Un matin d’octobre 1690, la flotte de Sir William Phips, partie de Boston, remontait le fleuve Saint‑Laurent pour aller attaquer Québec. Écœuré après huit semaines en mer, le vent dans la face, Phips décida de jeter l’ancre devant Rivière-Ouelle pour faire le plein d’eau et de bouffe.
Ce que les Anglais savaient pas à ce moment-là, c’est qu’ils avaient très mal choisi leur spot. C’est parce qu’ils étaient attendus – avec une brique pis un fanal, à part ça – par une gang de colons canadiens français ben décidés à pas se laisser manger la laine sur le dos.
Dans ce temps-là, Rivière-Ouelle, c’était la seigneurie de la Bouteillerie. Y’avait pas ben ben plus qu’une centaine de personnes qui vivaient là, sur le bord du fleuve pis le long de la rivière, à la dure mais avec la tête haute pis le dos droit, à défricher pis à cultiver la terre.
Mais là, depuis un petit boutte, tout le monde était un peu sur les nerfs : c’était la guerre entre l’Angleterre pis la France, pis c’est dans les colonies que ça se jouait. Le seigneur de la Bouteillerie lui‑même était parti à Québec, demandé par le gouverneur Frontenac pour aider à défendre la ville contre les Anglais.
Faique le seul chef qui restait à nos braves colons, c’était le curé, M. l’abbé de Francheville. Mais là, allez pas vous imaginer un bonhomme qui cale, avec une grosse bedaine pis une tache de vin de messe sur sa soutane, ou bedon un vieux sec qui trippe sur les p’tits gars pis les coups de règle sur les doigts! No-non. Le curé de Francheville, c’était tout un homme, pis y’avait l’étoffe d’un guerrier, à part ça.
La cinquantaine pis la charpente solide, il était habitué au frette pis aux rigueurs du pays, pis il savait se servir d’un fusil. L’abbé Casgrain, dans son livre Une paroisse canadienne au XVIIIe siècle, raconte qu’il avait un « caractère ardent et impétueux, [des] allures martiales [et] un regard de feu ». Câline! C’tu moé, ou y commence à faire chaud, icitte?
Toujours est-il que notre vigoureux curé savait que les bateaux de Phips remontaient le fleuve, faique il réunit ses paroissiens pour leur dire les vraies affaires :
– Bon, là, mes amis, j’ai des nouvelles, pis ça regarde mal, dit-il. Apparence qu’une trentaine de bateaux anglais seraient en route pour Québec. Le gouverneur a envoyé la milice des deux bords du fleuve pour empêcher les Anglais de débarquer, mais pas icitte, ça a ben l’air. Va falloir qu’on s’arrange avec nos troubles. Pis là, je serais ben déçu de vous autres si vous restiez là à vous pogner le beigne pendant qu’ils brûlent notre église pis nos maisons, volent nos affaires pis partent avec les femmes pis les enfants. Faique j’imagine que je peux compter sur vous-autres? Gardez vos fusils proches, pis quand y vont se pointer la face, on va être prêts pis on va les faire revirer de bord sur un moyen temps!
– Ouaaaaaais! s’écrièrent tous les paroissiens ben crinqués par le discours de M. le curé. Les Anglais vont manger leurs bas! Vive la France!
À partir ce moment-là, tout le monde se mit à guetter le fleuve. Finalement, un matin, les bateaux apparurent pis arrêtèrent drette en face de la pointe de Rivière-Ouelle. Pas longtemps après, les Anglais mirent des chaloupes à l’eau pour se rendre à terre.
Alors, les braves Rivelois, à la suite du curé de Francheville qui était le premier en avant, s’en‑allèrent dans le bois, au travers des érables pis des épinettes, pis s’embusquèrent au bord de la grève, raboudinés en arrière des crans de roche pis des arbres, dans le foin pis dans les creux du terrain. Sans un mot pis presque sans un respir, ils attendaient le signal du curé.
Pendant ce temps-là, les chaloupes anglaises approchaient avec plusieurs soldats à bord de chacune, ben relaxes, pensant qu’ils allaient pouvoir se slaquer un peu les bretelles. Au-dessus des vagues, du vent pis du chignage des goélands, on commençait à entendre des voix pis le bruit des rames.
– Pis là, on tire-tu?
– Ta yeule! On attend!
Comme la marée était haute, les Anglais purent accoster assez proche de la ligne des arbres, à portée des fusils de chasse des colons. On donna l’ordre de sauter à terre. Tandis que les soldats débarquaient, occupés à essayer de pas sacrer le camp dans l’eau frette, à ramasser leurs armes pis à tirer les chaloupes sur la grève, le cul face au bois, le fringant curé donna le signal :
« FEU! »
Et là, les Anglais frappèrent un mur – de balles. Ils avaient l’impression que ça tirait de tous les bords pis capotaient, parce qu’ils étaient pas capables de dire combien y’avait de tireurs. Il y en a plusieurs qui tombèrent raide morts, pis pas mal d’autres qui furent blessés. Ça a pas été long qu’ils remontèrent dans les chaloupes pis repartirent vers les bateaux en ramant comme des possédés. Les officiers avaient beau leur dire de rester pis de se battre, rien à faire : le diable était aux vaches. Les soldats dans les chaloupes encore à l’eau, voyant ce qui se passait sur la grève, se dirent : « Euh, d’la marde » et repartirent avant même de toucher terre.
Les Rivelois continuèrent de leur tirer dessus jusqu’à ce qu’ils soient finalement hors de portée. Le fougueux curé et ses paroissiens avaient gagné! Fallait le faire, pareil : une poignée de cultivateurs avec des fusils de chasse avaient fait décrisser une troupe de soldats de l’armée anglaise! Y’avait de quoi être fier. Tout le monde repartit vers le village, le sourire fendu jusqu’aux oreilles.
– On les a eus, astie!
– Heille, leur as-tu vu la face? Y’ont jamais su ce qui leur arrivait!
– Mets-en, c’est comme s’ils avaient vu le yâble en parsonne!
– Entécas, sont pas près de revenir nous écœurer, ces torrieux-là!
Quant à Phips, c’est à lui que le gouverneur Frontenac poussa la célèbre craque : « Je n’ai point de réponse à faire à votre général que par la bouche de mes canons et à coups de fusil! ». Lui et son armée mangèrent effectivement une volée à coups de canon et quittèrent Québec la queue entre les jambes. Le moins qu’on puisse dire, c’est que la puck roulait pas pour eux autre c’te fois-là! La Nouvelle-France était sauve, du moins pour encore un p’tit boutte.
Pis en passant, parmi ces colons au courage et au sang-froid dignes des meilleurs soldats, y’avait mon ancêtre Mathurin Dubé, le premier du nom venu en Nouvelle-France. Y’a des chances que vous en ayez un là-dedans vous aussi!
(Ça vous tente de vérifier? Cet article donne une liste détaillée et étayée par des recherches poussées :
https://robertberubeblog.wordpress.com/2017/04/06/1690-qui-sont-les-heros-et-les-heroines-de-la-bataille-de-riviere-ouelle-who-are-the-heroes-and-heroines-of-the-battle-of-riviere-ouelle/)
Je suis une fan finie. Vive l’Histoire… autour du poêle à bois!
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