Molly l’Insubmersible – partie II

Partie I

Maggie était ben pressée d’arriver aux États. A l’avait décidé d’arvenir en catastrophe parce son p’tit-fils, le bébé à son garçon Lawrence, était malade.

Le soir du 14 avril 1912, au quatrième jour d’la traversée, Maggie lisait tranquillement dans sa cabine. Pis là, y’eut un genre de coup su’l navire, assez fort pour la faire tomber à terre. 

Maggie n’avait vu d’autres, on s’entend. Des bateaux, a n’avait pris en masse pis a l’avait déjà essuyé ben des tempêtes. C’te brassage-là, ça la stressait pas ben ben. Quand même, après s’être arlevée, a décida d’aller sentir dans l’passage.

C’tait plein d’monsieurs en pyjama pis d’madames en robe de chambre qui se d’mandaient c’tait quoi, c’te coup-là, mais personne paniquait. Ça faisait des tites blagues :

« Heille Melville, ça nage-tu ben, en pantoufes, tu penses? »

Comme toute avait l’air beau, Maggie se réinstalla pour lire. A remarqua quand même que les moteurs tournaient pu.

L’autre bord du mur, a l’entendit quequ’un dire : 

« M’as aller su’l pont voir c’qui s’passe. » 

Pas longtemps après, a vit que quequ’un faisait bouger le tit rideau en avant d’la vitre de sa porte. Pis là, a vit la face d’un monsieur toute pâle, les yeux sortis d’la tête, comme si y’arvenait du party chez Rose Latulippe. D’une voix étranglée, y lâcha :

« Mettez votre gilet de sauvetage… » 

Bon. Clairement, toute était pas beau. 

Encore ben calme, Maggie se l’va pis posa son livre : c’tait le temps de se préparer à sortir su’l pont. 

A mit c’qu’a l’avait de plus chaud – un costume tailleur deux pièces en velours noir. Pis en d’sour, a l’enfila sept paires de bas d’laine une par-dessus l’autre. A s’enroula une étole en hermine autour du cou pis finit son look avec un capot en soie. 

Là, a l’eut une pensée pour toutes ses choses préférées qu’a perdrait si l’bateau coulait – toute son linge, ses livres… Ah, pis d’la marde. A ramassa 500 piasses dans son coffre-fort, mit son gilet de sauvetage, prit la couverte de laine su son lit pis sortit dans l’passage. 

A tomba sur un steward qui y dit ben poliment : 

— Bonsoir, Madame Brown. Chus ben désolé du désagrément, mais l’capitaine demande à tout l’monde d’aller su’l pont.
— Chus prête. 

Dehors, la nuitte était fraîche pis paisible. L’océan était calme. Les étoiles brillaient. Mais y’a d’quoi qui scrappait l’ambiance pas mal : comme les moteurs étaient arrêtés, la vapeur qui s’accumulait dins chaudières sortait par les soupapes de sûreté en menant un train d’enfer. 

« Cibole, on s’entend même pas parler », pensa Maggie. 

Là, faut qu’on s’dise une affaire. Quand on pense au naufrage du Titanic, on imagine le bordel total, la glace qui r’vole, l’eau qui monte, les chaises qui flottent dins corridors, les officiers qui tirent du fusil pour arpousser l’monde en panique, les passagers de la troisième classe pognés dans l’fond du navire en arrière des portes barrées… 

Mais c’tait pas vraiment ça, entécas pas au début. Personne croyait vraiment que l’navire allait couler. 

Pis les passagers de troisième classe, on va régler c’te question-là, y’étaient pas « embarrés » par exprès dans l’fond du bateau par des officiers qui riaient comme des méchants dins vues de Disney en s’tortillant l’boutte d’la moustache. Oui, y’étaient séparés des autres classes à cause des lois su l’immigration, mais y’avaient accès au dehors. Y pouvaient sortir su’l pont. C’est juste que su leu section du pont… Y’avait pas de chaloupes de sauvetage. Oupelaï.

Maggie argardait les matelots fucker l’chien après les câbles pour faire descendre les chaloupes de sauvetage – on leu z’avait laissé l’temps de s’pratiquer avec ça. À les voir aller, c’tait évident que l’heure était pas aux potins pis aux croissants Pillsbury. Le bruit avait même commencé à courir que l’navire s’tait faite rentrer dedans par un iceberg. Mais les officiers continuaient de dire que les chaloupes, c’tait yinque une précaution, qu’y avait pas lieu de capoter. 

Les passagers, y’en avait des ben relaxes, pis d’autres qui bougonnaient parce qu’y s’taient faite sortir du litte. Les monsieurs expliquaient aux madames qu’avec ses fameux compartiments étanches, c’tait impossible que le Titanic coule, voyons, ma chère! 

Maggie entendit Thomas McCawley, l’instructeur de culture physique du Titanic, lâcher : 

« Ah non. Moé, j’mets pas de gilet de sauvetage. Ça va yinque me ralentir pour nager. »

Ch’sais pas où c’qu’y pensait aller, lui-là, dans l’eau à -2 degrés; y’a pas survécu au naufrage, en passant. 

Maggie le savait pas, mais entre-temps, l’architecte du Titanic, Thomas Andrews, était descendu dans l’fond du bateau pour voir l’état des lieux. En armontant, y’était tellement blême qu’y avait l’air de s’être passé la face à l’eau de Javel. Queques minutes après, l’ordre d’évacuer les femmes pis les enfants était donné. 

Charles Lightoller, deuxième officier du Titanic, commençait à faire embarquer l’monde dins chaloupes du côté bâbord, mais y n’arrachait. Y’avait beau crier, faire tou’és temps, y s’faisait enterrer par le PSHHHHHHHHHH d’la vapeur. À force de sparages, y réussit à faire monter queques madames à bord d’la chaloupe 4, mais y’arrivait pas à la remplir : personne avait l’air de prendre la situation au sérieux. 

« Yinque les femmes pis les enfants! Icitte! Tu’suite! »

Mais les femmes arfusaient de s’avancer parce qu’y voulaient pas se séparer d’leu mari. Pis je les comprends. Ça, c’est mon grain de sel de Matante, mais m’semble que séparer les familles, c’est cave pis cruel.

Maggie elle-même était pas pressée d’embarquer dans une chaloupe de sauvetage. A r’gardait aller les affaires comme on ouère les ambulanciers qui ramassent quequ’un su’l coin d’la rue, sans se sentir trop concernée. 

C’est là qu’arsoudit Mme de Villiers. Elle, c’tait une chanteuse de cabaret belge qui était tombée en amour avec un joueur de hockey des Shamrocks de Montréal. En faite, a s’appelait Berthe Mayné, mais a suivait son homme au Canada sous un faux nom pour pas que sa mère à lui – qui était à bord aussi! – s’aperçoive qu’y traînait sa maîtresse dans ses bagages. Croustillant.

Maggie la connaissait un peu, vu qu’a l’avait jasé avec elle dins salons de première classe. A la vit arriver avec un air d’autruche égarée, en jaquette courte pis en pantoufles, les pattes à l’air, avec un long manteau ouvert – pas pantoute greyée pour le frette. 

Berthe Mayné, alias Mme de Villiers.

« AWEILLE DANS’CHALOUPE! » beugla Lightoller, drette comme la vapeur arrêtait de sortir des soupapes de sûreté. Là, y’avait pu d’misère à s’faire entendre. 

— Non! brailla Mme De Villiers. Faut que j’artourne dans ma cabine!
— Embarquez dans’chaloupe, Madame, fit Maggie en y pognant l’bras. Faites c’que l’officier vous dit. 
— Mais! Mon argent pis mes bijoux? J’ai même pas barré ma porte!
— Votre steward va la barrer, votre porte. C’est yinque une précaution. Vous allez pouvoir arvenir su’l bateau dans pas long. 
— Non! cria la madame tandis que Maggie la tirait vers Lightoller. 
— Toute va être beau, ma belle! Aweille, viens-t’en…
— DANS’CHALOUPE, J’AI DIT! grogna Lightoller en pointant la chaloupe 6, qui avait été descendue tout croche, quatre pieds plus bas que le pont.

Mme de Villiers finit par monter à bord en chignant, manquant de s’enfarger pis d’enfiler cul par-dessus tête dans l’fond d’la chaloupe. Maggie la suivit pas; a se sentait plus en sécurité su’l bateau. Tsé, l’orchestre du navire s’tait mis à jouer su’l pont! Ça devait pas aller tant mal que ça?

Pas longtemps après, la première fusée de détresse fut lancée dans l’ciel étoilé, pis une autre cinq minutes plus tard. 

Là, les choses commencèrent à s’corser. 

Une gang de gars toutes graissés de suie arsoudirent su’l pont. Des gars qui v’naient clairement du fond du navire pis qui savaient c’qui était en train de se passer. Y’étaient une bonne centaine pis y dégageaient tellement de chaleur qu’y faisaient d’la boucane dans l’air glacial. 

« Les hommes qui s’occupent des chaudières à vapeur, pour moé », se dit Maggie. 

Y s’avancèrent pour embarquer dans les chaloupes de sauvetage, mais un officier leu cria : 

« HEILLE! ARTOURNEZ EN BAS! SCRAM! » 

Y’arvirèrent toutes de bord pis rentrèrent dans l’bateau ensemble, synchronisés comme des soldats. 

« Y’ont sûrement des chaloupes de sauvetage exprès pour eux autres », supposa Maggie. 

Mais non, y’en avait pas. À peine le quart de ces gars-là allaient survivre au naufrage. 

Lightoller avait fini de niaiser. Y’en était rendu à pogner des madames sans leu demander leu z’avis pis à les garrocher dans la chaloupe 6. 

Y fit ça entre autres à Helen Churchill Candee, autrice de plusieurs livres, dont le ben choquant pour l’époque Comment les femmes peuvent gagner leu vie. Lightoller la ramassa pis a tomba drette su les longues rames dans l’fond d’la chaloupe. A s’cassa une cheville, mais a dit pas un mot de t’ça à personne. 

Helen Churchill Candee

Pis là, deux gars pognèrent Maggie à bras-le-corps pis l’envoyèrent arvoler dans’chaloupe 6 qui commençait à descendre vers l’incertitude humide pis l’frette de l’océan. 

« Toé’ssi, tu y vas! »

La chaloupe brassait tandis que Maggie essayait de s’installer comme a pouvait. Y’avait d’la place pour 65 personnes, mais y’en avait juste 23 à bord, toutes des femmes sauf quatre : Robert Hichens, quartier-maître, le responsable d’la chaloupe; Fred Fleet, la vigie qui avait aperçu l’iceberg pis donné l’alerte; le major Arthur Peuchen, que Lightoller avait laissé embarquer à cause de ses compétences de marin; pis Fahim al-Za’inni, un passager de troisième classe qui avait réussi à sauter à bord pendant que Lightoller argardait pas pis qui s’cachait en d’sour d’un banc.

« ON PENCHE! » cria Helen Candee. 

Le devant de la chaloupe était vraiment plus bas que l’derrière, pis Maggie s’cramponna, convaincue qu’a l’allait tomber dans l’eau glacée. 

Les matelots en haut gossèrent après les cordes qui artenaient la chaloupe, pis là, flâwk, c’tait le derrière qui était plus haut que le devant. 

« L’AUTRE BORD! L’AUTRE BORD! » fit Helen.

À force de taponner, les matelots finirent par ramener la chaloupe drette, mais a l’était rendue vis-à-vis d’un hublot d’où l’eau sortait comme d’une borne-fontaine, menaçant de remplir la chaloupe avant même qu’a touche la surface. 

Maggie ramassa une rame pis essaya de pousser avec contre la coque du navire pour écarter la chaloupe. 

Pis PLOUF, la chaloupe tomba à l’eau. A passa proche de chavirer, mais a finit par s’armettre drette. Pis tout d’un coup, toute était noir pis calme. Y’avait juste les lumières du navire, le criage sur les ponts pis la musique de l’orchestre, loin, loin en haut.

— On n’a pas d’temps à pardre, cria Hichens. C’te bateau-là va couler! 
— Not’bateau? lâcha une madame, épeurée.
— Ben non, le GROS bateau, ciboire! 

Hichens s’installa à la barre. Maggie voyait yinque sa silhouette, mais ça paraissait qu’y tremblait comme une feuille.  

Robert Hichens

Y gueula : 

« Là, faut ramer! Ramez l’plus fort que vous pouvez! Faut s’éloigner au plus crisse, pour pas que l’navire nous emmène avec lui! »

Maggie pis les autres pognèrent des rames pis les installèrent, s’assirent su leu banc, s’accotèrent les pieds dans l’fond d’la chaloupe pis s’mirent à tirer de toutes leux forces. 

La chaloupe commença à bouger. 

— Ramez, ramez, ramez! »  cria Maggie.  
— Plus fort, aweille, plus fort! fit Hichens. Sinon on y’arrivera pas! L’bateau est tellement gros que quand y va couler, y va toute entraîner avec lui su des milles! »

Des milles, c’tait un peu exagéré. Mais c’tait quand même une excellente idée de décrisser de d’là. 

« Allez, ma fille, rame comme un galérien au boutte du fouette! » dit Maggie pour encourager une p’tite demoiselle feluette qui était déjà tout essoufflée à côté d’elle. 

Toutes les madames dans la chaloupe ramaient comme des diablesses. Maggie arsentit une bouffée d’espoir : y’allaient s’en sortir! 

« Plus vite, simonac, plus vite! continua Hichens. Si on enfile pas avec le bateau, quand les chaudières vont avoir coulé, y vont exploser pis déchiqueter l’fond d’la mer, les icebergs vont arvoler en morceaux pis on va toutes mourir! »

Un vrai rayon d’soleil, c’te Hichens-là. 

Soudain, y’eut un coup d’sifflet venant du Titanic

— STOP! ordonna Hichens. C’tait un appel d’officier. Messemble que j’ai entendu l’capitaine dire d’arvenir au bateau.
— J’ai rien entendu, moé, dit la voisine de banc à Maggie, une certaine Miss Martin. 
— CHUT! 

Hichens écouta queques instants. 

— Faut qu’on artourne, dit l’quartier-maître. On arvire de bord!
— J’ai entendu l’capitaine avant d’partir : ses ordres, c’tait de s’éloigner du navire pis de garder les chaloupes ensemble le plus possible, répondit Helen Candee su’l ton égal pis purement rationnel d’une maman qui explique à son flo de deux ans en crise que non, y peut pas manger une batterie deux A pour déjeuner. 

Ç’a eut l’air de boucher un coin à Hichens; y s’tint en silence une minute, rongé bord en bord par l’indécision. 

Maggie avait des envies de meurtre : 

« Aweille, aweille, maudit crisse, pensa-t-elle. Branche-toé, maudit branleux! Ch’peux pas crère que ma vie dépend de c’te taouin-là! »

Pis enfin, l’quartier-maître se brancha :

« Ouin. Non. Ok. On va ramer pis on va s’éloigner. »

Dès que les rames eurent arplongé dans l’eau, Hichens s’mit à gueuler avec l’intensité d’un curé dans sa chaire qui essaye de motiver ses ouailles à coups d’visions de l’enfer (pour ça, on va l’dire, y manquait pas de talent) : 

— Plus vite, plus vite, plus vite! Si vous ramez pas plus vite, on va toutes couler à notre mort!
— Ça irait pas mieux, demanda l’major Peuchen – le monsieur qui avait des compétences de marin – si vous preniez une rame pis que vous laissiez une des femmes s’occuper d’la barre? Ça serait pas trop difficile, la mer est ben calme. 
— Toé, tu rames, pis moé ch’commande la chaloupe, c’tu clair? rétorqua Hichens. J’veux que tout l’monde icitte rame de toutes ses forces! 

Une dernière fusée de détresse fut lancée, pis Maggie put voir que le Titanic commençait à s’enfoncer pas mal; la proue allait être submergée ben vite. 

« Quequ’un va v’nir sous chercher, c’est sûr, dit quequ’un à bord d’la chaloupe. Y’a un autre bateau qui va arriver pour nous sauver, ch’peux pas crère! »

Partie III


Source : Iversen, Kristen, Molly Brown: Unraveling the Myth, 3e édition. 2018. Johnson Books.

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