L’histoire de Sophie-Dorothée : quand le conte de fées vire au cauchemar, partie II

Partie I

C’tait une ben belle étincelle de rébellion de la part de Sophie-Dorothée, mais malheureusement, George-Guillaume tenait mordicus à c’te mariage-là; l’encre était sèche su’l contrat, pis c’tait ça qui était ça.

Pendant des semaines, Sophie-Dorothée essaya de le faire changer d’idée, se chicanant avec lui encore et encore, aussi déterminée qu’une mouche qui pense que si a s’pète le front assez de fois dans l’chassis, a va finir par passer au travers d’la vitre.

Mais tranquillement, la résistance d’la princesse commença à s’échiffer, pis les esclandres firent place au braillage – déchirant, interminable. On était en novembre, en plus, faique c’taient les vrais sanglots longs de l’automne.

Éléonore capotait : depuis l’temps qu’a l’était avec Georges-Guillaume, c’tait la première fois qu’y faisait d’quoi de carrément contre c’qu’a voulait.

En femme de son époque, par’zempe, Éléonore savait qu’a pouvait pas yinque ramasser sa sacoche pis ses clés d’char pis partir dans’nuitte avec sa p’tite fille pour la sauver d’un mariage épouvantable – ça aurait juste empiré les affaires. A pouvait yinque piler su toutes ses instincts pis essayer de calmer pis de rassurer Sophie-Dorothée, même si le cœur y était pas.

— Mais Georges-Louis est horri-hii-hiiiiible!
— Ben, tu sais pas? Quand vous allez être mariés, tu vas apprendre à mieux l’connaître, pis peut-être que tu vas y découvrir des belles qualités?
— Mais m’maaaaaaan! Toi pis papa, vous vous êtes mariés parce que vous étiez en amour! Pourquoi, moi ch’peux paaa-haa-haaaas?
— Ah, mais nous-autres, c’tait pas pareil, ma chouette…

Pis l’jour des noces finit par arriver. Ch’t’un peu mêlée, parce que ch’trouve plein de versions, mais chose certaine, c’tait fin novembre 1682, pis y faisait frette, gris pis déprimant, comme chez nous dins mêmes temps.

Le marquis qui arprésentait Louis XIV à la cour de Celle, lui, y dit que l’mariage se passa quasiment en cachette, après l’souper, avec juste les époux, leux parents pis une couple d’autres proches.

Y’en a d’autres qui disent qu’y a eu des noces dans l’sens du monde, avec un party pis des centaines d’invités.

Dans tou’és cas, Sophie-Dorothée était malheureuse à pu finir. A l’avait les yeux rouges pis la p’tite baboune tremblotante, mais a d’vait quand même sourire pis faire semblant d’être contente quand quequ’un de ben intentionné arrivait pour la féliciter.

Georges-Louis avait déjà l’air de trouver sa femme gossante. Y l’avait à son bras pis y’a r’gardait à peine. Y’était tanné de ses simagrées; franchement, qu’a prenne su elle pis qu’a l’arrête de brailler. C’tait sûrement pas sa mère la duchesse Sophie qui aurait montré une face de même en public. C’qu’y fallait pas faire pour 100 000 écus par année.

Lui, y’avait 22 ans, faique pensez-y : c’tait comme si votre fille qui est en secondaire 5, qui est toute pimpante pis qui a plein d’amis, s’artrouvait tout d’un coup à marier le garçon à votre sœur qui a jamais fini son cégep mais qui est réserviste dans l’armée, qui passe toute son temps à s’entraîner ou à aller dans des forums louches su Internet, qui a zéro sens de l’humour pis qui boutonne toujours son polo jusqu’en haut.

Queques semaines plus tard, notre p’tite Sophie-D partit pour Hanovre avec Georges-Louis pis sa belle-famille.

A trouva la transition toffe en maudit.

Chez elle, tout l’monde l’aimait, pis le château à ses parents avait un peu une ambiance de chalet familial de luxe – c’tait pas l’genre de place où c’qu’on s’enfargeait dins fleurs du tapis.

À Hanovre, Sophie la péteuse avait instauré un décorum quasi-militaire, pis tout l’monde se t’nait les fesses serrées.

Donc, c’tait quasiment impossible que Sophie-Dorothée fasse pas des p’tites erreurs de temps en temps : dire un mot plutôt qu’un autre, s’asseoir une fraction de seconde avant l’temps, aller au-devant de quequ’un alors que c’est le quequ’un qui devait aller au-devant d’elle, c’t’à-dire toute des p’tites affaires qui passeraient 100 pieds par-dessus la tête à vous pis moé.

Pis quand ça finit par arriver, sa belle-mère laissa pas le moindre p’tit accroc passer, pis a mit pas des gants blancs :

« Ouin, on voit ben comment ta mère t’a élevée! »

Pendant c’te temps-là, Georges-Louis faisait comme si a l’existait pas; y lui parlait pas, y la défendait pas, y l’aidait pas à se sentir chez elle. Y faisait juste la r’joindre dans l’noir pas de préliminaires pour accomplir son d’voir conjugal, pis c’tait ça.

D’ailleurs, queques mois après les noces, Sophie-Dorothée tomba enceinte, pis a mit au monde un p’tit gars qui fut appelé Georges-Auguste (c’qui confirme mes soupçons que dans c’te famille-là, y’avait un sac avec des tits-papiers qui avaient quatre-cinq noms écrits dessus, pis on faisait yinque en piger un ou deux quand v’nait le temps de nommer un nouveau bebé).

Pis trois ans et demi plus tard, a l’eut une fille, appelée Sophie-Dorothée elle avec (qu’est-cé que j’vous disais?).

Dans c’tes temps-là, une nouvelle femme de prince ou de roi était toujours dans une position un peu branlante jusqu’à ce qu’a produise un héritier doué de zouiz pis un autre de r’change, au cas.

À c’t’heure que c’tait plus ou moins faite, Sophie-D aurait pu s’attendre à ce que son mari pis sa belle-mère soient un peu plus fins avec elle pis que sa vie à Hanovre soit pu juste un maudit purgatoire, mais ça se passa pas d’même.

Sophie–belle-mère continua d’la traiter comme d’la marde. Pire encore, a y’avait pratiquement enlevé ses enfants pour s’occuper d’leu z’éducation.

Georges-Louis, se sentant libéré de l’obligation de partager son litte avec elle, se mit à courir allègrement la galipote pis l’abandonna complètement.

Rendu là, a vivait pas mal tu’seule; y’avait pu yinque ses dames d’honneur qui se t’naient avec, plus par obligation qu’autre chose, pis des fois ses parents qui v’naient y rendre visite.

Tout l’monde à la cour, à part peut-être son beau-père qui l’avait emmenée faire un beau voyage en Italie entre ses deux grossesses, semblait se crisser d’elle par exprès ou y faire des gros yeux. A l’avait l’impression que, peu importe c’qu’a faisait, à réussissait jamais à s’faire aimer pis a comprenait pas pourquoi.

Le sort avait l’air de s’archarner su elle. Mais, ça se pourrait ben que l’sort ait eu d’l’aide…

Faut que j’vous dise : en arrivant à Hanovre, Sophie-D avait rapidement découvert que la vraie boss des bécosses d’la cour, c’tait pas sa belle-mère – c’était la maîtresse à son beau-père, la redoutable comtesse Élizabeth von Platen.

C’t’un peu surprenant, j’avoue; mais même si Sophie–belle-mère était ben stiquée su l’étiquette, contrairement à Sophie-Dorothée, a se sacrait pas mal de l’infidélité à son mari. Elle qui aimait la science, a considérait le couraillage à Ernest-Auguste comme un fait d’la nature, au même titre que l’soleil qui s’lève, ou bedon que la gravité, fraîchement découverte par Isaac Newton en 1687. A l’était comme au-dessus de toute ça. Les poulettes en dessous d’elle pouvaient ben se picosser comme y voulaient, a les argardait même pas.

Ça laissait le champ libre à la comtesse de Platen, qui s’adonnait à être aussi la femme du premier ministre. Elle-même, c’tait un pétard, le genre de beauté sensuelle qui fait monter la sève dins érables d’un seul argard, pis a t’nait toute la cour par les gosses en mettant ses sœurs, ses cousines pis ses amies dins bras de toutes les monsieurs importants.

Autrement dit, c’tait une vraie araignée qui tissait sa toile pour avoir un maximum de pouvoir.

Là, avant d’continuer, faut que j’vous l’dise : on a pas de preuve noir su blanc du rôle que la Platen a joué dans toutes les affaires que j’m’en vas vous raconter. Mais tsé, ça fait des siècles que l’monde essayent de savoir c’qui s’est vraiment passé, pis même les plus frileux ont pas le choix d’admettre qu’a l’est pas nette.

À part de t’ça, m’as vous l’dire, l’histoire est ben meilleure avec comtesse que sans comtesse. Faique, prenez toute c’qui a rapport à elle avec un ti-grain d’sel, pis toute va ben aller.

Ce dont on est pas mal sûrs, entécas, c’est que par en arrière, la comtesse de Platen avait insisté ben gros pour que Georges-Louis marie Sophie-Dorothée; a l’avait vu ça comme une passe de cash. Peut-être même qu’Ernest-Auguste aurait jamais faite de move pour conclure le contrat de mariage si a y’avait pas r’battu les oreilles avec les asties de 100 000 écus par année.

Là où toute avait pris l’clos, c’est quand la comtesse s’est rendu compte que celle qu’a l’avait pris pour une grosse colonne mal arrangée – j’vous rappelle encore une fois toute le ark! que les origines à Sophie-Dorothée suscitait chez les têtes couronnées pis leu z’entourage – était en faite une jeune fille magnifique pis pétillante, avec des beaux grands yeux bruns, tirée à quatre épingles pis à la dernière mode, avec d’la culture, du talent pour la musique pis l’humour et l’sens d’la répartie ben français à sa mère.

Bref, a l’avait toute c’qu’y fallait pour y voler sa place.

Sans doute que dès qu’a l’avait vue, la comtesse avait dû se dire :

« M’as te tuer ça dans l’œuf. »

D’abord, la Platen se mit à surveiller Sophie-Dorothée en guettant la moindre p’tite gaffe, le moindre p’tit mot de travers.

Pis l’pire, c’est que Sophie-Dorothée y donnait du matériel : le cœur tout aigri à cause d’la façon dont a l’était traitée, la princesse se plaignait tout haut pis a s’défoulait en se servant de sa langue ben pendue pour parler dans le dos de sa belle-famille pis des autres membres d’la cour.

Ça y faisait du bien de pondre les bitcheries les plus raffinées; si a l’avait eu le pouvoir d’la Platen, un mot de sa part aurait suffi pour ruiner la vie sociale de quequ’un pour toujours. Mais là, a l’était isolée, faique a jouait avec le feu : y’avait toujours un astie d’écornifleux pour écouter toute c’qu’a disait pis aller bavasser ça à la comtesse, qui s’faisait un plaisir de toute arvirer contre elle.

Un jour que Sophie-D se lamentait à Mlle de Knesebeck, une de ses dames d’honneur qui était pas mal sa seule vraie amie, a lâcha de quoi du genre :

« Ah! J’aimerais don être une marquise de France à’place d’une princesse de Brunswick-Hanovre! Ch’rais ben moins malheureuse! »

On pourrait s’dire qu’y a rien là vite de même, mais dans c’tes années-là, le Saint-Empire (dont Hanovre faisait partie) était en guerre contre la France. Y’en fallut pas plus pour que, dans toute la cour, on s’mette à dire :

« La princesse sympathise avec l’ennemiiiiiiii! »

Aussi, pour être ben sûre que Georges-Louis arpense pu jamais à s’occuper de sa femme, la comtesse y’avait poussé dins bras une p’tite poulette fraîchement arrivée à’cour qui répondait au doux nom d’Ermengarde Mélusine von Schulembourg. La fille était trop simple pis pas assez dégourdie pour avoir des ambitions par elle-même, mais la Platen avait eu besoin d’à peine une couple de semaines pour y monter la tête, y’apprendre toutes ses trucs de séduction pis la rendre complètement loyale.

Après ça, y’avait yinque fallu attendre que Georges-Louis arvienne d’une campagne militaire en Hongrie, pis hop! Y’était tombé drette dans l’piège. À partir de c’te moment-là, Mélusine s’tait mise à l’accompagner aux bals, aux partys de chasse royale, à des concerts de musique pis à toutes les autres places le fun où Sophie-Dorothée aurait dû aller avec son mari – pas elle!

Là, c’tait ben d’valeur, mais la princesse était pas comme sa mère, qui présentait la joue gauche quand on la fessait su’a joue droite pis qui finissait toujours par avoir tout le monde à l’usure.

Faique quand a s’rendit compte de toute ça, la pauvre fille péta sa coche solide à Georges-Louis, pis pas yinque une fois. Quand ça arrivait, a criait tellement fort qu’on l’entendait d’un boutte à l’autre du palais :

« SIMONAC GEORGES-LOUIS, TU FAIS-TU EXPRÈS POUR ME FAIRE HONTE, OU BEDON T’ES TROP CAVE POUR TE RENDRE COMPTE QUE TOUT L’MONDE TE VOIT COURAILLER PIS RIT D’MOÉ PARCE QUE CHUS COCUE? »

J’la comprends, ben sûr – j’aurais probablement faite pareil, avec extra bacon! – mais mettons que c’tait rien pour détendre l’atmosphère.

C’en arriva à un point où même Sophie pis Ernest-Auguste dirent à Georges-Louis de faire plus attention avec ses maîtresses :

« Heille, garde-toé don une p’tite gêne, fils! Si ça continue d’même, ta femme pourrait ben aller s’plaindre à son père, pis on aura pas les 100 000 écus par année! »

Du bon monde qui avaient les priorités à’bonne place, hein?

Après ça, Georges-Louis fit un effort pour être plus discret, mais y resta abonné à la couchette à Mélusine.

Sophie-Dorothée, elle, était malheureuse comme les pierres pis a voyait pu l’boutte.

C’est à c’te moment-là qu’arsoudit à la cour de Hanovre une nouvelle face – une face qui, on va l’voir, était autant une lueur d’espoir pour la princesse que l’étincelle qui allait toute faire péter.


Sources:

Charles-Prosper-Maurice Horric de Beaucaire, Une mésalliance dans la maison de Brunswick, 1665-1725: Éléonore Desmier d’Olbreuze, duchesse de Zell, 1884.
Henri Blaze de Bury, « Le Dernier des Koenigsmark », Revue des Deux Mondes, 1853.

L’espion poche de New Carlisle

Un matin de novembre 1942, en Gaspésie, dans les eaux de la baie des Chaleurs pas encore tout à faite réveillée, un sous-marin allemand s’avançait sans faire de bruit comme un brochet en fer de 700 tonnes.

Ça faisait déjà une bonne couple de mois que des U-boat nazis rôdaient dans le coin; rendus fantasses par l’absence du gros de la flotte de la marine canadienne, partie défendre la Méditerrannée pis le golfe du Mexique, ils faisaient la pluie pis le beau temps dans le fleuve Saint-Laurent en coulant des cargos pis des corvettes.

Mais ce sous-marin-là, y’avait une autre mission. Pas loin de New Carlisle, il fit surface, pas pour tirer une torpille, mais pour faire débarquer un espion.

Werner von Janowski, espion poche

Étant donné qu’il avait déjà passé une bonne secousse au Canada dans les années 1930, Werner von Janowski, lieutenant de la flotte allemande, nom de code « Bobbi » (mais on va l’appeler « Ti-Werne »), était drette le bon gars pour entrer en contact avec des organisations nazies clandestines au Canada, apprendre des affaires secrètes pis tout bavasser au Reich. En tout cas, c’est ce que les Nazis pensaient. Ils avaient juste pas idée d’à quel point y se planterait, pis dans un temps record, à part ça.

Faique notre Ti-Werne débarqua sur une plage à quelques milles de New Carlisle, encore habillé en marin allemand. L’idée, c’était que s’il se faisait pogner habillé de même, il se ferait traiter comme un prisonnier de guerre, c’est-à-dire pas trop pire, tandis que s’il était habillé en civil, il risquait la peine de mort.

Quand il fut certain de pas se faire voir, il se changea et enterra son uniforme. Ensuite, il prit la direction du village. Son plan : prendre le prochain train pour Montréal.

À 9 h du matin, Ti-Werne arriva à l’hôtel The Carlisle. Sous le nom de William Brenton, il dit qu’il venait d’arriver sur l’autobus et demanda une chambre avec un bain, car il voulait se décrotter un peu.

Faut dire que la traversée de l’Atlantique avait pris 44 jours; après avoir passé autant de temps enfermé dans une canne de bines sous l’océan avec un tapon d’autres gars, il sentait le swing, l’humidité pis le diésel à plein nez. Et ça, c’est juste un des détails louches que Simonne Loubert, la jeune femme de chambre qui lui répondit, spotta tout de suite.

Tsé, un étrange qui r’soud de nulle part de bonne heure le matin dans un village d’à peu près 1 000 habitants, ça fesse. En plus, Ti-Werne avait l’air sur les nerfs et parlait avec un accent bizarre. Quand il s’acheta un paquet de cigarettes, il paya avec de la vieille argent qui datait de la guerre de ‘14. Mais le plus louche, c’était qu’y disait être arrivé sur l’autobus. Simonne savait ben que l’autobus passait pas c’te journée-là. Pis même à ça, l’autobus aurait débarqué le monsieur drette en avant de l’hôtel, pis y serait pas arrivé à pied.

Simonne était pas folle : a savait que les Allemands se promenaient autour de la Gaspésie en sous‑marin, pis qu’y en avait qui pourraient essayer de débarquer. Faique quand Ti-Werne fut parti dans sa chambre, elle alla voir Earle Annett Jr., le garçon du propriétaire de l’hôtel.

– Ça marche juste pas, son affaire. En plus, tsé, ça m’a l’air d’un gros fumeur, pis y savait même pas comment ça coûte, un paquet de cigarettes! Penses-tu que ça pourrait être un espion?
– Ouin, j’avoue que c’est crissement suspect! M’a voir ce que je peux faire.

Earle Jr., un jeune homme de 20 ans, aurait vraiment voulu partir péter des gueules de Nazis comme beaucoup de ses chums de gars. Ce qui était plate, c’est qu’il s’était irrémédiablement scrappé le genou en prenant une débarque en bécycle quand il était flot, faique l’armée l’avait pas accepté. Tant qu’à rester pogné du mauvais bord de l’Atlantique, il avait ben l’intention de participer à l’effort de guerre pis de démasquer l’espion.

Entre-temps, Ti-Werne s’était installé dans la salle à manger pour déjeuner. Earle Jr. trouva que son linge était bizarre – lui, y venait pas d’icitte, c’était évident. Pis quand il se leva pour partir, Earle Jr. vit qu’il avait échappé une boîte d’allumettes à côté de sa chaise.

Earle Jr. la ramassa et lut « Fait en Belgique » dessus. Ça, c’était suspect en viarge : dans ce temps-là, tous les paquets d’allumettes vendus au Canada portaient le même sceau spécial, qui était pas sur cette boîte-là, pis en plus, la Belgique était occupée par les Nazis depuis trois ans.

Earle Jr. était maintenant sûr de sa shot : c’était ben un espion.

Comme le train pour Montréal partait dans même pas une heure, fallait qu’y se grouille. Il embarqua dans son pickup et partit en direction de la gare. Rendu là-bas, il trouva notre Ti-Werne en train de prendre un café. Faique, ben relax, comme si de rien était, il s’assit à ras lui :

– Fait pas chaud à matin, hein?
Ah, z’est pas zi mal, répondit Ti-Werne, avec son accent bizarre du fond de la gorge.
– Cigarette?
– Oui, merzi.

Earle Jr. lui donna une cigarette, puis attendit qu’il lui offre du feu pour allumer la sienne. Alors, Ti-Werne sortit un autre paquet d’allumettes belges. Bingo!

– Ch’ai fu que le train z’arrêtait à Matapédia, demanda l’Allemand. Z’est quel genre d’endroit? Petit, che zuppose?
– Ouais, c’est grand comme ma yeule. Y’a pas grand-chose à faire là*
– Ah bon.

Y’avait un malaise dans l’air, comme quand quequ’un lâche un gros pet, pis que tout le monde le sent mais personne parle. L’espion soupçonnait-tu qu’on le soupçonnait?

Enfin, le train entra en gare pour 20 minutes. Pas le temps de niaiser – à c’t’heure qu’il avait une preuve, Earle Jr. alla tout de suite avertir le constable Alfonse Duchesneau de la Police provinciale.

Duchesneau était pas trop convaincu, mais il alla quand même à la gare. Il arriva drette comme le train partait et sauta dedans au dernier moment. À bord, il spotta tout de suite Ti-Werne grâce à la description qu’Earle Jr. lui avait donnée. Il alla s’asseoir avec.

– Bonjour Monsieur, constable Duchesneau de la Police provinciale. Ch’peux-tu voir vos papiers siouplaît?
– Bien zûr, répondit Ti-Werne en sortant ses cartes au nom de William Brenton.
– Qu’est-ce qui vous amène par icitte?
– Che zuis représendant de commerce et ch’afais affaire dans la région.
– Ok, pis ch’peux-tu voir votre valise itou, siouplaît?

Rendu là, Ti-Werne devait suer de la raie pas mal, car il dit aussitôt :

« Za zera pas nézessaire. Che zuis un offizier allemand, et che zers mon pays, comme fous. »

Et voilà : grâce à la vigilance de braves Gaspésiens, la carrière d’espion de Werner von Janowski était kaput après même pas 12 heures. Si c’était pas un record, c’était pas loin.

Après ça, Ti-Werne fut emmené à Montréal, où la GRC essaya d’en faire un agent double. Après un an, il avait fourni zéro pis une barre de renseignements, faique les autorités le shippèrent en Angleterre, où il passa le reste de la guerre dans un camp pour prisonniers allemands.

L’histoire dit pas si Ti-Werne voulait la gloire, mais en tout cas, il s’attendait sûrement pas à se retrouver pour l’éternité dans les palmarès des pires espions de tous les temps!


*Ne représente pas l’opinion de l’auteure. C’est un maudit bon spot de plein air! #TourismeGaspésie


Source principale : Dan Beeby, Cargo of Lies: The True Story of a Nazi Double Agent in Canada, 1996. https://utorontopress.com/us/cargo-of-lies-4