins pis généreux. À une époque où tu risquais pas mal plus qu’une poursuite au civil en cas de chicane avec les voisins, c’tait pas à négliger.

Pierre pis John trouvèrent que c’tait ben d’adon, faique y choisirent c’te spot-là comme camp de base pis construisirent une cabane.

Pour Marie, c’tait comme déménager en banlieue avec un IGA pis un parc pas loin, la piscine hors terre en arrière pis la boîte d’Hello Fresh qui rentre à toués jours, pis le couple d’à côté est toujours après t’inviter à faire un feu sans sa cour pis à t’offrir des bettes à carde de son potager en permaculture.

Autrement dit, Marie était ben. A restait à la cabane avec les flos pis a tannait les peaux quand les gars arvenaient avec leux prises. La vie coulait doucement.

Dans l’courant de l’été, trois Canadiens français – Landry, Lachapelle pis Turcotte – se rajoutèrent à la gang. Pis au mois de septembre, y’arsoudit trois Anglais – Reznor, Hoback pis Robinson – qui avaient toute pardu après s’être faite attaquer par des Autochtones – pas les Shoshones d’la place, mais des « étranges ». Qui c’était, c’tes étranges-là, c’est pas tant un mystère; c’est juste que Marie, par qui on a su c’te boutte-là de l’histoire, avait aucune idée d’où c’qui t’sortaient.

À partir de là, ça commença à moins ben aller.

Landry s’péta la gueule à ch’fal pis mourut de ses blessures.

Turcotte se ramassa avec les écrouelles, une sorte de tuberculose qui pogne dans’gorge, pis péta au frette lui avec.

Un bon jour, Delaunay, un trappeur d’la gang du début, disparut; Pierre dit à Marie qu’y s’était sûrement faite tuer, parce qu’y avait vu un scalp de sa couleur de ch’feux dans un camp des Autochtones « étranges ».

Les étranges commencèrent à écœurer Pierre, John Reed pis les cinq autres trappeurs qui restaient. Jour après jour, y’arvenaient à la cabane pour se téter des affaires :

— Aweille donc, l’Blanc, t’as pas besoin de toutes c’tes munitions-là! Donne-nous en don!
— Heille, vous êtes ben gossants, vous-autres! Nos munitions, on n’a besoin! Arrangez-vous avec vos troubles!

Voyant qu’y arrivaient à rien avec les belles façons pis les belles chansons, les étranges se mirent carrément à faire du trouble : y volèrent une belle cape à capuchon qui appartenait à Lachapelle, pis y blessèrent un des ch’faux avec une flèche.

C’tait quoi l’idée d’attaquer gratuitement une pauvr’bête? Ch’peux pas croire qu’a leu z’avait faite des faces ou de quoi d’même.

Toujours est-il que Pierre pis John commençaient à sentir la soupe chaude, faique y décidèrent d’abandonner la première cabane pis d’en construire une autre un peu plus haut en armontant la rivière Boisé.

À c’te place-là, la gang put passer un excellent automne à trapper. Les belles peaux de castors tannées par les bons soins à Marie s’empilaient dans l’campe pis promettaient de rapporter un maudit bon motton au r’tour en ville.

Jusqu’au soir du 10 janvier 1814.

Les flos étaient couchés, Marie était su’l bord de faire pareil. Avec elle au campe, y’avait John Reed; Hoback pis Robinson étaient queque part pas loin tandis que Pierre, Lachapelle, Reznor  pis Le Clerc, un autre ancien d’l’expédition Hunt qui avait artonti pendant l’automne, étaient partis pour une de leux virées de trappe qui duraient plusieurs jours.

C’est là qu’artontit un des gentils voisins shoshones, épeuré pis toute essoufflé :

« Y’a une bande de Flancs-de-chien qui ont brûlé votre autre cabane pis qui s’en viennent drette vers vous-autres à ch’fal en poussant des cris de guerre! Y veulent votre peau! Sauvez-vous, sinon vous êtes faites! »

Si vous vous demandez c’est quoi l’affaire des Flancs-de-chien, c’t’une nation autochtone qui s’est nommée d’même par rapport à son mythe de création du monde.

Entécas, quand Marie entendit ça, a l’artroussa comme une toast quand tu forces la clanche du toaster :

« M’as prendre un ch’fal pis m’as aller avertir Pierre pis les deux autres! »

Faique tandis que Reed sortait les fusils pis s’apprêtait à aller charcher Hoback pis Robinson, Marie paqueta ses deux p’tits toutes collés de sommeil, les embarqua su’une jument pis prit le bois en pleine nuitte frette comme la mort pis noire comme le cul d’un our.

Justement, faisait tellement noir que Marie pardit son ch’min. Quand la tempête pogna, a l’eut pas le choix de s’cacher dins fardoches avec Paul pis Jean-Baptiste jusqu’à ce que ça passe, respirant à peine de peur de s’faire pogner par les Flancs-de-chien.

Quand enfin le temps se calma, pas moins qu’un jour plus tard, Marie arprit son chemin. Sauf que là, a vit d’la fumée dans la direction où c’qu’a pensait qu’étaient Pierre et compagnie :

« Peu importe c’est quoi, ça peut pas être des bonnes nouvelles. On va attendre encore. »

Faique Marie pis les deux p’tits passèrent encore une autre journée cachés. Comment c’qu’a persuadait les flos d’pas grouiller, je l’sais pas, mais c’t’un exploit.

La soirée du troisième jour, y’arrivèrent enfin à la petite hutte qui sarvait d’abri aux trappeurs. C’tait ben tranquille pis y’avait l’air d’avoir parsonne.

Toute d’un coup, quequ’un sortit d’entre les arbres pis s’dirigea vers elle en marchant tout croche : c’tait Le Clerc, blessé pis toute graissé de sang, su’l bord de tomber sans connaissance.

Marie se garrocha à sa rencontre :

— Wô! Monsieur Le Clerc! Voyons donc, vous êtes ben magané! Assisez-vous, là. Qu’est-cé qui vous est arrivé?
— Ah! Calvaire. On était après vérifier nos trappes à matin, pis là les Flancs-de-chien sont sortis d’nulle part pis nous sont tombés d’ssus! Chus ben désolé, M’dame, mais Lachapelle, Reznor pis vot’mari y’ont toute passé… Y reste juste moé…

Une nouvelle de même, c’est comme si le plancher tombait d’en d’sour de toé. Ça t’coupe le souffle. Ça change ta vie pour toujours.

Mais Marie avait pas l’temps de mettre le genou à terre. Sans pardre une seconde, a jouqua Le Clerc pis le plus jeune des flos su son ch’fal pis a r’prit l’bois direct.

A l’avait yinque une idée dans’tête : sauver Le Clerc pis avartir les autres. Sauf que Le Clerc était quasiment vidé de son sang pis y’arrêtait pas de pâmer; par deux fois, y tomba de ch’fal pis Marie dut l’armettre en selle.

À un moment donné, Marie dut s’résoudre à arrêter pis à essayer de l’mettre confortable autant que possible; c’tait clair qu’y passerait pas la nuitte.

Le Clerc prit ses darnières forces pour expliquer à Marie comment c’qu’a pourrait faire pour s’échapper avec ses flos sans s’faire pogner par les Flancs-de-chien. Pis, queque part avant l’aube, y’arrêta d’respirer pour de bon.

Au matin, Marie couvrit l’corps de fardoches pis d’neige; a l’avait ni l’temps, ni la force d’y creuser une tombe. A mit Paul pis Jean-Baptiste su le ch’fal pis arprit le ch’min d’la cabane à Reed.

J’me d’mande ben c’qui s’passait dans la tête des p’tits à c’te moment-là.

Le plus p’tit avait quatre ans; y d’vait pas vraiment réaliser que son pére était mort pis qu’y arviendrait pu jamais. Mais y d’vait ben sentir qu’y avait d’quoi qui allait pas. Sa mère était sué nerfs, c’tait évident, pis c’tait vraiment bizarre qu’a s’cache des Autochtones.

Le plus vieux, à six ans, avait dû comprendre le gros de c’que Le Clerc avait dit; assez pour être triste, assez pour avoir peur, assez pour pardre le sommeil pendant les nuites qui finissaient pu d’finir, collé après sa mére pis son p’tit frére en d’sour d’une grosse peau de bison tandis que le vent forçait pour rentrer par toutes les craques.

Pauvres p’tits cœurs.

Le quatrième jour, Marie spotta une gang de Flancs-de-chien qui clanchaient vers l’est. Tu’suite, a débarqua les flos du ch’fal, s’cacha avec eux-autres dans l’foin pis artint son souffle.

Heureusement, les Flancs-de-chien argardèrent jamais vers eux-autres pis y passèrent leu ch’min.

Fiou.

Le soir, Marie arriva enfin su l’dessus d’une colline qui donnait vue s’a cabane à Reed. J’vous dis que ça avait l’air tranquille là-dedans pis autour! Y’avait rien qui grouillait pis y’avait pas un son.

Quand même, Marie voulait absolument savoir si y’avait encore quequ’un de vivant là. Par contre, a l’était pas pour emmener les p’tits pis le ch’fal avec elle – c’tait ben que trop dangereux! Faique a les emmena dans un p’tit bois :

« Là, j’vas aller à’cabane pour voir si Monsieur Reed est encore là. Vous-autres, restez icitte pis grouillez pas! Pas un mot tant que je s’rai pas arvenue. »

Ça aussi, c’tait un risque : y’a rien qui disait à Marie qu’y aurait pas quequ’un pour arriver par en arrière pis partir avec la bête pis les p’tits gars. Mais a pouvait pas s’résoudre à partir sans savoir c’qui était arrivé aux hommes.

Faique a ramassa un gros couteau dans son sac pis partit vers la cabane en marchant ben doucement. Pis là, quand a fut assez proche, a se figea d’horreur : partout autour d’la bâtisse, la neige était couverte de sang. On aurait dit que Matante Rita avait renvarsé la bouteille de merlot s’a nappe en lin blanc à Matante Monique pis que les deux s’étaient sauté à’gorge.

Une brique dans l’estomac pis pu d’sang dins bouttes, Marie continua d’avancer pareil.

« Monsieur Reed? Monsieur Robinson? Monsieur Hoback? C’est moé, Marie! Youhou! Y’a-tu quequ’un? »

Mais y’avait yinque le vent. C’tait clair qu’y restait pu parsonne.

En tournant l’coin d’la cabane, c’est là qu’a les vit : Reed, Hoback pis Robinson – ou c’qui en restait. Mettons que ça aurait été de trop de tchéquer leu pouls : y’étaient poignardés, scalpés, défaites en bouttes. Y’avait eu d’l’archarnement.

D’après leu z’état, y’étaient probablement morts pas longtemps après que Marie soye partie avertir Pierre pis les autres. Pis eux-autres, y’étaient morts deux jours après, jusse avant que Marie arrive. C’est plate à dire, mais c’tes deux rendez-vous manqués-là avaient sauvé sa vie pis celle des flos.

Si Marie avait eu d’quoi dans l’ventre à c’te moment-là, pour moé a l’aurait restitué drette là; mais, a l’avait pas mangé depuis deux jours. A s’détourna d’la boucherie pis partit à course pour artrouver les garçons dans l’bois.

Pis là, a comprit d’quoi; ben sûr qu’a y’avait pensé avant, mais là, c’tait aussi terriblement clair qu’un boutte de vitre planté dans’chair : elle, Paul pis Jean-Baptiste étaient seuls au monde, entourés d’ennemis, en plein hiver, avec pu rien à manger.

Partie V


Source : Larry E. Morris, The perilous West : seven amazing explorers and the founding of the Oregon Trail, 2013.

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Pour faire comme eux-autres et lire les articles avant tout le monde, c’est par ici!

Combat de peintures! Judith et Holopherne

Y’a des bouttes de l’histoire, d’la mythologie ou bedon d’la Bible qu’on pourrait appeler des Greatest Hits – tout l’monde les connaît, un peu comme « Non, (Luc,) je suis ton père » dans’Guerre des étoiles. Pis c’tes bouttes-là, y’inspirent ben gros les artisses.

Faique pour le même boutte, y va y’avoir plusieurs peintures, sculptures, dessins, poèmes, chansons… Pis c’qu’y est ben intéressant, c’est de comparer les différentes versions.

Aujourd’hui, j’me suis dit qu’on pourrait faire ça avec six peintures qui arprésentent la même scène : Judith après décapiter Holopherne.

Selon la Bible, Judith, c’tait une jeune veuve juive ben belle pis ben courageuse. A vivait à l’époque où c’que le roi assyrien Nabuchodonosor avait envoyé son général Holopherne à’tête d’une grosse armée pour conquérir Israël.

C’te jour-là, Holopherne s’tait parqué en avant d’la ville de Béthulie pour l’assiéger. Après une secousse, les défenseurs d’la ville étaient brûlés raide, affamés pis découragés, quasiment su’l bord d’ouvrir les portes à l’ennemi.

Voyant ça, Judith les bourrassa un peu :

« Heille, gang de pissous! Vous manquez don ben d’foi! Creyez don que Dieu va nous sauver! »

A disait ça, mais a l’avait pas l’intention d’attendre là bouche ouvarte qu’y s’passe de quoi : a l’allait prendre les choses en main.

Rendu au soir, Judith ramassa une de ses servantes pis partit en direction du camp assyrien. Quand on y d’manda c’qu’a faisait là, a répondit qu’a l’avait des affaires secrètes à dire su les Juifs qui pourraient intéresser Holopherne.

J’vous avais dit que Judith était pétard. Faique quand Holopherne la vit, y d’vint instantanément serré d’la fourche. Y l’invita donc à un banquet pis toute, probablement dans l’espoir de, tsé veut dire, mais Judith l’encouragea à boire toute la soirée jusqu’à ce qu’y tombe quasiment saoul mort.

Quand y fut su’l dos ben étampé la bouche ouvarte, Judith pogna une épée pis, avec l’aide de sa servante, DÉCAPITA Holopherne.

Après, les deux femmes se faufilèrent en dehors du camp avec la tête pis la ramenèrent à Béthulie.

« QUINS! N’a pu, d’Holopherne. Sans leu général, les Assyriens vont se battre tout croche pis manger leux bas. »

Pis en effet, les Israélites, crinqués ben raide, défoncèrent complètement les Assyriens, qui fuirent la queue entre les deux jambes.

Judith avait sauvé Israël!

Mais là, allons argarder, voir, comment différents artistes ont imaginé la scène…


Version du Caravage, vers 1598-1599

Expression de Judith : C’te Judith-là a le cœur qui lève pis vraiment pas d’fun. On dirait une floune qui dépiaute son premier djeuvre! A l’était tellement pas prête, pauvre chouette. Pis ça s’rait bon de valeur si du sang r’volait su sa belle chemise blanche! 4/10

Technique : Ah, non, là! Caravage, ch’t’aime ben, mais là, tu l’as pas pantoute. C’est pas d’même qu’on coupe une tête! Judith a clairement jamais tenu une épée dans sa vie – gad-z’y le ti-poignet toute mou! A met aucune force, a se sert pas pantoute du reste de son corps, a l’a pas de point d’appui. Franchement, pour un peintre de c’te talent-là, c’est carrément gênant. 1/10

Travail d’équipe : Je donne des points pour le soutien moral, parce que clairement la servante est ben plus dedans que Judith, pis j’gage qu’a l’aimerait ben le faire elle-même. 6/10

Note globale : 3,5/10


Version de Jan de Bray, 1659

Expression de Judith : Dans c’telle-là, Judith a pas la face de quequ’un qui fait ça pour la première fois – a l’a une face d’assassin d’la Guerre froide. Judith, c’t’une tueuse. Un missile téléguidé du peuple hébreu. Le lendemain en mangeant ses toasts, a pensera déjà pu à Holopherne. 8/10

Technique : Pour couper une tête, y’a rien comme un bon coup franc, SHTOK! Judith a un pas pire élan. Si a finit ben son mouvement, si sa lame est assez aiguisée pis si l’gars grouille pas, a devrait être bonne. 7/10

Travail d’équipe : La servante sert à rien. Si y’a d’quoi, est dins jambes. J’donne deux points pareil, parce qu’au moins, est là. 2/10

Note globale : 6,5/10


Version de Trophime Bigot, vers 1640

Expression de Judith : Calme, concentrée su’a tâche. Pas de colère, mais pas de mal de cœur non plus. Judith a une job à faire, pis a veut la faire comme faut. 7/10

Technique : On dirait que Judith est après couper un gros baloney au lieu d’une tête. On va y donner ça : est physiquement engagée dans c’qu’a fait, pis tu vois qu’a met d’la force. Mais va falloir qu’a change d’outil ou bedon de technique pour passer au travers. 6/10

Travail d’équipe : Heille, c’est quasiment touchant. On dirait une maître-menuisière qui transmet ses connaissances à sa jeune élève pis la guide d’une main sûre, avec ben d’la patience pis du renforcement positif. Sauf que, tsé, sont après décapiter un homme. 9/10

Note globale : 7/10


Version de Giulia Lama, 1730

Expression de Judith : Ben voyons. Qu’est-cé qu’a attend-là, l’intervention du Saint Esprit? Aide-toé pis le ciel t’aidera, ma belle. Faique arrête de téter, pogne un couteau pis vas-y! 3/10

Technique : Visualiser la mort d’Holopherne pis attendre que la loi de l’attraction fasse la job pour toé, c’est pas une technique. 0/10

Travail d’équipe : Sa servante a vraiment l’air de s’demander qu’est-cé qu’a niaise. Tasse-toé, Judith, pis laisse-là don faire! 4/10

Note globale : 2,5/10


Version de Louis Finson, vers 1607

Expression de Judith : Y’a clairement de quoi qui l’énarve, mais ch’comme pas sûre si c’est nous-autres qu’a r’garde parce qu’on a pas d’affaire-là ou ben si c’est sa servante qui la gosse. Entécas, moé, ch’prendrais pas d’chance. 8/10

Technique : A tient son arme comme faut, toujours ben. Mais est ben que trop loin du gars pour être vraiment efficace. Va falloir qu’a s’rapproche pis qu’a fesse plusieurs fois si a veut passer d’bord en bord. 5/10

Travail d’équipe : La servante tient le sac, toujours ben. Pis sa face pis celle à Judith attirent toute l’attention dans la peinture; on r’marque quasiment pas Holopherne, à force. Mais sérieusement, j’m’en fais pour elle : y’a-tu vu les ganglions lymphatiques? Faut qu’a fasse argarder ça au plus vite! 5/10

Note globale : 6,5/10


Version d’Artemisia Gentileschi, vers 1620

Expression de Judith : Ça, c’t’une face qui dit « Quins toé mon tabarnak! ». Les sourcils sont froncés pis la bouche est pincée : Judith est concentrée pis décidée. Pis c’tu moé ou y’a même une p’tite pointe de satisfaction là-dedans? 9/10

Technique : Là on jase! Le poignard tenu comme faut, le genou monté su l’litte pour mettre plus de poids pis d’force, pis d’la raideur dans l’mouvement. C’te version-là est crissement pas propre! Mais tsé, ça pisse, une jugulaire! C’est pas CENSÉ être propre! 9/10

Travail d’équipe : Ah ben là, parzempe! La servante est drette dans l’action pis a aide Judith à maîtriser Holopherne. J’aime ça, moé, l’entraide entre créâtures! Décrissons le patriarcat! 10/10

Note globale : 9/10

Marie Iowa Dorion — partie III

Partie I
Partie II

Comme vous l’savez, c’est pas parce que t’es pogné dans’bécosse pas de papier que tu peux pas te rentrer une écharde dans l’cul par-dessus l’marché. Autrement dit, ça peut toujours être pire.

Pas longtemps après que la gang de l’expédition Hunt eut décidé de continuer le ch’min à pied, les bords de la rivière s’mirent à monter pis à monter, tellement qu’après un boutte, c’tait rendu des falaises pis c’tait presque pu possible de descendre jusqu’à l’eau.

Après la faim, manquait pu yinque la soif!

Un beau jour, y croisèrent une gang d’Autchtones qui avaient pas l’air riches riches eux-autres non plus. Pierre jasa avec eux-autres :

« Y trouvent pas d’bisons pantoute, qu’y disent. Y’ont pas grand-chose à manger. Mais y s’raient d’accord pour nous troquer du poisson séché pis une couple de chiens. »

Là, j’vous entends siler par en dedans : pauvres pitous! Y’allaient pas les manger? Ben oui : tsé, quand t’es mal pris d’même, ça r’met une couple d’affaires en perspective.

Faique les chiens furent abattus drette là pour la viande, pis l’poisson fut gardé pour plus tard.

À part de t’ça, les Autochtones leu dirent où c’qui avait d’l’eau, mais là, ch’sais pas si Pierre avait mal compris ou d’quoi d’même, mais y’eurent beau charcher, y trouvèrent pas une maudite goutte.

Rendu là, Marie et compagnie en étaient à licher la rosée su’é feuilles pis les flaques d’eau dans l’creux des roches. Y’en a même qui buvaient leu pisse. Tout le monde était crissement à boutte :

« Heille, faut l’faire, pareil, avoir soif de même pis être pogné pour manger d’l’astie d’poisson séché! »

D’mandez à Mononc’Poêle : moé, mettons que j’vas m’épivarder dans’nature, c’pas long que ch’pas endurable si j’ai faim pis j’ai soif. Marie, elle, a marchait depuis DES SEMAINES, avec presque rien à manger ni à boire, ENCEINTE, avec deux enfants en bas âge – sans même ralentir le groupe, Hunt l’a écrit dans son journal! – pis a disait pas un maudit mot.

C’tait une sainte. J’ai pas d’autre mot pour ça.

Mais là, si y’arrivait pas d’quoi ben vite, nos explorateurs allaient finir aussi secs que leu poisson. Heureusement, le soir du 20 novembre pis toute la nuite après, y mouilla à siaux. Faique Marie et les autres étaient trempes pis gelés, mais au moins, y’avaient pu soif!

Deux jours plus tard, y croisèrent d’autres Autochtones, pis ceux-là, y’avaient des ch’faux. Hunt réussit à s’en troquer une couple, tandis que Pierre pis un autre gars purent n’avoir chacun’un en échange de tuniques en peau d’bison. Y’était à peu près temps que Marie puisse s’arposer les pieds!

Décembre attendait l’expédition avec une brique pis un fanal : le premier du mois, y’eut une tempête du yâble avec d’la neige aux genoux, des gros flocons humides qui te pètent dins yeux pis le genre de vent qui a l’air de t’en vouloir parsonnellement. Le 2, c’tait tellement l’enfer que la gang dut rester campée. Pour manger, y’avait pu yinque un castor ch’nu qu’un des hommes avait réussi à pogner, des merises restées accrochées su’é branches pis des s’melles de mocassins.

Rendu au 10, Hunt ordonna qu’on abatte un ch’fal pour la viande, pis un autre, pis un autre, jusqu’à ce qui reste pu yinque lui à Marie. Quand a vit les yeux du boss se poser su sa bête maigre à faire peur, Marie sentit l’angoisse y pogner l’estomac comme une grosse main méchante avec des griffes pointues : a savait ben que trop que pu de ch’fal, elle pis les deux p’tits pourraient pu suivre pis étaient pas mieux que morts.

Heureusement, Pierre se mit drette entre son boss pis sa famille :

« Non. Pensez-y même pas. »

À’face qu’y faisait, y’avait pas besoin d’en dire plus. C’tait clair que n’importe qui qui s’essayerait à pogner le ch’fal se ferait sauter dans’face.

Pierre s’arvira d’bord pis tira su’a bride d’la bête pour qu’a r’commence à avancer. Parsonne s’astina, même pas Hunt.

C’tait ça qui était ça.

Le 16, finalement, les explorateurs sortirent des montagnes pis débouchèrent dans une immense plaine pas d’arbres. Faique au sens propre, y’étaient sortis du bois. Mais au sens figuré, c’tait pas gagné pantoute : y’avaient rien pour se protéger du vent pis pas grand-chose pour faire un feu assez gros pour se chauffer la couenne. En plus, y’étaient toujours aussi affamés.

Pis là, au loin, Hunt vit des p’tits filets de fumée : un camp! Du monde!

Y s’trouva que c’tait un village de Shoshones. Encore une fois, Hunt s’faisait sauver le cul par des Autochtones.

Après s’être installée pas loin du village, la gang put se bourrer la face de viande de chien pis de ch’fal, de poisson séché pis de cerises effoirées. Bon ok : rendu là, tout l’monde devait être tanné de toujours manger la même affaire, pis ça aurait ben pris un pot d’vitamines Fred Caillou pour compenser le manque de légumes verts, mais c’tait mieux que d’mourir.

Le lendemain, Hunt essaya de se trouver un guide pour le reste du voyage, mais y’eut beau offrir plein de cossins en échange, les Shoshones voulaient rien entendre :

« Êtes-vous malades? C’est pu un temps pour voyager. Ça vous tente-tu de marcher dans’neige jusqu’à la ceinture? Vous allez geler dur! Restez donc icitte avec nous-autres pour l’hiver. »

Mais c’te tête de cochon de Hunt était ben décidé à s’rendre au Pacifique d’une traite sans arrêter, au risque de pardre une couple d’orteils, ou pire. Maudit orgueil à marde.

Faique au lieu d’armarcier ses hôtes pour leu générosité pis d’offrir un r’pos ben mérité à ses hommes, à Marie pis à ses enfants, y décida à’place de convaincre les Shoshones de le guider en leu sortant son arme secrète – l’argument massue capable de faire faire n’importe quelle niaiserie aux détenteurs de zouiz depuis le début des temps : « Vous êtes pas games ».

« Meuh! C’est même pas si pire que vous l’dites. Vous m’contez des menteries parce que vous êtes trop lâches pour sortir de votre p’tit confort pour m’aider. Des vraies femmes! »

Heille, franchement : dire une affaire de même après avoir vu Marie trotter pendant des mois comme une ultramaratonienne de feu! Une chance qu’a l’entendit pas, parce qu’a se s’rait foulé l’nerf optique à force de l’ver les yeux au ciel.

Mais heille, y’a rien d’pire dans’vie que de s’faire traiter de créâture, hein? Faique trois Shoshones piqués dans leu z’orgeuil acceptèrent de guider l’expédition jusqu’au territoire des Sciatogas, un peuple autochtone qui restait plus à l’Ouest pis qui avait supposément plein de ch’faux à vendre.

Drette le 21, c’tait déjà l’temps d’arprendre la route. Pendant neuf jours, toute se passa plutôt ben; y’avait d’la nourriture en masse, le terrain était pas trop escarpé pis l’temps était pas trop laitte.

Pis là, le 29, su’l bord d’la rivière Powder, dans l’Oregon d’à c’t’heure, Marie eut un p’tit sursaut pis poussa une p’tite plainte. Comme a l’avait pas fait un maudit son depuis l’début, Pierre y d’manda :

« Marie, t’es-tu correcte? »

Toute les hommes s’artournèrent pour la r’garder, l’air inquiet; tsé, depuis l’temps, y s’taient pris d’affection pour elle.

« Pierre. C’est l’temps. »

Le bébé s’en v’nait.

Là, y fallut ben qu’a l’arrête – y’a toujours ben un boutte à toute. Pierre prit tu’suite les choses en main, pas plus plus stressé que ça :

« Bon, nous-autres va falloir qu’on fasse un stop icitte. Continuez sans nous-autres. Donnez-nous une journée pis on devrait vous arjoindre. »

Tandis que Marie descendait d’son ch’fal, Hunt pis sa gang s’en allèrent, quasiment à r’culons, craignant de pu jamais arvoir leu mére courage.

Là, j’voudrais ben vous donner plus de détails sur c’qui arriva à Marie pis à sa p’tite famille, tu’seuls dans l’bois dans leu tente pleine de courants d’air. Mais tsé, l’histoire est écrite par les hommes, pis les hommes, y racontent pas c’te genre d’affaire-là.

Disons juste qu’accoucher, c’est toffe pis risqué même au chaud pis en sécurité avec une sage-femme qui veille su toé, l’ambulance au boutte du téléphone pis les autres flos qui se font garder chez grand-maman; m’aginez au milieu de nulle part à -10 direct à terre avec yinque ton mari pis deux enfants en bas-âge.

Malgré toute, le 31, la famille Dorion arsoudit en arrière du reste de l’expédition, comme Pierre avait dit! Hunt pis ses hommes en r’venaient pas; d’ailleurs, dans son journal, Hunt prit la peine d’écrire :

« La femme à Dorion était à ch’fal, son bebé dins bras pis son flo de deux ans enroulé dans une couvarte pis attaché après elle. A y voir la face, on aurait dit qu’y lui était rien arrivé pantoute. »

Par’zempe, y précisa pas si l’bebé était un garçon ou une fille. Pis on l’saura jamais, parce qu’une semaine pis tard, Hunt annonça :

« Le bebé à Dorion est mort. »

Juste queques mots ben frettes pis secs pour une tragédie sans bon sens. Quelle chance qu’a l’avait de survivre, c’te p’tite crotte d’amour-là, dans des conditions d’même? Encore là, parsonne prit la peine d’écrire comment Marie avait réagi. Sûrement que de déhors, a laissait rien paraître, même si a l’avait l’cœur en grénailles.

Le 8 janvier, le groupe arriva chez les Sciatogas. Y’étaient une grosse gang, ben installés dans une trentaine de cabanes, pis comme les Shoshones avaient dit, y’avaient pas moins que 2 000 ch’faux.

Les explorateurs restèrent six jours à c’te place-là, à s’arposer pis à manger. Tellement que, quand y’arpartirent, y’en avait plusieurs qui étaient verts d’avoir abusé des bonnes choses, pis d’autres qui filaient croche après avoir bouffé des racines louches. (J’voudrais ben vous dire c’tait quoi ces racines-là, pour référence future, mais Hunt le précise pas.)

Après ça, ça sert pas à grand-chose que j’vous raconte toute c’qui leu z’arriva dins s’maines d’après – encore des péripéties de plein air extrême version 19e siècle.

Pis finalement, le 15 février, l’expédition Hunt arriva su’l bord du Pacifique. Yé! Enfin! Après toute c’te misère!

Au début, John Jacob Astor, le commanditaire de l’expédition, avait dans l’idée que Hunt fasse le trajet par la terre pour trouver un ch’min fiable tandis qu’un navire, le Tonquin, irait l’arjoindre dans l’Pacifique en faisant l’tour par en d’sour de l’Amérique du Sud.

Le Tonquin s’tait bel et bien rendu, pas plus tard qu’en juin, même. L’affaire, c’est qu’une bonne journée, tandis que l’équipage faisait du commerce avec la nation Tla-o-qui-aht de l’île de Vancouver, un des chefs chiala que les prix avaient pas d’allure.

Pis là, le capitaine du Tonquin, un gros maudit moron de sans-dessein pas foutu de s’gérer l’astie de caractère de cochon, pogna les nerfs, ramassa une des peaux à vendre su’a table pis la frotta dans’face du chef comme si y’avait une grosse tache un milieu du front.

Les Tla-o-qui-aht étaient fâchés noir, mais y dirent rien su’l coup. Y’arvinrent le lendemain, pis quand y furent montés su’l Tonquin sous prétexte de faire du troc, y massacrèrent tout l’monde pis firent le dawa à bord. Plus tard, tandis qu’y r’gardaient pas, des survivants qui avaient réussi à s’cacher mirent le feu au stock de poudre du navire pis le firent exploser. BEDANG!

Bref, c’tait pas mal un échec total de c’côté-là. Pis du côté à Hunt, c’tait pas vargeux non plus : y s’était rendu, mais y’avait ben que trop viraillé comme un épais dins montagnes pour tracer une route commerciale dans l’sens du monde.

Pis Marie, elle, dans toute ça? Après avoir parcouru 2 073 milles, crevé de faim, gelé jusqu’à moëlle pis pardu un enfant, qu’est-cé qu’a l’allait faire?

Entécas, le calme pis le repos, c’tait pas pour tu’suite. Tant qu’à moé, son heure de gloire était encore à v’nir.

Partie IV


Source : Larry E. Morris, The perilous West : seven amazing explorers and the founding of the Oregon Trail, 2013.

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Marie Iowa Dorion : héroïne oubliée pis toffe d’entre les toffes — partie II

Partie I

Parce que là, voyez-vous, si pressé qu’y était de clancher vers le Pacifique, c’te cabochon de Wilson Price Hunt s’était lâché ben que trop de bonne heure dans la saison : la rivière Missouri était encore toute gonflée par les eaux de fonte pis embarrassée d’arbres morts pis d’autres cochonneries.

Bref, ça avançait vraiment pas vite – tellement pas, en faite, que deux mois plus tard, quand Marie et compagnie arrivèrent enfin su’l territoire du peuple des Mandans – dans l’Dakota du Nord à c’t’heure –, une autre expédition partie de Saint-Louis trois s’maines après eux-autres avait eu l’temps de les rattraper.

Pis pour le plus grand malheur de Pierre, c’t’expédition-là était justement celle à Manuel Lisa, c’t-à-dire son ancien boss d’la Missouri Fur Company, pis le gars à qui y d’vait de l’argent. 

Ah pis vous savez pas qui qu’y était là aussi? Nuls autres que la grande Sacagawea pis son mari Toussaint Charbonneau! Y’avaient pogné le lift avec Lisa pour arvenir chez eux, chez les Mandans.

C’pas écrit nulle part si Sacagawea pis Marie se sont parlé à c’te moment-là, mais c’est ben possible : leux maris s’connaissaient ben, pis les deux y jasaient en français pareil comme toé pis moé. L’affaire, c’est que Sacagawea pis Marie avaient pas d’langue en commun. Faique si y’ont piqué une jasette, c’tait avec Pierre pis Toussaint comme interprètes.

Heille, j’aurais-tu aimé ça, moé, être une tite mésange pas loin à faire tchikadi-di-di pis voir c’te rencontre-là? 

J’sais ben pas c’qu’y ont pu s’raconter. Mais si y’avaient pas été pognées avec leux maris comme interprètes, y se s’raient sûrement dit de quoi comme « maudits hommes » : après toute, y’étaient toutes seules de femmes au travers d’une centaine de zouiz des bois crottés pis puants. En plus, c’est crisse, mais Toussaint lui’ssi était porté su’es claques pis su’a bouteille, mais encore pire que Pierre.

D’ailleurs, m’as vous dire une affaire : quand a l’avait 12 ans, Sacagawea avait été enlevée par le peuple des Hidatsas, qui n’avaient faite une esclave. Un an plus tard, Toussaint l’avait achetée ou gagnée au jeu, comme un char ou un voyage dans l’sud, pis a l’avait pas eu pantoute son mot à dire. Pis quand Lewis pis Clark les avait arcrutés, Toussaint pis elle, probablement qu’a l’avait pas eu l’choix d’suivre, sous peine de mornifles pis d’serrage de bras qui laisse des bleus.

C’t’un peu la même affaire pour Marie : comme j’vous ai dit, on sait même pas si a l’avait l’goût de partir en expédition à l’autre boutte du continent ou bedon si Pierre l’avait obligée. Mais vous savez quoi? Dans mon livre à moé, ça montre juste à quel point les deux étaient toffes, des vraies survivantes qui ont faite du mieux qu’y ont pu dans un monde dur qui allait jamais leu laisser d’chance.

Scusez pour l’aparté, mais messemble que c’t’important de mettre les affaires en contexte.

Toujours est-il que pour tu’suite, Lisa, l’ancien boss à Pierre, avait d’autres chats à fouetter qu’son ancien employé. Les gars de l’expédition qu’y avait envoyés dins Rocheuses y’a plus qu’un an étaient jamais arvenus, pis y’avait entendu dire que des trappeurs canadiens s’taient faite tuer par des guerriers des peuples Absaroka pis Arikara.

Bref, les relations avec les Autochtones plus à l’ouest étaient pas vargeuses, pis, bon… c’tait compréhensible. Vous feriez quoi, vous-autres, si une gang d’étranges débarquaient chez vous pour chasser votre gibier, essayer d’vous enfirouaper avec des papiers bizarres pis vous donner la p’tite vérole?

Faique même si y’était en beau maudit que Hunt y aye volé ses hommes, Lisa était prêt à avaler son étron. Comme y’étaient yinque 25 en toute dans son expédition, y se disait que si sa gang pis celle à Hunt voyageaient ensemble, y’avaient plus de chance de s’en sortir vivants. 

Mais si y voulait convaincre Hunt, y’était aussi ben de s’atteler : Hunt avait pas pantoute envie de faire des risettes à un rival, pis McClellan, son numéro deux, était convaincu que Lisa avait grenouillé pour virer les Sioux contre lui pis ses trappeurs l’année d’avant. 

« Si j’vois c’t’astie d’mange-marde de Lisa, m’as l’abattre comme un coyote drette là, le tabarnak! »

Faique, avec les deux expéditions campées une à côté d’l’autre pas loin du village des Mandans, ça prenait yinque une étincelle pour partir une attisée. 

Pis ça aurait ben pu péter quand, un soir, Lisa fit dire à Pierre Dorion qu’y avait affaire à lui. Quand Pierre arriva su’l bateau à Lisa, y’était assis à son bureau, une bouteille de whisky pas loin :

« Salut mon Pierre! Heille, j’te vois la face, là, mais relaxe : viens t’assire pis prendre un p’tit verre, j’ai d’quoi à te proposer. »

Lisa connaissait son homme : jamais que Pierre allait arfuser un whisky. 

— Bon, qu’est-cé qu’t’as à m’dire?
— Gad’, m’as pas passer par quatre chemins. Ta dette, là… 
— Ah calvaire, ch’tais sûr que t’allais m’parler de t’ça! 
— Ouin, mais calme-toé. J’ai besoin d’gars comme toé, pis ça m’a faite ben mal quand j’ai su que t’étais parti avec Hunt. Faique mettons que tu lâchais Hunt pour t’en v’nir avec moé, pis qu’on oubliait toute le reste?
— Heille, penses-tu que j’ai envie d’arvenir avec un crosseur comme toé? Quand on était icitte l’année passée, t’as profité d’moé en m’vendant les affaires quatre fois l’prix parce qu’y avait yinque toé qui avait du stock à vendre!
— Pierre, tu sais ben qu’j’essayais juste de rentrer dans mon argent. J’t’ai jamais tordu un bras pour te faire boire, tsé. Mais entécas, c’est pas comme si t’avais l’choix, parce que j’ai pris un bref de dette contre toé à Saint-Louis. Faique si tu me payes pas pis que tu t’arpointes la face là-bas, tu vas te faire arrêter pis crisser à’prison civile! 

Pierre, en beau fusil, artroussa d’sa chaise pis crissa son camp drette là en lançant une darnière pointe : 

« T’es un astie d’chien sale! Jamais que j’te devrais autant d’argent si tu m’avais pas chargé 10 piasses la pinte de whisky! Que l’yâble t’emporte! »

Juste pour vous expliquer un ti-peu : dans c’te temps-là, tu pouvais vraiment aller en prison parce que tu d’vais de l’argent à quequ’un. Pis même si une pinte du temps, c’tait à peu près un litre, 10 piasses de 1810, ça r’vient à 225 piasses aujourd’hui. Faique oui, c’est vrai que Lisa chargeait les yeux d’la tête. Mais c’est vrai aussi qu’y lui avait pas varsé l’whisky d’force dans l’gorgotton. 

Plus tard, Lisa se pointa au camp Hunt pour emprunter d’quoi. Y v’nait pas pantoute pour Pierre. Sauf que Pierre le spotta, pis y s’garrocha su lui pour y sacrer une volée. 

Lisa, fâché noir, partit à course vers son bateau.

Pierre, convaincu qu’y allait r’venir armé, alla dans sa tente pis arsortit avec deux pistolets. 

Voyant ça, les autres gars de l’expédition Hunt se rangèrent en arrière de lui. 

Lisa arvint avec sa gang pis un gros couteau accroché après sa ceinture. 

La seule raison pour laquelle ça vira pas en échauffourée du yâble avec du sang partout, c’est qu’y s’adonnait à avoir un botaniste, John Bradbury, pis un écrivain, Henry Brackenridge, qui voyageaient avec les expéditions. 

Y’arrivaient de s’épivarder dans la plaine à trouver l’herbe fascinante pis à tirer su des bisons pour le fun quand y tombèrent su c’te scène-là. Comme y’étaient neutres dans la chicane pis que ça leu tentait pas pantoute de rester pognés tu’seuls su’l bord d’la Missouri avec un tas d’cadavres, y s’mirent entre les deux gangs pis réussirent à calmer l’jeu. 

Fiou. 

Mais, heille! C’est l’histoire à Marie, ça là! « Testostérone dans’prairie », c’t’assez pour aujourd’hui.

L’expédition Hunt resta un boutte chez les Mandans jusqu’au mois d’août avant de s’lâcher vers l’Ouest pour la partie la plus toffe du voyage : le Montana, le Wyoming, l’Idaho pis finalement, la traversée des Rocheuses, avant l’hiver à part de t’ça. Méchant contrat. 

Faique y partirent à ch’fal. Y’avait une bête pour deux hommes, mais Pierre s’arrangea pour qu’y en ait un jusse pour Marie pis les p’tits. C’tait ben la moindre des choses.

Y’avait aussi un ch’fal chaque pour les six gars, dont Pierre, qui avaient comme job d’aller chasser l’bison. Mais, m’as vous dire que la chasse était pas vargeuse. Une fois, y durent aller virer assez loin pour trouver d’quoi que quand y finirent par arvirer d’bord, leux traces s’étaient effacées, pis comme le terrain était plate comme un dimanche après-midi, y’avaient rien pour s’arpérer. Y’étaient pardus.

Marie, elle, continuait de suivre l’expédition pis à s’occuper de ses deux p’tits. A d’vait se sentir ben seule au travers de toute c’tes gars-là – des Anglais pour la plupart, pis a parlait pas anglais. En plus, tsé, parler à une « sauvagesse » qui « appartenait » à un autre homme, c’tait pas ben vu. A l’aurait aussi ben pu être invisible. 

Là, ça faisait quasiment une semaine que Pierre pis les autres chasseurs étaient partis : 

« Sont où, don? D’un coup qu’y se sont faite attaquer par des Sioux ou des Shoshones? »

Pis un soir où c’qu’y mouillait des hallebardes, Pierre et compagnie arsoudirent enfin au camp, brûlés raides pis trempés jusqu’à moelle. 

« Pierre! T’es là! »

Son mari avait beau s’comporter comme une vidange avec elle par bouttes, c’te soir-là, y’avait rien d’plusse doux pour le ti cœur à Marie que d’sentir sa chaleur contre elle. 

Vers la fin du mois d’août, y faisait déjà assez frette pour que les ruisseaux commencent à geler pendant la nuite. Y’étaient rendus au Wyoming, au beau milieu des montagnes Rocheuses, pis ça montait comme dans’face d’un singe. Ça descendait aussi raide, pis ça avançait pas vite vite. 

Un beau jour, un des chasseurs arconnut trois grosses montagnes pointues une à côté de l’autre pis annonça, toute content : 

« Juste l’autre bord, c’est l’fleuve Columbia! On a yinque à s’rendre là-bas, pis après, ça va être un pet de descendre en canot jusqu’à l’océan! » 

C’tes trois montagnes-là, Hunt les nomma les « Pilot Knobs », mais plus tard, une gang d’ados attardés les appelèrent les « Trois Tétons », pis c’est le nom qui est resté.

Faique quand l’groupe tomba su la rivière Snake, un affluent du Columbia, Hunt ordonna qu’on abandonne quasiment toutes les ch’faux à un village autochtone pas loin pis qu’on construise des canots pour continuer l’chemin su l’eau. 

Tout l’monde était tellement tanné d’crapahuter – tsé, la rando, c’t’un goût qui s’développe – que l’idée à Hunt passa comme du beurre dans’poêle.

Sauf que la Snake avait un autre nom : « the mad river », la rivière de fou. Tandis que les gars construisaient les canots, deux Shoshones arsoudirent à leu camp, pis quand y comprirent c’que Hunt et compagnie voulaient faire, y s’mirent à faire des sparages qui disaient clairement : 

« Prenez pas c’te rivière-là, astie, vous allez toute finir en écrapou su’é roches! »

Mais bon. Les Blancs, ça s’pense toujours plus fin que l’monde des Premières Nations, faique Hunt changea pas d’idée. 

Câline que Hunt aurait dû écouter les Shoshones! La Snake était pleine de rapides du yâble, pis la gang était tout l’temps obligée de débarquer pour faire du portage. 

Par trois fois, des canots chavirèrent pis plein de stock fut pardu dans les eaux blanches en furie. Pis le 28 octobre, y’arriva d’quoi d’horrible : Antoine Clappin, un voyageur canadien français expérimenté qui était pratiquement né avec une pagaie dins mains, fonça drette dans une grosse roche au milieu des rapides pis disparut pour pu jamais être artrouvé. 

C’tait la première fois que Hunt pardait un gars dans son expédition, pis ça y rentra d’dans pas pour rire. Y fut obligé d’se rendre à l’évidence : si y s’obstinaient à continuer en canot, y’allaient toute finir comme Clappin. 

« Ok, on laisse les canots là pis on continue à pied! »

Rendu là, y tombait déjà d’la grosse neige mouilleuse, pis y faisait frette, tellement frette! À cause de c’qui avait été pardu avec les canots, le groupe avait pu yinque pour cinq jours de provisions. Les chasseurs avaient beau essayer, y trouvaient yinque du castor; pis l’castor, ça fait des beaux casses de poil, mais ça fait pas des gros lunchs. 

Les gars faiblissaient de jour en jour, pis plus y v’naient faibles, plus y v’naient lents. Si y trouvaient pas d’l’aide ben vite, y’allaient toute mourir de faim gelés comme des crottes entre deux sapins. 

Marie, elle, endurait toute en silence, son plus vieux qui marchait à côté d’elle pis son plus jeune su son dos. En faite, a faisait tellement ça comme une championne qu’a l’inspirait les hommes à toffer sans chiâler pis à continuer d’avancer.

Pis c’qu’y savaient pas, c’est qu’en plus de toute ça, Marie était enceinte de six mois.

Partie III


Source : Larry E. Morris, The perilous West : seven amazing explorers and the founding of the Oregon Trail, 2013.

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Marie Iowa Dorion : héroïne oubliée pis toffe d’entre les toffes — partie I

La mode, aujourd’hui, on dirait que c’est de s’mettre dans l’trouble par exprès. Genre, rentrer dans l’bois vendredi après la job avec yinque une couvarte, un canif pis un 2 litres de Pepsi vide pis essayer d’arsortir de d’là idéalement pas mort rendu au dimanche. C’t’un genre d’artour aux sources, un moyen d’artrouver l’Cro Magnon en dedans de nous-autres – s’crisser volontairement à des places pis découvrir comment c’qu’on va réussir à r’tourner au char.

Ch’comprends ça, tsé. Mais ça montre yinque à quel point la vie d’à c’t’heure est rendue loin des vraies affaires.

Parce qu’en 1813, quand la courageuse madame métisse Marie Iowa Dorion s’est artrouvée pognée pour survivre tu’seule au beau milieu des Rocheuses en plein hiver avec ses deux p’tits gars pis pu rien à manger, tandis que l’monde qui avaient tué son mari rôdaient dins parages, a faisait pas ça pour « arpousser ses limites pis développer son plein potentiel ». Pour elle, c’tait yinque la vie, tout court.

Pour vous mettre en contexte, j’vous transporte à Saint-Louis, au Missouri.

C’te ville-là avait été fondée en 1764 dans c’qui s’appelait la Haute-Louisiane, un territoire qui appartenait encore à’France même après que Québec soye passée aux mains des Anglais. Comme vous d’vez vous en douter, la place était bourrée de Français, de Métis pis d’Autochtones qui parlaient l’français en plus de leu langue maternelle.

En 1803, Napoléon avait fini par vendre la Haute-Louisiane aux États-Unis. Pis là, y’avait pu rien qui empêchait les z’Amaricains de traverser l’continent d’un bord à l’autre. Faique le président Thomas Jefferson avait dit :

— Faique on va envoyer du monde dans l’Ouest pis on va s’rendre jusqu’à l’océan Pacifique!
— Euh… Pourquoi?
— Parce qu’on est des z’AMARICAINS pis on a l’DOUA.
— Ok…
— Pis pour le cash. Surtout pour le cash.
— Ah! ben crère…

Pis Saint-Louis, justement, ça faisait un christie d’bon point de départ pour s’lâcher à’découverte de l’Ouest.

Donc, en 1804, les explorateurs Meriwether Lewis pis William Clark partirent de d’là avec une quarantaine d’hommes dans l’idée de s’rendre en Oregon, su’l bord du Pacifique. C’tait une saint simonac de trotte d’environ 7 000 km dans’grosse nature sauvage pis l’inconnu! Su’l chemin, y se ramassèrent un couple d’interprètes : Toussaint Charbonneau, Canadien français pis p’tit gars de Boucherville au Québec, pis sa femme Sacagawea, Autochtone de la nation des Shoshones.

Sacagawea, c’tait toute qu’une créâture : malgré toutes les dangers qu’y avait su’l chemin, a s’rendit jusqu’au boutte, son bébé accroché après elle. En plus, a connaissait l’territoire, a trouvait des plantes qui se mangent pis d’autres qui soignent, a fabriquait du linge pis des mocassins pis a négociait avec les peuples des Premières Nations quand y’en croisaient. A l’a sauvé l’cul à Lewis pis Clark ben des fois, pis j’vous dis, a mériterait que j’raconte son histoire yinque à elle une autre fois.

Entécas, l’expédition arriva su’a rive du Pacifique en novembre 1805. C’tait toute qu’un exploit.

Mais là, la trail était tapée. C’tait yinque une question de temps avant que d’autre monde la suivent.

Pis c’est là qu’arrive notre Marie Iowa Dorion.

— Voyons, veux-tu ben m’dire quand a va partir, la maudite expédition? Ch’t’à boutte de voir ton maudit air bête évaché su’l bord du feu après boire pis t’rôtir les s’melles de bottes! Être su’l chômage pendant trop d’temps, ça te fait jusse pas, Pierre.
— Ah, crisse-moé don patience, Marie. L’expédition partira ben quand a partira! Là, apporte-moé une autre O’Keefe pis dis aux flos d’arrêter d’crier d’même, j’ai mal à’tête.

Marie était d’la nation des Báxoje, qu’on connaît plusse sous le nom d’Iowa. Son père était Canadien français, mais on sait pas trop c’tait qui. En 1811, a l’avait 25 ans pis a l’était mariée avec Pierre Dorion, guide pis interprète Canadien français. A l’avait deux p’tits gars : Baptiste, 4 ans, pis Paul, 2 ans.

Son trip, c’tait d’accompagner Pierre dans ses expéditions. Rester plantée là comme un piquette en attendant que l’mari arvienne, elle, c’tait pas son genre. A l’adorait l’aventure pis le voyagement, beau temps mauvais temps, pis a l’amenait même les enfants.

Le problème, c’est que Pierre, tellement fin pis drette pis fiable en temps normal, devenait vite un gros soûlon violent quand y s’tournait les pouces entre deux voyages de traite. Ça y’arrivait de crisser des claques à Marie, pis Marie, elle, a s’vengeait en y câlissant des coups d’chaudronne par la tête quand y dormait :

« Quins, mon astie! »

Bref, c’tait pas vivable dans’maison. En plus, ça faisait des s’maines que Pierre pis Marie étaient dus pour partir en expédition avec la Missouri Fur Company, mais ça finissait pu de niaiser, pis y’étaient pognés à Saint-Louis.

« M’as t’en faire, moé, une autre O’Keefe, pensa Marie. J’en ai mon crisse de tas. M’as y’arranger ça, moé. »

Faique Marie sortit de chez eux pis alla faire un ti tour en ville.

A savait que ça brassait dans l’monde d’la traite des fourrures : v’là pas longtemps, un gars du nom de Wilson Price Hunt était débarqué à Saint-Louis pis y débauchait toute c’qui avait de chasseurs, de voyageurs, d’interprètes pis de gars d’montagnes pis d’rivières, faisant sacrer ben gros les autres compagnies d’la place.

C’tait parce que son boss, un gros plein d’cash du nom de John Jacob Astor, y’avait donné une mission : ni plus ni moins qu’arfaire l’expédition de Lewis pis Clark pour ouvrir pour de bon la route du Pacifique pis monopoliser l’marché des fourrures dans l’Ouest.

Marie savait que Hunt voulait partir drette en mars, avant même que la neige soye toute fondue. A trouvait ça ben d’adon, faique a l’alla voir les recruteurs :

— Heille bonjour. Un gars comme Pierre Dorion, toé, ça te tenterait-tu t’engager ça?
— Hein! Pierre Dorion! LE Pierre Dorion, là? Y s’charche d’la job?
— Ouin, drette ça. C’est mon mari pis y m’a d’mandé de v’nir m’informer pour lui.
— Ben crère qu’on aimerait l’avoir! C’est un des meilleurs!
— Bon ben y s’rait intéressé à partir avec vous-autres. Y’a yinque une condition.
— C’est quoi?
— Faut que moé pis mes deux garçons, on vienne aussi.

Là, le recruteur était pas trop sûr.

« Menute, m’as aller parler à mon boss. »

Hunt lui non plus était pas sûr, mais y’était tellement content de pouvoir engager un gars d’la réputation à Pierre Dorion qu’y finit par accepter.

C’est clair que Marie avait entendu parler de Sacagawea : les deux étaient Autochtones pis femmes de coureurs des bois d’la région de Saint-Louis, pis l’milieu d’vait pas être si grand qu’ça. Comme elle, Marie allait être la seule femme dans une gang de gars partis pour un voyage de fou. En s’embarquant là-dedans, a s’disait-tu qu’a l’allait suivre les traces d’une femme qu’a l’admirait? La question s’pose.

« Bon. Ch’connais Pierre : y doit d’l’argent à son boss d’la Missouri Fur Company pis y voudra pas s’mettre dans’marde en partant avec quequ’un d’autre. Mais, moé, j’m’en sacre : ch’tannée d’être icitte pis d’manger des claques su’a yeule. J’veux ravoir mon mari qui est fin pis qui m’traite comme du monde. »

Fallait qu’Marie trouve un moyen d’faire embarquer Pierre su un des bateaux à Wilson Price Hunt, vu que la première étape de l’expédition allait être d’armonter la rivière Missouri.

Marie d’vait avoir pour son dire que l’meilleur moyen pour qu’un homme fasse c’que tu veux, c’est de’l pogner par les vices. Entécas, c’est ça qu’a fit avec Pierre. Faique, la veille du départ, a s’montra extra serviable :

« Veux-tu une autre O’Keefe, mon chéri? »

« Encore une autre p’tite? »

« Ch’pense qu’y reste une Black Label, mais est tablette par’zempe… »

Avant longtemps, Pierre était saoul mort.

On connaît pas trop les détails, mais après ça, Marie aurait paqueté ses petits pis s’rait allée charcher des gars de l’expédition pour qu’y ramassent Pierre pis l’emmènent su’l bateau.

Rendu au matin, Pierre, su’l lendemain de brosse solide, comprit qu’y était parti pour le Pacifique.

Y’était pas d’bonne humeur.

Devant les membres d’équipage trop jambons pour l’arrêter, y se mit à hurler pis à fesser su Marie, pis après, y se crissa à l’eau en criant :

« MANGEZ TOUTE D’LA MARDE, MOÉ J’ARTOURNE À SAINT-LOUIS! »

Plouf.

Y’avait comme un malaise. Tout l’monde était resté frette, sauf Marie, pour qui c’tait yinque un matin ben normal avec Pierre su’a dérape :

« Inquiétez-vous pas, vous avez yinque à me faire débarquer, à m’donner un ch’fal pis à m’attendre un ti peu. M’as vous l’ramener, moé. »

Comme de faite, queques heures après, les gars de l’expédition Hunt virent arsoudre Marie avec Pierre à la traîne. Pis j’vous dis qu’y filait doux.

Là, faut que j’vous dise une affaire : y’a pas jusse une version de c’qui s’est passé au début de l’expédition.

Y’a celle-là que j’vous ai contée : c’est la version à notre Serge Bouchard national, l’Bonyeu aye son âme. J’ai vu ça dans un des livres qu’y a écrits pis j’me sus dit, si c’te varsion-là est bonne pour lui, a doit être bonne pour moé.

Mais y’en existe une une autre où c’que Pierre se s’rait engagé lui-même dans l’expédition Hunt pour se sauver de sa dette pis y’aurait exigé que Marie pis les flos viennent avec lui. Ça a ben du sens. L’affaire du débarquage du bateau, on l’artrouve pareil, mais ça se passe pas exactement d’la même façon.

Ça a d’l’air que, queques jours après l’départ, la chicane aurait pogné su’l bateau, pis Pierre aurait battu Marie. Marie, légitimement en tabarnak, s’rait débarquée du bateau avec les flos pis se s’rait sauvée dans l’bois. Pierre pis les autres l’auraient charchée une journée de temps sans la trouver, pis Pierre aurait passé la nuit d’boutte à filer cheap pis à s’inquiéter pour sa femme pis ses p’tits gars. Finalement, Marie s’rait réapparue su’l bord d’la rivière le lendemain matin pis aurait d’mandé à rembarquer.

On saura jamais comment ça s’est vraiment passé, mais m’as vous faire une confidence : moé, j’aime ben mieux la version où c’que Marie prend les choses en main.

Faique la gang à Wilson Price Hunt pouvait partir pour de bon. Youhou! Aventures! Découvertes! Argent! Gloire! Plaques commémoratives pis centres communautaires à leu nom dans 200 ans!

Mais avant d’défier les montagnes, les rivières, le frette, la faim, les bêtes sauvages pis les nations autochtones qui voulaient rien savoir des étranges su leux territoires, y’allaient s’faire rattraper par toute c’qu’y avaient laissé de pas réglé à Saint-Louis…

Partie II


Source : Bouchard, Serge et Lévesque, Marie-Christine. De remarquables oubliés tome 1 : Elles ont fait l’Amérique, Lux Éditeur, 2011.

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La Sainte Couronne de Hongrie : quequ’un comme toé pis moé (ou presque) – partie II

Partie I

Bon. J’vous le promets, là : à soir, vous allez savoir pourquoi la croix su’l dessus d’la Sainte Couronne est croche. Ou entécas, comment on pense qu’est v’nue croche.

Faique quand Charles-Robert mourut, son fils Louis y succéda.

Y’avait yinque un problème : Louis avait jusse des filles, pis son frére André, qui aurait pu y succéder, avait été assassiné – étranglé avec un cordon pis crissé par la fenêtre les culottes baissées avec une corde attachée autour des gosses –, supposément sur les ordres de sa femme, Jeanne de Naples.

Bref, ça r’gardait mal pour la succession.

Parce que comme on l’a vu tantôt, en Hongrie, les rois étaient comme semi-élus par les grands seigneurs du royaume, pis eux-autres, y juraient yinque par le zouiz.

Louis fit promettre aux seigneurs d’accepter sa fille Marie comme reine. Mais, ben crère : y’était à peine frette dans sa tombe, pis Marie v’nait à peine de se mettre la Sainte Couronne su’a tête, que déjà, ça se mit à brasser d’la marde pour mettre un homme à sa place.

À ce moment-là, Marie avait yinque 11 ans, pis c’est sa mére qui se battit comme une démone pour défendre son droit. Dans les années de bordel total qui suivirent, les deux se firent pogner par leux ennemis, pis la reine-mére fut étranglée drette en avant de sa fille. Finalement, les nobles battes furent satisfaits quand Marie se maria avec Sigismond de Luxembourg, empereur du Saint-Empire, pis qu’y fut couronné officiellement comme co-souverain.

Malheureusement, queques annéesaprès, Marie, enceinte, eut une bulle au cerveau pis partit tu’seule pour aller chasser. Dans l’fond du bois, son ch’fal s’enfargea, Marie prit l’bord, son ch’fal y tomba d’ssus pis a mourut.

Faique Sigismond, qui arsemble à mon mononcle Jocelyn avec un glorieux casse de poil, resta comme seul roi de Hongrie.

Impossible que ce gars-là ait pas de skidoo ni de terre à bois.

Y s’armaria avec une madame appelée Barbe, pis y’eut yinque une fille, Élizabeth. Toute allait arcommencer.

Sauf qu’Élizabeth réussit à éviter l’pire en se mariant avec Albert du Saint-Empire, alias Tête-de-Gland, pis en le faisant aussi couronner comme co-souverain.

Tête-de-Gland.

Mais là, en 1439, Tête-de-Gland trépassa, laissant dans le deuil sa femme pis deux filles. Pas encore!

Mais pas si vite : Élizabeth était enceinte. D’un coup ça soye un gars?

Comme d’habitude, y’eut une élection. Dans c’temps-là, les Turcs commençaient à faire du trouble aux frontières, faique l’assemblée des nobles battes décida que ça prenait un homme viril qui s’mettrait la flamberge au vent pis qui s’érigerait en défenseur du royaume. Vous voyez ce que je veux dire.

Faique, y’élirent Vladislas III, roi de Pologne – un flo de 16 ans, c’est-tu assez insultant! – comme roi de Hongrie.

Élizabeth fit mine d’être d’adon, mais pas longtemps après, a partit en douce de la capitale avec sa bedaine pis ses partisans. Pis la veille, a l’alla voir Hélène Kottaner, une de ses dames de compagnie :

« Chus sûre que j’vas avoir un gars, pis j’veux l’faire couronner avant que l’autre Polonais s’pointe la face icitte. Tu volerais-tu la Sainte Couronne pour moé? T’es la seule à qui ch’peux faire confiance! »

Heille, c’tait une méchante faveur, ça! C’tait pas comme prêter une perceuse ou aller charcher les p’tits à’garderie : si Hélène se faisait pogner, sa tête risquait de rouler dans’garnotte sur un moyen temps, pis ses flos s’artrouveraient orphelins.

Mais à c’qu’on dit, le vrai courage, c’est de faire c’qui faut même si on shake dans ses pichous. Pis c’est c’qu’Hélène fit. A s’en alla au château de Visegrád, y’où ce qu’y gardaient la Sainte Couronne, sous prétexte qu’a l’allait arjoindre les autres dames de compagnie d’Élizabeth.

Quand tout l’monde fut ben canté, Hélène se l’va pis, avec deux gars qui s’taient offerts pour l’aider, rentra dans l’corridor qui m’nait à’salle des joyaux d’la couronne. Pis là, dans un suspense digne des meilleures vues d’bandits, Hélène guetta l’boutte du passage pendant que ses deux complices limaient les serrures des autres portes.

Par deux fois, Hélène eut l’impression que ça menait du train l’autre bord du mur, comme si une gang de gars armés s’en venaient les pogner. Finalement, parsonne se montra la face, pis Hélène était tellement contente qu’a promit au Seigneur de faire un pèlerinage nu-pieds au sanctuaire d’la Sainte Vierge.

Les gars finirent par arsortir avec la Sainte Couronne. Y remplacèrent les serrures qu’y avaient limées pis arbarrèrent toute comme avant. Hélène cacha la couronne dans un coussin, au travers d’la bourrure.

Le lendemain matin, sûrement ben maganée de sa nuite, Hélène embarqua dans son traîneau (c’tait l’hiver) avec le coussin pis partit trouver sa maîtresse avec les autres dames de compagnie. Su’l gros nerf, a l’arrêtait pas d’argarder en arrière pour voir si a l’était suivie.

Y’eut ben un ti moment de terreur quand un des traîneaux rempli de madames passa au travers des glaces du fleuve Danube, mais heureusement, parsonne tomba à l’eau. Autrement, Hélène réussit à s’rendre sans problème jusqu’à Élizabeth pour y donner la Sainte Couronnne queques heures à peine avant qu’a l’accouche d’un p’tit gars.

C’tu là que la croix aurait été crochie? Y’en a qui pensent que oui. Mais Hélène, ça m’a l’air de quequ’un d’fiable, pis a dit dans ses mémoires qu’elle a fait hyper attention de pas s’asseoir su’l mauvais coussin pis d’effoirer la couronne avec son popotin.

Y’a une autre affaire, aussi : là, on est au 15e siècle, pis la croix commence à être croche su les dessins à partir du 17e. Y’a une autre théorie – on en reparle dans deux siècles.

Entécas, Élizabeth fit couronner son fils, qu’a l’avait appelé Ladislas. La Sainte Couronne était tellement grosse que le p’tit aurait pu s’assire dedans, faique pendant la cérémonie, un cousin à Élizabeth fut obligé de la tenir au-dessus du p’tit qui braillait toutes les larmes de son ti corps. Y dut trouver l’temps long en maudit.

Quand Vlad III de Pologne se pointa en Hongrie, y se fit couronner lui avec, mais avec une couronne pognée dans la tombe de saint Étienne.

Élizabeth était ben décidée à tasser Vlad pour mettre son p’tit Ladislas su’l trône, mais a mourut deux ans après, probablement assassinée. Faique Ladislas alla rester chez Frédérick III, empereur du Saint-Empire, un cousin à son pére.

Deux ans plus tard, arbondissement : Vlad III de Pologne mourut décapité par les Turcs à la bataille de Varna, pis son corps fut jamais artrouvé. Les Turcs, ben contents d’leu coup, immortalisèrent l’étêtage dans c’te peinture-là :

Faique le temps qu’y soye déclaré mort pis que les seigneurs finissent de se chicaner, c’est yinque en 1452 que Ladislas put s’assire sur le trône qui y’arvenait de droit.

Rendu là, y’avait l’air d’une annonce de Pantene avec un pinch mou :

Pis ça a l’air qu’y trippait ben gros sur Harmonium.

Malheureusement, après toute c’te trouble-là, prince Boucle-d’or mourut à 17 ans – y’en a qui disent de la peste, d’autres de la leucémie.

Faique après une autre guerre civile – parce que ça en prenait absolument une – c’est Matthias Corvinus, un jeune noble hongrois, qui fut élu roi.

À c’te moment-là, c’tait encore Frédérick III, le tuteur à Ladislas, qui avait la Sainte Couronne. Faique en échange, y d’manda 80 000 florins d’or, ou 14,5 M$ d’à c’t’heure. Se sachant tenu par les gosses, Matthias accepta de payer, pis la Sainte Couronne artourna enfin chez elle en 1464, après 24 ans au yâble au vert.

Là, on saute jusqu’au 16e siècle. Les Turcs se faisaient de plus en plus dangereux, pis c’est un homme, Louis II, qui était roi. Mais son hommitude y sarvit pas à grand-chose à la bataille de Mohács : toute son armée fut effoirée en deux heures, pis lui, y se sauva la queue entre les jambes. En essayant de monter une côte trop à pic su son ch’fal, y tomba su’l dos dans un ruisseau pis mourut nèyé parce que son armure était tellement pesante qu’y a pu été capable de s’arlever.

Ça, c’est quand y’a été artrouvé :

À partir de là, les Turcs se mirent à gruger de plus en plus le territoire hongrois. D’leu bord, les nobles battes élirent DEUX rois différents en dedans d’un an, pis les deux furent couronnés avec la Sainte Couronne. C’tait une période mêlante.

Entécas, au 17e siècle, même si les Turcs occupaient la capitale, c’tait Ferdinand III de Habsbourg qui régnait su la Hongrie, quand y’avait le temps au travers de ses 15 000 autres jobs, comme roi d’Allemagne, archiduc d’Autriche, empereur du Saint-Empire, roi de Bohême – la liste est tellement longue que même Wikipédia s’écœure avant la fin pis écrit « etc. etc. »

Sa première femme était sa cousine, Marie-Anne d’Espagne.

(Marier sa cousine : mal vu quand t’es un Tremblay du Lac-Saint-Jean, pis parfaitement correct quand t’es un roi avec plus de titres qu’un catalogue de maison d’édition.)

Entécas, quand Marie-Anne se maria avec Ferdinand, y fallut qu’a fasse la run de lait, c’est-à-dire être couronnée reine de toutes les affaires que son mari était roi de. Faique on la comprend d’avoir l’air légèrement à boutte :

Le 14 février 1638, c’tait le jour de son couronnement comme reine de Hongrie. Les reines étaient couronnées avec la première couronne du bord, mais ça prenait la Sainte Couronne quand même : la coutume, c’tait de donner une tite bine su l’épaule d’la reine, comme pour dire, heille, toé’ssi t’as d’affaire dans l’régnage!

Dans ces temps-là, la Sainte Couronne était gardée à Vienne, la ville principale des Habsbourg, pis le couronnement avait lieu à Bratislava, vu que la capitale hongroise était occupée.

Faique toute était prêt : l’archevêque était là, la reine était là, la noblesse était là, les enfants d’chœur chantaient pis toute le kit. Y manquait yinque une affaire : la Sainte Couronne.

M’aginez-vous que le noble viennois qui s’en occupait avait apporté l’coffre avec la couronne dedans, mais qu’y’avait pas apporté la bonne clé! Le palatin (j’vous rappelle, ça c’est le plus haut fonctionnaire du royaume) était en tabarnak :

— Maudit gnochon, c’pas vrai, là?
— Ben, j’m’excuse! Y’a tellement de clés après c’te trousseau-là, ch’tais sûr que j’avais la bonne!
— Astie, qu’est-cé qu’on fait? On est pas pour dire à tout l’monde d’arvenir demain!

Faique y’appelèrent un serrurier.

— Heh boy! Y’a combien de straps en fer après c’te coffre-là?
— Quatorze.
— Simonac! C’est ben d’valeur, Vos Altitudes, mais si ça presse tant qu’ça, moé là, j’ai pas l’temps d’mettre des gants blancs. Va falloir que ch’fesse.
— N’importe quoi, tant que tu nous sors la couronne de d’là au plus crisse.
— Bon ben, advienne que pourra, d’abord!
*PONG*
*PING*
*PING*
Mon torrieux, veux-tu ben ouvrir!
*PROK*
*KROK*
Heille, mon astie d’enfant d’ch…
*SPLONK*
Bon!

Le serrurier ardonna l’coffre au palatin. En dedans, y’avait un autre coffre plus p’tit en cuivre, pis y’était bossé comme une aile de char après un accrochage. Ça r’gardait mal, mais le fonctionnaire se laissa pas décourager :

« Donnez-moé un couteau, m’as la sortir par en d’sour. »

Y découpa l’fond d’la boîte en cuivre, pis ploc, la Sainte Couronne y tomba dins mains, fort probablement avec son air d’à c’t’heure, avec la croix cantée pis les deux arches tout teur. 

Après… y’essayèrent-tu d’la réparer? Mystère. C’qu’on sait, c’est que la Sainte Couronne resta sortie pas mal plus longtemps que d’habitude avant d’artourner à Vienne, au moins parce qu’y fallut y’argosser un autre coffre. C’qui est sûr, c’est qu’après, tout l’monde fit comme si la croix avait toujours été d’même.

Dins siècles qui suivirent, la Sainte Couronne resta tout l’temps dans la famille des Habsbourg, en passant entre autres par – Jésus Marie Joseph! – une créâture, l’impératrice Marie-Thérèse. Les nobles battes durent s’étouffer su leu chique.

Son successeur, Joseph II, voulut rien savoir de se faire couronner, faique les Hongrois le surnommèrent « le roi au chapeau » pis, essentiellement, se torchèrent avec ses édits pis ses décrets. Quand même, c’est à la fin de son règne, en 1790, que la Sainte Couronne arvint enfin en terre hongroise. Les Hongrois étaient tellement contents qu’y firent le party dins rues, accrochèrent des guirlandes partout pis composèrent des tounes en son honneur.

La couronne était quand même pas au boutte de ses aventures.

En 1848, y’eut la Révolution hongroise.

L’empereur Ferdinand 1eravait adopté des lois pour transformer la Hongrie en monarchie constitutionnelle, avec un parlement pis toute; mais son successeur, François Joseph (le beau Franz à Sissi avec le cou raide, dans les films) avait décidé de mettre la hache là-dedans sans raison.

En crisse, les Hongrois se révoltèrent. Y’eut une guerre. Les Hongrois pardirent.

Pour échapper à l’empereur, le premier ministre se poussa en Turquie, non sans faire une dernière vacherie : y pogna la Sainte Couronne pis le reste des cossins sacrés du couronnement pis enterra toute ça dans une swompe à la frontière. Les autorités impériales durent charcher dans’bouette pendant quatre ans avant des artrouver.

Charles, le successeur à François Joseph, fut le darnier à porter la Sainte Couronne. C’tait comme écrit dans l’ciel — argardez comme y’avait l’air tata avec sa couronne trop grande :

Charles à son couronnement avec sa femme, Zita de Bourbon-Parme, pis son garçon, Otto.

Après la Première Guerre mondiale, la monarchie fut abolie. Pis à mesure qu’on s’approchait du monde d’à c’t’heure, la Sainte Couronne devint plusse un symbole qu’autre chose, mais quand même un symbole national super important pour les Hongrois.

La Sainte Couronne s’épivarda une darnière fois pendant la Deuxième Guerre mondiale, pis c’te fois-là, a l’alla pas mal loin.

Le gars qui dirigeait la Hongrie, l’amiral Miklós Horthy, avait tellement la chienne du communisme qu’y préféra s’allier avec Hitler plutôt que de risquer une invasion par les Russes.

Mais quand l’Armée rouge commença à avancer sans que parsonne puisse l’arrêter, Horthy enterra la Sainte Couronne et ses cossins queque’part en Allemagne.

C’est les Américains qui la ramassèrent, pis a passa un bon boutte d’la guerre froide dans un coffre-fort à Fort Knox , aux États-Unis.

Finalement, en 1978, le secrétaire d’État des États-Unis ardonna la Sainte Couronne à la Hongrie, pis a bougea pu jamais du Parlement hongrois après ça.

Faique c’est ça! Un casse en or qui a eu une vie plus excitante et arbondissante que la majorité de nous-autres.

Quand l’astie d’pandémie va être finie, on s’organise-tu un voyage en gang pour aller la voir… en parsonne?


Source : László Péter, « The Holy Crown of Hungary, Visible and Invisible », The Slavonic and East European Review, 2003.
Hélène Kottaner, Les mémoires d’Hélène Kottaner, 1440.
Géza Pálffy, A Szent Korona és a koronaláda balesete 1638-ban, 2007.

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Le road trip de sainte Ursule

Le 21 octobre 1520, quand l’explorateur portugais João Álvares Fagundes « découvrit » l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, pas loin de Terre-Neuve (les Micmacs pis les Béothuks étaient là, « Comment ça, « découvert »? Ça fait un christie d’boutte qu’on connaît ça, nous-autres! Y’avaient yinque à nous l’demander! », mais entécas), y’appela ça « l’archipel des 11 000 Vierges ».

Là, je l’sais c’que vous pensez : le bonhomme, ça faisait trop longtemps qu’y était en mer avec une gang de gars à l’odeur musquée pis au sourire toute scorbuté, faique y commençait à halluciner des pitounes.

C’est pas impossible; mais la vraie raison, c’est que le 21 octobre, c’est la fête de sainte Ursule qui, selon la légende, aurait fait un Piété World Tour au Moyen-Âge accompagnée de 11 000 vierges, pour finalement s’faire massacrer par les Huns.

Alors voir ça d’plus proche, grâce à une série de peintures d’un maître inconnu qui appartenaient aux Sœurs augustines noires de Bruges.

Donc. Ursule était une princesse bretonne (mais la Bretagne, dans le sens, l’île de Bretagne, l’Angleterre d’à c’t’heure) qui était don fine, pis bon belle pis don sage pis don pieuse. Tellement qu’un roi barbare païen de Germanie, en n’entendant parler, se dit :

— Heille, ça f’rait une tabarslak de bonne épouse pour mon gars, ça! C’ten penses-toé, fils?
— Mets-en, Popa! Ursule, là, fiourf!!! J’y f’rais pas mal en estie! Est chaude comme le rond du poêle!

Faique le roi envoya un messager pour arranger ça :

Faique wouptidou, s’en fut le messager pour trouver le roi de Bretagne pis demander la main à Ursule.

Le roi était ben mal pris : y’avait pas envie pantoute de donner sa très chrétienne fille à des adorateurs d’idoles, mais y’avait encore moins envie de finir la tête sur une pique.

Mais Ursule, Miss Parfaite 385, avait une solution toute prête :

« P’pa, c’correct, m’as l’marier, leu prince. Mais avec des conditions : toé pis lui, vous allez m’donner 10 vierges pour me t’nir compagnie, pis à moé pis à c’t’elles-là, 1000 vierges chaque; vous allez nous équiper de gros bateaux pour qu’on se rende là-bas; après, va falloir que le prince attende trois ans avant d’coucher avec moé, pis qu’y s’convertisse pendant c’temps-là. »

Faique là, si j’compte bien, ça fait Ursule, 10 vierges, plus 11 000 vierges, donc techniquement, ça fait Ursule plus 11 010 vierges? Entécas. Imaginez trouver AUTANT de vierges à une époque de même, où la population était loin d’être celle d’à c’t’heure. Y’ont ben dû vider les campagnes au complet, pis les gars célibataires du royaume ont dû faire une manif dins rues en brandissant leux fourches. Leux fourches pour le foin, j’veux dire.

Quand le roi barbare, entendit ça, y fit toute qu’une face :

— Voyons, elle, pour qui qu’a s’prend? 11 000 vierges pis une conversion à leur dieu de moumoune broché sur une croix! Est-tu mala—
— C’EST CORRECT, P’PA! M’a toute faire c’qu’a dit, pas de trouble. M’as apprendre la Bible au complet à n’endroit pis à n’envers si y faut!

Devant l’enthousiasme de son fils, le roi barbare avala son étron pis fit toute ce qu’Ursule avait demandé.

Pis là, vint le moment pour Ursule de faire ses adieux à ses parents :

Après ça, ça dépend des versions.

Dans une, yinque comme Ursule et ses 11 000 vierges (ça f’rait un bon nom d’orchestre, vous trouvez pas?) partaient en bateau, une tempête a pogné pis les a poussées jusqu’à Cologne, en Allemagne. Ça prenait une tempête qui savait c’qu’a faisait pis qui avait du visou en astie, parce que pour ça, fallait que les bateaux armontent tu’seuls un bon boutte du Rhin en dedans des terres!

Dans l’autre version, plus l’fun pis moins tirée par les ch’feux, Ursule aurait dit :

« D’la marde, les filles! On a des bateaux pis l’cash de ma dot, faique on décrisse pis on va à l’aventure! »

D’une façon ou d’une autre, la gang de filles se rendirent à Cologne. Pis là, Ursule rencontra un ange :

Faique Ursule écouta l’ange pis clancha à pied pour Rome, son armée de vierges qui la suivait. Y’a aussi l’évêque de Bâle qui décida d’aller avec eux-autres.

À Rome, Ursule et ses Baronnettes furent accueilli par le pape Cyriaque, qui s’adonnait à être de la même place qu’Ursule pis qui était ben content de voir 11 000 de ses compatriotes. Y les reçut comme des invitées d’honneur pis décida même d’arpartir avec elles :

Ursule, les 11 000 vierges, l’ex-pape, une couple d’évêques, le roi, sa femme et le p’tit prince, pis Papa Ours, Maman Ours pis Bébé Ours prirent le chemin de Cologne, dévastant la campagne à cause de leur appétit vorace. (Sérieux, c’était quoi, la logistique, à la gang qu’y étaient? Y dormaient où? Y mangeaient quoi? Les villageois étaient-tu là, « ah non, pas encore c’te gang-là, les granges pis les caveaux sont vides »?).

Pis quand y’arrivèrent enfin, y furent attaqués par une gang de Huns. SURPRISE! Dieu leur avait donné l’immense privilège de devenir martyrs pour leur foi!

Y furent tous massacrés. Sauf que quand le chef des Huns vit la belle Ursule, y lui dit :

— J’te donne la vie sauve, mais faut qu’tu me marises.
— J’aimerais mieux laver les bécosses du treizième sous-sol de l’enfer!

Le chef des Huns, à qui ses parents avaient pas montré à gérer ses émotions pis à dealer sainement avec le rejet, ordonna aussitôt à un de ses archers de tuer Ursule :

Faique voélà l’histoire de sainte Ursule! La prochaine fois que quequ’un va avoir une surprise pour vous-autres, ben dites-vous que c’te mot-là veut pas nécessairement dire la même chose pour lui que pour vous!