Marie Iowa Dorion — partie IV

Partie I
Partie II
Partie III

Après avoir mangé autant de misère, Pierre, Marie et leux flos décidèrent de s’installer pour de bon dans une belle vallée de l’Oregon où c’qu’y fait beau à l’année, à cultiver d’la graine de lin pis à tisser des paniers d’chanvre…

Ha! Pas pantoute.

On sait pas trop c’qui s’est passé avec eux-autres dans l’année qui a suivi, parce que c’pas écrit nulle part. Mais à l’été 1813, Pierre s’mit à faire la queue de veau pis décida de partir en expédition de trappage avec John Reed, un collègue de l’expédition Hunt, pis deux autres gars. Marie pis les deux p’tits eurent pas le choix de suivre.

Faique les v’là qui étaient arpartis vers l’est, pis avant longtemps, la gang était déjà armontée jusqu’aux rives d’la rivière Snake – que les Canadiens français étaient rendus à appeler « la maudite rivière enragée ».

Plus haut, par’zempe, la rivière pas du monde filait pas mal plus doux; a d’venait pas mal plus large pis lente, faique y’avait pas d’problème pour s’promener dessus pis puiser d’l’eau à boire.  Pis là où la rivière Boisé v’nait se jeter dedans, c’tait bourré de castors. Y’avait aussi d’la truite, des oies, des canards, des lieuvres pis des faisans à manger.

En plus, la tribu de Shoshones qui restaient pas loin étaient super fins pis généreux. À une époque où tu risquais pas mal plus qu’une poursuite au civil en cas de chicane avec les voisins, c’tait pas à négliger.

Pierre pis John trouvèrent que c’tait ben d’adon, faique y choisirent c’te spot-là comme camp de base pis construisirent une cabane.

Pour Marie, c’tait comme déménager en banlieue avec un IGA pis un parc pas loin, la piscine hors terre en arrière pis la boîte d’Hello Fresh qui rentre à toués jours, pis le couple d’à côté est toujours après t’inviter à faire un feu sans sa cour pis à t’offrir des bettes à carde de son potager en permaculture.

Autrement dit, Marie était ben. A restait à la cabane avec les flos pis a tannait les peaux quand les gars arvenaient avec leux prises. La vie coulait doucement.

Dans l’courant de l’été, trois Canadiens français – Landry, Lachapelle pis Turcotte – se rajoutèrent à la gang. Pis au mois de septembre, y’arsoudit trois Anglais – Reznor, Hoback pis Robinson – qui avaient toute pardu après s’être faite attaquer par des Autochtones – pas les Shoshones d’la place, mais des « étranges ». Qui c’était, c’tes étranges-là, c’est pas tant un mystère; c’est juste que Marie, par qui on a su c’te boutte-là de l’histoire, avait aucune idée d’où c’qui t’sortaient.

À partir de là, ça commença à moins ben aller.

Landry s’péta la gueule à ch’fal pis mourut de ses blessures.

Turcotte se ramassa avec les écrouelles, une sorte de tuberculose qui pogne dans’gorge, pis péta au frette lui avec.

Un bon jour, Delaunay, un trappeur d’la gang du début, disparut; Pierre dit à Marie qu’y s’était sûrement faite tuer, parce qu’y avait vu un scalp de sa couleur de ch’feux dans un camp des Autochtones « étranges ».

Les étranges commencèrent à écœurer Pierre, John Reed pis les cinq autres trappeurs qui restaient. Jour après jour, y’arvenaient à la cabane pour se téter des affaires :

— Aweille donc, l’Blanc, t’as pas besoin de toutes c’tes munitions-là! Donne-nous en don!
— Heille, vous êtes ben gossants, vous-autres! Nos munitions, on n’a besoin! Arrangez-vous avec vos troubles!

Voyant qu’y arrivaient à rien avec les belles façons pis les belles chansons, les étranges se mirent carrément à faire du trouble : y volèrent une belle cape à capuchon qui appartenait à Lachapelle, pis y blessèrent un des ch’faux avec une flèche.

C’tait quoi l’idée d’attaquer gratuitement une pauvr’bête? Ch’peux pas croire qu’a leu z’avait faite des faces ou de quoi d’même.

Toujours est-il que Pierre pis John commençaient à sentir la soupe chaude, faique y décidèrent d’abandonner la première cabane pis d’en construire une autre un peu plus haut en armontant la rivière Boisé.

À c’te place-là, la gang put passer un excellent automne à trapper. Les belles peaux de castors tannées par les bons soins à Marie s’empilaient dans l’campe pis promettaient de rapporter un maudit bon motton au r’tour en ville.

Jusqu’au soir du 10 janvier 1814.

Les flos étaient couchés, Marie était su’l bord de faire pareil. Avec elle au campe, y’avait John Reed; Hoback pis Robinson étaient queque part pas loin tandis que Pierre, Lachapelle, Reznor  pis Le Clerc, un autre ancien d’l’expédition Hunt qui avait artonti pendant l’automne, étaient partis pour une de leux virées de trappe qui duraient plusieurs jours.

C’est là qu’artontit un des gentils voisins shoshones, épeuré pis toute essoufflé :

« Y’a une bande de Flancs-de-chien qui ont brûlé votre autre cabane pis qui s’en viennent drette vers vous-autres à ch’fal en poussant des cris de guerre! Y veulent votre peau! Sauvez-vous, sinon vous êtes faites! »

Si vous vous demandez c’est quoi l’affaire des Flancs-de-chien, c’t’une nation autochtone qui s’est nommée d’même par rapport à son mythe de création du monde.

Entécas, quand Marie entendit ça, a l’artroussa comme une toast quand tu forces la clanche du toaster :

« M’as prendre un ch’fal pis m’as aller avertir Pierre pis les deux autres! »

Faique tandis que Reed sortait les fusils pis s’apprêtait à aller charcher Hoback pis Robinson, Marie paqueta ses deux p’tits toutes collés de sommeil, les embarqua su’une jument pis prit le bois en pleine nuitte frette comme la mort pis noire comme le cul d’un our.

Justement, faisait tellement noir que Marie pardit son ch’min. Quand la tempête pogna, a l’eut pas le choix de s’cacher dins fardoches avec Paul pis Jean-Baptiste jusqu’à ce que ça passe, respirant à peine de peur de s’faire pogner par les Flancs-de-chien.

Quand enfin le temps se calma, pas moins qu’un jour plus tard, Marie arprit son chemin. Sauf que là, a vit d’la fumée dans la direction où c’qu’a pensait qu’étaient Pierre et compagnie :

« Peu importe c’est quoi, ça peut pas être des bonnes nouvelles. On va attendre encore. »

Faique Marie pis les deux p’tits passèrent encore une autre journée cachés. Comment c’qu’a persuadait les flos d’pas grouiller, je l’sais pas, mais c’t’un exploit.

La soirée du troisième jour, y’arrivèrent enfin à la petite hutte qui sarvait d’abri aux trappeurs. C’tait ben tranquille pis y’avait l’air d’avoir parsonne.

Toute d’un coup, quequ’un sortit d’entre les arbres pis s’dirigea vers elle en marchant tout croche : c’tait Le Clerc, blessé pis toute graissé de sang, su’l bord de tomber sans connaissance.

Marie se garrocha à sa rencontre :

— Wô! Monsieur Le Clerc! Voyons donc, vous êtes ben magané! Assisez-vous, là. Qu’est-cé qui vous est arrivé?
— Ah! Calvaire. On était après vérifier nos trappes à matin, pis là les Flancs-de-chien sont sortis d’nulle part pis nous sont tombés d’ssus! Chus ben désolé, M’dame, mais Lachapelle, Reznor pis vot’mari y’ont toute passé… Y reste juste moé…

Une nouvelle de même, c’est comme si le plancher tombait d’en d’sour de toé. Ça t’coupe le souffle. Ça change ta vie pour toujours.

Mais Marie avait pas l’temps de mettre le genou à terre. Sans pardre une seconde, a jouqua Le Clerc pis le plus jeune des flos su son ch’fal pis a r’prit l’bois direct.

A l’avait yinque une idée dans’tête : sauver Le Clerc pis avartir les autres. Sauf que Le Clerc était quasiment vidé de son sang pis y’arrêtait pas de pâmer; par deux fois, y tomba de ch’fal pis Marie dut l’armettre en selle.

À un moment donné, Marie dut s’résoudre à arrêter pis à essayer de l’mettre confortable autant que possible; c’tait clair qu’y passerait pas la nuitte.

Le Clerc prit ses darnières forces pour expliquer à Marie comment c’qu’a pourrait faire pour s’échapper avec ses flos sans s’faire pogner par les Flancs-de-chien. Pis, queque part avant l’aube, y’arrêta d’respirer pour de bon.

Au matin, Marie couvrit l’corps de fardoches pis d’neige; a l’avait ni l’temps, ni la force d’y creuser une tombe. A mit Paul pis Jean-Baptiste su le ch’fal pis arprit le ch’min d’la cabane à Reed.

J’me d’mande ben c’qui s’passait dans la tête des p’tits à c’te moment-là.

Le plus p’tit avait quatre ans; y d’vait pas vraiment réaliser que son pére était mort pis qu’y arviendrait pu jamais. Mais y d’vait ben sentir qu’y avait d’quoi qui allait pas. Sa mère était sué nerfs, c’tait évident, pis c’tait vraiment bizarre qu’a s’cache des Autochtones.

Le plus vieux, à six ans, avait dû comprendre le gros de c’que Le Clerc avait dit; assez pour être triste, assez pour avoir peur, assez pour pardre le sommeil pendant les nuites qui finissaient pu d’finir, collé après sa mére pis son p’tit frére en d’sour d’une grosse peau de bison tandis que le vent forçait pour rentrer par toutes les craques.

Pauvres p’tits cœurs.

Le quatrième jour, Marie spotta une gang de Flancs-de-chien qui clanchaient vers l’est. Tu’suite, a débarqua les flos du ch’fal, s’cacha avec eux-autres dans l’foin pis artint son souffle.

Heureusement, les Flancs-de-chien argardèrent jamais vers eux-autres pis y passèrent leu ch’min.

Fiou.

Le soir, Marie arriva enfin su l’dessus d’une colline qui donnait vue s’a cabane à Reed. J’vous dis que ça avait l’air tranquille là-dedans pis autour! Y’avait rien qui grouillait pis y’avait pas un son.

Quand même, Marie voulait absolument savoir si y’avait encore quequ’un de vivant là. Par contre, a l’était pas pour emmener les p’tits pis le ch’fal avec elle – c’tait ben que trop dangereux! Faique a les emmena dans un p’tit bois :

« Là, j’vas aller à’cabane pour voir si Monsieur Reed est encore là. Vous-autres, restez icitte pis grouillez pas! Pas un mot tant que je s’rai pas arvenue. »

Ça aussi, c’tait un risque : y’a rien qui disait à Marie qu’y aurait pas quequ’un pour arriver par en arrière pis partir avec la bête pis les p’tits gars. Mais a pouvait pas s’résoudre à partir sans savoir c’qui était arrivé aux hommes.

Faique a ramassa un gros couteau dans son sac pis partit vers la cabane en marchant ben doucement. Pis là, quand a fut assez proche, a se figea d’horreur : partout autour d’la bâtisse, la neige était couverte de sang. On aurait dit que Matante Rita avait renvarsé la bouteille de merlot s’a nappe en lin blanc à Matante Monique pis que les deux s’étaient sauté à’gorge.

Une brique dans l’estomac pis pu d’sang dins bouttes, Marie continua d’avancer pareil.

« Monsieur Reed? Monsieur Robinson? Monsieur Hoback? C’est moé, Marie! Youhou! Y’a-tu quequ’un? »

Mais y’avait yinque le vent. C’tait clair qu’y restait pu parsonne.

En tournant l’coin d’la cabane, c’est là qu’a les vit : Reed, Hoback pis Robinson – ou c’qui en restait. Mettons que ça aurait été de trop de tchéquer leu pouls : y’étaient poignardés, scalpés, défaites en bouttes. Y’avait eu d’l’archarnement.

D’après leu z’état, y’étaient probablement morts pas longtemps après que Marie soye partie avertir Pierre pis les autres. Pis eux-autres, y’étaient morts deux jours après, jusse avant que Marie arrive. C’est plate à dire, mais c’tes deux rendez-vous manqués-là avaient sauvé sa vie pis celle des flos.

Si Marie avait eu d’quoi dans l’ventre à c’te moment-là, pour moé a l’aurait restitué drette là; mais, a l’avait pas mangé depuis deux jours. A s’détourna d’la boucherie pis partit à course pour artrouver les garçons dans l’bois.

Pis là, a comprit d’quoi; ben sûr qu’a y’avait pensé avant, mais là, c’tait aussi terriblement clair qu’un boutte de vitre planté dans’chair : elle, Paul pis Jean-Baptiste étaient seuls au monde, entourés d’ennemis, en plein hiver, avec pu rien à manger.

Partie V


Source : Larry E. Morris, The perilous West : seven amazing explorers and the founding of the Oregon Trail, 2013.

Un GROS merci à ceux qui m’encouragent sur Patreon : Christine L., David P., Chrestien L., Herve L., Valérie C., Eve Lyne M., Serge O., Alice et Tomasz, et Mélanie L.

Pour faire comme eux-autres et lire les articles avant tout le monde, c’est par ici!