Le Noël ukrainien

C’est quoi le lien entre Noël, le Carnegie Hall, une hirondelle, une séduisante créâture slave aux sourcils noirs, François Pérusse pis l’combat des Ukrainiens pour leu z’identité nationale pis leu liberté?

Une toune : Carol of the Bells, que queques’uns appellent « Le chant des cloches » en français.

Bon. Si ch’tais en face de vous autres, j’vous régalerais les oreilles en vous chantant un ti-boutte d’la mélodie, pour être sûre que tout l’monde sache de quoi ch’parle.

Mais, ch’pas là, faique m’a d’mander à YouTube à’place. Allez écouter ça icitte, m’as vous attendre.

Ché pas pour vous autres, mais c’te toune-là me fait brailler. A l’a quelque chose de touchant. Pas les paroles en tant que tel – les cloches sonnent, youhou c’est Noël on a du fun, c’est rien de ben spécial.

C’est la mélodie qui vient me chercher. A l’a queque’chose… d’ancien? Comme si les quatre notes qui s’répètent tout le long d’la toune, ding dong ding dong, c’tait comme un restant d’un passé tellement vieux, tellement loin, qui s’perd dins limbes fatiquées d’notre mémoire collective.

Entécas, j’avais jamais réussi à mettre le doigt su pourquoi c’te musique-là me faisait filer d’même; après toute, c’tait yinque une autre toune de Noël américaine qu’on entend dans Maman, j’ai raté l’avion.

Jusqu’au jour où j’ai parlé de t’ça avec une de mes grandes chums qui est dans une chorale depuis des années. J’y ai fredonné les fameuses quatre notes, pis a l’a dit :

« Ah, le Noël ukrainien? »

Heille, là, ça m’a mis s’une piste! Pis les affaires que j’ai découvertes, vous avez pas idée.

Y s’avère que Carol of the Bells, c’pas une toune américaine pantoute!

Son vrai nom, c’est Chtchedryk.

Le compositeur Mykola Leontovych a dû l’entendre quand y’était p’tit dins années 1880, en Podolie, une région de l’Ukraine. À c’t’époque-là, l’pays faisait partie de l’empire russe.

Mykola Leontovych

Leontovych, son père était curé pis sa mère était chanteuse. Y’avait commencé par étudier pour faire comme son père, mais finalement, faut crère qu’y artenait plus de sa mère, parce qu’y est devenu prof de musique, compositeur pis chef d’orchestre.

Une affaire qui l’intéressait ben gros, c’tait de prendre des vieilles chansons folkloriques que tout l’monde connaissait pis d’les arranger pour qu’y puissent être chantées par une chorale. Pour vous situer, si y’avait été Québécois, y’aurait travaillé su des tounes comme À la claire fontaine ou bedon V’là l’bon vent, v’là l’joli vent.

Une des chansons qu’y a arrangées d’même, c’tait justement Chtchedryk.

Pis Chtchedryk, c’pas n’importe quelle p’tite ritournelle : c’t’une chanson hyper ancienne – vous voyez, ch’pas si folle! – qui date d’avant même que l’Europe, de gré par bouttes pis d’force par d’autres, pogne la fièvre du Bébé Jésus.

Faique, vous d’vez vous en douter, c’est même pas une chanson d’Noël : c’t’une chanson rituelle qu’on chantait au Nouvel An, c’t-à-dire au printemps, pour attirer l’abondance pis la prospérité.

V’là les paroles – entécas, celles dans la version à Leontovych :  

Chtchedryk chtchedryk, chtchedrivotchka,
Prýletila lástivotchka,
Stála sobí chtchébetaty,
Hóspodarya výklykaty:
«Vyïdy, vyïdy, hospodaryou,
Podyvysya na kocharou,
Tam ovetchky pokotylysʹ,
A yahnytchky narodylysʹ.
V tebe tovar vesʹ khorochyï,
Boudechʹ maty mirku hrocheï,
Khotch ne hrochy, to polova,
V tebe jinka tchornobrova.»
Chtchedryk chtchedryk, chtchedrivotchka,
Pryletila lastivotchka.
Chtchedryk chtchedryk, chtchedrivotchka Une petite hirondelle s’est posée sur le toit
Elle s’est mise à gazouiller
À appeler le maître de la maison :
« Sors, maître, sors,
Va voir dans l’étable :
Les brebis ont mis bas des agneaux,
Ton bétail est très beau.
Tu vas avoir beaucoup d’argent
Mais l’argent n’est rien
Tu as une belle femme
Aux sourcils noirs. »
Chtchedryk chtchedryk, chtchedrivotchka
Il est arrivé une petite hirondelle.

Pis avant l’époque chrétienne, on la chantait pas yinque pour le fun : on t’nait pas nécessairement pour acquis que l’printemps allait r’venir, faique on prenait pas d’chances. C’tait vraiment une question de demander – aux dieux, aux esprits – d’apporter l’beau temps, une belle récolte, des beaux agneaux, pis euh… une belle créâture aux sourcils noirs, ça a d’l’air.

Dessin de ma chum Christine Labrecque. Quand j’y ai demandé de faire ça, a vachait su son divan. Une heure après, c’tait faite.
(L’affaire des sourcils, j’ai fouillé, pis on dirait que c’tait vraiment un critère de beauté slave à un moment donné – y’a une chanson d’amour traditionnelle ukrainienne qui s’appelle carrément Sourcils noirs et yeux bruns, où-ce que les sourcils sont comparés à des rubans d’soie! Si y’a des lecteurs qui pouvaient m’éclairer là-dessus, ch’rais ben contente!)

Entécas, Léontovych était un méchant perfectionniste. Maginez vous donc qu’après qu’un de ses recueils de chansons a été publié, y’a décidé tout d’un coup que c’tait d’la marde, faique y’a acheté les 300 copies pis y les a crissées dans l’feu.

Faique vous devriez pas tomber en bas de votre chaise en apprenant qu’y a travaillé des années de temps su sa version de Chtchedryk, que vous pouvez écouter icitte, même si a dure même pas une menute et d’mie.

Mais, toute c’te travail-là a valu la peine : quand la chanson a finalement été chantée en public, en 1916, ça a été un hit.

Pis c’est là que l’Histoire avec un grand H a ramassé Chtchedryk à bras-le-corps pis est partie à’course avec.

C’est qu’en 1918, dans toute le brassage qui a entouré la révolution russe, l’Ukraine a déclaré son indépendance.

J’rentrerai pas dins détails, mais pendant le p’tit boutte chaotique où-ce que la République populaire d’Ukraine a existé avant d’être écrasée par les bolchéviks – ceux qui sont devenus boss d’la Russie après avoir faite la passe au tsar pis à sa famille –, ses dirigeants ont essayé ben ben fort d’la faire arconnaître par les autres pays.

Une des façons de faire ça, c’tait de montrer que l’Ukraine avait sa culture à elle, différente de celle d’la Russie. Faique quand Symon Petlioura, chef du nouvel État ukrainien, a entendu les arrangements choraux à Léontovych, y’a eu une illumination :

« ASTIE JE L’AI : la diplomatie par l’art! M’as former une chorale qui chante nos chansons traditionnelles pis m’as l’envoyer partout dans l’monde! »

C’est d’même que 30 des meilleurs choristes ukrainiens sont partis en tournée, mais su’a peau des dents : y’ont quitté Kiev le 4 février 1919, jusse une journée avant que les bolchéviks prennent la ville de Kyïv.

La chorale.

Après avoir mis la patte su l’Ukraine, les bolchéviks se sont mis à éliminer systématiquement toutes les intellectuels qui pourraient leu faire du trouble ou titiller l’moindrement le sentiment nationaliste des ukrainiens.

Sentant la soupe chaude dans’capitale, Leontovych s’était sauvé chez sa famille à’campagne. Dans’nuite du 22 au 23 janvier 1921, tandis qu’y était en visite chez ses parents, y’a été assassiné par un agent secret des bolchéviks à l’âge de seulement 44 ans.

Mais, grâce à la chorale, telle la p’tite hirondelle dans Chtchedryk, l’œuvre à Leontovych s’tait déjà envolée pis était après prendre des proportions auxquelles y’aurait jamais osé penser.

Les choristes du Chœur national ukrainien ont commencé leu tournée en Tchécoslovaquie (un pays qui existe pu), pis sont allés en Autriche, pis en Suisse par après. Partout où c’qu’y passaient, l’monde grimpaient quasiment un par-dessus l’autre pour les voir, pis Chtchedryk était LE gros succès du spectacle. Y finissaient pu d’le chanter en rappel.

Quand y’ont fini par arriver en France, y’ont passé par Nice, Toulouse, Bordeaux, Marseille, Lyon pis Paris. Leu but ultime, c’tait que Georges Clémenceau, le top ministre de France, aille les voir pis trippe assez pour décider d’arconnaître l’État ukrainien. Malheureusement, y s’est jamais dérangé pour ça.

En 1922, après avoir faite la Belgique, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne, la Pologne, l’Allemagne pis l’Espagne sans réussir grand-chose à part brûler les planches pis faire salle comble soir après soir, les choristes se sont ben rendus compte que parsonne mordait à leu z’hameçon diplomatique. En plus, rendu là, le rêve d’un État ukrainien était pu yinque un tas d’cendres avec d’la tite fumée.

Mais, un coup parti, aussi ben continuer. La chorale s’est pogné un impresario professionnel, Max Rabinof, pis est partie à’conquête des États-Unis.

Le 5 octobre, le Chœur national ukrainien a faite son premier spectacle en sol américain au super prestigieux Carnegie Hall. Encore c’te fois-là, Chtchedryk a faite un tabac pis les choristes l’on r’chantée pendant le rappel.

D’ailleurs, j’ai artrouvé des coupures de journaux du temps pis laissez-moé vous dire, ça fait dur pas mal :

Ch’traduis :

« 50 hommes et femmes habillés comme la chienne à Jacques chantent des airs paysans primitifs. »

Cré z’Amaricains.

(Bon. Ça se peut que « motley » veuille juste dire « ben coloré ». Mais comme ce mot-là sert aussi à décrire les costumes de bouffons, pis que l’reste du texte est hyper condescendant, ch’pense pas que mon interprétation est abusive.)

En plus, les journalistes arrêtaient pas de mélanger l’Ukraine pis la Russie, pis les choristes passaient leu temps à essayer d’leu faire comprendre que c’tait pas pareil pantoute. Vu la raison pour laquelle y’étaient partis en tournée au départ, ça d’vait être enrageant en sivouplaît.

Malgré les bitcheries pis la cabochonnerie d’la presse, la chorale a eu un succès bœuf. Pendant les deux premiers mois de tournée, a l’a faite plus de 60 concerts dans 40 villes. Après ça, est’allée en Amérique du Sud pis au Canada, pis a l’a même endisqué ses chansons!

Mais là, qu’vous vous dites, comment est devenue une toune de Noël en anglais?

Vous pouvez arrêter d’artenir vot’souffle, parce que j’y arrive, là.

Un bon soir pendant la tournée aux États-Unis, Peter Wilhousky, un chef d’orchestre d’origine ukrainienne, était dans’salle, pis y’a ca-po-té su Chtchedryk.

Y dirigeait une chorale dans une école à New York, pis y cherchait d’quoi de nouveau pis d’excitant pour passer à l’émission « Music Appreciation Hour » à’radio d’la NBC.

Comme y’était pas question que ses flos d’école chantent en Ukrainien, y’a décidé de composer des nouvelles paroles. M’as le laisser expliquer lui-même son processus créatif :

« J’ai flushé les paroles ukrainiennes qui parlaient d’volaille de basse-cour, pis j’me suis concentré su le ding-dong joyeux des cloches que j’entendais dans’musique. »

Ouin.

Toujours est-il que sa nouvelle version, avec son nouveau nom pis ses nouvelles paroles su’a joie du temps des Fêtes, a pogné sans bon sens.

Dès l’début des années 1940, Carol of the Bells était devenue un classique des concerts de Noël. Ben vite, les orchestres de jazz pis les orchestres symphoniques faisaient leu propres versions, pis ça a pas été long non plus qu’on s’est mis à l’entendre dins annonces, dins émissions pis dins vues.

Faique c’est d’même que la p’tite chanson rituelle d’une religion de cultivateurs des steppes d’avant l’an 1 000 est devenue un produit 100 % américain.

Pareil, Chtchedryk telle que Leontovych l’a arrangée reste ben chère aux Ukrainiens. C’est ben pour dire, hein, mais sont tellement fiers de leu toune que le ministère des Affaires étrangères de l’Ukraine s’est même donné la peine de faire un beau site Internet super fancy exprès pour raconter son histoire!

Pis doutez pas que c’t’année, dans le p’tit peu de Noël qu’y vont réussir à s’rapailler tandis que Poutine leu garroche des bombes par la tête, les Ukrainiens vont chanter Chtchedryk, pis ça va leu donner l’goût de se battre encore plus fort.

Joyeuses Fêtes, là!

Ouin, pis c’tait quoi le rapport avec François Pérusse?

Si vous êtes un fan, vous l’savez déjà. Mais pour les autres, sachez que notre trésor national du fatalatapouète a faite une version ben à lui de Chtchedryk :

On est allés au centre d’achats
Pour acheter des tortues ninjas
Y’en restait pu faique on est r’venus
Avec une couple de vraies tortues
Quand notre ti gars ya ouvert ça
Y’a vu qu’y a pas d’bandeau ces tortues-là
Où est-qué le bandeau de ces tortues
Sont pas pareilles que celles que j’avais vues
Faique découpe découpe un petit bandeau
Essaye essaye d’leu mettre comme il faut
Les tortues sont ben restées bêtes
Quand on essayait d’leu mettre un bandeau s’a tête
Y’ont fermé les yeux y bougeaient pu
Ch’pense qu’y sont fenies nos tites tortues

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