Une histoire de chat mort

Dessin de l’incomparable Christine Labrecque! (Pis merci à Mononc’Poêle pis Frère André d’avoir servi de modèles)

L’histoire, c’est sérieux; nous autres icitte, à Autour du poêle à bois, on sait ça depuis longtemps.

Mais des fois, en fouillant, je tombe sur une histoire qui a l’air tout droit sortie du cerveau de Mononc’Poêle pis de ses chums quand y déconnent en jouant à Donjons et Dragons.

Avant toute chose, par’zempe, m’as vous expliquer vite vite c’tait quoi une lettre de rémission en France au Moyen-Âge.

En gros, mettons que t’étais accusé d’un crime, mais pas encore condamné, tu pouvais écrire au roi pour dire de quoi du genre, « Oui, j’ai crissé un coup d’poing dins dents de l’arbitre au hockey mineur, mais c’pas d’ma faute : j’étais fâché parce que le piochon avait donné une mauvaise pénalité à mon gars! » Si le roi trouvait que ça avait de l’allure, ben y t’envoyait une lettre de rémission, pis toutes les procédures judiciaires étaient arrêtées, POUF! Comme si y s’tait rien passé.

Y’avait pas juste la colère, hein; l’amour aussi servait à justifier ben des taloches, du genre, « Si je l’ai poussée en bas des marches, c’est parce que je l’aimais TELLEMENT! »

Mais, au travers des affaires déprimantes qui font penser que c’est mieux à c’t’heure, mais quand même pas si différent pareil, y’a des PERLES.

Comme celle-là :

Une fois c’t’un gars en France au XVe siècle, on va l’appeler Ti-Jean, qui buvait d’une taverne avec un de ses chums, on va l’appeler Ti-Paul. Un m’ment’né, Ti-Paul dit « Bon ben m’as faire un boutte » tandis que Ti-Jean décidait de rester pis de s’envoyer une couple d’autres pintes.

Quand Ti-Jean s’en alla à son tour, y fit un méchant saut : dehors, dans un racoin sombre, Ti-Paul l’attendait depuis toute c’te temps-là. Y se garrocha su Ti-Jean, pis y’avait d’quoi dins mains… Ti-Jean eut yinque le temps de s’rendre compte que c’tait un chat mort à moitié décomposé avant d’en arcevoir un coup drette dans’face, SHPLAK!

Ti-Jean mit la main su sa joue – du sang?

« C’est quoi ton astie d’problème? Tu m’as grafigné avec ton crisse de chat! »

Enragé noir, Ti-Jean sortit son poignard pis blessa Ti-Paul au bras.

Le swigneux d’chat se sauva, laissant Ti-Jean avec plein de questions : qu’est-cé qu’y lui avait pogné là? Y’avait trouvé ça où, c’te chat mort-là? Depuis quand y’était caché dans l’coin avec ça dins mains?

Mais l’histoire était pas finie.

Ça vous surprendra pas, mais Ti-Paul, c’tait un crotté, pis y prit même pas la peine de laver sa plaie. Résultat : la gangrène pogna là-dedans, pis y mourut. Qui swigne un chat risque trépas, faut crère.

Faique Ti-Jean fut accusé d’meurtre, pis y pouvait avoir la peine de mort!

Attisé par un profond sentiment d’injustice, Ti-Jean alla voir un procureur pour qu’y lui rédige une demande de lettre de rémission.

Son principal argument, c’tait ça :

« Y m’a swigné un chat mort dans’face sans aucune maudite raison, pis y m’a grafigné la face! Ch’pense que j’avais l’droit d’être fâché! »

Faut crère que c’tait convaincant, parce que le roi y’accorda sa lettre de rémission, pis c’est d’même que cette anecdote pas d’allure se rendit jusqu’à nous autres.

Pis, qui sait, ça donnera peut-être des idées d’arme improvisée à Mononc’Poêle pour sa prochaine campagne de D&D?


Ma source, si ça vous tente d’en savoir plus :

https://www.medievalists.net/2021/10/rotting-cat-damaged-penis/

Le drôle de Noël de Carol Riendeau — partie II

(un conte écrit à six mains – avec Mémère Poêle pis l’fantôme de Charles Dickens)

Partie I

BOUM! Carol fut catapulté dins couloirs de l’école Monseigneur-Télésphore-Brillant; le cœur y serra.

Y s’arvit ti-cul en huitième année, tu’seul dans son coin. Le rejet de la classe. Y’arvit du monde qui pensait jamais arvoir pis qu’y aurait jamais voulu arvoir non plus : Jason « la Guédille » Paquet, Greta Asselin pis Fern « Pue-d’la-yeule » Parenteau, ses trois intimidateurs en huitième année.

— Ah, non, pas c’tes caves-là! souffla Carol, blanc comme un drap.
— Vous voyez là des ombres du passé, dit l’esprit, voyant que Carol filait mal. Elles ne peuvent ni vous voir ni vous atteindre.

Une chance.

« Ha ha! C’est Carol le Bol! Le linge brun, c’tu pour cacher les traces de brake? Chez vous, ça a l’air d’une bécosse! » ricana Jason avec sa grand’face de pet.

Ça volait pas haut.

« Mon beau Carooolll? Ça te tente-tu de venir voir un film avec ta tite Greta d’amour pendant les vacances de Noël? ronronna Greta en battant des cils. Ben non innocent, c’tune joke! T’étais-tu franchement imaginé deux secondes que j’allais sortir avec toé? Pfouaahahaha! »

Fern, lui, y disait rien. Y disait jamais rien. Y’était juste là avec ses grands bras ballants, prêt à fesser quand on y demande.

Mais c’pas pire, Carol eut pas le temps de se faire arracher sa tuque que, oups! l’esprit l’avait ramené à’maison, la même maison qu’y habitait encore aujourd’hui pis que Jason « la Guédille » Paquet traitait de bécosse.

Quand Carol en avait hérité, y l’avait gardée telle quelle pis avait arfusé d’la vendre. C’tait yinque parce qu’y voulait pas donner une seule autre cenne à un maudit crosseur de notaire; certainement pas parce qu’y avait des beaux souvenirs dans ces murs-là. 

Riendeau s’vit rentrer d’l’école. Dans sa maison d’enfance, y régnait une ambiance de peur pis d’frette qui continuait de le hanter même à c’t’heure. Les stores étaient toujours fermés pis le thermostat était toujours à 16. Par le cadre de porte du salon, y voyait les pieds de son père assis dans son fauteuil. Jeune Carol essayait de pas faire de bruit; ça y tentait pas que l’paternel le voye pis l’traite encore de bon’rien. 

Heureusement, y’avait sa grande sœur Fanny. Quand y la vit arriver, Carol vint les yeux humides. 

— Je vous sens ému, Monsieur Riendeau, dit l’esprit. 
— Fanny, c’tait la seule à avoir été fine avec moé dans’famille, répondit Carol, la voix éraillée. Maman est morte jeune, pis ch’pense qu’a se sentait responsable de jouer c’te rôle-là à sa place. P’pa était pas du monde, mais a faisait toute pour raccommoder la famille. 

Là, Carol s’arvit les tits yeux pleins d’étoiles en avant de son bas d’Noël étendu proche du poêle. Jeune Carol tâta le bas; ça craquait! Là, y découvrit… une patate enveloppée dans du papier journal. Chaque année, une patate dans le papier journal. Son père riait comme un malade. Chaque année, Carol y se disait que son père l’arpognerait pas, mais le bonhomme réussissait tout le temps à y faire croire que non, c’t’année ça allait être de quoi de beau. 

Mais sa sœur, elle, a prenait toujours la peine d’y offrir un p’tit cadeau, une p’tite soufflette de rien; c’tait elle qui lui avait donné son premier portefeuille. Le soir de Noël, a préparait toujours des p’tits sandwichs pas de croûte pis des saucisses roulées dans l’bacon, à défaut d’un cipâte ou d’une dinde. Pour Carol, c’tait le plus beau repas de l’année. 

— Chus ben niaiseux, soupira Carol. 
— Pourquoi donc? demanda l’esprit. 
— Mon neveu Fred, c’est l’garçon à ma sœur; c’est toute c’qui m’reste d’elle, dans l’fond. Hier, y m’a invité à souper, pis, ch’sais pas pourquoi, j’l’ai arviré d’bord comme un chien…

L’esprit dut voir que Riendeau commençait à avoir les jambes molles, parce qu’y le ramena chez eux, dans l’présent. 

Y l’argarda tituber jusqu’à son litte pis s’endormir aussitôt. Y sourit avec bienveillance pis s’éteignit comme une chandelle.

Carol se réveilla à’même heure, pareil comme la veille, dans l’silence, le givre dins chassis qui l’empêchait de voir dehors. 

« Coudonc, c’tu l’jour d’la marmotte? »

Y’avait encore le motton d’avoir vu sa sœur la veille, mais y s’préparait déjà mentalement pour le prochain esprit. 

« Qu’est-cé qu’y vont ben me montrer à soir? »

Tout d’un coup, y’entendit des grelots, comme si Ginette Reno était après descendre du ciel en chantant « La promenade en traîneau ». 

« HO HO HO! »

Carol faillit tomber en bas du litte : en avant d’lui, c’est nul autre que l’père Noël qui apparut. 

« Joyeux Noël, Carol! Venez avec moi dans mon traîneau, mon garçon, j’vous emmène! Vite, nous n’avons pas beaucoup de temps! »

Tiré par la queue d’chemise, Carol se ramassa le derrière su’l siège passager du traîneau du père Noël, volant au-dessus d’la ville. 

— Alors, mon p’tit Carol, Monsieur Dickens m’a dit que tu penses que Noël, ça ne sert à rien? 
— Euh…

Carol eut quand même un p’tite hésitation avant de dire en pleine face au père Noël que sa fête, c’tait d’la marde. Mais y put pas s’en empêcher. 

— Ben là, j’m’excuse, Monsieur Noël, mais ch’comprends juste pas pourquoi l’monde s’énarve pis jette l’argent par les f’nêtres de même, yinque parce que le 25 décembre s’en vient. La vie est assez dure de même sans se donner autant d’misère : courir partout dins centres d’achats pour acheter des cossins qui vont finir aux vidanges, décorer avec des gugusses cassants qui font yinque prendre d’la place dans l’débarras, faire semblant d’être fin avec le monde alors qu’on s’en sacre le reste de l’année, sans parler de c’t’espèce d’orgie d’bouffe complètement obscène de pâtés à’viande pis d’Ferrero Rocher du Jean-Coutu. Pis toute ça, ça fait juste sentir mal toutes ceux qui sont pas capables de se le payer…
— Ça, c’est ton point de vue, mon garçon. Et si nous allions voir la fête dans les yeux des autres?

Le père Noël donna un p’tit coup de rênes à ses rennes, pis y’étaient partis. 

Carol s’artrouva au Salon des artisans. Tout le monde avait le sourire, ça magasinait pis ça jasait. Les vignerons pis les chocolatiers pis les cuisineux de terrines pis de gelées aux p’tits fruits que Carol connaissait pas faisaient goûter leux produits faits avec amour. Ça sentait bon. 

Sur une p’tite scène dans l’coin, y’avait une chorale avec des enfants qui chantaient des airs des Fêtes. Carol sentit comme une chaleur y monter dans’poitrine, de quoi qui lui était pas arrivé depuis longtemps. Parmi les p’tits chanteurs, y’armarqua le flo qu’y avait vu chanter dans l’chassis de son bureau la veille de Noël pis y argretta de l’avoir chassé.

« Ouin, là, c’tait p’t-être moé, l’cave… »

Pis là, wôh! Un autre p’tit tour de traîneau, pis l’père Noël l’emmena dans’maison à Bob, son employé. Y’était autour de la table en train de réveillonner avec sa femme Chantal pis leux enfants. Jamais y’aurait pensé que Ti-Bob pouvait passer un beau Noël de même au salaire minimum. Y’avait une dinde, des bonnes patates pilées pis d’la bûche! Ça chantait, ça riait pis ça s’taquinait. Bob y complimenta Chantal, qui avait mis la main s’une dinde en super spécial.

« Chantal, c’est ta meilleure dinde en carrière! commenta Bob. T’es un vrai génie de l’économie! »

Bob prit la peine d’armacier sa femme parce qu’elle avait encore réussi à ménager toute l’année, ti par ti peu, pour acheter un cadeau à tout le monde.

« Des fois, j’me dis que Chantal, ça m’aurait fait une bonne femme », s’avoua Carol dans l’intimité de son ciboulot.

Bob eut une pensée pour Carol :

« J’lève mon verre à mon vieux grippe-sous de patron. Ch’t’arconnaissant envers lui pareil : j’oublie jamais qu’y m’a laissé une chance parce j’étais pas capable de me placer à cause de mes folies de jeunesse. Santé, le vieux! »

Mais, encore une autre tour de traîneau, pis le fantôme l’emmena sentir ce qui se passait chez son neveu Fred.

« Ouin, j’ai invité mononcle Carol, mais y m’a envoyé promener comme d’habitude, racontait Fred à ses invités. J’y demande à chaque année, pis chaque année c’est pareil. J’me dompte pas. Pauvre lui, y’est pas fin, mais pareil, ça doit être triste chez eux à soir. On lève tu notre verre pareil à’santé de mon vieux mononcle Séraphin? Chus sûr qu’y a du bon dans le fond. Santé, Mononcle! »

Le père Noël emmena Carol visiter la ville, vite pis lentement en même temps. Y’en vit, des affaires : toutes sortes de réveillons, des riches avec des huîtres pis du champagne le p’tit doigt en l’air, jusqu’à des moins riches dans le style de Bob, mais ben d’autres encore qui avaient moins, mais qui s’arrangaient grâce aux paniers de Noël. Y’appréciaient le peu qu’y avaient. Y’en vit qui se chicanaient. Y fut transporté vers du monde qui étaient loin de chez eux pis qui s’ennuyaient. 

« Vous leu feriez pas un lift avec votre traîneau, père Noël? » demanda Carol avec un sourire en coin. 

Le père Noël répondit pas pis le ramena plutôt chez eux, dans son litte, à réfléchir su toute c’qu’y avait vu. 

Carol avait ben constaté qu’y avait des heureux, des moins heureux, pis des pas heureux pantoute, pis que ça avait pas à voir tant que ça avec l’argent.

Carol s’tait jamais vraiment arrêté à penser aux autres pis à c’qu’y vivaient, mais là, y v’nait d’en avoir un concentré, pis ça l’faisait filer bizarre. Y’avait fait rire de lui dans sa vie, mais là, y se surprit à penser à toutes les fois qu’y avait ri des autres, lui’ssi. Y se disait que les pauvres étaient pauvres parce qu’y étaient lâches; que si lui, y’avait réussi à se ramasser un motton, tout le monde était capable. Mais, c’tait ben plus compliqué que ça. 

Là, son motton, y l’avait dans la gorge. En même temps, y se sentait comme toute attendri; le vieux mur de crépi qu’y avait bâti autour de son cœur commençait à craquer.

C’est son propre ronflement qui le réveilla la troisième fois. Après avoir vu le père Noël la veille, Carol était optimiste : 

« Dickens a dit que j’allais voir l’avenir. Ça devrait pas être si… AAAH!!! »

Dans l’coin d’la chambre, y’avait une grande silhouette sombre qui portait une espèce de chasuble noire tout échiffée. A s’approcha du litte en flottant à un pied du plancher, sans faire un son, la face cachée par son capuchon. 

« Euh… C’est vous, l’esprit du futur, j’imagine? » demanda Carol, terrorisé. 

L’esprit répondit pas, mais y fit signe de l’arjoindre avec un doigt décharné. 

C’te fois-là, pas de charmante promenade en traîneau. 

Carol s’artrouva téléporté dans l’entrée d’un édifice à bureaux. Trois bonshommes avec qui y’avait déjà eu affaire jasaient en avant d’la porte. 

— Ouin, tu parles d’une nouvelle toé! Le vieux gratteux à Riendeau qui est passé de l’autre bord! Y l’ont trouvé tu’seul sans connaissance dans sa maison.
— Ben oui toé! Ch’pensais qu’y mourrait jamais! J’me demande c’qu’y avait décidé de faire avec son argent. Pour moé y va se faire enterrer avec. Comme j’le connais, y’est après se dealer une place au paradis pas trop chère avec saint Pierre.
— Ha! Ha! Entécas moé, j’ai d’autres choses à faire dans’vie que d’aller à son service – comme classer mes guides de l’auto de 1972 à 2024. À moins qu’y aye un p’tit buffet frette, pour la peine! 

Carol eut un gros pincement au cœur. Y’avait jamais pensé finir de même. Y s’tourna vers l’esprit, toujours aussi silencieux et épeurant. 

« Y va-tu avoir du monde à mon service? » demanda Carol. 

L’esprit leva un bras, pis PAF! Y s’artrouvèrent au salon. Où, à part l’urne à Carol pis le croque-mort, y’avait juste Fred, qui disait au revoir à Bob, passé faire un p’tit tour cinq minutes. Pas de cousins, pas de connaissances, pis surtout pas d’amis. 

« Fred! Mon bon Fred! s’exclama Carol, les yeux pleins d’eau, se sentant encore plus coupable d’avoir arfusé son invitation. Pis Bob! »

Riendeau commençait à hyperventiler.

« Y’a pas personne d’autre qui pense à moé après ma mort? » 

L’esprit le téléporta alors dans un deux et demi où une jeune femme faisait ses comptes à’table d’la cuisine. Tout d’un coup, son chum entra en coup d’vent : 

— Steph! Tu sais pas quoi? 
— Quoi?
— Tsé l’bonhomme Riendeau?
— L’gars du prêt qui appelle icitte cinq fois par jour comme une tache pour qu’on l’rembourse?
— Ouais! 
— Ben lui, quoi? Accouche!
— Yé mort! 
— Ben voyons don, toé, pour vrai?
— Vrai de vrai. Y s’rait mort le vendredi soir tu’seul dans son salon, mais c’est yinque lundi qu’y l’ont trouvé; son employé s’inquiétait de pas l’voir au bureau.
— Mais on aura sûrement pas la paix? Notre dette va être transférée à quequ’un? 
— Ouais, mais d’ici à c’que ça s’arrange, j’vas avoir été payé pour la job que j’ai faite le mois passé, pis on va être bons pour rembourser. En attendant, on s’fra pu harceler!
— T’as ben raison. Meilleure nouvelle de l’année! 

Carol avait l’impression de s’être fait scier les jambes. Fred pis Bob s’taient pointés à ses obsèques pas mal par devoir, y s’en doutait ben. Pis sinon, la seule émotion que sa mort inspirait, c’tait d’la joie pis du soulagement! 

« Bon, ch’pense que j’n’ai assez vu… Pouvez-vous m’ramener, sivouplaît? »

L’esprit l’tortura pas plus longtemps. Carol artourna direct dans son litte.

Après toute c’qu’y avait vécu, y se demanda si y’allait s’réveiller correct. Pis pour vrai, quand y’ouvrit les yeux, toute était comme d’habitude dans’maison. Ses vieilles pantouffes étaient à leu place, le cadre du frère André pis son vieux plateau de dîner Swanson d’la veille aussi. Toute.

Y faisait toujours aussi frette mais y’était tellement content! Y’avait jamais ben filé de même.

« Je veux vivre dans le passé, le présent et l’avenir! s’écria-t-il en sautant en bas du litte. Les leçons des trois esprits demeureront gravées dans ma mémoire. Ô Charles Dickens! Que le ciel et la fête de Noël soient bénis de leurs bienfaits! Je le dis à genoux, oui, à genoux! »

Carol Riendeau comprenait pu rien. 

« Voyons, qu’est-cé qui m’prend? Chus rendu que je parle comme Monsieur Dickens, moé là! »

Y s’garrocha dans le châssis pour voir dehors. Toute avait l’air normal. Y’avait un ti gars qui passait dans la rue en sifflotant. 

— Heille, ti-gars! On est quel jour?
— Ben, c’est Noël, c’t’affaire! répondit le flo, toute froissé qu’on y demande une question aussi niaiseuse.

En même temps, les cloches des églises se mirent à sonner partout. Riendeau se pouvait pu tellement y se sentait heureux. 

Y s’habilla avec son plus beau linge pis sortit dehors. Le vieux Carol garrocha des Joyeux Noël! partout à tout le monde. Y donna même trois vingt piasses à un gars qui quêtait au coin d’la rue. 

Un peu plus tard, l’ex-radin viraillait en avant de chez son neveu Fred. Y savait pas trop si y pouvait s’présenter là, parce qu’y avait été ben ben fin avec lui la veille. Y se décida à cogner à’porte.

C’est sa nièce par alliance qu’y ouvrit, les yeux grands comme des cinquante cennes.

— Ah! Euh, bonjour, mononcle Ca…rol.
— Bonjour pis Joyeux Noël ma belle nièce! Vous êtes en beauté aujourd’hui! Finalement j’ai décidé de venir fêter Noël avec vous autres, si chus toujours invité.

Fred arriva su les entrefaites. 

— Oh! Mononcle Carol! Rentrez, rentrez! Vous avez changé d’idée?
— Ben… oui, si tu m’en veux pas trop pour hier.
— Non, non, venez-vous en, chus tellement content de vous voir!

Carol goûta chaque moment du souper pis de la soirée. Y’avait jamais passé un beau Noël de même. Y se promit d’en vivre d’autres à l’avenir.

Y rentra chez eux le soir tard, toute guilleret, pis le lendemain, y se rendit au travail comme prévu.

Bob arriva en retard, toute piteux pis un peu pâteux. Y s’attendait à manger sa gratte.

— T’es en retard, mon niaiseux? lâcha le bonhomme en se forçant pour parler comme le Riendeau d’avant.
— Euh oui… je… m-m-m-m’excuse m’m’m’monsieur Riendeau, bégaya Bob, avec l’envie de rentrer en dessous du tapis toute parcé. On a eu pas mal de fun hier. Ça arrivera p-p-p-pu, je vous le prom…
— C’t’une farce! Je comprends ça, le coupa Riendeau, s’amusant de voir la face à Bob, toute pardu.
— Mais y fait ben chaud ici dedans? Le thermostat est-tu déréglé? demanda l’ébarlué.
— Non non, j’ai monté le chauffage. Chus tanné de geler. Toé’ssi j’imagine? s’enquit le boss, devant la face de plus en plus incrédule à son employé. Pis, sais-tu quoi mon bon Bob? 
— Euh… non, Monsieur? s’inquiéta Bob.
— J’vas t’augmenter. Ça fait des années que tu m’endures pour un salaire de crève-faim, tu travailles super ben, t’es fiable pis honnête pis t’es précieux pour moé. Faique tiens, une tite avance pour tu’suite. Tu vas voir, mon Bob, ça va changer icitte. On va aller loin toé pis moé! À’place de nuire, on va aider!

Bob eut besoin de ramasser ses bras à terre, tellement y’étaient tombés. Le lendemain, y pensa qu’y allait revenir au bureau pis que le beau temps serait fini, mais non. Le surlendemain pis les autres jours non plus.

De son côté, Carol Riendeau vit pu jamais de spectres. Ses visites dans le temps l’avaient transformé pour de vrai. Y devint un maudit bon bonhomme, tout le temps de bonne humeur. Y’en a qui riaient de t’ça, qui le traitaient de vieux gâteaux qui sait pas ce qui veut, mais lui y s’en sacrait. Y’était juste reconnaissant de la chance qu’y avait eu.

Pis à sa mort, des années plus tard, le salon funéraire était ben plein d’monde.

C’est-tu pas beau, ça?

Le drôle de Noël de Carol Riendeau – partie I

(un conte écrit à six mains – avec Mémère Poêle pis l’fantôme de Charles Dickens)

Illustration : Christine Labrecque

Carol Riendeau, pour moé, c’tait le gars l’plus gratteux d’la terre. Hé, cibole. 

Tu le voyais pour la première fois pis ça sautait aux yeux. Maigre comme un tit poulet déplumé,  y mettait tout le temps des kits en coton ouaté brun pour pas avoir besoin de les laver trop souvent. Y’avait jamais cessé de porter ses fameux Puma des années ‘80 – y’avait mis la main s’un lot de copies cheapettes chinoises en plastique, pis là y’avait des souliers pour la vie. Pis la fameuse moumoutte! Des fois, a l’était un peu de travers, pis les enfants dans rue aimaient ben ça essayer d’la faire sauter. 

Pour lui, manger, c’tait du gaspillage. Fait qu’y se nourrissait principalement de Paris Pâté avec du pain passé date chez Maxi. Des fois, y s’aventurait dans l’container en arrière du magasin pour mettre la main su son pain tranché. Ça y’arrivait de se colletailler avec des Zéro déchet pis des itinérants. Des fois, la moumoutte arvolait, mais y s’entêtait à y retourner.

Pauvre Carol pareil.

Pauvre, mais juste pauvre moralement. Parce que Carol, ça y sortait par les oreilles.

Carol, dans’vie, y faisait des prêts sur salaire; tsé, la sorte de prêt à court terme qui exploite le monde vulnérable avec des taux d’intérêt épouvantables, pis qui est tellement terrible que quand tu cherches « prêt sur salaire » su Google, ça donne juste des pages du gouvernement qui te disent d’éviter ça à tout prix?

Carol, lui, ça l’empêchait pas de dormir pantoute.

Y se sentait ben légitime dans son affaire. Carol, y’avait une dent contre le monde depuis qu’y était p’tit. Chaque cenne d’intérêt qu’y faisait, c’tait un point d’plus de scoré contre « les caves » : « M’as leu montrer, moé, de quoi chus capable », qu’y disait, « leu» incluant son père, qui avait jamais manqué une bonne occasion de l’humilier.

Y’avait son bureau dans une place commerciale louche aux trottoirs de béton égrainés, entre un salon d’manucure vietnamien pis un vape shop.

Son enseigne, avec un coin pété pis l’néon qui allumait pu depuis cinq ans, disait : « Crédit Riendeau – Du cash, pis rien d’autre ».

Le bureau en tant que tel, y faisait sombre là-dedans. Les murs étaient à l’air, aucune décoration, pas l’ombre d’un tit cadre de coucher de soleil quétaine, même pas un calendrier de madames tout nues comme dins garages quand y’était jeune. À terre, y’avait des vieux tapis écornés qu’on s’enfarge dedans, pis ça sentait le renfermé.

Mais surtout, y faisait FRETTE. Carol gardait le thermostat à 16 pis y’avait même mis une barrure dessus pour empêcher Bob, son adjoint, de l’monter quand y’argardait pas. Le pauvre Bob travaillait avec sa froque su’l dos, un cache-cou pis des gants avec le boutte des doigts ouverts. 

C’te jour-là, c’tait le 24 décembre, mais on n’aurait pas dit. Y’avait pas des lumières de Noël, pas le moindre ti sapin en aluminium jauni sur un coin d’bureau, surtout pas de père Noël qui part à chanter quand tu bouges ta main en avant.

Tandis que Carol pis Bob étaient su’l bord de fermer pour la journée, Fred, le neveu à Carol, qui restait dans un appart pas loin, arsoudit comme un ch’feu su’a soupe. Y’avait l’grand sourire dans’face. 

— Bon, qu’est-cé qu’y a encore? grogna Carol en l’vant l’nez de su ses papiers.
— Heille, salut Mononcle! lança Fred, tout joyeux. C’est Noël à soir! 
— Bah! Viande à chien! fit Carol. 

Parce que oui, Carol était un grand fan de Séraphin Poudrier pis y trouvait qu’y avait raison su toute la ligne. 

— Viande à chien? Voyons don, Mononcle. C’est l’fun, Noël! On a invité plein de monde pour le réveillon. Pis le sapin y’est beau! Caroline s’est surpassée c’t’année. 
— C’est des folies, ça, rétorqua Carol. Toute coûte déjà assez cher de même, pourquoi t’ruiner d’même en affaires qui servent à rien? Le sapin, y finit su l’bord du chemin au mois d’janvier anyway. 
— Ben crère, mais c’pas ça qui compte, répondit Fred. Noël, à mon sens, c’est comme une p’tite lumière chaude dans l’noir pis l’frette de l’hiver. C’est l’temps d’être ensemble, de s’coller su’l divan avec les enfants en r’gardant un film, d’arcevoir les amis pis la famille autour d’une table ben garnie, d’ouvrir son cœur pis sa porte, de mettre un peu d’beau pis d’bon dans l’monde. C’est sûr que ça coûte de quoi, Mononcle, mais ça fait du bien. 

À son bureau, Bob, qui écoutait d’une oreille, put pas s’empêcher d’applaudir. Mais quand y vit l’oeil noir que Carol y décocha, y baissa les yeux aussitôt pis s’armit à remplir son fichier Excel. 

— Coudonc, Mononcle, arprit Fred, sans laisser à Carol le temps de répliquer. Je voulais vous demander ça, là. Ça vous tenterait pas de venir souper avec nous autres demain? Caroline fait une dinde…
— Es-tu tombé su’a tête, toé là? Demain, ch’travaille, pis j’ai pas le temps. Bon! Fais de l’air, ch’t’ai assez vu!

Habitué que son oncle soye pas du monde, Fred s’en alla pas trop dépité. Y s’y attendait ben.

Riendeau s’armit au travail, ben concentré su ses calculs; mais là, y’avait un bruit qui le dérangeait. 

« Voyons! Quessé ça? » 

En s’artournant, y vit un flo qui chantait « Petit papa Noël » le nez collé dans vitrine crottée avec un grand sourire béat. 

« Va-t’en de d’là, maudit morveux! »

Pendant c’temps-là, cinq heures avaient sonné, pis Bob avait commencé à fermer ses affaires. De là à’porte, ça s’rait pas ben long, vu qu’y avait déjà sa froque. 

— Les jours fériés, c’tu une perte de temps, un peu! lâcha Carol en boutonnant son pardessus. Si ch’tais pas pogné pour te payer plus cher, ch’te f’rais rentrer demain! Après toute, moé, j’vas être là à huit heures tapantes.
— Ah, ben c’pas moé qui décide ça, Monsieur, c’est l’gouvernement, répondit Bob, prudemment. 
— Ouin, ben ch’compte su toé pour être là le 26 au matin! Les caves vont avoir besoin d’cash pour toute flamber au Boxing Day! 
— C’est sûr, Monsieur. Joyeux Noël, là! 
— Ben oui, c’est ça. Bonne soirée, bye! 

Carol éteignit les lumières, barra la porte en arrière de lui pis s’en alla chez eux, enfin tu’seul, parsonne pour l’embêter ou y proposer des affaires qui coûtent de l’argent.

Y faisait noir pis frette dans sa vieille maison héritée du paternel, mais Carol, y’aimait ça de même; c’tait plus le compte de l’Hydro qui l’faisait frissonner.

Pour souper, y’avait décidé de se gâter un peu : y’avait 1 000 points su les dîners Swanson à’dinde au Maxi.

Comme d’habitude, y’enfila ses vieilles pantouffes en phentex pis emmena son assiette dans ce qu’y appelait son salon pour manger en avant de la TV.

Sa TV cathodique, c’tait le seul éclairage de la pièce. En avant, y’avait son vieux fauteuil effiloché style espagnol, ben à’mode dins années ‘60, qui avait appartenu à son pére. Y l’avait installé pour être le plus proche possible du calorifère. Su’l mur en préfini brun, à côté d’un châssis minuscule à la vitre embuée, y’avait un cadre du frère André qui datait du temps de sa défunte mère. Y’avait jamais osé l’enlever. En fait, rien avait changé depuis que ses parents avaient levé l’ancre.

Comme d’habitude, y s’installa pour réécouter une énième fois Les belles histoires des pays d’en haut; son épisode préféré, c’tait quand Séraphin surprend l’père Laloge dans’tasserie de foin en train de se bourrer la face dans m’lasse. Avec du pain en plus! Y r’gardait ça su des vieilles cassettes VHS, parce que les DVD, c’tait pour les caves – pis parlez-y pas des TV intelligentes. 

Après une couple d’épisodes, y commença à cogner des clous. 

Tout d’un coup, y s’mit à entendre des bruits vraiment pas comme d’habitude. C’tait comme des chaînes, pis ça y glaçait l’sang.

« Y fait pas chaud ici dedans, c’est normal », qu’y s’dit. 

Mais là, l’bruit continuait, pis ça s’rapprochait. Ça montait l’escalier! 

« Boum! Boum! Sschroumch, shriiiirashhhh schriiii…»

« Là, par’zempe, y’a d’quoi de pas normal! » 

Les bruits de chaîne, ça devenait assourdissant. Riendeau était terrorisé. Pis c’est là qu’une espèce de silhouette blanche, comme une fumée en forme de gars, passa au travers d’la porte d’la cave. 

« C’est des folies comme dins histoires, ça là. J’dois être fatigué. Ou peut-être que mon dîner Swanson était passé date? »

La silhouette était rendue entre lui pis le calorifère – mais Carol voyait le calorifère pareil. Y dut ben admettre qu’y avait quequ’un… ou queque chose. Entécas, c’tait transparent. Comme un fantôme. C’est là qu’y armarqua que la chose était habillée bizarre, comme si a venait du temps de Séraphin.

— Euh… T’es qui, toé? T’es… quoi?
— Moi, Monsieur, je suis Charles Dickens, ou plutôt son spectre,  répondit la fumée en forme de gars, avec une voix caverneuse qui faisait passer des frissons dans le chignon du cou à Riendeau.
— Un spectre? T’es-tu un genre de savant? Tu parles don ben bizarre.
— C’est tout à fait normal, mon brave. J’ai vécu au 19e siècle. C’est moi qui ai écrit A Christmas Carol, ou Un chant de Noël, si vous préférez. Une distinguée dame autrice de votre époque, qui s’affuble de la pittoresque appellation de Matante Poêle – allez savoir pourquoi – est en train de s’immiscer dans mon conte. Alors moi, je m’immisce dans le sien. Cela m’amuse beaucoup, je dois dire. Dans mon récit, le personnage que je m’apprête à faire voyager dans le temps se nomme Scrooge. Cela vous dit-il quelque chose?
— Ch’connais pas ça, les histoires, moé. Les livres, ça coûte trop cher. La seule histoire que mon père me racontait, c’tait Pète pis répète.
— Cette histoire ne figure pas dans mon bagage culturel, mais, peu importe. D’emblée, avant que je vous expose le périple que je souhaite vous proposer, je vous prierais de me vouvoyer. Sommes-nous d’accord?
— Euh… Wô-oui, pas d’trouble…
— Je perçois cela comme un assentiment. Nous pouvons donc discuter. J’y mettrai toute ma bonne volonté pour déchiffrer votre mode d’expression quelque peu, disons… trivial. Mais trêve de considérations futiles. Mon cher Monsieur Riendeau, j’ai une proposition que vous ne pouvez pas refuser.

Ça roulait vite dans’tête à Carol. Y pensait : « Bon, c’est pas assez d’avoir un fantôme dans ma chambre, faut qu’y soye écrivain, qu’y vienne de l’époque de Séraphin, qu’on soye dans un conte pis qu’en plus y m’propose un marché! Pour moé ch’t’après délirer! »

— Mais non, vous n’êtes pas « après délirer », mon pauvre ami, soupira le spectre. 
— Ahh! Vous êtes dans ma tête! 
— Eh bien voici, le coupa le fantôme, cette fois avec sa voix d’outre-tombe. Vous avez entendu les chaînes?
— Entendu? J’les ai pognées dans’tête comme quand Nuance chante « Vivre dans la nuit »!
— Eh bien ces chaînes, je les traîne depuis que j’ai quitté cette terre. Elles représentent tous les malheurs que j’ai pu causer à mes semblables alors que j’étais vivant. Elles m’empêchent de reposer en paix. À voir la vie que vous faites, j’anticipe pour vous une vie dans l’au-delà interminablement pénible, à traîner des chaînes d’ancre de paquebot.
— Bon, c’pas vrai toute ça, là! J’vas aller me pitcher de l’eau frette dans’face, pis le fantôme sera pu là maique j’arvienne.
— Tut tut tut, mon cher Monsieur Pingre. Écoutez-moi! Je viens vous proposer un marché qui va complètement changer le cours de votre vie. Si vous acceptez, bien sûr. Vous aurez la chance unique de voyager avec l’esprit du passé, celui du présent et celui de l’avenir. Je crois que ces explorations sont dans votre intérêt, si vous voyez ce que je veux dire.
— Euh… ok, ça va-tu me coûter ben cher? 
— Mais non, ça ne coûte rien, l’interrompit l’auteur. Vous êtes un incorrigible grigou, Monsieur!
— Euh, ch’sais pas trop ce que ça veut dire, là, mais ouin, ok, essayons ça. J’ai pas le goût de traîner les chaînes du Titanic pour l’éternité. Qu’est-cé qu’y faut que ch’fasse, debord?
— Bien! Alors, vous allez vous coucher comme si de rien n’était et durant la nuit, vous allez effectuer ce périple incroyable. Bonne chance, Monsieur Riendeau. 

Sur ce, POUF! Le fantôme de Charles Dickens parut s’évaporer au travers des craques du plancher. 

Secoué, mais pas d’humeur à s’astiner, surtout pas avec un spectre, Carol s’en alla direct dans sa chambre, mit son pyjama pis tomba comme une masse dans son litte, plongé dans un sommeil sans rêve.

Carol s’réveilla en sursaut, pas sûr d’où y’était pis surtout de quand y’était. 

Y faisait noir comme dans l’poêle; la seule chose qui perçait l’obscurité, c’tait les gros chiffres rouges agressants su son vieux radio-réveil fini bois. 

« Minuit et quart? Ben voyons don, j’me rappelle qu’y était deux heures passées quand j’ai étampé, ça s’peut pas que j’aille dormi quasiment 24 heures! »

Capotant légèrement, Carol essaya d’argarder par le chassis, mais la vitre était tellement couverte de frimas qu’y voyait rien. Toute était parfaitement silencieux; pas de char qui passait dans’rue, pas d’gars chaud qui parlait fort su’l trottoir, même pas un brin d’vent pour faire craquer la veille cambuse à Carol. 

Histoire de s’armettre la tête ensemble, Carol alla s’prendre un verre d’eau frette dans’salle de bains. 

« C’est sûr que j’ai halluciné toute ça, qu’y s’dit. Un fantôme qui parle en cul d’poule dans mon salon! J’ai dû m’péter la tête queque part. J’gage que j’ai une poque dans l’front… » 

Mais non : dans l’miroir, son front était ben lisse. 

Y sortit d’la salle de bains, pis quand y vira l’coin, y’armarqua une lumière qui v’nait du salon. 

D’abord fâché d’avoir oublié de farmer la tévé, Carol s’arrêta net dans l’cadre de porte du salon : au milieu d’la pièce, entre lui pis la TV, y’avait une silhouette qui brillait. 

C’tait pas comme Dickens, une genre de fumée; non, c’tait une flamme de chandelle qui dansait pis qui changeait d’forme tout l’temps, mais qui, plus souvent qu’autrement, arsemblait à un tit gars qui souriait d’un air avenant.

— C’tu vous, l’esprit qui était censé v’nir me voir? demanda Carol, se sentant aussitôt niaiseux parce que tsé, quel autre esprit ça pouvait ben être?
— Oui, c’est bien moi, Monsieur, répondit l’esprit d’une voix douce, cristalline comme celle d’un flot, mais qui parlait comme un adulte.
— Pis les deux autres, sont où? Dickens a dit qu’y aurait trois esprits.
— Patience, Monsieur Riendeau. Vous rencontrerez chacun d’entre nous à son tour.
— Ah, ça aurait été d’adon de clairer ça toute d’un coup, marmonna Carol. Pis, vous êtes qui?
— L’esprit des Noël passés.
— Passé? Genre l’année passée? J’ai pas fait grand chose l’année passée. Ça valait pas la peine de vous déranger pour ça. 
— Non, ce soir je vous invite à remonter le temps jusqu’aux Noëls de votre enfance. 

En entendant ça, Carol vint les yeux ronds comme des trente sous; y se raidit pis pis fit même un pas en arrière.

— Euh, ch’pas sûr que c’t’une bonne idée…
— Ne craignez rien, répondit l’esprit avec son sourire à 1000 lumens. Je conçois que le passé puisse parfois être douloureux, mais il ne faut pas hésiter à le regarder en face pour pouvoir aller de l’avant. Quoi qu’il arrive, rappelez-vous que ma seule besogne, c’est votre bonheur. 

Carol eut même pas le temps de répliquer qu’à son âge, une bonne nuitte de sommeil aurait faite pas mal plus son bonheur que des sparages d’esprits su’a corde à linge. Y se fit agripper par l’esprit pis emporter au travers du mur.

Partie II

Qui est-ce qui s’cache dans l’derrière de Betty Crocker? (avec invités spéciaux : Vas-tu finir ton assiette)

Ah, Betty Crocker. Yinque d’entendre le nom, ch’sens le parfum du gâteau cerisette que ma mère préparait pour ma fête. A faisait un glaçage rose au jus d’fruits McCain avec ça; dans c’temps-là, ch’connaissais rien de meilleur. C’tait une époque plus simple, pareil : j’invitais gros max trois amies, pas la classe au complet comme faut faire à c’t’heure, pis l’monde se sentait pas obligé de donner des p’tits maudits sacs à surprise à toutes les invités. Tu parles d’une mode de parents gonflables pas d’allure.


Waittamenute, t’avais TROIS amies?
— Caroline, qui n’avait ni trois amies, ni de glaçage au jus de fruits

Atapeu, t’avais du gâteau?
— Mathieu, qui avait une beurrée de m’lasse et une binne su’l bras à sa fête


Entécas. C’est pratique, c’tés mélanges à gâteau-là, hein?


Mets-en!
— Mathieu

Super pratique!
— Caroline


On a-tu d’la visite, coudonc? Vous êtes qui, vous autres?


On est Vas-tu finir ton assiette. On est ici parce qu’on écrivait un texte sur le gâteau cerisette, pis on s’est demandé si Betty Crocker existait pour vrai.
— Caroline

Faque c’est ça. On est dans ton texte, maintenant.
— Mathieu

T’as juste à faire comme si on n’était pas là. On sera tranquilles promis.
— Caroline

Ben tranquilles, ga, je me la ferme drè là.
— Mathieu 


Bon, ben ok, faites comme chez vous, l’frigidaire est là!

Où-ce que j’en étais, don? Ah oui!

C’est pratique, c’tés mélanges à gâteau-là, hein? 

Des fois, t’as juste pas l’temps d’monter tes blancs d’œufs en neige pour ta génoise au chocolat, pis c’est ben correct; Betty s’occupe de toé avec son mélange Super Moist™. Ton flo verra même pas la différence anyway. 

Pis c’est ça l’affaire, avec Betty Crocker : est là pour toé. A te facilite la vie. Depuis 1921, a l’offre au monde – surtout aux femmes, là, on s’mentira pas, même si ça a changé un ti-peu aujourd’hui – des recettes, des conseils pis plein de produits qui sauvent du temps. Su son portrait, avec ses yeux intelligents, son sourire doux pis sa mise impeccable, mais quand même relax, elle a la face d’une madame qui te traitera pas d’épaisse si tu mets d’la P’tite Vache dans ta recette au lieu du cornestache : c’pas grave, ma chouette; arcommence, c’est toute.

Mais… C’est qui, hein, Betty Crocker? Ça a-tu déjà été une vraie personne? 

Ça s’rait cute si c’tait vraiment une gentille madame dans sa cuisine qui veut yinque aider son prochain, mais non : en arrière de Betty Crocker, y’a une grosse multinationale d’la bouffe transformée qui veut t’vendre des patates pilées en poudre, pis une campagne de marketing réglée au quart de tour par des bonshommes en complet. Une christie d’bonne campagne, à part de t’ça, qui dure depuis plus de 100 ans. Même Monsieur B dins annonces de Bell des années 1990 a pas toffé aussi longtemps. 


Personne aurait de cellulaire aujourd’hui pis tout le monde aurait un téléphone à cadran si on voyait encore Benoît Brière déguisé en beubé à la tévé.
— Caroline, nostalgique de bavoir et bonnet sur un comédien adulte


Toute a commencé quand la compagnie Washburn Crosby, l’ancêtre de General Mills, a mis une annonce de sa farine Gold Medal dans le Saturday Evening Post de Minneapolis. Dans l’annonce, y’avait des morceaux de casse-tête à découper pis une invitation : « Envoyez-nous le casse-tête assemblé, pis gagnez une SU-PER pelote à épingles en forme de sac de farine Gold Medal! »

Faut crère qu’en 1921, une pelote d’épingles, c’tait crissement sexy : pas longtemps après, Washburn Crosby avait r’çu 30 000 casse-têtes assemblés.

Pis pas yinque ça! 

Les cravates de Washburn Crosby étaient ben surprises d’arcevoir aussi des lettres de madames qui demandaient des conseils : 

« Pendant combien d’temps faut pétrir la pâte à pain? »

« Avez-vous ça, vous autres, une bonne recette de tarte aux pommes? »

« Mes gâteaux sortent toujours plates comme des vesses-de-loup effoirées. Qu’est-cé que ch’fais de pas correct? »


Amour, amour où est la clé? Pourquoi toujours les yeux mouillés? Combien de rêves avant l’aurore? Où sont allés les dinosaures?
— Michel Rivard, curieux, mais aussi pas mal proche de se faire barrer par le staff de Betty Crocker


Fallait ben répondre à toute ça, hein? 

En temps normal, quand Washburn Crosby arcevait une couple de questions une fois de temps en temps, c’est la gang de cravates du département de marketing pis leu directeur Samuel Gale qui s’en occupaient. Mais, ben sûr, y’étaient rien sans l’expertise pis l’savoir-faire des femmes du service d’économie familiale, qui leu disaient quoi dire. 

Chaque fois qu’y signait une lettre, Samuel se sentait un peu mal à l’aise de mettre son nom parce, tsé, y’était un homme, pis les clientes devaient jamais l’prendre au sérieux. Qu’est-cé ça savait faire dans’cuisine, un homme, à part être dins jambes?


Ça peut aussi être dans le ch’min!
— Caroline, excellente à La guerre des clans


Sam, pauvre ti pit, s’artrouvait tout d’un coup dans l’même bateau que toutes les femmes dans l’histoire de l’humanité qui avaient déjà signé leux œuvres sous un pseudonyme de gars pour qu’on les prenne au sérieux. 


C’est ben ben choquant, ça.
— Mathieu (Caroline)


C’tait justement ça, la solution : se cacher en arrière d’un pseudonyme de madame pour répondre aux questions des clientes! 

Mais QUEL pseudonyme? Fallait choisir comme faut, avoir la bonne vibe. Germaine Laterreur, ça aurait pas été vendeur. Faique Sam pis les autres cadres d’la compagnie s’armuèrent les méninges pour trouver le nom parfait. 

Pour le nom de famille, y s’entendirent su « Crocker » en l’honneur de William G. Crocker, un ancien cadre de Washburn Crosby qui v’nait de prendre sa retraite pis que tout l’monde aimait. 

Pour le prénom, c’tait plus difficile, mais Samuel pis sa gang finirent par choisir « Betty » : ça sonnait cute, rond, gentil, un ti peu rural… Tsé, une Betty, ça va pas mettre de l’eau de javel dans tes plates-bandes pendant qu’t’argardes pas; ça va pas bavasser à tout l’village que t’étends pas ton linge su’a corde par ordre de grandeur. Ben non. Une Betty, comme j’disais, c’est là pour toé. Ça t’accueille à bras ouverts pis ça t’sert une pointe de tarte. 

Histoire de rendre ça encore plus authentique, Samuel lança un concours entre les employées de Washburn Crosby pour trouver la meilleure signature pour Betty. C’est la secrétaire Florence Lindeberg qui gagna, pis c’est encore sa signature, à quelques p’tits détails près, qu’on voit su toutes les produits d’la compagnie :

Toutes ceuzécelles qui répondaient aux lettres des clients durent apprendre à imiter la signature. 

Pis voilà : Betty Crocker était née. Une lettre à’fois, a d’vint un genre de confessionnal d’la cuisine, où c’que tu pouvais poser toutes les questions qu’tu voulais sans t’faire traiter d’tarte. 


Dis-moi pourquoi les pneus qui brûlent! Dis-moi combien de soldats fous! Y a-t-il une trêve avant la mort?
— Michel Rivard, qui pousse vraiment sa luck auprès de Betty


Quand même, faut pas crère que c’te service-là était offert aux p’tites madames par pure bonté d’âme. Les conseils que Betty Crocker donnait étaient vraiment bons pis utiles, mais c’tait un ch’fal de Troie pour le vrai but d’la patente : vendre d’la farine Gold Medal. 

Pensez-y : en tant que déesses du domicile, les femmes géraient de 80 à 85 % des dépenses de consommation. C’tait pas l’bonhomme qui allait téter su’a sorte de farine qu’y avait dans l’garde-manger. L’rôle à Betty, c’tait de montrer aux maîtresses de maison des façons concrètes d’utiliser l’produit – pis d’leu z’en faire acheter plus.

Les lettres, c’tait un bon début, mais c’qui a vraiment lancé Betty Crocker, c’est la radio. 

En 1924, à une époque où c’que de plus en plus d’monde avaient une radio à’maison, mais que les annonceurs savaient pas trop encore quoi faire avec c’te bébelle-là, Washburn Crosby prit une chance, acheta la station WLAG de Minneapolis pis l’arnomma la « Gold Medal Station ».

Le 2 octobre de c’t’année-là, Betty Crocker, avec la voix pis les textes d’la spécialiste en économie familiale Blanche Ingersoll, lança sa première émission hebdomadaire, L’école des ondes de Betty Crocker

Heille là, en termes de portée, Betty v’nait de passer d’la pelle à’souffleuse. Dans c’temps-là, une annonce dans, mettons, le Ladies’ Home Journal pouvait atteindre autour de 2 500 000 personnes; le poste de radio, lui, pouvait en arjoindre 30 millions. 

Blanche Ingersoll, en s’faisant passer pour Betty Crocker, parlait pas yinque de gâteaux flattes pis de fonds de tarte mouilleux : a faisait des recommandations su’a tenue d’maison en général, la gestion du temps, les amours, les relations avec la famille, alouette. Pis, époque oblige, su l’devoir d’la madame de préparer des bons repas nutritifs :

« Si tu bourres ton homme de vieux chou détrempé pis d’patates graisseuses, on peut-tu s’étonner qu’y aye le goût d’aller s’battre ou bedon d’commettre un crime? Nourri d’même, y pourrait faire ben pire qu’avoir un air de bœuf. »

L’émission pogna tellement qu’un an plus tard, y’en avait trois par semaine au lieu d’une. Après, les émissions commencèrent à être diffusées à Buffalo, New York, Chicago, Boston, Philadelphie, St. Louis…


Pis ben vite, c’est Betty Crocker qui animait le retour à la maison avec Les grandes gueules, et l’émission du matin où on fait la circulation aux deux minutes pour te dire que c’est encore bouché ben raide partout, et l’émission du midi, une ligne ouverte où tu pouvais appeler pour traiter Justin Trudeau de dictateur.
— Mathieu, historien de la radio


Dans l’temps de l’dire, Betty Crocker était rendue à la radio nationale. Comme ça s’faisait pas, dans c’temps-là, enregistrer des émissions d’avance, Betty était jouée par plusieurs actrices qui lisaient le script en direct pis qui devaient EN AUCUN CAS bavasser que Betty existait pas vraiment. Washburn Crosby avait toute à gagner en maintenant l’illusion : des madames qui croyaient que Betty était vraie, c’tait des madames loyales à leu marque de farine.

Quand même, là, y’avait pas de grosse conspiration d’la mort pour tromper l’monde pis leu faire accroire des affaires. 


C’était quand même un meilleur plan marketing que d’organiser une pandémie mondiale pis de partir un trend sur TikTok de faire son propre pain.
— Caroline, qui a un chapeau de chef en papier d’aluminum 


La compagnie avait créé l’personnage, mais a l’avait jamais dit que c’tait une vraie personne : c’tait l’monde qui croyaient ça. Disons qu’a faisait comme mes parents avec le Père Noël quand ch’tais p’tite, pour pas péter ma balloune. Y cultivaient pas l’mythe – jamais qu’Pépère Poêle aurait mis l’kit rouge avec la barbe pis la tuque, ho ho ho pis toute –, mais y faisaient pas exprès pour dire que c’tait pas vrai, non plus.


Parce que c’est clair que quand tu découvres à 7 ans que le père Noël, pardon, Betty Crocker, c’est ton mononcle que tu surprends en bobettes avec juste le haut du costume pis la fausse barbe en train de s’allumer une clope dans le sous-sol, ça te traumatise une enfance sur un moyen temps.
— Caroline, encore en thérapie à 40 ans


En 1927, une nouvelle face arriva dans’place : Marjorie Child Husted.

Marjorie, avait un diplôme en économie familiale pis un autre en éducation de l’Université du Minnesota. Engagée par Washburn Crosby en 1924, a s’ramassa cheffe du service d’économie familiale pis devint la nouvelle Betty Crocker. 

Marjorie Child Husted, boss madame.

C’qu’a l’aimait ben faire, c’est laisser l’public décider de quoi a l’allait parler dans son émission. 

« Laissez-moi pas faire toute mon programme toute seule », qu’a disait. 

A lisait le courrier des auditrices en ondes pis a répondait. Son émission devint un espace où c’que les madames pouvaient jaser des affaires qui les intéressaient sans s’faire dénigrer pis briser leu z’isolement de femmes au foyer.

Une des grosses préoccupations qui arsortaient des messages des auditrices, c’tait : comment séduire un homme pis l’garder par après? Ça a l’air niaiseux, mais quand t’es pognée à la maison, c’est ben stressant de dépendre d’un pourvoyeur avec une tête de girouette mal vissée. 

Marjorie trouva qu’y avait un maudit bon filon là : après toute, on dit ben que pour gagner l’cœur d’un homme, faut passer par le ventre.

Moé, quand ch’fais une assiette deux œufs-bacon-tites patates à Mononc’Poêle le dimanche matin, c’est pas parce que j’me sens obligée – y pourrait ben manger des All Bran, ça s’rait yinque bon pour son transit –, c’est parce que j’veux dire « Je t’aime ». La bouffe pis l’amour, ça va ensemble. 

Pis ça fait vendre! La réponse de Marjorie aux angoisses amoureuses, c’tait ben sûr le gâteau, préparé avec la farine Gold Medal pis la recette à Betty Crocker. Si ton gâteau est assez bon, Madame, ton mari ira pas voir ailleurs. 


Gâteau double chocolat pour éviter que votre mari aille se tremper le roulé suisse chez ta voisine (le meilleur)
— Ricardo Crocker


Marjorie était tellement convaincante qu’un jour, a l’arçut un message un peu paniqué : 

« Moi, ch’fais pas votre recette de gâteau au fudge parce que j’aime mieux le gâteau blanc, mais ma voisine, elle, a l’fait votre gâteau au fudge. Ça s’pourrait-tu qu’a m’vole mon mari? » 


Dis-moi pourquoi le sens unique? Donne-moi le nom d’un homme heureux? Quelle est la vraie couleur de l’or?
— Michel Rivard, curieux impénitent

OK, là, ça va faire!
— Betty Crocker, rouleau à pâte à la main


Bref, Marjorie avait l’tour en simonac pour dire à son public c’qu’y voulait entendre tout en faisant faire d’l’argent à son employeur.

15 façons de gagner le cœur d’un homme : 1. Du gawtô. 2. Du gawtô. 3. Du gawtô. 4. Du gawtô. 5. Du gawtô. 6. Du gawtô. 7….

La Betty à Marjorie était un peu comme les influenceuses d’à c’t’heure, avec leu sourire pis leu maison en ordre pis leux repas cinq services, qui ont l’air de flotter au-dessus de toute sans jamais montrer l’derrière du décor; mais, même avec son aura un ti peu mystérieuse, a l’était accessible pis pleine de compassion. Loin d’être décourageante, a disait à ses auditrices : « T’es capable, pis j’vas t’aider. »

Betty l’avait, l’affaire. Faique tsé, vous devriez pas tomber en bas d’votre chaise si j’vous disais qu’a l’arcevait cinq ou six demandes en mariage par semaine : 

« Êtes-vous Mademoiselle ou bedon Madame Crocker? »

« Si vous êtes intéressée, faites-moé don un p’tit signe pendant votre émission? »


A devait aussi recevoir des dessins de zouiz au fusain, la pauvre.
— Caroline


Avant d’arriver chez Washburn Crosby – devenue General Mills en 1928 – Marjorie avait travaillé pour la Société de protection de l’enfance de Minneapolis, pis pour la Croix-Rouge pendant la Première Guerre mondiale.

C’est pendant c’temps-là qu’a l’avait rencontré des femmes dans l’besoin qui devaient faire des miracles à tou’és jours avec quasiment rien. Ça l’avait ben marquée. Grâce à c’t’expérience-là, plus ses études, a fit une carrière de répondre aux besoins des femmes aux foyer, d’les écouter pis d’les valoriser dans un rôle qui, on va l’dire, était souvent ben ingrat. 

Pis ça, ça devint encore plus important pendant les deux grandes crises que Marjorie traversa en tant que Betty Crocker. 

Pendant la Grande Dépression, le revenu moyen des familles américaines baissa de 40 pour cent – mais l’appétit du monde, lui, baissa pas de 40 pour cent. Betty Crocker commença à r’cevoir des milliers de lettres de madames qui avaient de plus en plus de misère à joindre les deux bouttes : 

« Ben sûr, Betty, toi tu l’sais pas c’est quoi quand ton bas d’laine est quasiment vide pis t’es su’l bord de perdre ta maison, mais faut quand même rester jojo pis préparer un bon souper pour que ton mari lâche pas la patate! Mais, j’me disais que p’t-être tu pourrais nous suggérer des menus qui r’viennent pas cher, mais qui sont nourrissants pareil? »

Marjorie pis le service d’économie familiale de General Mills répondirent avec un p’tit livret gratisse intitulé « La planification des repas selon un budget limité ou réduit ».

Pis tsé, quand l’garde-manger est pas mal vide, t’as pas trop le luxe de crisser ton pâté aux vidanges parce que t’as mis trop d’eau dans ta pâte pis là, est toute ratatinée. Faique, pour le bénéfice de ses auditrices, Marjorie fit des expériences dans le laboratoire de cuisine de General Mills pour trouver toutes les façons possibles de scrapper une recette – trop cuire, pas assez cuire, oublier un ingrédient, pas prendre le bon plat, se tromper de température, etc.


Essayer de la faire sans gluten, y mettre du kale, changer les oignons pour des échalotes sans aller demander avant si ça se fait dans les commentaires à Ricardo, pas allumer le four, gratiner en pitchant le plat directement dans le soleil, etc.
— Mathieu, qui connaît plus d’une méthode pour rater un plat


À part de ça, le service d’économie familiale se fit d’mander de préparer des brochures avec des menus bon marché pis de donner des cours de nutrition pis des démonstrations de cuisine par la National Recovery Administration, créée par le gouvernement américain pour aider l’pays à s’arlever de la Grande Dépression.


Ça faisait 8 mois que les États-Unis passaient leur journée à regarder la chaîne Télé-Achats en sweatpants sales sur le divan pis à pleurer dans la douche.
— Caroline, historienne de la déprime


Aussi, Marjorie continuait d’animer son émission pis de donner aux madames c’qui avait de plus important dans une période de même : l’espoir. 

En plus, toute c’t’altruisme-là, c’tait payant pour General Mills : la compagnie fut l’une des rares à verser des dividendes à ses actionnaires à tou’és ans pendant la Dépression. 

Pour moé, c’tait pas une coïncidence.

La Deuxième Guerre mondiale, c’tait une autre paire de manches. Là, Betty Crocker devint une espèce de générale du front domestique. 

Avec le rationnement, la rareté pis la flambée des prix, c’tait plus difficile que jamais de nourrir le monde. Pis fallait pas yinque nourrir, hein; fallait nourrir comme faut : une nation qui mange yinque d’la tite soupe au chou clairote, c’pas une nation qui pète des gueules. 


C’est une nation qui pète tout court, par contre.
— Mathieu


Betty Crocker savait comment faire, pis l’monde l’écoutaient; y’avait personne de mieux placé pour donner c’t’information-là. 

À la radio, dins journaux, dins magazines de femmes, dins brochures pis dans’malle, Betty était partout avec ses conseils pour étirer le lait pis l’sucre, utiliser l’gras d’poulet dins pâtisseries à la place du beurre, sauver su’a viande en utilisant d’autres sortes de protéines, comme les bines pis les céréales – les céréales Generals Mills, de préférence –, manger plus de légumes verts pis éviter l’gaspillage.

Marjorie trouvait que la contribution des femmes à l’effort de guerre était pas assez valorisée pis que les madames étaient toutes seules chacune de leu bord à s’fendre en 4 sans que personne leu dise merci. Faique en 1944, a créa l’American Home Legion pour leu donner un peu de reconnaissance. 


De la reconnaissance comme dans j’r’connais que ça équivalait à sweet fuckall comme paye pareil.
— Caroline ben prime, qui va se sentir visée dans trois paragraphes mais qui le sait pas encore


Les madames pouvaient s’inscrire comme légionnaires du foyer pis arcevoir une médaille pour services distingués. Y’avait un credo officiel qui disait que l’travail domestique, c’tait important pis essentiel, que ça prenait d’la jarnigoine, du talent pis du cœur pour créer un foyer heureux, pis qu’un foyer heureux, c’tait l’début d’un monde meilleur. 

« C’est la charge mentale, ça! » qu’vous m’direz. « Pis c’est pas yinque aux femmes de faire ça, les hommes aussi, occupez-vous d’vos enfants pis ramassez vos poils de poche, ciboire! »

Pis vous aurez ben raison. Mais en 1944, la reconnaissance, c’tait déjà ça. 


Ga, tu vois ben!
— Mathieu, qui pointe Caroline qui se sent visée comme prédit


En 1948, Marjorie arçut le prix de la Madame de l’année du Women’s National Press Club; en 1949, le prix de la Madame publicitaire de l’année de l’Advertising Federation of America.

En 1948, Marjorie arçut le prix de la Madame de l’année du Women’s National Press Club; en 1949, le prix de la Madame publicitaire de l’année de l’Advertising Federation of America.

En 1950, a prit sa retraite de General Mills pour partir son cabinet d’experts-conseils, Marjorie Child Husted and Associates.

Dins années d’après, plein d’autres femmes arprirent le flambeau de Betty Crocker, en ondes comme dans le labo de cuisine. Mais, c’tait Marjorie qui en avait fait le personnage adoré pis la machine de marketing qu’a l’était devenue depuis ses débuts en 1921. 

Pour vous donner une idée, en 1945, le magazine Fortune avait fait un sondage pis déclaré que Betty Crocker était la deuxième femme la plus connue des États-Unis, après Eleanor Roosevelt. Du même coup, le magazine bavassa que Betty existait pas pour vrai. Ça aurait pu être la fin du monde pour General Mills, mais au contraire, ça passa comme du beurre dans’poêle. A dégageait tellement de sincérité pis d’bienveillance, les femmes s’en sacraient ben que ça soit yinque un personnage!


Pis moi, quand je dis que je sors avec Sailor Moon, on se fout de ma gueule. :/
— Mathieu


Y’a une affaire qui est plate, par’zempe, pis ça vous surprendra pas. Marjorie eut beau avoir une carrière hyper impressionnante pour son époque, a fut jamais vraiment arconnue à sa juste valeur par son employeur. Un jour, des cadres de General Mills y dirent :

« Entécas, Marge, t’as faite plus pour les ventes d’la compagnie que n’importe qui d’autre icitte! »

Mais, vous savez quoi? A l’était payée le quart du salaire du meilleur vendeur du département de marketing. LE QUART.


Le quart!?
— Mathieu, flippant une table

LE FUCKING QUART?
— Caro, affûtant sa guillotine, encore prime de taleur


Faique ouin. 

Prendriez-vous un peu d’gâteau, quequ’un?


Ça tombe ben, on t’a fait un cerisette! Viens-t’en souper cheu nous, amène ton appétit, on fournit le gâteau pis l’verre de lait, c’est sur notre Substack que ça s’passe!
— Caroline et Mathieu, qui invitent pas subtilement pantoute le lectorat de Matante Poêle à poursuivre par là cette épique collaboration digne de David Bowie et Queen oubedon de PFK et Kraft Dinner


Ah pis en passant! Y vous l’diront pas, mais Mathieu pis Caroline ont publié un livre TORDANT, Vas-tu finir ton assiette : Essais et facéties entre deux allées d’épicerie, chez Québec Amérique!

Source : Marks, Susan. Finding Betty Crocker: The Secret Life of America’s First Lady of Food (English Edition). Simon & Schuster. 

L’enfant qui faillit être catapulté

Les flos, hein. Des p’tits trésors. On les serre su not’cœur pendant l’cododo. On fait attention à toute c’qu’y rentre dedans pis on surveille toute c’qu’y en sort. On lit des affaires su l’développement holistique pis la parentalité bienveillante. On s’autoflagelle des heures de temps parce qu’on a pas viré la tête assez vite quand le kid a dit « R’garde, maman! » pis fait sa première pirouette un peu croche su’l tapis du salon.

(Ch’parle pas par expérience – chus Matante Poêle, pas Maman Poêle –, mais j’vois ben aller mes superhéroïnes de chums de fille qui ont des enfants.)

Ça a pas toujours été d’même, par’zempe. Artournons au 12e siècle.

En 1152, l’Angleterre était en pleine guerre civile. Mathilde, la fille du roi Henri Ier, était l’héritière choisie par son père. Mais son cousin Étienne de Blois, son plus proche parent doué de zouiz, avait dit « Heille, c’est yinque une créâture! Yé à moé, c’trône-là! »

Ben crère, y’eut du rififi entre les pro-Mathilde pis les pro-Étienne.

(On utilise pas assez l’mot « rififi » dans’vie quotidienne, m’as vous l’dire.)

Jean le Maréchal, c’tait un baron qui était loyal à Mathilde. Faique Étienne vint assiéger son château pendant qu’y était pas là. Après avoir résisté bravement pendant une secousse, les gens du baron envoyèrent un message à Étienne :

« On peux-tu avoir une tite trêve, yinque le temps d’avertir not’seigneur, sivouplaît? »

Étienne accepta une trêve d’une journée, mais à une condition : qu’on y donne en otage Guillaume, le p’tit gars de six ans de Jean le Maréchal. Tsé, comme garantie que Jean allait pas profiter d’la trêve pour ravitailler son château pis le r’garnir de troupes fraîches.

Faique le p’tit coco s’en alla chez l’ennemi – j’dis ça d’même tout bonnement, comme si y partait pour sa journée d’école, mais imaginez, vous autres, envoyer la chair de votre chair chez un gars qui veut votre peau – pis le siège fut levé; Jean en profita pour faire drette c’qu’Étienne voulait pas qu’y fasse.

Le lendemain, y’eut un échange de messages :

—     Bon, la trêve est finie, là, rends-toé!
—     Va chier, Étienne, pis va-t’en chevous!

Se rendant compte qu’y s’tait faite passer une p’tite vite, Étienne se livra à une séance de sacrage en règle.

C’est là qu’arriva un espèce de conseiller huileux qui avait une idée pour faire plier Jean :

« Sire, on pourrait pendre le p’tit? L’baron Jean devrait filer doux après ça. »

Faique Étienne fit envoyer un message à Jean comme de quoi y’allait pendre Guillaume si y s’rendait pas.

Quand la réponse arriva, Étienne faillit tomber en bas d’sa chaise :

« Aweille, vas-y, tue-lé. C’pas grave, j’ai encore les enclumes pis des marteaux pour m’en forger des ben meilleurs. »

Ayoye.

Enragé, Étienne dit :

« Le p’tit crisse, m’as le pendre moi-même, simonac! »

Sauf que quand y’arriva à la potence, y vit le Guillaume. Sa tite face ronde pis ses grands yeux pis sa tite voix qui d’mandait à un des hommes d’Étienne si y pouvait avoir son javelot parce que c’tait un maudit beau javelot. Ooonnnnn. Étienne craqua, tellement qu’y prit le p’tit gars dans ses bras pis l’emmena avec lui.

Plus loin, les soldats étaient après assembler un trébuchet. Le conseiller huileux de tantôt artontit pis dit :

« Sire, j’ai une autre idée : mettons qu’on mettait l’flo dans l’trébuchet pis on l’garrrochait dans l’château? Y capoteraient, là-dedans! »

Là, le p’tit choupinet vit le trébuchet pis fut tout impressionné : « Monsieur! J’veux aller dans la balancine, sivouplaît! »

Étienne était comme : « Mon doux seigneur yé don ben cute c’t’enfant-là au secours. »

Y’eut ben un autre conseiller qui proposa d’accrocher le garçon su’l devant d’une tour de siège comme une décoration de hood de char pis d’attaquer l’château du baron Jean, mais rendu là, Étienne avait tellement le genou mou en avant de son p’tit otage que pu personne put y toucher ni même parler d’y faire du mal.

Heureusement, Guillaume finit par artourner dans sa famille. Y d’vint un chevalier super célèbre, pis ça vaudrait la peine que j’vous conte le reste de son histoire un jour. Étienne, lui, fut vaincu pis dut désigner l’fils à Mathilde – le fameux Henri II Plantagenêt – comme son successeur su’l trône d’Angleterre.

Bref, on a pas toujours eu peur que les enfants soient scrappés à vie si on connecte pas profondément avec eux autres sur le plan humain à chaque seconde d’la journée. Entécas, Jean, lui, a pas eu de scrupules à traiter son fils comme un hot-dog qui tombe dans’gravelle pendant un barbecue.

Parlant de t’ça, ça m’fait trop penser à la comtesse Caterina Sforza. En 1499, a l’était assiégée par les Borgia, qui artenaient ses enfants en otage. Selon la légende, a s’rait montée su les remparts, aurait arlevé ses jupes, s’montrant l’bataclan à toute l’armée, pis aurait crié :

« Tuez-lés si vous voulez, j’ai toute c’qui faut pour en faire d’autres! »


Source : https://archive.org/details/lhistoiredeguill03meyeuoft

Mon premier vidéo : La légende de saint Nicolas

Bon! Heille! J’me lance dans l’vide pis j’ai un ti vertige.

J’vous présente mon premier VIDÉO!


C’est faite avec les moyens du bord su’l coin d’la table d’la cuisine, mais comme j’disais, y’a ben de l’amour là-dedans. J’ai toute appris au fur et à mesure (la prochaine fois, dites-moi don de pas commencer avec un vidéo de 12 minutes 😆)

Un gros MERCI à Frère André* pour son énorme aide. J’aurais pas réussi sans lui. Pis un gros merci à Christine Labrecque pour ses super dessins de saint Nic ❤ Maudit qu’chus ben entourée!

*Pour les nouveaux icitte, Frère André, c’est mon frère. Qui s’appelle André. Le vrai frère André descend pas du ciel pour me montrer comment utiliser les programmes de son pis d’vidéo pis Photoshop. Ça serait cool, par exemple.

Livre en librairie! Bonne critique! Lancement! Entrevue!

Bonjour!

Mon livre est officiellement en vente dins librairies! Pis y se commande aussi en ligne, à part ça : su’l site de Québec Amérique, su’l site Les Libraires, su Renaud-Bray, su Archambault, su’l démon (Amazon) pis à ben d’autres places, probablement!

Pis j’veux pas m’péter les bretelles, mais la critique Marie Fradette du journal Le Devoir a donné la cote de 4 étoiles et demi à mon livre!

Elle imagine ainsi sans complexe ce qu’auraient pu être les discussions entre ces personnages du passé laissant place à des situations facétieuses. Sans compter sa revisitation personnelle de la grammaire, conjuguant par exemple dans tous les temps le très chantant verbe « arsoudre ». Un premier ouvrage qui vaut tous les détours.

À part de ça, c’est mon lancement à soir, à la Librairie Morency su’a 3e avenue à Limoilou! Si vous êtes dans l’boutte, v’nez faire un tour! J’vas lire une histoire inédite, à part ça!

Pis enfin, j’étais en entrevue mercredi matin su’és ondes d’ICI Gaspésie-Les-Îles!

Allez écouter ça!

ANNONCE : la couverture de mon livre!

* roulement de tambour, bass drum, cymbales, drummer qui déboule en bas des marches *

TADAM! VOICI LA VRAIE DE VRAIE COUVERTURE DE MON LIVRE!

Ça sort en octobre 2023 (date exacte à venir), juste dans l’bon temps pour faire un cadeau de Noël!

Pis ben oui, mon vrai nom, c’est Catherine St-Laurent. Le chat est sorti du sac.

Mais non, c’est pas la p’tite Noélie Saint-Hilaire de District 31 qui vous écrivait en tant que Matante Poêle depuis 2019. Ch’pas la blonde à Loud. Ch’t’une autre Catherine St-Laurent. Pis chus plus vieille, faique j’ai plus d’ancienneté en tant que Catherine St-Laurent. 😝

Ça m’a pas empêchée d’arcevoir par erreur ses factures de coiffeuse à elle par courriel pendant un été de temps, par’zempe (M’as vous dire une affaire, ça y coûte pas mal plus cher qu’à moé. 😂)

La consanguinité chez les Habsbourg : de quessé, pourquoi, comment?

Les Habsbourg, ça vous dit-tu d’quoi, ça?

Si vous v’nez souvent écouter mes histoires, y’a des grosses chances que oui.

Pour les autres, m’as vous l’dire tu’suite, « Habsbourg » c’est pas un village thématique des Canadiens d’Montréal avec le resto à Mario Tremblay pis des marigorondes genre « Les Montagnes russes à Kovalev » pis « Le Slapshot à Boum-Boum Geoffrion ».

Les Habsbourg, c’t’une famille de monarques européens qui étaient tellement consanguins qu’y ont passé proche de s’auto-faire disparaître.

Là, vous vous dites peut-être : « Consanguins? Dans l’sens qu’y mariaient leux cousines? Comme Ti-Clin Dufour du rang 12? Tu parles de des colons! »

On l’sait, c’te genre d’union-là passe assez mal dans’société, que tu soyes un big shot ou pas.

Mais quand même, entre Ti-Clin Dufour pis les Habsbourg, y’a une bazouelle de grosse différence.

Ti-Clin, lui, ça se peut que l’choix d’femmes à marier était pas vargeux dans son rang 12 – y voyait sa cousine Floridâ à tou’és jours su’l lot d’à côté, pis y’a fini par se dire ouin, a s’en vient pas pire la p’tite, j’irai pas charcher plus loin!

Mais les Habsbourg, eux-autres, y’étaient riches et puissants, pis l’Europe au complet était leu buffet quand v’nait l’temps de s’marier.

Faique pourquoi, d’abord, toujours piger dans le même plat d’bonbons?

Justement parce qu’y étaient riches et puissants, pis qu’y voulaient l’rester.

Toute ça, on va dire que ça a commencé – parce qu’y faut ben commencer queque part! – par le gars qu’on appelait Charles Quint.

Avant lui, les Habsbourg étaient quand même pas des tout nus : c’taient des archiducs d’Autriche pis des empereurs du Saint-Empire.

Mais Charles, y’a amené ça à un autre niveau en devenant le souverain d’une quantité de territoires qu’on avait rarement vue mise toute ensemble depuis l’empire romain!

Comment c’t’arrivé, don? Charles était-tu un méga conquérant?

Pantoute!

C’est que, grâce à des mariages ben stratégiques arrangés par son grand-père pis son arrière-grand-père, pis une bonne dose de chance, Charles Quint a hérité des titres de ses QUATRE grands-parents – d’habitude, tsé, yinque un, c’est ben en masse!

C’qui était excessivement rare, c’est que Charles avait deux grands-mères régnantes, c’t’à dire qu’y régnaient de leu propre droit, comme feu Élizabeth, au lieu d’être juste « la femme de », ou « consort », comme Camilla.

Sa grand-mère paternelle, c’tait Marie, duchesse régnante de Bourgogne. Dans c’te temps-là, le duché de Bourgogne était un grand territoire qui comprenait, en plus d’la Bourgogne en tant que telle (en France), une partie d’la Belgique pis des Pays-Bas.

Son grand-père paternel, c’tait Maximilien Ier, archiduc d’Autriche pis empereur du Saint-Empire.

Par son père Philippe, qu’on appelait « le Beau », Charles a hérité de toutes leux titres, sauf celui d’empereur du Saint-Empire – fallait être élu pour ça, mais, souvent, les princes-électeurs se cassaient pas trop l’bécique pis élisaient le fils ou le frère de l’ancien. Faique, à’mort de son grand-père Maximilien, Charles a été élu à sa place, vu que son père avait déjà passé l’arme à gauche.

(Là, faites-vous en pas si je vous garroche plein de noms d’même – vous êtes pas obligés de vous souvenir de toute, c’pas grave.)

L’empereur Maximilien, sa femme Marie, son fils Philippe, ses petits-fils Charles pis Ferdinand, pis Louis, roi de Hongrie, le mari d’la fille à Philippe – c’qui fout là, lui, on s’en reparle plus tard. On voit que les titres pis les territoires, c’tait pas la seule affaire qui se transmettait de génération en génération.

Sa grand-mère maternelle, c’tait Isabelle Ière, reine régnante de Castille. Son grand-père maternel, c’tait Ferdinand II, roi d’Aragon.

Donc, par sa mère, Jeanne Ière, qu’on appelait « la Folle » (pourquoi, je rentrerai pas là-dedans, c’t’une histoire en soi), Charles a hérité de la Castille pis de l’Aragon.

Mais, quand ses parents se sont mariés, c’tait loin d’être évident que Charles allait hériter de toute.

D’abord, Jean, le frère à Jeanne pis le prince héritier, est mort jeune, supposément parce qu’y avait trop baratté l’beurre avec sa nouvelle femme, mais y’a plus de chances que c’tait la tuberculose. Après ça, Isabelle, sa sœur plus vieille, est morte elle avec, pis son bébé garçon aussi.

Faique quand la reine Isabelle est partie arjoindre le p’tit Jésus, c’est Jeanne qui est devenue reine de Castille, pis Charles a co-régné avec elle jusqu’à sa mort.

Ferdinand d’Aragon, dans l’espoir de se fricoter un nouvel héritier doué de zouiz pour son royaume à lui, s’est armarié avec Germaine de Foix. Sauf que, à 63 ans, y’avait l’manche un peu mou, faique sa femme y’a fait faire une p’tite potion à base de gosses de taureau pis d’extrait de coléoptère. Malheureusement, l’apothicaire aurait raté le dosage, pis Ferdinand est mort empoisonné.

Et pouf! Charles s’est artrouvé roi d’Aragon.

Les grands-parents maternels à Charles Quint. Isabelle de Castille a l’air d’une maman dévouée mais au bord du burn-out; Ferdinand d’Aragon a l’air de ton chummy poteux qui squatte ton divan depuis 3 semaines « le temps de s’arvirer d’bord ». 

Bref, une fois toutes ses aïeux éteints, Charles V du Saint-Empire, ou Charles Quint, s’est ramassé avec un astie de tapon de territoires, y compris les colonies espagnoles en Amérique.

À c’t’heure, fallait qu’y s’arrange pour garder ça, pis les mariages allaient être au cœur de sa stratégie.

Pour mieux comprendre pourquoi, faut se d’mander à quoi ça sert, un mariage royal.

Premièrement – on peut pas passer à côté – ça sert à produire des héritiers, de préférence doués de zouiz. Dans un système héréditaire de même, y’avait rien de plus important.

Des fois, ça pouvait influer su’és décisions. Au départ, Charles Quint était censé marier sa cousine Marie Tudor, la fille à sa matante Catherine pis la future reine d’Angleterre, mais y’a changé d’idée parce qu’y voulait des d’héritiers au plus maudit, pis Marie, a l’avait juste cinq ans.

Deuxièmement, un mariage royal, ça sert à créer des alliances ou à les rendre plus fortes. Quand Charles Quint a fini par marier une autre cousine, Isabelle du Portugal, c’tait pas parce qu’y l’avait croisée une couple de fois dins partys d’famille pis qu’y’a trouvait cute, mais parce qu’une alliance avec le Portugal était ben d’adon pour l’Espagne. Vu que, dans c’tes années-là, les deux royaumes étaient après explorer pis coloniser à tour de bras, c’tait important qu’y s’accordent pis qu’y s’pilent pas su’és pieds. À part de ça, l’Portugal était riche en simonac; bref, c’tait mieux pour l’Espagne qu’y soye allié avec elle plutôt qu’avec, genre, la France.

Tin-Clin Dufour et sa cousine Floridâ, un portrait du bonheur conjugal.
(Charles Quint pis Isabelle de Portugal)

Avançons un ti-peu dans l’temps. À 55 ans, Charles Quint, malade pis tanné de courir partout, a abdiqué. Son frère Ferdinand Ier a ramassé les terres ancestrales des Habsbourg en Autriche pis a été élu empereur du Saint-Empire. Son fils Philippe II est devenu roi d’Espagne pis a ramassé toute le reste. À partir de c’te moment-là, les Habsbourg ont été séparés en deux branches : la branche espagnole pis la branche autrichienne.

C’est là qu’on voit que renforcer des alliances, c’est pas yinque avec les étranges. Ça peut être en dedans d’une même famille. Icitte, fallait éviter que les deux branches s’écartillent complètement pis aient pu les mêmes intérêts, pis la stratégie avait commencé ben avant l’abdication à Charles : Maximilien II, le garçon à Ferdinand, avait marié Marie, la fille à Charles.

Phillipe II, le fils à Charles, s’est marié quatre fois :

  1. avec Marie-Manuelle, sa double cousine portugaise (son père à lui pis sa mère à elle étaient frères et sœurs, pis sa mère à lui pis son père à elle aussi);
  2. avec Marie Tudor (la même que son père avait failli marier);
  3. avec Élizabeth de Valois, une princesse française;
  4. avec Anne d’Autriche – nulle autre que sa nièce, la fille à sa sœur Marie pis à son cousin Maximilien II. C’est avec elle qu’y a fini par produire son héritier doué de zouiz, le futur Philippe III.
Beau comme un prince : Philippe II d’Espagne

Quand sa quatrième femme est morte, Philippe a voulu s’armarier avec sa sœur à elle, qui avait yinque 14 ans. Su’l ch’min de l’Espagne pour ses noces, la p’tite a faite « fuck non » pis est entrée en religion.

Bravo, ma belle. J’aurais faite pareil.

Là, si l’cœur vous lève un peu, vous êtes pas tu’seuls. Mais, ça fait yinque commencer.

Troisièmement, un mariage royal, ça sert à garder la richesse dins mains d’la même p’tite gang de privilégiés.

Quand des monarques négociaient un mariage entre leux arjetons, c’tait pas yinque, ma fille marie ton gars, une poignée de main, c’est ça qu’y est ça. Nenon. C’tait un échange à pu finir de propositions pis de contre-propositions :

« Faique toé tu m’donnes un boutte du Tyrol pis moé ch’te donne un coin de Sicile, avec tel motton d’argent, tu donnes deux-trois fiefs à ma fille pour ses p’tites dépenses, pis moé ch’t’aide à taper su’és Ottomans aux frontières… »

Des fois, ça servait à régler des conflits, mais en temps de paix, les deux parties finissaient souvent ni plus riches ni moins riches qu’avant. Ça montre que c’tes tractations-là étaient pas tant un moyen de s’enrichir, mais plus du WD-40 pour alliances diplomatiques.

L’affaire, c’est que ça marchait yinque quand les mariés avaient l’même rang social. Fallait pas – horreur – qu’un mariage inégal fasse passer d’la richesse dins mains de des ROTURIERS.

Ark!

Y’a juste à voir la réaction à Ferdinand Ier quand son p’tit darnier, Ferdinand Junior, est tombé en amour avec une femme d’la bourgeoisie, l’a mariée en secret pis a eu deux p’tits gars avec :

« Voir si j’vas laisser le moindre ti-boutte du motton des Habsbourg aller à des pas propres! Heille, des affaires pour qu’y s’enflent la tête pis s’prennent pour des princes! Ça commence par une, pis dans pas long toute la racaille va nous garrocher ses filles à marier! L’ordre social au complet va crisser l’camp! »

Faique Ferdinand Junior a dû garder son mariage secret, arnoncer à toute succession pour ses gars pis faire semblant de les « trouver » en avant d’la porte d’entrée comme deux chatons abandonnés, en échange de quoi son père s’est engagé à y verser une rente pour pas qu’y crèvent de faim.

Le genre d’affaire qui a aucun sens dans notre logique d’à c’t’heure.

Le meilleur moyen de garder la richesse toute à’même place, ça reste de s’marier le moins possible avec du monde d’en dehors, c’que les Habsbourg ont faite à la perfection.

À’génération suivante, Philippe III d’Espagne s’est marié avec Marguerite d’Autriche-Styrie, sa petite-cousine ET cousine germaine éloignée au premier degré. Dans l’doute, argardez l’arbre, c’est ben plus clair de même.

Ensemble, y’ont eu huit enfants, dont l’héritier Philippe IV pis l’infante Marie-Anne.

Marie-Anne, a s’est mariée avec Ferdinand III du Saint-Empire, son cousin, lui-même fils de l’empereur Ferdinand II pis de Marie-Anne de Bavière, sa cousine ET cousine germaine éloignée au premier degré.

Après ça, sa fille à elle, aussi appelée Marie-Anne, s’est mariée avec Philippe IV d’Espagne, son cousin PIS son mononcle en MÊME TEMPS.

Simonac, gang. Le ciboulot m’chauffe.

Finalement, quand on conclut un mariage royal, faut pas yinque penser à c’qui s’passe dans l’moment; faut aussi voir loin dans l’avenir. J’vous donne un exemple.

Tsé, le gars qui avait pas rapport dans l’portrait tantôt, pis j’ai dit que j’vous en reparlerais?

Menute.

J’vous rappelle, Louis II de Hongrie, y’était marié avec Marie, la petite-fille à Maximilien Ier. Y’était aussi le beau-frère à Ferdinand Ier, qui lui était marié avec sa sœur Anne. En gros, si y’a été mis dans l’portrait d’la belle-famille, c’tait pour la propagande, du genre :

« Ah ouais, le p’tit Louis, on l’aime assez! Y’é d’la famille! Ses affaires, c’est nos affaires! »

Mais, pourquoi beurrer aussi épais?

Quand Louis II de Hongrie est mort nèyé en prenant une fouille dans sa grosse armure pesante tandis qui s’sauvait des Ottomans à la bataille de Mohács, comme y’avait ni enfants ni frères, Maximilien Ier a r’vendiqué la couronne de Hongrie au nom de sa p’tite fille Marie, la veuve à Louis, PIS au nom d’Anne Jagellon, sa bru pis la sœur à Louis.

Voyez-vous l’coup double, là? Maximilien Ier avait commencé à préparer ça avant même que Louis vienne au monde! Ben sûr qu’y pouvait pas savoir si Louis allait mourir jeune, mais c’tait un coup de dés qui a payé : au boutte de pas mal de crêpage de chignon, le royaume de Hongrie est allé aux Habsbourg, qui l’ont gardée pendant des siècles après ça.

C’qu’on comprend de ça, c’est que mettons que t’étais un monarque, tu pouvais arvendiquer la succession à ton gendre si sa lignée était éteinte.

L’inverse était aussi vrai : si TA lignée à TOÉ s’éteignait, ben là c’est la belle-famille qui pouvait arvendiquer ta succession au nom à ta fille, pis là t’avais des étranges su ton trône.

C’est l’genre de passe que tu veux pas te faire faire.

Alors, encore une fois, le meilleur moyen d’éviter ça, c’est de s’marier en famille, hein?

Sauf que là, la Stratégie Habsbourg contre l’ingérence étrangère allait carrément s’arvirer contre eux autres.

Là où on a laissé la branche espagnole, Philippe IV d’Espagne avait marié sa cousine ET nièce Marie-Anne d’Autriche.

Ça pouvait juste pas faire des enfants forts : y’en ont eu 5, pis y’en a trois qui sont morts au berceau.

Leu plus vieille, Marguerite-Thérèse, s’est rendue à l’âge adulte pis a marié – icitte, m’as faire une p’tite pause avec un gros soupir – Léopold Ier du Saint-Empire, son oncle PIS son cousin EN MÊME TEMPS.

Y’ont eu quatre enfants, pis y’en a trois qui sont morts au berceau. Marguerite-Thérèse elle-même est morte à 21 ans.

L’autre enfant survivant à Philippe IV d’Espagne pis à Marie-Anne d’Autriche, c’tait Charles II d’Espagne.

Mettons que tu voulais faire une affiche du ministère d’la Santé pis des Services sociaux pour avertir le monde des dangers de la consanguinité, ben c’est sa face que tu mettrais dessus.

Y’avait d’la misère à marcher. Y’avait d’la misère à parler. Y’avait d’la misère à manger. Y bavait partout. Y saignait du nez. Y faisait des crises d’épilepsie. Y’avait des hallucinations pis des migraines. Y’a jamais eu sa puberté, faique y’était stérile.

Y’était tellement magané qu’on l’appelait « l’Ensorcelé ». Parce que son état avait AUCUNE autre explication que la sorcellerie pis la possession démoniaque. Voyons don!

Quand y’ont faite des tests d’ADN su lui des siècles plus tard, y’ont découvert qu’y était aussi consanguin que si ses parents avaient été frère et sœur.

Y’était littéralement un cul-de-sac génétique.

Y’é mort à 37 ans, pas d’héritier, pas de frères ni de sœurs, ni mononcle du bord à son père. La branche espagnole des Habsbourg était officiellement éteinte.

Les vautours avaient commencé à virer autour de lui pis d’l’Espagne ben avant ça, par’zempe : y’était même pas encore mort que la France, l’Angleterre pis les Pays-Bas étaient déjà après décider entre eux autres qui allait prendre quel boutte de ses territoires. Pis ça, c’tait sans compter Léopold Ier du Saint-Empire, qui était sûr de toute ramasser vu qu’y était le mononcle ET le beau-frère à Charles.

Entécas, à c’t’heure que Charles II était parti trouver ses ancêtres, le free-for-all allait éclater pour de vrai : c’tait le début de la guerre de succession d’Espagne.

D’un bord t’avait, ben sûr, Léopold, qui arvendiquait au nom à sa femme Marguerite-Thérèse, morte depuis 27 ans, avec dans l’idée de donner l’trône espagnol à son fils qu’y avait eu avec sa troisième femme.

De l’autre, t’avais nul autre que Louis XIV de France, qui arvendiquait au nom à sa femme Marie-Thérèse, la demi-sœur à Charles II, pour donner le trône à son p’tit-fils le duc d’Anjou.

Après 13 ans de guerre, c’est la France qui a gagné, le duc d’Anjou est devenu le nouveau roi d’Espagne, pis ses descendants règnent encore aujourd’hui.

Faique voilà : après avoir passé deux cents ans à essayer de toute garder dans’famille, les Habsbourg se sont ramassés drette dans la situation qu’y voulaient éviter : avec un étrange su leu trône.

À force de trop vouloir toute contrôler, y se sont auto-empissettés; là où y’ont voulu imposer leu volonté, la nature a fini par les rattraper.

N’empêche que Ti-Clin Dufour, lui, y’aurait pu s’forcer pour aller s’charcher une femme une couple de rangs plus loin. 


Source : Paula Sutter Fichtner, « Dynastic Marriage in Sixteenth-Century Habsburg Diplomacy and Statecraft: An Interdisciplinary Approach », The American Historical Review vol. 81, No. 2 (Apr., 1976), pp. 243-265.

Wikipédia pour les p’tits détails (ben oui, Wikipédia ça s’utilise, faut juste se sarvir de sa jugeotte pis pas toute prendre pour du cash)