Heille, j’ai le goût de vous parler d’ma famille, pour une fois, pour changer.
Quand ch’tais p’tite, mes parents, mon frère pis moi, on allait passer des étés d’temps su’l bord du fleuve dans l’boutte de Grosses-Roches, en Gaspésie.
Nous autres, on campait les pieds dans l’Saint-Laurent pis l’dos accoté après la côte, au travers des arbres pis du foin. Au début de l’été, mon père parquait l’char en haut, su’l bord de la 132, pis y clairait le ch’min jusqu’en bas à’machette. On descendait toute notre stock à bras – pas de 4 roues! On avait pas d’roulotte ni d’auvent ni d’patio, juste une tente pis un abri moustiquaire.
Notre toit, c’tait d’la polythène; nos planchers, c’taient des panneaux de veneer terris avec la marée. Notre toaster, c’tait le feu d’camp; notre toilette, c’tait un vieux seau de scellant à « sphatte » – comme disait mon père – qui te coupait l’sang dins fesses quand ton numéro 2 niaisait trop dans l’coude. On avait même pas de sable su’a grève, viarge : la place s’appelait pas Grosses-Roches pour rien!

C’tait sauvage pis c’tait modeste. Malgré ça, j’en garde un maudit beau souvenir. J’ai grandi à courir su’é roches, pis mes ch’feux sentaient la fumée pis l’air salin. Votre chalet su’l bord du lac avec la tévé pis l’bol qui flushe? J’vous l’envie pas pantoute.
Mais tsé, on tombe pas en amour avec une place de même en arrivant là par hasard.
Si j’armontais la côte pis à chaque fois que ch’traversais la route, ch’pouvais voir une vieille p’tite maison : la maison d’enfance à ma grand-mère du bord à mon père, construite s’un lot acheté par l’arrière-arrière-grand-père dins années 1870.
Autrement dit, la terre au bord du fleuve appartenait à la famille depuis au-dessus de 120 ans.
Du bord à ma mère, j’ai plein de matantes pis une trâlée de cousins; chus pas mal gâtée. Mon père, lui, était enfant unique, faique son bord à lui a toujours été un peu lointain pour moi. C’est plate de même. Mais ça m’a pas empêchée d’être intriguée pis de fouiller un peu dans l’histoire familiale, pis argardez don ça, j’ai trouvé des personnages pas mal fascinants!
À commencer par mon arrière-arrière-grand-père, qui est venu s’installer au milieu de nulle part entre Grosses-Roches pis Les Méchins pis qui a défriché la terre quand la 132 était à peine plus qu’une p’tite trail de bouette. Ça a d’l’air que c’tait toute qu’un bonhomme.
Son p’tit nom, c’tait Sévère. Ouep : mon arrière-arrière-grand-père était littéralement le père Sévère! Pis y’était ben nommé, à part ça : y’avait eu 14 enfants, pis tout l’monde chez eux savait se t’nir les fesses serrées. Ma grand-mère disait que, quand y faisait son somme, fallait même pas faire craquer l’plancher de peur de manger une claque en arrière d’la tête.
Sa première femme était morte à 26 ans, pis cinq mois plus tard, Sévère s’tait armarié avec Marie, mon arrière-arrière-grand-mère. Pas d’temps à perdre, hein?
Y’ont été ensemble pendant 47 ans, jusqu’à ce que Marie meure. Sévère s’est artrouvé veuf à 79 ans. À c’te moment-là, y vivait avec son garçon Joachim, sa bru Arthémise pis ses petits-enfants. Y’était ni tu’seul ni mal pris. Pourtant, le vieux snoro, y’a décidé de s’pogner une troisième femme! À son âge! Pis les détails sont franchement croustillants…
D’abord, la troisième femme, Marie-Louise, était beaucoup plus jeune que lui. A l’avait 49 ans – l’âge d’être sa fille! Son mari était mort quasiment en même temps que la femme a Sévère, pis y se sont mariés un an après.
Y’a pas yinque la différence d’âge qui m’bogue. En fouillant un peu, j’ai découvert de quoi dont personne m’avait parlé : Marie-Louise, là, c’tait pas une inconnue qui arrivait dans l’décor! A l’était déjà dans la famille : sa fille Henriette était mariée avec Guillaume… un autre garçon à Sévère. C’tait la mère de sa bru!
Moé, ça me rentre pas dans la tête : comment une jeune veuve de c’t’âge-là, qui avait hérité du magasin général du village à la mort de son mari pis qui était pas dans l’besoin pantoute, en est venue à marier l’père de son gendre, qui avait l’âge d’être son père à elle? Y’était où, son intérêt là-dedans? C’tait-tu un genre d’entente à l’amiable pour garder les avoirs dans’famille, Habsbourg-style? Ou bedon, ça cache-tu une histoire d’amour sortie d’un film de Léa Pool avec, genre, Gilles Renaud pis Hélène Florent qui s’échangent des r’gards de braise par en d’sour pendant les veillées de famille?
Ça m’intrigue ben gros, mais en même temps, ch’pas sûre que je veux TROP en savoir.
À part de t’ça, on m’a raconté que les deux vivaient pas ensemble. Marie-Louise restait au village à s’occuper du magasin; les vendredis, Sévère s’mettait su son 31, attelait le ch’fal au buggy pis s’en allait la trouver en sifflant comme un tit moineau.
Ma grand-mère m’a dit que pour elle pis ses frères et sœurs, quand y partait, c’tait le meilleur moment de la semaine.
Pis moé ch’pense à mon arrière-grand-mère Arthémise, une sainte femme, elle qui était pognée pour endurer l’air bête du beau-père à la semaine longue tandis que son mari était parti travailler su’a Côte Nord! A devait-tu être contente d’avoir la paix pour deux jours, un peu?
C’t’arragement-là – qui était quand même franchement moderne pour 1930, on va se l’dire – a pas duré ben longtemps : Sévère est décédé après un an de mariage. Mais un bonhomme comme lui, ça part pas discrètement dans’nuite : y’a une légende familiale su sa mort qu’y faut absolument que j’vous conte.
Faique mon père m’a dit que mon arrière-arrière-grand-père, qui s’intéressait ben gros à la politique, participait à un événement au village avec le député. Pis là, le député a voulu scorer queques points en offrant une p’tite shot de caribou « au doyen du comté ». Sévère, trop content de s’faire flatter dans l’sens du poil, se s’rait enfilé le caribou d’une traite. Pis là, on sait pas si y s’est étouffé ou si y’a pété du cœur, mais couic! Y s’rait tombé raide mort en avant de l’assemblée.
Maginez la face du député!
Sévère, je l’ai pas connu, vous vous en doutez ben. L’autre personne dont j’veux vous parler, elle, oui. Entécas, façon de parler. J’vous explique.
Comme j’vous disais, où on campait nous autres, y’avait pas de sable, juste d’la grosse roche ronde. Y’avait même un rocher énorme que quequ’un dins temps immémoriaux avait nommé le Gros Cran, direct en face. C’tait vraiment une sapristi d’grosse roche – j’vous dis, y’a des touristes qui se déplacent pour moins que ça.


En plus, notre spot était situé s’une p’tite pointe qui s’avance dans le fleuve, exposée au vent frette. Faique, quand on voulait s’mettre à l’abri pis marcher un peu dans le sable, on suivait la plage vers l’est jusqu’à ce qu’on atteigne « l’anse d’la tante Toinette ».
Officiellement, la région d’la Haute Gaspésie commence juste de l’autre bord du village des Méchins. Mais ses beaux paysages, tant qu’à moé, y commencent à l’anse d’la tante Toinette. Tu vires le croche su la 132, pis paf! T’es ailleurs. Tout d’un coup, y’a des falaises, pis c’est tellement magnifique que, dans l’temps où ça roulait pas aussi vite, sur la gravelle, pis que l’tour de la Gaspésie était une vraie aventure, les touristes s’arrêtaient pour prendre des photos.

L’anse d’la tante Toinette, y’a juste nous autres qui appelaient ça d’même, ben sûr. Vous trouverez pas c’te nom-là su’l site Web d’la Commission de toponymie.
Quand on arrivait, je voyais toujours mon père lever les yeux vers le haut de la côte.
Perchée là, y’avait une p’tite maison, encore plus p’tite pis plus vieille que l’autre dont j’vous ai parlé tantôt, en bardeaux d’cèdre à la grandeur. C’tait la maison d’la fameuse tante Toinette.
Matante, étrangement, malgré toutes les années que j’ai passées là, j’me suis jamais adonnée à la voir en personne. Toute c’que je savais, c’est qu’a l’existait pis qu’a vivait là, dans sa tite maison figée dans l’temps. Qu’a l’était très vieille, aussi. Qu’a l’avait un potager avec des légumes, des fleurs pis des plantes médicinales, pis que ses épouvantails, c’taient des cadavres de corneilles plantés su des bâtons. Pis que les cadavres avaient toujours l’air frais.
De ce que je comprenais, dans ma tête d’enfant pis avec l’information limitée que j’avais, Matante Toinette, c’tait plus une entité surnaturelle qu’une personne. Un genre d’esprit du lieu. Pis quand mon père argardait en haut d’la côte, c’est que, d’une certaine façon, y voulait être sûr d’avoir sa permission avant d’aller plus loin.
Tsé, c’tait pas comme si ça prenait un formulaire signé chaque fois qu’on se pointait. En gros, si a sortait pas de sa maison en hurlant de s’en aller, maudits étranges, c’est que c’tait correct. Mais le danger était réel.
Une des premières fois où mon père a emmené ma mère là, quand y’étaient tout jeunes amoureux, Matante Toinette est sortie de sa maison en hurlant pis en faisant des sparages; avec sa robe noire pis ses cris stridents, a l’avait l’air d’une des corneilles qui lui servaient d’épouvantails.
Mon père a ben essayé de lui crier :
« Matante, c’est correct, c’est moé, Gaston! »
Mais a l’était rendue sourde, pis y’avait rien à faire. Alors, mon père a dit :
« A m’arconnait pas. Viens-t-en, Brigitte, on f’rait mieux d’y aller avant qu’a sorte son douze. »
Pis P’pa exagérait pas. Sur la plage en bas de sa maison, y’avait trois cabanes abandonnées, deux tombées à terre pis une qui tenait encore deboutte. Selon la légende – j’ai vraiment aucune idée si c’est vrai –, Matante avait donné à trois gars – c’tait p’t-être ses neveux, mais ch’pas sûre – la permission de se construire des chalets là. Mais un jour, a se s’rait tannée des partys pis du bruit pis de l’énarvage, pis a l’aurait chassé les trois gars à la pointe du fusil.
Matante Toinette est finalement décédée en 2004 à l’âge de 96 ans, sans que je réussisse jamais à la voir en chair pis en os.
À c’te moment-là, ses descendants ont juste placardé sa maison sans rien toucher dedans, comme si y’avaient peur qu’a r’vienne de l’au-delà si y dérangeaient quoi que ce soit. Pis aujourd’hui encore, la maison est là, intacte pis ben visible d’la route.
J’en aurais probablement pas su plus au sujet de la légendaire matante si, des années après sa mort, j’avais pas traduit les mémoires à Rollande, la sœur à ma grand-mère. Pourquoi a l’avait écrit ses mémoires en anglais, c’t’une autre histoire; mais entécas, dedans, y’a un chapitre complet su Matante Toinette.
Là, j’ai découvert la madame en arrière de l’entité surnaturelle. Pis franchement, j’argrette de pas avoir eu la chance d’la connaître.
D’abord, c’tait QUI, Matante Toinette? On me l’avait jamais vraiment dit. Ben, surprise, j’vous en ai déjà parlé! C’tait nulle autre qu’Henriette, la fille à Marie-Louise pis la bru à Sévère!
Là vous vous dites : comment ça c’est Henriette t’as dit Toinette ça marche pas, ça!
C’est plate, mais j’ai pas d’explication. Tout le monde dans la famille l’appelait Toinette, pis j’ai juste su qu’a s’appelait Henriette quand j’ai fouillé dans la généalogie pis les faire-part de décès. Pourquoi on l’appelait un autre nom que celui su son baptistaire, j’ai ben peur que ça reste un mystère.
Toujours est-il que Sévère avait séparé sa terre entre trois de ses gars : un boutte à Joachim, mon arrière-grand-père; un boutte à François, qui avait perdu un bras pis un oeil dans un accident de dynamite pis qui avait toujours l’air bête (les deux étaient probablement liés; tsé, on s’rait grognon à moins); pis un boutte à Guillaume, alias Ti-Yam, le mari à Henriette/Toinette.
Joachim pis François se sont construit des maisons neuves, tandis que Guillaume a hérité d’la vieille maison familiale qui datait des années 1870.
Malheureusement, Ti-Yam est mort au début d’la trentaine, emporté par une bête pneumonie. Toinette s’est artrouvée veuve, mère d’une p’tite fille, enceinte d’une autre, pis l’cœur pété en milles morceaux.
Son Ti-Yam, c’tait l’amour de sa vie! Faique son trépas l’a un ti-peu… changée.
À partir de d’là, Toinette a pu yinque porté le noir du deuil, jusqu’à son dernier souffle. Yinque du noir, tou’és jours, pendant plus que 70 ans!
Faique vous vous en doutez ben, a s’est JAMAIS armariée. C’est pas parce qu’a manquait de soupirants : une belle jeune veuve au ch’feux noirs comme la nuit qui tombent en bouclettes, avec une terre pis une maison! Si a l’avait voulu, a l’aurait pu s’faire un lineup de monsieurs pis choisir dans l’tas. Mais non.
Au lieu de s’intéresser à des monsieurs en chair et en os, a préférait tomber en amour avec des hommes inaccessibles, comme Roger Baulu, un ancien animateur à Radio-Canada à la belle voix de prince savant, ou bedon avec un mystérieux inconnu avec qui a l’a échangé des lettres durant des années.
Après le départ à Ti-Yam, a l’a pu jamais rien changé dans la maison. A s’tait ben faite poser l’Hydro pis une douche un m’ment’né, mais sinon, toute est resté pareil comme dins années 1930.
A l’a pu jamais rien jeté, non plus.
Au fil du temps, sa maison s’est remplie : des revues pis des catalogues Eaton; des bouteilles de médicaments vides; des couvertes pis du vieux linge; les affaires de bébé, les livres d’école pis les devoirs de ses filles. Vers la fin, toutes les pièces étaient remplies jusqu’au plafond, tellement qu’y avait quasiment pu de place pour marcher. Pis les habits à Ti-Yam étaient restés accrochés au pied du litte, comme si y’allait arvenir d’un moment à l’autre.
Vous savez quoi? Y sont probablement encore là. Comme j’vous ai dit, à ma connaissance, la famille a rien touché. La maison est comme Matante l’a laissée y’a 20 ans. Moé, entécas, quand ch’passe en avant su’a route, ça m’serre toujours un ti-peu l’cœur. Ch’peux pas m’empêcher d’penser que c’est comme un monument à la vie de Matante, pis surtout, à ce que sa vie aurait pu être si Ti-Yam avait vécu. C’est poignant, pareil. Pis maudit que j’aimerais ça voir toutes les reliques qu’y a là-dedans!
Mais wô, Matante Toinette, c’tait pas yinque d’la poussière pis d’la tristesse. Au contraire, ma tante qui a écrit ses mémoires dit que c’tait une ricaneuse quasiment toujours d’bonne humeur.
A l’a élevé ses deux filles toute seule sans jamais d’mander la charité. A l’avait un frère resté vieux garçon qui lui donnait un coup d’pouce, mais c’est toute. Avec son potager, ses confitures de p’tits fruits cueillis à la main, sa vache, ses poules, ses oies, ses moutons pis ses cochons, a l’aurait faite l’envie des p’tits jeunes d’à c’t’heure qui trippent su l’autosuffisance alimentaire.
A s’est battue bec et ongles contre Hydro-Québec pis l’gouvernement provincial qui voulaient l’exproprier pis tasser sa maison de l’autre bord du ch’min. Au final, la maison a pas bougé, mais la route s’est tellement élargie que les chars passent pratiquement dans le salon.
Matante Toinette, c’tait une femme courageuse pis pleine de r’sources, aussi bonne pour tisser des catalognes que pour monter un gâteau de noces de trois étages. En plus, a l’avait 11 chats, la preuve qu’a savait ben s’entourer. C’qui faut artenir avant toute, c’est qu’a l’était hyper loyale pis aimante envers les membres de sa famille… Quand a les arconnaissait, ben sûr. Pour les autres, a pouvait avoir l’air d’une vieille corneille enragée. Faique tsé, ça vous étonne-tu qu’avec le temps, la vieille veuve su’l bord d’la côte a commencé à avoir une réputation de sorcière?
Y’a tellement d’autres affaires que je sais pas su ma famille du bord à mon père. Ma grand-mère est décédée v’là vingt ans, pis malheureusement, j’ai pas allumé assez vite su l’histoire familiale pour y poser toutes les questions que j’ai à c’t’heure. Faique j’vous encourage à parler à vos grands-parents si c’t’encore possible. Vous savez pas c’que vous pourriez découvrir, pis ça s’rait ben triste que toutes ces histoires-là s’perdent à jamais!












