Le pépère pis la sorcière : une histoire de ma famille

Heille, j’ai le goût de vous parler d’ma famille, pour une fois, pour changer.

Quand ch’tais p’tite, mes parents, mon frère pis moi, on allait passer des étés d’temps su’l bord du fleuve dans l’boutte de Grosses-Roches, en Gaspésie.

Nous autres, on campait les pieds dans l’Saint-Laurent pis l’dos accoté après la côte, au travers des arbres pis du foin. Au début de l’été, mon père parquait l’char en haut, su’l bord de la 132, pis y clairait le ch’min jusqu’en bas à’machette. On descendait toute notre stock à bras – pas de 4 roues! On avait pas d’roulotte ni d’auvent ni d’patio, juste une tente pis un abri moustiquaire.

Notre toit, c’tait d’la polythène; nos planchers, c’taient des panneaux de veneer terris avec la marée. Notre toaster, c’tait le feu d’camp; notre toilette, c’tait un vieux seau de scellant à « sphatte » – comme disait mon père – qui te coupait l’sang dins fesses quand ton numéro 2 niaisait trop dans l’coude. On avait même pas de sable su’a grève, viarge : la place s’appelait pas Grosses-Roches pour rien!

C’tait sauvage pis c’tait modeste. Malgré ça, j’en garde un maudit beau souvenir. J’ai grandi à courir su’é roches, pis mes ch’feux sentaient la fumée pis l’air salin. Votre chalet su’l bord du lac avec la tévé pis l’bol qui flushe? J’vous l’envie pas pantoute.

Mais tsé, on tombe pas en amour avec une place de même en arrivant là par hasard.

Si j’armontais la côte pis à chaque fois que ch’traversais la route, ch’pouvais voir une vieille p’tite maison : la maison d’enfance à ma grand-mère du bord à mon père, construite s’un lot acheté par l’arrière-arrière-grand-père dins années 1870.

Autrement dit, la terre au bord du fleuve appartenait à la famille depuis au-dessus de 120 ans.

Du bord à ma mère, j’ai plein de matantes pis une trâlée de cousins; chus pas mal gâtée. Mon père, lui, était enfant unique, faique son bord à lui a toujours été un peu lointain pour moi. C’est plate de même. Mais ça m’a pas empêchée d’être intriguée pis de fouiller un peu dans l’histoire familiale, pis argardez don ça, j’ai trouvé des personnages pas mal fascinants! 

À commencer par mon arrière-arrière-grand-père, qui est venu s’installer au milieu de nulle part  entre Grosses-Roches pis Les Méchins pis qui a défriché la terre quand la 132 était à peine plus qu’une p’tite trail de bouette. Ça a d’l’air que c’tait toute qu’un bonhomme.  

Son p’tit nom, c’tait Sévère. Ouep : mon arrière-arrière-grand-père était littéralement le père Sévère! Pis y’était ben nommé, à part ça : y’avait eu 14 enfants, pis tout l’monde chez eux savait se t’nir les fesses serrées. Ma grand-mère disait que, quand y faisait son somme, fallait même pas faire craquer l’plancher de peur de manger une claque en arrière d’la tête.

Sa première femme était morte à 26 ans, pis cinq mois plus tard, Sévère s’tait armarié avec Marie, mon arrière-arrière-grand-mère. Pas d’temps à perdre, hein?

Y’ont été ensemble pendant 47 ans, jusqu’à ce que Marie meure. Sévère s’est artrouvé veuf à 79 ans. À c’te moment-là, y vivait avec son garçon Joachim, sa bru Arthémise pis ses petits-enfants. Y’était ni tu’seul ni mal pris. Pourtant, le vieux snoro, y’a décidé de s’pogner une troisième femme! À son âge! Pis les détails sont franchement croustillants…

D’abord, la troisième femme, Marie-Louise, était beaucoup plus jeune que lui. A l’avait 49 ans – l’âge d’être sa fille! Son mari était mort quasiment en même temps que la femme a Sévère, pis y se sont mariés un an après.

Y’a pas yinque la différence d’âge qui m’bogue. En fouillant un peu, j’ai découvert de quoi dont personne m’avait parlé : Marie-Louise, là, c’tait pas une inconnue qui arrivait dans l’décor! A l’était déjà dans la famille : sa fille Henriette était mariée avec Guillaume… un autre garçon à Sévère. C’tait la mère de sa bru! 

Moé, ça me rentre pas dans la tête : comment une jeune veuve de c’t’âge-là, qui avait hérité du magasin général du village à la mort de son mari pis qui était pas dans l’besoin pantoute, en est venue à marier l’père de son gendre, qui avait l’âge d’être son père à elle? Y’était où, son intérêt là-dedans? C’tait-tu un genre d’entente à l’amiable pour garder les avoirs dans’famille, Habsbourg-style? Ou bedon, ça cache-tu une histoire d’amour sortie d’un film de Léa Pool avec, genre, Gilles Renaud pis Hélène Florent qui s’échangent des r’gards de braise par en d’sour pendant les veillées de famille? 

Ça m’intrigue ben gros, mais en même temps, ch’pas sûre que je veux TROP en savoir.

À part de t’ça, on m’a raconté que les deux vivaient pas ensemble. Marie-Louise restait au village à s’occuper du magasin; les vendredis, Sévère s’mettait su son 31, attelait le ch’fal au buggy pis s’en allait la trouver en sifflant comme un tit moineau. 

Ma grand-mère m’a dit que pour elle pis ses frères et sœurs, quand y partait, c’tait le meilleur moment de la semaine. 

Pis moé ch’pense à mon arrière-grand-mère Arthémise, une sainte femme, elle qui était pognée pour endurer l’air bête du beau-père à la semaine longue tandis que son mari était parti travailler su’a Côte Nord! A devait-tu être contente d’avoir la paix pour deux jours, un peu?

C’t’arragement-là – qui était quand même franchement moderne pour 1930, on va se l’dire – a pas duré ben longtemps : Sévère est décédé après un an de mariage. Mais un bonhomme comme lui, ça part pas discrètement dans’nuite : y’a une légende familiale su sa mort qu’y faut absolument que j’vous conte.

Faique mon père m’a dit que mon arrière-arrière-grand-père, qui s’intéressait ben gros à la politique, participait à un événement au village avec le député. Pis là, le député a voulu scorer queques points en offrant une p’tite shot de caribou « au doyen du comté ». Sévère, trop content de s’faire flatter dans l’sens du poil, se s’rait enfilé le caribou d’une traite. Pis là, on sait pas si y s’est étouffé ou si y’a pété du cœur, mais couic! Y s’rait tombé raide mort en avant de l’assemblée. 

Maginez la face du député! 

Sévère, je l’ai pas connu, vous vous en doutez ben. L’autre personne dont j’veux vous parler, elle, oui. Entécas, façon de parler. J’vous explique. 

Comme j’vous disais, où on campait nous autres, y’avait pas de sable, juste d’la grosse roche ronde. Y’avait même un rocher énorme que quequ’un dins temps immémoriaux avait nommé le Gros Cran, direct en face. C’tait vraiment une sapristi d’grosse roche – j’vous dis, y’a des touristes qui se déplacent pour moins que ça. 

Ça, c’est pas le Gros Cran. C’t’une autre roche qu’y avait à côté.
ÇA, c’est le Gros Cran. La roche de l’autre photo? Est en bas à gauche…

En plus, notre spot était situé s’une p’tite pointe qui s’avance dans le fleuve, exposée au vent frette. Faique, quand on voulait s’mettre à l’abri pis marcher un peu dans le sable, on suivait la plage vers l’est jusqu’à ce qu’on atteigne « l’anse d’la tante Toinette ». 

Officiellement, la région d’la Haute Gaspésie commence juste de l’autre bord du village des Méchins. Mais ses beaux paysages, tant qu’à moé, y commencent à l’anse d’la tante Toinette. Tu vires le croche su la 132, pis paf! T’es ailleurs. Tout d’un coup, y’a des falaises, pis c’est tellement magnifique que, dans l’temps où ça roulait pas aussi vite, sur la gravelle, pis que l’tour de la Gaspésie était une vraie aventure, les touristes s’arrêtaient pour prendre des photos.

L’anse d’la tante Toinette, y’a juste nous autres qui appelaient ça d’même, ben sûr. Vous trouverez pas c’te nom-là su’l site Web d’la Commission de toponymie. 

Quand on arrivait, je voyais toujours mon père lever les yeux vers le haut de la côte. 

Perchée là, y’avait une p’tite maison, encore plus p’tite pis plus vieille que l’autre dont j’vous ai parlé tantôt, en bardeaux d’cèdre à la grandeur. C’tait la maison d’la fameuse tante Toinette. 

Matante, étrangement, malgré toutes les années que j’ai passées là, j’me suis jamais adonnée à la voir en personne. Toute c’que je savais, c’est qu’a l’existait pis qu’a vivait là, dans sa tite maison figée dans l’temps. Qu’a l’était très vieille, aussi. Qu’a l’avait un potager avec des légumes, des fleurs pis des plantes médicinales, pis que ses épouvantails, c’taient des cadavres de corneilles plantés su des bâtons. Pis que les cadavres avaient toujours l’air frais.

De ce que je comprenais, dans ma tête d’enfant pis avec l’information limitée que j’avais, Matante Toinette, c’tait plus une entité surnaturelle qu’une personne. Un genre d’esprit du lieu. Pis quand mon père argardait en haut d’la côte, c’est que, d’une certaine façon, y voulait être sûr d’avoir sa permission avant d’aller plus loin.

Tsé, c’tait pas comme si ça prenait un formulaire signé chaque fois qu’on se pointait. En gros, si a sortait pas de sa maison en hurlant de s’en aller, maudits étranges, c’est que c’tait correct. Mais le danger était réel.

Une des premières fois où mon père a emmené ma mère là, quand y’étaient tout jeunes amoureux, Matante Toinette est sortie de sa maison en hurlant pis en faisant des sparages; avec sa robe noire pis ses cris stridents, a l’avait l’air d’une des corneilles qui lui servaient d’épouvantails.

Mon père a ben essayé de lui crier : 

« Matante, c’est correct, c’est moé, Gaston! » 

Mais a l’était rendue sourde, pis y’avait rien à faire. Alors, mon père a dit : 

« A m’arconnait pas. Viens-t-en, Brigitte, on f’rait mieux d’y aller avant qu’a sorte son douze. »

Pis P’pa exagérait pas. Sur la plage en bas de sa maison, y’avait trois cabanes abandonnées, deux tombées à terre pis une qui tenait encore deboutte. Selon la légende – j’ai vraiment aucune idée si c’est vrai –, Matante avait donné à trois gars – c’tait p’t-être ses neveux, mais ch’pas sûre – la permission de se construire des chalets là. Mais un jour, a se s’rait tannée des partys pis du bruit pis de l’énarvage, pis a l’aurait chassé les trois gars à la pointe du fusil. 

Matante Toinette est finalement décédée en 2004 à l’âge de 96 ans, sans que je réussisse jamais à la voir en chair pis en os.

À c’te moment-là, ses descendants ont juste placardé sa maison sans rien toucher dedans, comme si y’avaient peur qu’a r’vienne de l’au-delà si y dérangeaient quoi que ce soit. Pis aujourd’hui encore, la maison est là, intacte pis ben visible d’la route.

J’en aurais probablement pas su plus au sujet de la légendaire matante si, des années après sa mort, j’avais pas traduit les mémoires à Rollande, la sœur à ma grand-mère. Pourquoi a l’avait écrit ses mémoires en anglais, c’t’une autre histoire; mais entécas, dedans, y’a un chapitre complet su Matante Toinette. 

Là, j’ai découvert la madame en arrière de l’entité surnaturelle. Pis franchement, j’argrette de pas avoir eu la chance d’la connaître. 

D’abord, c’tait QUI, Matante Toinette? On me l’avait jamais vraiment dit. Ben, surprise, j’vous en ai déjà parlé! C’tait nulle autre qu’Henriette, la fille à Marie-Louise pis la bru à Sévère!

Là vous vous dites : comment ça c’est Henriette t’as dit Toinette ça marche pas, ça! 

C’est plate, mais j’ai pas d’explication. Tout le monde dans la famille l’appelait Toinette, pis j’ai juste su qu’a s’appelait Henriette quand j’ai fouillé dans la généalogie pis les faire-part de décès. Pourquoi on l’appelait un autre nom que celui su son baptistaire, j’ai ben peur que ça reste un mystère.

Toujours est-il que Sévère avait séparé sa terre entre trois de ses gars : un boutte à Joachim, mon arrière-grand-père; un boutte à François, qui avait perdu un bras pis un oeil dans un accident de dynamite pis qui avait toujours l’air bête (les deux étaient probablement liés; tsé, on s’rait grognon à moins); pis un boutte à Guillaume, alias Ti-Yam, le mari à Henriette/Toinette. 

Joachim pis François se sont construit des maisons neuves, tandis que Guillaume a hérité d’la vieille maison familiale qui datait des années 1870.

Malheureusement, Ti-Yam est mort au début d’la trentaine, emporté par une bête pneumonie. Toinette s’est artrouvée veuve, mère d’une p’tite fille, enceinte d’une autre, pis l’cœur pété en milles morceaux. 

Son Ti-Yam, c’tait l’amour de sa vie! Faique son trépas l’a un ti-peu… changée. 

À partir de d’là, Toinette a pu yinque porté le noir du deuil, jusqu’à son dernier souffle. Yinque du noir, tou’és jours, pendant plus que 70 ans! 

Faique vous vous en doutez ben, a s’est JAMAIS armariée. C’est pas parce qu’a manquait de soupirants : une belle jeune veuve au ch’feux noirs comme la nuit qui tombent en bouclettes, avec une terre pis une maison! Si a l’avait voulu, a l’aurait pu s’faire un lineup de monsieurs pis choisir dans l’tas. Mais non. 

Au lieu de s’intéresser à des monsieurs en chair et en os, a préférait tomber en amour avec des hommes inaccessibles, comme Roger Baulu, un ancien animateur à Radio-Canada à la belle voix de prince savant, ou bedon avec un mystérieux inconnu avec qui a l’a échangé des lettres durant des années. 

Après le départ à Ti-Yam, a l’a pu jamais rien changé dans la maison. A s’tait ben faite poser l’Hydro pis une douche un m’ment’né, mais sinon, toute est resté pareil comme dins années 1930. 

A l’a pu jamais rien jeté, non plus. 

Au fil du temps, sa maison s’est remplie : des revues pis des catalogues Eaton; des bouteilles de médicaments vides; des couvertes pis du vieux linge; les affaires de bébé, les livres d’école pis les devoirs de ses filles. Vers la fin, toutes les pièces étaient remplies jusqu’au plafond, tellement qu’y avait quasiment pu de place pour marcher. Pis les habits à Ti-Yam étaient restés accrochés au pied du litte, comme si y’allait arvenir d’un moment à l’autre.

Vous savez quoi? Y sont probablement encore là. Comme j’vous ai dit, à ma connaissance, la famille a rien touché. La maison est comme Matante l’a laissée y’a 20 ans. Moé, entécas, quand ch’passe en avant su’a route, ça m’serre toujours un ti-peu l’cœur. Ch’peux pas m’empêcher d’penser que c’est comme un monument à la vie de Matante, pis surtout, à ce que sa vie aurait pu être si Ti-Yam avait vécu. C’est poignant, pareil. Pis maudit que j’aimerais ça voir toutes les reliques qu’y a là-dedans! 

Mais wô, Matante Toinette, c’tait pas yinque d’la poussière pis d’la tristesse. Au contraire, ma tante qui a écrit ses mémoires dit que c’tait une ricaneuse quasiment toujours d’bonne humeur.

A l’a élevé ses deux filles toute seule sans jamais d’mander la charité. A l’avait un frère resté vieux garçon qui lui donnait un coup d’pouce, mais c’est toute. Avec son potager, ses confitures de p’tits fruits cueillis à la main, sa vache, ses poules, ses oies, ses moutons pis ses cochons, a l’aurait faite l’envie des p’tits jeunes d’à c’t’heure qui trippent su l’autosuffisance alimentaire. 

A s’est battue bec et ongles contre Hydro-Québec pis l’gouvernement provincial qui voulaient l’exproprier pis tasser sa maison de l’autre bord du ch’min. Au final, la maison a pas bougé, mais la route s’est tellement élargie que les chars passent pratiquement dans le salon. 

Matante Toinette, c’tait une femme courageuse pis pleine de r’sources, aussi bonne pour tisser des catalognes que pour monter un gâteau de noces de trois étages. En plus, a l’avait 11 chats, la preuve qu’a savait ben s’entourer. C’qui faut artenir avant toute, c’est qu’a l’était hyper loyale pis aimante envers les membres de sa famille… Quand a les arconnaissait, ben sûr. Pour les autres, a pouvait avoir l’air d’une vieille corneille enragée. Faique tsé, ça vous étonne-tu qu’avec le temps, la vieille veuve su’l bord d’la côte a commencé à avoir une réputation de sorcière? 

Y’a tellement d’autres affaires que je sais pas su ma famille du bord à mon père. Ma grand-mère est décédée v’là vingt ans, pis malheureusement, j’ai pas allumé assez vite su l’histoire familiale pour y poser toutes les questions que j’ai à c’t’heure. Faique j’vous encourage à parler à vos grands-parents si c’t’encore possible. Vous savez pas c’que vous pourriez découvrir, pis ça s’rait ben triste que toutes ces histoires-là s’perdent à jamais!

Jos Montferrand

Jos Montferrand, vue par ma grande chum Christine Labrecque!

Heille, Jos Montferrand. Pour ceux qui l’connaissent pas, c’est un de nos plus grands hommes forts : un draveur, un batailleur pis un défenseur des faibles, la fierté des Canadiens français.

Quand ch’tais floune, Arrière-Pépère Poêle me contait ses aventures, pis y v’nait les yeux toutes brillants, comme si y’argardait une étoile pis qu’l’étoile y rendait ben :

« Montferrand, y’était fort comme un chêne pis souple comme un roseau! »

À crère Arrière-Pépère Poêle, c’tait un géant qui giguait su’és pitounes dans l’jour pis avec les pitounes par les soirs, la patte légère comme un lieuvre pis la tête tellement haute qu’a s’pardait dins nuages.

Pis justement, pour moé, l’histoire à Montferrand, est un ti peu pardue dins nuages.Jos, c’tait un vrai gars en chair pis en os– y s’est sûrement d’jà pété le p’tit orteil su’l bord du litte comme toé pis moé. Mais on dirait qu’au fur et à mesure que l’monde se contaient ses exploits en en rajoutant toujours un ti peu, y’a fini par se transformer en espèce de superhéros canadien français, un Maurice Richard d’la drave avant l’temps qui portait su son dos les espoirs de toute un peuple.

Mais bon. Moé, m’as vous conter son histoire comme Arrière-Pépère Poêle la contait.Pis au pire, si vous trouvez que j’dis a pas d’allure, vous aurez juste à l’prendre avec un grain d’sel.

À c’t’heure que c’est dit, arculons dans l’temps, en 1802, dans l’faubourg Saint-Laurent à Montréal, où c’qu’est né notre futur géant.

Le port était pas loin, faique les tavarnes d’la place étaient bourrées de marins pis de voyageurs de toutes les formes pis d’toutes les couleurs qui se mélangeaient aux Canadiens français.

Quand y’a trop d’gars à’même place, on dirait qu’y virent toutes comme des bucks à’saison des amours, faique c’tait pas long que ça se mettait à s’crisser ça su’a yeule pour savoir qui qui était l’plus fort.

À même les tavarnes comme s’ua grève au bord du fleuve, les gars qui voulaient s’faire un nom s’pognaient avec ou pas d’gants, en avant du monde ordinaire comme des gentlemen anglais pis des p’tites madames en crinoline qui accouraient à’moindre rumeur d’une joute.

L’quartier était tellement connu pour ses combats d’fiers-à-bras, qu’un coup d’poing donné dans l’faubourg Saint-Laurent résonnait pour ainsi dire dans toute le Canada.

Faique c’est là-dedans que Jos a grandi. Son pére, Joseph, était lui-même une saprée armoire à glace qui avait faite la traite des fourrures avec la Compagnie du Nord-Ouest. Sa mére, Marie-Louise, était une créâture à sa hauteur : on raconte qu’un m’ment’né, voyant un innocent en train de martyriser un flo, a y crissa des claques jusqu’à c’qui parde connaissance.Jos avait de qui t’nir, mettons.

Enfant, y’était déjà fort. Ça s’voyait tu’suite que ça allait faire un bœuf. Mais Jos était un bon p’tit gars, tranquille pis fin, qui profitait jamais d’ses dons pour faire son boss des bécosses; au contraire, y protégeait les plus p’tits contre les bums.

À 16 ans, y’avait déjà sa taille d’homme : 6 pieds 2 ou 6 pieds 4, dépendamment d’à qui tu d’mandes. Pis c’est pas parce qu’y avait la force d’une bête qu’y en avait l’air : en fait, y’était gracieux pis avenant comme un prince. Ch’sais pas si y’avait l’talent, mais entécas, y’avait la face pour jouer dins vues.

Son premier fait d’armes, si on peut dire, c’tait pas mal dans ces bouttes-là. Un m’ment’né, y creusait en avant de chez-eux, avec la tête y’arrivait flush avec el’bord du trou. Y’arriva-tu pas un certain Michel Duranleau, un gars qui était connu pour faire peur au monde pour qu’y votent du bon bord aux élections, avec deux autres bonriens.

Pour faire étriver Jos, Duranleau y mit son pied su’a tête – sauf que Jos s’laissa pas faire. Pareil comme si y’avait eu les pattes montées su des springs, y sauta en dehors du trou, atterrit drette au milieu des trois épais pis leu péta toute la yeule.

Pas longtemps après, y fit son deuxième grand coup. Un beau jour, su l’Champ-de-Mars à Montréal, deux boxeurs anglais – on se les imagine en chest avec la moustache qui r’trousse dins bouttes – s’affrontèrent devant un tapon d’monde pis une bonne partie d’la garnison.

Un des deux gagna, on s’en sacre c’est qui, pis y fut déclaré champion du Canada. C’tait douteux. M’aginez si Lucian Bute pis Jean Pascal étaient allés s’battre en avant d’un Pizza Hut à Plattsburgh, pis que l’gagnant s’tait déclaré champion des États-Unis!

Entécas, là, le nouveau champion, ben crinqué, s’arvira vers la foule pis invita l’meilleur homme du pays à essayer d’y prendre son titre, drette là.

C’était comme si l’orgueil avait piqué Jos d’une fesse avec une broche à tricoter :

« Heille, pour qui qu’y s’prend, lui, à faire son frais-chié en avant de tout l’monde pis à s’penser meilleur que nous-autres? »

Faique y s’avança pis chanta l’coq. Dans l’temps, c’tait le signe que tu relevais l’défi – y v’nait d’arriver un autre coq dans’basse-cour, autrement dit.

Y’eut un frisson dans’foule, pis l’monde se mirent à applaudir : heille, un ti gars d’la place qui défiait un champion, pis un Anglais en plus!

Le match commença sans plus de tétage, pis finit d’même aussi : Montferrand fessa yinque une fois, FLÂWK! Mais tellement fort que l’Anglais s’dit que si y’en mangeait un deuxième, y s’rait pu là pour un troisième.

Après ça, la ville au complet parlait de Montferrand. Tout l’monde voulait y serrer la main pis le féliciter. Y’aurait pu s’partir une carrière de boxeur drette là – mais Jos, c’tait un bon gars simple qui voulait faire un travail honnête pour aider sa famille.

Au début, y travailla comme charretier, une job qui le fit se promener un peu partout.

À la mort de ses parents, Jos s’engagea pour la Compagnie du Nord-Ouest; après, y fit un boutte à travailler pour Joseph Moore, un gars qui exploitait des coupes de bois dans l’nord des Laurentides; ensuite, y fut engagé par Bowman & Gill, des marchands de bois.

Dans c’temps-là, le commerce du bois était parti en peur. Napoléon, ben décidé à faire chier l’Europe au complet, avait imposé un blocus à l’Angleterre, qui pouvait pu s’approvisionner d’son bord de l’océan. Comme un Gino peut pu ben ben faire son frais sans sa Camaro, les Anglos pouvaient pu vraiment jouer les puissances mondiales sans leux bateaux. Pis pour faire des bateaux, fallait du bois.

Pis le Canada, c’tait quasiment yinque ça, du bois. L’Ouatouais, la Mauricie pis le lac Saint-Jean étaient rendus des Klondike d’la pulpe, pis ça arrivait de partout pour s’faire un gagne-pain.

Notre Jos, lui, y’alla dans l’Outaouais. Y fut foreman pis cageux – les cageux, c’taient les gars qui faisaient descendre les billes de bois sués rivières toutes attachées ensemble pour former des « cages » qui pouvaient faire jusqu’à un mille de long, pis les emmenaient jusqu’à Québec, y’où c’qui partaient pour l’Angleterre.

C’tait une vie errante, de chantier en chantier, d’port en port pis d’tavarne en tavarne, pis dangereuse, aussi : c’tait pas rare que des gars glissent entre deux pitounes pis s’neyent.

Jos, lui, était ben à l’aise avec ça. Y’avait l’pied léger comme une ballerine en ch’mise carreautée, pis y s’promenait su’és pitounes roulantes et r’volantes comme si c’tait un plancher d’bois franc. Pis dans un monde où la loi du plus fort régnait, y’avait toute pour devenir une légende.

Un bon soir, à Buckingham, dans l’Gatineau d’à c’t’heure, une gang d’Irlandais – des « Shiners », comme on les appelait, des immigrants qui travaillaient dans l’bois au Canada – logeaient chez un Canadien français qui arcevait l’monde chez eux quand les auberges étaient pleines.

On sortit le violon, les filles du coin arsoudirent, pis l’party pogna. Mais quand l’fils du propriétaire voulut embarquer, y s’fit dire qu’y était de trop. Parce qu’y était un Canadien français.« Ah ben tabarnak! Ça s’passera pas d’même! »

Jos, n’ayant entendu parler, partit avec ses grand’pattes, pis se rendit drette à la maison où y’avait l’party d’Irlandais. Y rentra sans cogner, pogna l’violon du gars pis l’effoira yinque d’une main – SPKRRRATOING!

J’vous dis que ça resta frette en simonac.

« Tout l’monde déhors! »

Mais les problèmes avec les Irlandais, ou Shiners, faisaient juste commencer.Y’arrivaient à la pochetée à Bytown – l’Ottawa d’à c’t’heure –, pis comme de raison, y voulaient des jobs. Y’avait yinque un problème : les jobs, c’tait les Canadiens français qui les avaient.

Faique les Shiners se mirent en gang pour intimider leux rivaux en crissant l’bordel partout : sabotage de chantiers, pétage de yeules, brisage d’affaires, rentrage dins églises en pleine messe catholique pis dérangeage de funérailles pour écœurer l’monde. Pis comme y’avait pas de police en tant que tel à Bytown, y’étaient lâchés lousses, pis l’monde devaient s’faire justice eux-autres mêmes.

Dans c’te gang-là, y’en avait un qui était connu pour être particulièrement violent pis faisant-mal : Martin Hennessy. Y’était foreman pour une compagnie rivale de celle où c’que Montferrand travaillait. Son fun, c’tait de battre des Canadiens français, pis de s’composer une p’tite toune avec chaque couplet qui parlait d’un gars qu’y avait défoncé. Y ’avait entendu parler du géant canadien, faique à la fin, y’avait ajouté ça :

Pis Montferrand, au pied léger,
Y’aura de mes nouvelles.
Y pourra pas s’en sauver :
J’le charche pis j’l’appelle!

Un soir, les deux s’adonnèrent à être dans’même tavarne. Quand Montferrand arriva, Hennessy était déjà là depuis un boutte, pis y commençait à être pas mal chaudaille. Jos en fit pas d’cas au début, mais là, Hennessy se l’va pis y’enfonça son casse de poil s’a tête :

— Quins toé, l’mangeux d’bines! C’t’aussi ben qu’tu voyes pas ta face après que je l’aye arrangée!
—Tu peux ben faire ton fendant, crisse de pissou! Quand ch’t’avec mes chums, tu ramperais à quatre pattes d’une swompe pour pas m’voir, pis là à soir que ch’tu seul, t’essayes de m’faire peur! Tu ris des Canayens? Ben attèle-toé, parce que tu vas t’faire torcher à’canayenne!

Les chums à Hennessy farmèrent la porte d’la tavarne pis la bloquèrent pour pas que Montferrand puisse se sauver.

« Hennessy, mon astie d’faux cul, tu m’as-tu tendu un piège? »

Sauf que l’Irlandais était déjà après fesser. Montferrand avait pas grand place pour esquiver : la menute qui s’tassait trop à droite ou à gauche, les chums à Hennessy lui crissaient des coups d’pied. Ça r’gardait pas ben.

Ça faisait ben des taloches que les deux s’échangeaient, quand quequ’un ouvrit la porte par déhors. Ça fit diversion, faique Hennessy pis Montferrand se séparèrent pis arprirent leur souffle. Mais là, Montferrand s’mit à chanter :

Un Canadien, c’pas léger,
J’vous apprends la nouvelle.
Tu pourras pas t’en sauver :
J’viens quand on m’appelle!

Piqué, Hennessy arvint à’charge. Droite, gauche, crochet, uppercut, Jos esquiva toute, pis soudain, BANG, y descendit son poing s’a face à Hennessy pis l’effoira comme une pomme cuite.

On dit qu’après ça, l’Irlandais fit pu jamais d’trouble aux Canadiens français.

Là, c’est l’temps d’sortir votre gros sel, parce que v’la l’histoire la plus flyée qui s’rait arrivée à Jos Montferrand.Dans son temps, pour aller de Hull à Bytown, fallait passer su un pont en bois à la traverse des Chaudières. C’tait pas rare que l’droit de passage se paye en claques su’a yeule : les Shiners se mettaient souvent en embuscade pour bloquer les Canadiens français.

Un jour que Jos s’en v’nait du bord de Bytown, y vit qu’y avait parsonne su’l pont, pis y trouva ça quasiment louche.Y’alla voir une bonne femme qui avait un magasin à’tête du pont :

— S’cusez Madame, avez-vous vu du monde su l’pont?
— Non, pantoute, mon noir!

Un ti-peu rassuré mais pas tant, Jos partit pour travarser tout seul. Y’avait yinque faite la moitié qu’y surgit une GROSSE gang de Shiners armés d’bâtons – heille, pas moins de 150, selon la légende!

Montferrand était pas fou, faique comme de raison, y’essaya d’arvirer d’bord, mais la maudite bonne femme avait farmé la porte au boutte du pont. Pas l’choix : fallait qu’y s’batte.

Y s’avança vers les Shiners comme un grédeur qui s’apprête à ramasser un banc d’neige. Surpris, y’arculèrent un peu. Sauf qu’y en a un qui fut pas assez rapide, pis Jos le sapa par les pattes. Y le leva dins airs pis le swigna de toutes ses forces, comme une grosse massue qui crie pis qui saigne.

Avec ça, Montferrand ramassa les premières rangées de Shiners. Y garrocha sa massue humaine en bas du pont pis chargea vers les autres. Y’é ramassait toutes comme des catins en guénille pis les pitchait dans les rapides en bas.

C’tait un méchant carnage – mais les Shiners l’avaient ben charché. La gang de woireux qui s’étaient taponnés su l’bord virent le reste des malfrats se sauver à’course pour éviter d’finir neyés dins rapides.

Heille, hein!

Y’a tellement d’histoires à propos de Jos Montferrand, que si j’vous les racontais toutes, on s’rait encore là rendu aux Fêtes.

Montferrand prit sa retraite quand même de bonne heure – toutes c’tes exploits-là, ça avait son prix, pis Jos commençait à être magané. Y s’installa rue Sanguinet, à Montréal, pis se prit une femme. Ses jours de gloire étaient passés, mais tout l’monde dans son quartier savaient y’était qui pis le saluaient toutes avec respect. Y mourut à 62 ans.

Qu’y aille vraiment battu 150 gars en en swignant un autre par les pattes, c’est clair que Montferrand a marqué les esprits, comme y marquait l’plafond des tavarnes avec son talon en steppant dins airs – une carte de visite, à sa façon. Y’a donné aux Canadiens français une raison de bomber l’torse dans des bouttes de leur histoire où y’en avait pas d’faciles. Pis ça, parsonne peut y’enlever ça.


Source : Benjamin Sulte, Histoire de Jos. Montferrand : l’athlète canadien, 1889.

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Napoléon-Alexandre Comeau, héros de la Côte-Nord

Comme l’a dit un jour le grand François Pérusse, quand t’as ton nom sur un traversier, d’habitude, t’es mort.

Dans mon boutte, y’a un traversier qui se promène su’l fleuve entre Matane pis Baie-Comeau. C’temps-citte, c’est le F.–A.-Gauthier – vous devez n’avoir entendu parler, à moins d’être le gars qui a écrit le Bye-Bye –, mais ça a pas toujours été lui.

Avant c’t’espèce de citron tout plissé oublié dans l’fond du frigidaire entre un vieux pot de sauce à spag qui commence à avoir du ti poilu dessus pis un restant de crème sûre après virer turquoise, y’avait le Camille-Marcoux.

Pis avant avant ça, y’avait le N.-A.-Comeau. Le monsieur qui lui a donné son nom, ben oui, y’est mort, mais c’tait pas sa seule qualité : y’a aussi été tellement important pour la Côte-Nord pis le monde qui y vivaient qu’y est pratiquement brodé dans le paysage, en fils gris comme la mer fâchée qui fesse sué grèves pis verts comme les épinettes qui couvrent les coteaux pis les écarts comme du gros poil dru.

Fils d’un agent de la Compagnie de la Baie d’Hudson, Napoléon-Alexandre Comeau poussa son premier cri en 1848 aux Îlets-Jérémie, entre Forestville pis Baie-Comeau. Y grandit dans l’boutte de Mingan, libre comme l’air au travers des Innus – le peuple autochtone qui vivait et qui vit encore dans ce coin-là. Y se promenait dans l’bois pis sur la grève, à poser des collets, à chasser la perdrix à l’arc pis à pêcher l’anguille pis le capelan avec des harpons qu’y se gossait lui-même.

Dans c’temps-là, les flos startaient jeunes, dans’vie. Le p’tit Napoléon-Alexandre, y’a eu son premier fusil à 7 sept ans, l’âge où les flos d’à c’t’heure braillent parce que tu veux qu’y aillent jouer dehors plutôt que de croûter su’l divan en rêvant d’être des youtubers quand y vont être grands.

Mais faut dire qu’y était précoce en maudit pareil. Après avoir passé un boutte à Trois-Rivières pour apprendre l’anglais, y revint à Mingan. Pis à 12 ans, y’était assez responsable, habile pis connaissant pour avoir sa première vraie job, pis pas n’importe laquelle.

La compagnie de la Baie d’Hudson, pour qui son père travaillait pu à ce moment-là, avait vendu les droits de pêche sur la rivière Godbout  en se crissant totalement d’un p’tit détail, genre que la rivière, c’tait une partie du territoire ancestral des Innus. Pis le gars qui les avait achetés, Agar Williamson, était tanné qu’y viennent pêcher sur SA rivière, pis y voulait engager un garde-pêche pour les enlever de d’là. Napoléon se proposa tu’suite :

—     T’as pas peur de te faire scalper par les Indiens? demanda Williamson.
—     Pantoute! J’les connais, ce monde-là. J’ai grandi avec eux-autres. On s’adonne ben, pis y’aura pas de trouble.

Faique Napoléon fut engagé, pis y garda cette job-là toute sa vie, s’arrangeant toujours pour garder la paix entre les Anglais pis les Innus. Mais c’était pas la seule job qu’y allait avoir : grâce à toutes les affaires qu’il avait appris des Innus, y fut guide de pêche, trappeur et naturaliste.

Y fut aussi télégraphiste, pis même docteur.

Y’avait pas étudié pour ça, mais y’avait ben d’la jarnigoine, pis y’avait tellement lu qu’y finit par en savoir assez pour être capable de soigner l’monde. Pis comme dans c’temps-là, la Côte-Nord, c’tait comme le boutte du monde – pis des fois, à voir le gouvernement aller, on dirait que ça l’est encore –, ben le Collège des médecins v’nait pas l’écoeurer.

À l’hiver 1886, Napoléon alla à la chasse aux phoques avec son frère Isaïe. Y’avait même pas encore un p’tit coin d’aube à l’horizon que c’tes deux crinqués-là étaient déjà en canot su’l fleuve à attendre qu’y en ait un qui s’pointe el’périscope au travers des vagues. Pas loin, dans un autre canot, y’avait aussi deux de ses beaux-frères – les frères à sa femme Antoinette –, Alfred pis François Labrie.

Quand y’étaient partis de Pointe-des-Monts, le fleuve était dégagé, mais un m’ment’né, des gros bouttes de glace se mirent à dériver vers eux-autres, avec une couche de frasil qui suivait pas loin en arrière. Pis le frasil, c’est traître : si tu te retrouves pogné dans c’t’espèce de slush flottante, ben y’a pu moyen d’avancer. 

Napoléon était ben au courant de t’ça, faique y dit à son frère :

« Ch’pense que c’est l’temps de r’virer d’bord. »

Mais ses deux beaux-frères, eux-autres, y s’étaient pas rendu compte de t’ça. 

« Heille! Les gars! Arvenez-vous en! »

Napoléon pis Isaïe avaient beau faire des sparages, Alfred pis François les entendaient pas; y’avaient spotté un phoque, pis étaient trop concentrés dessus pour les voir. Pendant c’temps-là, le frasil continuait à se rapprocher pis le vent du nord-ouest commençait à se lever. Ça allait v’nir laitte dans pas long, pis fallait que les gars reviennent à terre au plus crisse.

—     On va-tu les chercher? demanda Napoléon.
—     Fais comme tu l’sens, répondit Isaïe.

Faique les deux frères se lâchèrent au travers des glaces pour aller trouver Alfred pis Francois. Pis quand y réussirent enfin à se rendre à eux-autres, le frasil les avait rattrapés. Y’étaient pris sur le fleuve.

—     Heille, scusez, hein! On a rien vu aller, nous-autres, dirent les frères Labrie.
—     Pas grave. Là, faut penser à s’en sortir.

Dans l’frasil, ça servait à rien de ramer. Y’auraient juste forcé dans le beurre jusqu’à ce que mort s’ensuive. Faique à la place, les gars se servirent de la technique de l’échelle : toute la gang dans un canot, y poussaient l’autre vers la rive; après, y changeaient de canot, tiraient le premier canot vers le deuxième, rembarquaient dans le premier canot, pis y r’commençaient.

Méchante job.

En plus, la tempête s’était levée. La neige leur fouettait la face pis leur rentrait dins yeux. Pire, le vent les bardassait pis les poussait au large; y se démenaient comme des bons absolument pour rien. Pis comme si ça allait pas assez mal de même, Napoléon, en sautant d’un canot à l’autre, manqua son coup pis prit une débarque dans l’eau frette. Heureusement, les autres purent le haler dans le canot. Ses culottes étaient trempes bord en bord. Y’arriva la même affaire à Isaïe – l’eau rentra dans ses bottes pis y se retrouva les bas gelés dur.

Un m’ment’né, y virent un boutte de banquise assez gros pis assez solide pour qu’y puissent monter dessus. Là, y placèrent les deux canots sur le côté, accotés sur leurs harpons plantés dans’glace, pour se faire une espèce d’abri contre le vent.

Napoléon, pogné avec ses culottes trempes, les enleva pour les tordre :

« Hiiiiiiiiiiiiihhhhhh simonac qu’y fait frette gériboire de bonyenne! », s’écria-t-il, les gigots à l’air dans un désert de glace, claquant des dents en sautant sur place pis en se fessant le chest à coups de poing pour se faire circuler l’sang. Ça prit tout son p’tit change à Isaïe pour enlever ses bas pis faire pareil.

Après un boutte, la tempête slaqua un peu pis le ciel commença à se dégager. Mais les gars avaient rien dans l’ventre pis commençaient à geler comme des crottes.

« Heille! R’gardez, les gars! Des canards! »

Voyant l’occasion de se pogner un snack, Napoléon chargea son fusil pis réussit à en abattre trois. Les doigts engourdis par le frette, les gars ramassèrent les canards pis leur arrachèrent les plumes pour les mettre dans leurs bas pis leur mitaines pour faire de la bourre. Après ça, ils les lavèrent pis les vidèrent dans l’eau du fleuve. C’tait un p’tit lunch de misère, mais c’tait mieux qu’une claque su’a yeule. Malgré toute, y décidèrent quand même de garder ça pour plus tard.

Avec toute ça, la journée avait passé au complet, pis la noirceur était r’venue. Les gars virent la lumière du phare de Pointe-des-Monts : d’habitude, à c’temps-là de l’année, y’était éteint, mais le gardien avait dû savoir qu’y avait du monde pardu su’l fleuve, pis avait allumé la lampe.  

  Hm. Si j’me fie au phare, on est à peu-près à 12 milles de la côte, estima Napoléon.
— Ben voyons? Si loin que ça? On n’a quasiment le tiers de faite pour se rendre l’autre bord! 
— Justement. Avec le vent pis les courants, ça sert à rien d’essayer de r’tourner vers Pointe-des-Monts. On va essayer de traverser. 

Personne s’astina. 

Y commençait à avoir de la houle, pis la glace se dispersait. Les gars rembarquèrent dans les canots pis se mirent à ramer franc sud. Y purent faire un bon boutte de même, mais après une couple d’heures, y frappèrent un mur de glace. 

C’est quand même paradoxal quand t’es gelé, mais que t’es brûlé en même temps. Y faisait -22, pis y’étaient trop fatigués pour monter leurs canots sur la glace pis les traîner. Faique y dompèrent toute ce qu’y avaient pu besoin : ancres, harpons, une partie de leurs balles de fusil. 

Comme les canots étaient rendus plus légers, y purent les tirer. Pis y se remirent à avancer, un pas à la fois. 

Quand c’est dur de même, pis que t’as pas le luxe d’arrêter, ton monde devient toute petit. La seule affaire qui compte, c’est de mettre un pied d’vant l’autre – un, deux, un deux. Toute fait mal, mais t’essayes de pas y penser. Pis tu te dis que la seule façon de t’en sortir, c’est de passer au travers. 

« Que j’vous voye essayer de manger d’la neige, dit Napoléon aux autres gars. Moé’ssi ch’crève de soif, mais ça va yinque vous r’frèdire en dedans pis vous faire parde des forces. » 

C’est que ça faisait plusieurs fois qu’y pognait Isaïe pis François en train de s’en prendre une pognée. Mais tsé, ça faisait 24 heures qu’y étaient dans l’péril, pas de bouffe pis pas d’eau bonne à boire. Y’étaient juste pas capables de s’en empêcher. 

À ce moment-là, y décidèrent de se donner un peu de forces en mangeant deux des trois canards que Napoléon avait tirés tantôt. Les bouttes de volaille crue pis frette, réchauffés dans leurs t’sours de bras, allaient leur donner un p’tit regain. Ça devait goûter l’yâble, mais y’avaient-tu le choix? 

Pis y r’partirent, juste comme le jour commençait à se l’ver pour une deuxième fois depuis l’début de leur aventure. Pis là, y virent la neige su’l top des montagnes de la rive sud scintiller comme du sucre blanc dins rayons du soleil. Y n’avaient le plus gros de faite! 

Mais y’avaient frette. J’vous avais-tu dit qu’y avaient frette ? Astie qu’y avaient frette. Isaïe sentait pu ses pieds pis arrivait pu à suivre les autres. Napoléon coucha son frère dans un des canots, le plus léger. L’autre canot fut laissé là. 

Plus loin, François tomba à terre; son corps était juste tanné, pu capable. Napoléon pis Alfred Labrie le mirent dans l’canot avec Isaïe pis se r’mirent à tirer. 

« Enwèye, les gars! Laissez pas l’endormitoire vous gagner! Essayez d’bouger un peu pareil! »

Là, y’étaient rendus au soir. Pis y’étaient même pas encore sauvés. La banquise arrêtait devant eux-autres, pis y leur restait à ramer deux kilomètres pour se rendre à’terre. 

Napoléon pis Alfred mirent le canot à l’eau pis se mirent à ramer, avec Isaïe pis François qui bougeaient quasiment pu, la face rouge, le nez blanc pis l’frimas pogné dans’barbe. Quatre morts-vivants, deux un p’tit peu moins morts que les autres. Avec le dernier filet de voix qu’y lui restait, Napoléon dit : 

« Lâche pas, Alfred! On arrive! »

Pis enfin, ENFIN! Le canot toucha terre en avant de Cap-Chat. Tu’suite, Napoléon pis Alfred débarquèrent et ramassèrent Isaïe pis François. Si y trouvaient pas d’l’aide ben vite, y passeraient pas la nuite. 

Dans sa maison pas loin d’la grève, une madame vit quatre gars bizarres arriver en marchant croche comme si y’étaient saouls. Comme a l’était toute seule avec les enfants, a l’éteignit la lampe à huile pis se cacha en espérant qu’y passent leur chemin. Mais ça se mit à varger à la porte : 

« Sivouplaît, ouvrez la porte… On vient de la Côte-Nord, pis la tempête nous a poussés jusqu’icitte… » 

En entendant la voix désespérée à Napoléon, la madame sut qu’y se passait quequ’chose de grave et ouvrit la porte. Les gars étaient sauvés. 


Finalement, Napoléon et Alfred étaient corrects, yinque ben fatiqués. François avait pogné une pneumonie. Isaïe fut le moins chanceux des quatre : les engelures l’avaient tellement magané qu’y fallut lui amputer un pied, des doigts pis plusieurs orteils. 

Grâce à sa connaissance du fleuve, des courants, des vents pis des glaces, sans parler de son courage pis de sa maudite tête de cochon ben décidée à pas mourir, Napoléon avait sauvé son frère pis ses beaux-frères. En reconnaissance de son exploit, y fut décoré par le lieutenant-gouverneur de l’époque.

Pis savez-vous ce qu’y est le plus drôle? Pour s’en r’tourner chez eux, Napoléon pis sa gang durent faire le grand tour en passant par Québec. Pour un gars qui avait traversé l’fleuve en canot pis qui a fini par avoir un traversier à son nom, c’tait quand même ironique. Plus ça change… 


Source : Réjean Beaudin, Napoléon-Alexandre Comeau, le héros légendaire de la Côte-Nord, XYZ Éditeur, 2006.

Léo Major, partie 4 – la colline 355

Partie 1
Partie 2
Partie 3

– M’man? Y’est où mon linge civil?
– Ah, on l’a vendu parce qu’on pensait que t’allais te faire tuer là-bas. Pis de toute façon, on avait besoin d’argent. 

C’était pas exactement l’accueil que Léo Major, héros de Zwolle, aurait espéré. 

Au début d’août 1945, Léo Major était r’venu à Montréal, pis c’était comme si la guerre avait été yinque un rêve épouvantable que personne à part ses compagnons d’armes pouvait comprendre, et qui le hanterait pour le restant de ses jours. 

Y s’était quand même pas attendu à ce que ses parents y’ouvrent la porte avec des confettis pis du sucre à’crème, mais au ton indifférent à sa mère, y’avait quasiment l’impression de déranger.  

Pas le genre à se pogner le beigne, Léo quitta l’ambiance de salon funéraire  avec les fenêtres ouvertes au mois de janvier qui régnait dans la maison de ses parents et s’en alla gagner sa vie. 

Dans les années qui suivirent, il fit plusieurs jobs : magasiner pour l’armée, ce qu’il trouvait plate à mort, plombier et tuyauteur. Pis, il rencontra la belle Pauline, qui allait devenir sa femme. Mais là, le 25 juin 1950, la Corée du Nord envahit la Corée du Sud : c’était le début de la Guerre de Corée. 

Ben vite, les États-Unis, le Canada pis d’autres pays de l’ONU se mobilisèrent pour défendre la Corée du Sud, tandis que la Chine se mit du bord de la Corée du Nord. Léo, lui, venait de se faire offrir une job en Afrique du Nord quand il reçut un appel de Gustave Olivier Taschereau, son commandant pendant la Deuxième Guerre mondiale :

– Major, j’aimerais ça que tu viennes à une rencontre avec une couple d’officiers au centre de recrutement.
– Comment ça? 
– Y’a le lieutenant-colonel Jacques Dextraze qui veut vraiment te voir. 

Son nom avait beau sonner comme un ingrédient louche dans les cochonneries sucrées qu’y vendent au dépanneur, Dextraze, c’était tout un homme. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, y’avait dirigé le régiment des Fusilliers du Mont-Royal pis avait fait tellement une bonne job qu’il avait été décoré de l’Ordre du Service distingué. Ses hommes le considéraient comme toffe, sévère, mais efficace. Avec lui, t’étais aussi ben de te tenir les fesses serrées. 

Là, y reprenait du service pour diriger le deuxième bataillon du Royal 22e Régiment en Corée, pis y’avait l’œil sur Léo. Y voulait créer un peloton de francs-tireurs avec lui en charge. Connaissant Léo, pour lui vendre sa salade, il lui dit : 

« T’auras pas d’officier sur ton dos pour te dire quoi faire! »

Heille, y le connaissait-tu, son homme? Ce fut assez pour convaincre Léo, qui s’enrôla le 15 août 1950 : c’était reparti. 

Après plusieurs mois d’entraînement vraiment raide, d’abord à Valcartier, puis à Fort Lewis, aux États-Unis, Léo pis son peloton s’embarquèrent pour la Corée du Sud en avril 1951 et arrivèrent au début de mai. 

Les six mois d’après passèrent en patrouilles pis, pour Léo pis son peloton, en raids et en missions de reconnaissance. Pour les gars, c’était loin d’être une partie de poches dans’cour chez ton mononcle : l’hiver, y se gelaient le cul pis pognaient le rhume, la grippe, des engelures pis le « pied des tranchées » – ça, essentiellement, c’est quand tes pieds commencent à pourrir parce qu’ils sont trop souvent trempes pis frettes. L’été, y se faisaient manger tout ronds par les bebittes, pognaient des coups de chaleur, pis j’en passe. Un m’ment’né, Léo vit un rat passer dans le campe avec une barre de chocolat dans’yeule. Le gars qui a mangé la barre, y’est mort de la fièvre de Mandchourie. Ayoye.

L’ennemi était partout, pis fallait tout le temps se méfier. D’ailleurs, les gars s’entendaient sur un mot de passe à tous les soirs, mais ça arrivait qu’il y en ait qui oublient, faique à la place, ils lâchaient un bon gros « tabarnak! ». Avec ça, c’était assez clair que c’était pas un Chinois qui essayait de se faufiler en arrière des lignes. 

Mais là, le 22 novembre 1951, la marde était sur le bord de pogner solide. 

À ce moment là, le Royal 22e était campé au nord de Séoul, la capitale de la Corée du Sud, pis devait aller rejoindre les Américains de la 3rd US Infantry Division, qui occupaient la colline 355, qui s’appelait de même parce qu’elle faisait 355 verges de hauteur. La 355 était la plus haute dans ce boutte-là. 

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La compagnie B pis la compagnie C étaient au sud, la compagnie A était au milieu, pis la compagnie D était entre la colline 355 pis la colline 227 juste à côté, nommée elle avec pour sa hauteur, qui était pas occupée. 

Léo était avec le lieutenant-colonel Dextraze pis jasait de son dernier raid quand les Chinois attaquèrent la colline 355. Pendant une demi-heure, les Américains mangèrent une pluie d’obus en pleine gueule avant de se faire ramasser par l’infanterie ennemie. Pis là, drette de même, ils se sauvèrent, laissant là toute leur équipement pis leurs armes. Léo, qui voyait ça aller, était ben découragé : 

« Gang de pissous! Les Yankees, là, sont ben meilleurs pour faire des films que guerre que pour se battre pour de vrai. Y devraient avoir honte! »

La colline 355 étant aux mains des Chinois, la Division D se retrouvait le flanc à l’air et risquait d’être attaquée des deux bords, pis c’est justement ce qui arriva durant une bonne partie de la journée du 23. Heureusement, les gars tinrent le coup. 

Après ça, les Américains reprirent la colline 355, mais c’était pas pour durer. 

Vers la fin de l’après-midi le 24, les Chinois passèrent encore une fois à l’attaque, pis là toute se mit à péter. La compagnie D était assaillie de tout bord tous côtés, pis ça regardait mal en bâzouelle. La colline 355 repassa aux Chinois. 

Pour contre-attaquer, le lieutenant-colonel Dextraze avait comme idée de faire monter la compagnie D sur le dessus de la colline 227, pis la compagnie B sur le flanc de la 355, pour pogner les Chinois en tenaille pis les crisser dehors. Malheureusement, la compagnie B était même pas rendue à la moitié de la côte que les tirs nourris des Chinois la forcèrent à revirer de bord. La compagnie D, elle, réussit à monter sur la 227, mais l’ennemi l’attaqua tusuite à partir de ses positions défensives, tellement raide qu’a l’était pu capable de rien faire. 

Au milieu de t’ça, Léo voyait le monde mourir, pis ça y rappelait quand son chum Willy s’était fait descendre juste avant la libération de Zwolle. Comme à ce moment-là, y’était en tabarnak. Mais même si toute en-dedans de lui était en feu, y gardait la tête froide. 

C’est là que Dextraze, voyant que son plan avait foiré, se tourna vers Léo : 

« Léo, t’es mon dernier espoir. J’ai yinque eu des victoires depuis la Normandie, pis j’ai pas envie d’être battu pour la première fois. »

Léo comprenait exactement ce que Dextraze y demandait, pis c’était une gériboire de grosse commande. Après avoir pensé à son affaire, y répondit : 

« Ce que tu me demandes, ça va être ben difficile. J’ai juste 65 hommes pour capturer une montagne qu’un régiment au complet a pas été capable de tenir. Mais, j’veux ben essayer, pis même, ch’pense pouvoir tasser les Chinois de d’là. Pour ça, faut que j’utilise l’effet de surprise au maximum. Tchècke ben comment qu’on va faire… » 

À 9 h du soir, Léo pis ses hommes partirent à pied pour se rendre en arrière de la colline 355, par où les Chinois s’attendraient jamais à une attaque. À 11 h et demie, Ils étaient prêts à commencer à monter la montagne. Pis à 1 h moins quart, y leur restait juste un petit boutte à monter. C’est là que, comme Léo l’avait demandé, les mortiers du Royal 22e tirèrent en avant de la colline : comme ça, pendant que l’équipe de choc montait les dernières verges, les Chinois avaient les yeux tournés de l’autre bord pis pouvaient pas l’entendre arriver au travers du bruit des explosions. 

Quand Léo pis sa gang arrivèrent au sommet, les Chinois furent pognés complètement les culottes à terre et se mirent à paniquer. Tout le long de l’attaque, Léo, en communication radio avec Dextraze, lui disait où diriger les tirs de mortier pis de mitraillettes.  

Grâce aux efforts coordonnés de Léo et de Dextraze, à 2 h du matin, les Chinois avaient décrissé, pis Léo était le roi de la montagne. Bon ok, y’aurait jamais dit ça de même, mais y’avait réussi à battre l’ennemi qui était cinq ou six fois plus nombreux que lui pis ses gars. Pis en plus, y’avait pas perdu un homme! C’était un tabarouette d’exploit. 

Mais la colline 355 avait changé de mains un tapon de fois dans les derniers jours; la prendre, c’était une affaire, mais la garder, c’en était une autre. 

Léo, connaissant les Chinois, se dit qu’y allaient sûrement attaquer à l’aube. En attendant, il fit évacuer trois blessé graves pis patcha les autres. Ensuite, il appela Dextraze pour faire placer les mortiers pis les mitraillettes de manière à ce que les Chinois, en arrivant dans la vallée en face de la colline, se fassent ramasser pendant leur approche. Après ça, il alla explorer les positions que les Américains avaient abandonnées.

Y trouva des tranchées, des dug-outs – des espèces d’abris creusés dans la terre – pis surtout, des caisses pis des caisses de grenades. Ohhh yes. Les grenades, c’est parfait pour garrocher en bas d’une montagne sur les ennemis qui s’en viennent. Après avoir séparé ses hommes en petits groupes pour mieux défendre la montagne, Léo était prêt pour les Chinois.

Une p’tite neige se mit à tomber tandis que Léo faisait le tour du sommet, regardant de temps en temps à l’horizon pour voir si l’ennemi s’en venait. Pis là, se détachant contre le blanc du fond de la vallée, arrivèrent deux colonnes de Chinois qui s’en venaient drette dans la direction de Léo. 

De où ce qu’y était, Léo pourrait très bien diriger les tirs d’artillerie sur l’ennemi qui arrivait, comme si y’était un chef d’orchestre pis que les obus pis les balles étaient les notes de sa symphonie. C’était tellement efficace qu’y a pas grand Chinois qui réussirent à se rendre au pied de la 355. Pis ceux qui arrivèrent à monter la montagne se firent ramasser par des grenades. 

Enfin, Léo fit arrêter les tirs pour laisser les Chinois ramasser leurs morts pis leurs blessés. Après ça, il passa encore trois jours dans un frette épouvantable à défendre la colline 355 avec l’aide du peloton de mortiers, repoussant plusieurs autres attaques. 

Finalement, Léo put descendre en bas de la colline pour aller se reposer. En arrivant au camp, écœuré pis brûlé raide, y revira de bord un jeune René Lévesque, qui était dans ce temps-là correspondant de guerre pis qui voulait une entrevue : 

« Si vous voulez vous renseigner, allez voir le colonel Dextraze. Y’est en ben meilleur état d’âme que moé, pis moé, j’ai rien à vous dire. »

Pour avoir tenu son boutte avec sa petite gang dans une situation complètement désespérée, guidant pis inspirant son monde comme un grand chef de guerre, Léo allait recevoir sa deuxième médaille de Conduite distinguée. 

Mais à ce moment-là, y sut que ça serait sa dernière bataille. Y n’avait vu pis faite assez… 


Source : Luc Lépine, Léo Major : Un héros résilient, Éditions Hurtubise, 2019.

Léo Major, partie 3 – le libérateur de Zwolle

Partie 1
Partie 2

Si ça avait été dans les vues, c’est là qu’une grosse toune épique serait partie à jouer, avec les tambours pis toute le kit, tandis que Léo Major fonçait vers Zwolle comme une armée d’un seul homme. Y savait que Willy aurait pas voulu qu’y soit pogné pour arvirer d’bord à cause de lui, faique y’allait faire la mission, tout seul, jusqu’au boutte.

Léo suivit le chemin de fer jusqu’à la gare, comme le fils des Van Gerner lui avait expliqué tantôt. Rendu là, il vit un hôtel avec une Kübelwagen, un genre de p’tit char militaire allemand, de parqué en avant. Y’avait un gars à bord, pis y’avait l’air d’attendre après quequ’un.

Léo se faufila, pis arriva drette à côté du gars, qui fit un astie de saut en voyant c’t’espèce de crinqué avec yinque un œil pis une mitraillette dans chaque main. Léo y’enleva son arme – une MP40, une petite mitraillette qui ressemblait pas mal au Sten, mais que Léo trouvait meilleure –, le fit sortir du char pis le força à rentrer en avant de lui dans l’hôtel.

En dedans, y’avait un officier allemand qui jasait avec le propriétaire, assis au bar, ben relax. Y retroussa tellement vite, on aurait dit une toast qui sortait du toaster. Mais à voir la face de Léo – pis surtout, ses trois mitraillettes – y se rendit ben vite compte qu’y avait aucune chance. Léo lui fit signe de s’assire et il lui dit, en allemand :

« Ton pistolet, s’te plaît. »

L’officier lui donna son arme sans s’astiner.

– Parlez-vous anglais? demanda Léo, en anglais.
– Parlez-vous allemand? lui répondit l’officier, en allemand.

C’tait ben maudit.

– Parlez-vous français ? fit Léo – tsé, un gars s’essaye.
– Oui, je parle français.

Ga don ça, toé! Tout un adon! L’officier était alsacien, pis en Alsace, ça parle français.

– Y’a combien de soldats dans la ville? demanda Léo.
– Pas loin de 1 000.
– Bon ben vous pis vos 1 000 soldats, vous feriez mieux de lever les feutres avant 6 h, parce que la ville va être bombardée. J’ai pas besoin de vous dire que ça ferait beaucoup de morts, des soldats pis des civils. À part ça, ça serait plate pas mal de détruire une belle ville de même hein?  

L’officier vint tout la face tout blême – y’avait compris le message. Léo n’eut pitié, faique, en gentleman, y lui r’donna son pistolet pis le laissa partir avec son chauffeur.

Après ça, y r’sortit dehors. Pour lui, c’tait rendu ben clair, c’qui devait faire. Faique, son Sten d’une main, la MP40 de l’autres pis le Sten de Willy accroché dans le dos, y se prépara à foutre la marde solide.

Les soldats ordinaires, y pouvait ben avoir pitié d’eux-autres. Après tout, la plupart étaient pas pires que lui, pognés dans une guerre qu’y avaient pas demandée; à c’t’heure-là, probablement qu’y auraient mieux aimé être collés en cuiller avec leur blonde en-dessous des couvartes plutôt que de se geler le cul en patrouille pour la gloire du Reich. Mais les SS pis les agents de la Gestapo, c’tait pas pantoute la même affaire : c’tait des asties de fanatiques. Faique y rentra dans une maison vide pis regarda ses cartes pour chercher son premier objectif : le QG des SS.

Quand il l’eut spotté, y se faufila jusque-là pis y rentra dans le QG sur la pointe de ses chouclaques, sans se faire voir. Là, y vit huit SS dans une salle. Y’étaient don fins de s’être mis toutes à la même place!

PPRRRRRAAAAK! Quatre SS moururent drette là sous les balles tirées par Léo, pis les autres se sauvèrent comme des chats en entendant la balayeuse. En s’en allant, Léo sacra le feu. Tsé, tant qu’à faire.

Y s’en alla au ralenti, sa silhouette noire qui se découpait devant la bâtisse en flammes.

Non, j’niaise. En fait, y’avait pas le temps pantoute de faire son frais : la nuite était encore jeune, pis la job était loin d’être finie. Y sortit en douce par la porte d’en arrière pis s’en alla dans un autre coin de la ville. Là, y se mit à se promener dans les rues de Zwolle comme un esprit frappeur, pognant par surprise plusieurs patrouilles ennemies. Chaque fois, y faisait la même affaire : y tirait vers les Allemands avec ses deux mitraillettes, yinque pour en blesser deux-trois pis leur montrer qu’y était pas là pour jouer au Parchési. Après, y les envoyait comme prisonniers à son régiment.

Encore là, c’pas clair : Léo allait-tu les porter aller-retour, où ben y se rendaient tout seuls comme des p’tits moutons ben dociles? C’était-tu son pur magnétisme animal, ou ben l’fait que voir un Québécois en crisse, c’tait aussi pire que de voir le yâble? Je l’sais pas, pis personne le sait vraiment.

En tout cas, à c’t’heure que tout c’qu’y avait d’Allemands dans’ville était sur le gros nerf, Léo arriva à son deuxième objectif : le QG de la Gestapo. Là avec, il fit le ménage à la mitraillette pis sacra le feu.

Après ça, y se mit à courir comme un malade dans les rues en lançant des grenades dans les maisons vides pis en tirant des deux mitraillettes en même temps pour mener le plus de train possible, comme si la ville était attaquée de tous bords tous côtés. De temps en temps, y rentrait dans les maisons pour se reposer; des fois, fallait qui défonce la porte, mais le monde en-dedans se calmaient ben vite quand y voyaient que c’était pas un Nazi. Pis y ressortait de plus belle, continuant de faire croire aux Allemands que le Régiment de la Chaudière était débarqué au complet.

Autour de 4 h 30 du matin, Léo était brûlé. Y’aperçut des gars de la résistance qui l’avaient vu faire toute la nuite, probablement la yeule à terre avec un plat de popcorn.

Y parlaient pas anglais ni français, faique y’allèrent chercher une prof d’anglais qui s’adonnait à rester pas loin. Grâce à elle, Léo réussit à faire comprendre aux résistants qu’y avait pu un maudit Allemand à Zwolle, pis qu’y pouvaient annoncer à la radio que la ville était libérée. À l’entendre, on aurait cru qu’y avait rien là; on aurait dit un plombier qui r’ssort de la cave en te disant : « C’est beau, y’est posé, ton chauffe-eau! »

Y demanda aussi un char pour qu’y puisse retourner au plus sacrant à son bataillon pis empêcher le bombardement.

Y partit sur les chapeaux de roues vers où était son unité, mais ses compagnons savaient pas que c’était lui, faique y y tirèrent dessus. Comme l’autre fois avec le blindé allemand, y dut se montrer pour que les gars le reconnaissent. C’tait rendu une habitude.

Après avoir annoncé à ses officiers que la mission était accomplie, y r’tourna porter le corps de Willy à la ferme des Van Gerner en attendant que d’autres viennent le chercher.

Pis là, après un briefing, son épique nuit sur la corde à linge venait enfin de se terminer. Y’alla se coucher dans un camion pis y câilla tusuite.

Dans l’après-midi, y se réveilla parce que les gars de son régiment s’énarvaient autour de lui. 

– Heille, Major, viens-t-en, le party est pogné en ville!
– Allez-y les gars, répondit-il, les yeux dans la graisse de bines. M’a vous r’joindre.

Une demi-heure après, Léo pis ses chums rentrèrent dans Zwolle.

Les habitants chantaient pis dansaient pis trippaient comme des petits veaux du printemps. Léo avançait dans c’te foule joyeuse, quand y se fit spotter par du monde qui savaient que leur libérateur avait un bandeau sur l’œil. Ils le pognèrent sans y demander son avis pis le montèrent sur leurs épaules, en héros. Avec une p’tite pensée pour Willy, y se laissa célébrer pis emporter par la fête.

Pour ses exploits, Léo reçut des médailles, fut reçu par la reine Juliana des Pays-Bas et fut nommé citoyen d’honneur de Zwolle, pis une grosse avenue, la Leo Majorlaan, fut nommée en son honneur. Tou’és ans, les flos de Zwolle chantent des chansons en son honneur! Pis icitte, au Québec? Y’a une p’tite tombe de rien, pis y’est à peine connu. Y mériterait un gros film d’Hollywood avec des explosions pis des chars d’assaut qui r’volent, bâtard! En tout cas, j’espère qu’en vous contant ça, j’aurai fait ma part pour le faire connaître plus, pis le faire connaître mieux. 


Partie 4

Léo Major, partie 2

Partie 1

Quelques mois après son exploit de malade, Léo faisait le tour d’un champ de bataille avec le padré de son bataillon dans un Bren Carrier, une espèce de p’tit blindé léger avec le dessus ouvert. C’te combat-là avait été particulièrement épouvantable; mais là, les balles avaient arrêté de siffler, les roquettes avaient fini de péter pis y régnait littéralement un silence de mort.

Ça sentait comme un méchoui dans’cour du yâble. Y’avait des Allemands carbonisés éparpillés un peu partout : une roquette avait fessé drette dans leur char d’assaut, pis y’avaient r’volé comme des catins en guénille. Y’avait aussi quelques soldats canadiens morts, qui s’étaient retrouvés à la mauvaise place quand c’tait pas le temps.

« Faudrait les ramasser pour les ramener au régiment », dit le padré.

Léo alla tusuite chercher les cadavres pour les mettre dans le Bren. Quand y’eut fini, le chauffeur pis le padré s’assirent en avant pour r’partir. Léo s’assit en arrière avec les corps, pis s’alluma une cigarette pour cacher la senteur de mort.

Le Bren venait yinque de se r’mettre à rouler quand Léo entendit une ciboire de grosse explosion. Là, c’est lui qui r’vola dins airs. Après avoir plané comme abri tempo pogné dans le vent, y’atterrit vraiment raide sur le dos dans’bouette. Pis y perdit connaissance.

Le Bren avait roulé sur une mine, pis y valait pas mieux qu’une canne de bines passée dans le tordeur. Quand Léo sortit des vapes, y’était encore à terre, tout égarouillé, pis y’avait deux docteurs qui le regardaient :

– Êtes-vous correct?
– Est-ce que le padré va bien? demanda Léo, pensant pas pantoute à lui-même.

Les docteurs dirent rien : y’était mort, le padré. Pis le chauffeur aussi. Ils mirent Léo sur une civière, puis dans un Jeep pour une raille vers l’hôpital de campagne sur des chemins bouetteux pleins de trous pis de bosses. Y’était arrivé de quoi à son dos, pis ça regardait mal en tabarouette. Y souffrait tellement le martyre qu’y fallait arrêter aux quinze minutes pour y donner de la morphine.   

À l’hôpital, le docteur avait pas des bonnes nouvelles pour lui : trois vertèbres pis plusieurs côtes de cassées, pis des entorses aux deux chevilles. Encore une fois, y se fit dire :

« La guerre, c’est fini pour toé! »

Mais Léo, y’était faite d’un autre bois que le reste du monde. Pis y’avait une astie de tête de cochon.

Après une semaine, Léo était déjà tanné d’être là à rien faire, faique il se mit dans l’idée de se sauver de l’hôpital pour arjoindre son bataillon. Pis aussi, tant qu’à faire, pour faire un croche par Nimègue chez la belle Antoinette Slepenbeck, qu’il avait rencontrée l’automne d’avant. Mais là, c’tait pas d’avance : le docteur y’avait posé un gériboire de gros plâtre tout autour du torse. En plus d’être achalant, ça le rendait ben que trop facile à spotter.

Le lendemain matin, aux aurores, Léo vola une froque de soldat assez grosse pour deux gars pis se poussa en douce. Pis, tu parles d’un adon, un Jeep de l’armée de l’air s’en allait justement à Nimègue, pis y’avait une place de libre à bord. En arrivant là-bas, il tomba face à face avec la mère d’Antoinette, qui comprenait pas pantoute ce qu’y faisait là :

« Ben voyons! Vous êtes pas censé être parti libérer la Hollande, vous? » 

Les Slepenbeck étaient quand même ben contents de le voir. Ils l’invitèrent à rester une secousse, le temps de prendre du mieux. Un mois après, Léo alla voir M. Slepenbeck pis lui dit :

« Le père, j’voudrais avoir une scie, sivouplaît. »

Y sortit dehors avec la scie; toute la famille avait le nez collé dans’fenêtre pour voir ce qu’y allait faire avec ça.

Scritch, scritch, scritch : après plusieurs coups de scie ben précis, les deux moitiés du plâtre à Léo tombèrent à terre dans’cour. Y’avait rien au monde pour retenir Léo Major : ni les mines, ni les grenades, ni les Nazis, pis encore moins les gériboires de gros plâtres.

Après ça, Léo retrouva son bataillon, qui avançait de plus en plus creux dins Pays-Bas, libérant ville après ville avec l’aide de la résistance hollandaise. Partout sur le passage des Canadiens, les habitants, fous comme des balais, les accueillaient en criant des mercis pis des hourras. À Zutphen, Léo se paya tout un trip en se faufilant tout seul pis en éliminant des tireurs d’élite pis des officiers SS avant même que les troupes canadiennes rentrent dans’ville.

Pis là, le Régiment de la Chaudière arriva devant Zwolle.

La ville était vraiment ben défendue : les Allemands y tenaient, parce que c’était une place importante pour le transport des troupes pis des marchandises à cause des routes pis des chemins de fer qui passaient par là. En plus, y’avait des détachements de la Gestapo pis des services de renseignement des SS, faique on s’entend que les Alliés avaient tout intérêt à y aller.

Comme les officiers avaient réussi à mettre la main sur des cartes de la ville grâce à la résistance, y savaient exactement où frapper. Le commandant du régiment ordonna donc à l’artillerie de tirer sur les spots marqués sur les cartes.

Mais là, pendant qu’y regardait ses hommes placer les canons, le commandant eut comme un doute. Y’avait encore des milliers d’habitants dans la ville, pis les tirs risquaient de faire ben des morts. Faique y’appela ses éclaireurs pis demanda deux volontaires pour aller en reconnaissance dans Zwolle, histoire de se faire une idée de ce qui se passait là. Sans grande surprise, Léo se proposa tusuite. L’autre volontaire, c’était Willy Arsenault. J’vous avais pas parlé de lui encore, mais Willy, c’était le grand chum de Léo, qu’il avait connu pendant son entraînement militaire. Y’était dans la même gang que lui pendant de Débarquement de Normandie, pis y’avait pas mal le même caractère. Les deux se faisaient confiance, pis y formaient un duo de feu.

Faique Léo pis Willy regardèrent les cartes pis décidèrent d’attendre la nuite, se disant que ça serait plus facile de se faufiler dans le noir. Ils pognèrent des rations de chocolat, de café pis de thé, une miche de pain pis ben des cigarettes pour eux-autres mêmes, pis chacun leur Sten gun – une petite mitraillette – des munitions pis un sac de grenades à fragmentation pour les Allemands. 

En fin d’après-midi, y s’en allèrent à la ferme des Van Gerner, à l’est de Zwolle, pour attendre qui fasse noir. Y parlaient pas français ni anglais, mais y’étaient ben contents de voir des Canadiens – ça pouvait juste être des mauvaises nouvelles pour les Allemands. Y capotèrent ben raide quand Willy sortit le chocolat de son sac – ça faisait des années qu’y avaient pas vu ça!

À force de pointer pis de faire des sparages, le fils des Van Gerner réussit à leur montrer les places où y’avait des Allemands, la meilleure façon de rentrer dans la ville, pis des points de repère pour leur éviter de s’écarter. Ça allait être ben utile.

Vers 11 h du soir, c’tait le temps de commencer la mission. Après avoir dit merci à la famille, les deux Canadiens français s’en allèrent en direction de la ville. C’était carrément se jeter dans la gueule du loup, mais y s’en sacraient – la seule chose qui comptait, c’était de trouver une façon de clairer les Allemands sans que l’artillerie ait besoin de tirer sur la ville.    

Pas loin de la ferme, y’avait un pont de chemin de fer. Léo s’enligna dessus en premier, sans faire de bruit, parce qu’y portait ses chouclaques, comme d’habitude. Willy devait suivre pas longtemps après.

« Voyons, comment ça, qu’y arrive pas? » se demanda Léo.

Pis là, y’entendit un bruit.

« Ah, le v’là! »

Mais là, PPRRRRRAAAAK! Une rafale de mitraillette, pis un cri de mort – dans la direction de où Willy était.

Léo tira tusuite, quasiment par réflexe. Y’avait huit Allemands d’embusqués dans le noir; y’en tua deux, pis les autres se sauvèrent en char vers la ville. Y se garrocha vers où Willy avait crié, pis comme de fait, c’qui craignait de pire était arrivé : y trouva son meilleur chum à terre, mort. Contrairement à Léo, y portait ses bottes, pis les Allemands l’avaient entendu passer sur le pont.

Léo aurait le temps plus tard d’être triste. Mais là, y’était en saint ciboire de tabarnak.

Y’aurait pu r’virer de bord pis renoncer à la mission, mais y savait que Willy aurait voulu qu’y continue. Y ramassa le corps de son ami pis le déposa à côté du chemin pour venir le chercher plus tard. Y pogna le Sten pis le sac de grenades à Willy, pis s’en alla vers la ville, prêt à décâlisser du Nazi. Y’avait du monde qui allaient payer à soir.

Partie 3


Source principale : Jocelyn Major (le fils de Léo), « N’oublions jamais ». HISTOMAG’44, no 57, décembre 2008-janvier 2009. https://www.39-45.org/histomag/mag-decembre2008.pdf

Léo Major, partie 1 – les faits d’armes d’un Canadien français

Un bon jour de 1968, à Montréal une gang de Hollandais sonnèrent à la porte chez Léo Major, un ancien sergent des Forces armées canadiennes qui avait servi pendant la Deuxième Guerre mondiale. Y voulaient inviter Léo au 25e anniversaire de la libération de la ville de Zwolle, aux Pays-Bas. En entendant ça, sa femme Pauline se demanda si a n’avait manqué des bouttes :

– Mais comment ça que mon Léo est invité, pis pas d’autres?
– Parce que c’est le libérateur de la ville de Zwolle. Pas un des libérateurs, là : LE libérateur. Y’a tout fait tout seul!

Quand les Hollandais furent partis, Pauline, en pleine science-fiction, avait une couple de questions pour son mari :

– Ben voyons, Léo, comment ça se fait que tu nous as jamais conté ça?
– Ben, j’voulais pas passer pour un vantard. Pis de toute façon, tu m’aurais-tu cru, tu penses?

Tsé, quand elle a rencontré Léo, ben des années avant, Pauline avait dit qu’a n’avait plein son casse des soldats qui arrêtaient pas de se vanter de leurs exploits de guerre. C’tait pas tombé dans l’oreille d’un sourd…  

Léo, y’est né en 1921 à New Bedford, au Massachussetts. Son père était ouvrier pour les chemins de fer nationaux au Canada, pis y’était descendu aux États pour la job.

Pas longtemps après, les Major remontèrent vivre à Montréal, d’où c’qui venaient. Léo fut élevé par sa mère avec ses 12 frères et sœurs en pleine Grande Dépression; son père partait des semaines de temps sur les chantiers, pis quand y’arvenait à maison, ça y’arrivait d’être violent. C’tait pas jojo.

Faique quand Léo eut 18 ans, on s’imagine qu’y avait le goût de voir autre chose. C’tait pas un trippeux de drapeau pis de patrie tant que ça, mais quand l’armée se mit à chercher des volontaires pour aller se battre en Europe au début de la Deuxième Guerre mondiale, y s’est tusuite enrôlé.  

En 1940, y partit en Écosse avec le Régiment de la Chaudière. Y’était pas là pour se pogner le beigne : les hommes s’entraînaient du matin au soir, 6 jours semaine, 50 semaines par année.

En 1944, le régiment à Léo était fin prêt – jusse à temps pour le Débarquement de Normandie.

Le matin du jour J, Léo était dans une péniche de débarquement, en train de se faire brasser la couenne par une mer enragée noir, entouré de gars morts de peur pis pognés du mal de mer. Le pont était glissant de vomi. Là, son chum Larry Caissy lui dit :

– On va toute y passer, Léo. On va sauter sur une maudite mine. En plus, les autres régiments débarquent avec des tanks, pis nous autres on a yinque un bulldozer. On va se faire massacrer!
– Relaxe, Larry. T’as une bonne mitraillette pis tu vas être OK. On a un bulldozer, tandis que les autres ont juste des tanks. Attends de voir ce qu’on va faire avec!

Léo souriait en disant ça. C’était comme si y’avait pas peur pantoute.

Vers 8 h 30, Léo et son régiment débarquèrent sur la plage de Juno. Déjà là, y’étaient chanceux : y’en avait qui avaient coulé comme des roches avec leur équipement avant même de toucher terre. Plus loin, les hommes du Queen’s Own Rifles de Toronto, figés de peur, se faisaient ramasser par les mitraillettes allemandes.

Larry Caissy demanda à Léo :

– Est-ce qu’y sont morts ou y’attendent de recevoir une balle?
– Ouin, faut faire quequ’chose, sinon y vont se laisser massacrer!

Les balles faisaient toute arvoler : le sable, les roches, les corps… C’était l’enfer. Au beau milieu du carnage, Léo, Larry pis d’autres gars réussirent à se faufiler en-dessous du blockhaus où étaient les mitraillettes ennemies et posèrent une grenade : BOUM!

Après ça, y’eurent pas trop de misère à défoncer un boutte du mur avec le bulldozer. Léo pis sa gang rentrèrent dans le blockhaus; ils pognèrent une douzaine d’Allemands par surprise et les firent prisonniers. Pis là, un sergent des Queen’s Own Rifles – un Canadien anglais – arriva, crissa un coup de poing sur la gueule d’un des soldats allemands pis alla pour descendre les prisonniers, mais Léo le laissa pas faire :

– C’est pu des soldats, c’est des prisonniers. Pas de meurtre, c’tu clair?
– On fait pas de prisonniers, répondit le sergent.
– Nous-autres, oui, dit Blakeley, un des compagnons à Léo. Si ça vous tente de tuer des Allemands, allez vous en trouver. Ceux-la, y s’en viennent avec nous-autres.
Goddamn frogs! fit le sergent en s’en allant.  

Un des prisonniers prit la peine de dire merci à Léo.

À c’t’heure qu’y avait pu de mitraillettes, la plage de Juno était sécurisée, mais la journée était loin d’être finie.

Dans l’après-midi, Léo fut envoyé en mission de reconnaissance en arrière des lignes ennemies avec un autre éclaireur. Tandis qu’y marchaient cachés en arrière d’une haie, y virent un Hanomag – un char blindé allemand – qui s’en venait avec trois gars à bord.

Les Allemands étaient un peu au-dessus de leurs affaires; y fumaient pis y jasaient sans trop se méfier. Faique Léo pis l’autre éclaireur se mirent en position, pis quand le blindé passa à ras eux‑autres, Léo tira sur le chauffeur pis le pogna dans l’épaule.  

Un des soldats ennemis essaya de pogner son arme, mais PÂWF! Léo fut plus vite que lui et le tira lui aussi dans l’épaule. À ce moment-là, les Allemands comprirent qu’y f’raient mieux de filer doux. Léo et l’autre gars embarquèrent dans le blindé pis forcèrent le chauffeur à conduire jusqu’à la position des soldats canadiens anglais.

Mais là, eux-autres, y savaient pas que le blindé avait été saisi par deux Canadiens français! Faique y se mirent à tirer du canon anti-char. Y fallut que Léo monte su’l dessus du blindé avec les obus qui y sifflaient chaque bord des oreilles pour qu’y arrêtent. Léo, le sourire dans face, se dit :

« Ha! Une maudite chance que les Anglais savent pas tirer! »

Quand le blindé s’arrêta en avant des lignes, un officier anglais ordonna à Léo d’y remettre le blindé, mais y voulut rien savoir :

« Y’a été saisi par des Canadiens français, faique y s’en va chez les Canadiens français. »

L’officier se rendit ben compte que Léo était trop tête de cochon, faique il le laissa passer. Heille, comme si Léo allait laisser les Anglais ramasser toute la gloire!

Ça, c’était sa première journée de combat à vie. Y’aurait eu de quoi se vanter jusse avec ça, mais y faisait yinque commencer! 

Deux jours après le Débarquement, Léo fut encore envoyé en reconnaissance, près de la ville de Caen. Avec quatre autres Canadiens, y tomba face à face avec une patrouille de cinq soldats d’élite allemands. Pas le choix : Léo et les autres gars tirèrent en premier, tuant tous les Allemands sauf un, qui eut le temps de lancer une grenade au phosphore avant de passer l’arme à gauche.

La grenade péta jusse à côté de Léo, qui reçut de la bouette pis un tapon de débris en pleine face. Y’avait le visage brûlé pis y voyait pu rien. C’tait un cas d’hôpital.

Rendu là, le sous-officier infirmier lui dit :

– Bon, ben votre œil gauche est scrap. C’est ben d’valeur, jeune homme, mais va falloir te renvoyer en Angleterre. La guerre, c’est fini pour toé!
– Hein! Oubliez ça. Chuis franc-tireur, pis mon unité peut pas se passer de moé! Mon œil droit est ben correct; ça adonne ben, c’est lui que je prends pour viser!

Le sous-officier y fit un bandage avec un cache-œil pis le renvoya au combat. Léo trouvait ça ben drôle :

« Heille! J’ai l’air d’un pirate! »

C’te gars-là, y’avait rien pour le décourager.

Pendant les mois qui suivirent, les forces alliées continuèrent d’avancer de plus en plus creux dans le nord de la France pis en Belgique. Le 1er octobre, Léo pis son régiment étaient rendus aux Pays-Bas; ça commençait à faire loin de la Normandie pour acheminer le stock jusqu’au front. Faique ça prenait un port plus proche : celui d’Anvers, qui avait déjà été repris par les Anglais d’Angleterre. Mais pour que les bateaux puissent se rendre, fallait clairer les Allemands tout le long de l’estuaire de l’Escaut : ça, c’tait une job pour les Canadiens.

Pendant cette bataille-là, Léo trouva encore le tour de se faire remarquer. Autour de minuit, son commandant y dit :

« Léo, je veux que t’ailles voir si tu peux trouver les 50 p’tits nouveaux que j’ai envoyés en patrouille après-midi. Sont pas encore arvenus, pis j’commence à m’inquiéter pour eux-autres. »

Faique Léo se lâcha tout seul dans le noir, sans faire de bruit; y portait des chouclaques plutôt que des bottes quand il allait en patrouille. Ben de bonne heure le matin, il entra dans un village, pis y vit des fusils accotés sur un mur de maison. En allant plus proche, il spotta un tapon d’équipement militaire : des casses, des radios, des sacs à dos. Il entra dans une maison voisine pis fouilla le rez-de-chaussée. Y’avait pas un chat.

Il monta en haut. Par la fenêtre, il vit des tranchées creusées le long d’un canal. Y’avait plein de soldats allemands endormis, pis deux sentinelles. Après les avoir checkés attentivement pendant une petite secousse, y se dit :

« C’est de votre faute si chuis trempe pis gelé. Vous allez me le payer. »   

Faique là, savez-vous c’qu’y fit, le crinqué? Il s’en alla jusqu’au canal, ben silencieusement, s’approcha d’la première sentinelle pis la captura sans qu’a puisse s’astiner. Après, il se servit du gars comme appât pour capturer l’autre sentinelle.  

« Aweille! Amenez-moé à votre officier! »

L’officier eut même pas le temps de comprendre c’qui lui arrivait : Léo le désarma drette là pis pointa son fusil sur lui :

« Lève-toé pis réveille tes hommes. Vous vous en venez toutes avec moé. »  

Voyant qu’y était mieux de prendre son trou, l’officier allemand gueula un ordre à ses hommes, qui retroussèrent toutes sans résister, sauf un qui voulut pogner son fusil. L’innocent! Léo le descendit tusuite. Y’avait clairement pas compris à qui y’avait affaire!

« Tention! Les mains en l’air! » cria-t-il en allemand.

Les Allemands restèrent tellement frettes qu’ils levèrent les mains pis se mirent à marcher en file comme des enfants d’école dans la direction que Léo leur pointait avec son fusil.

C’tait ben beau, mais fallait qu’il les ramène à son régiment, ces prisonniers-là! Un m’ment’né, Léo tomba sur une gang de SS qui se mirent à y tirer dessus. Pas impressionné pour deux cennes, Léo continua de pousser ses prisonniers en avant, même si plusieurs furent blessés ou tués en traversant le village.

Pis là, un char d’assaut allié se pointa.

– C’est beau, on s’occupe de vos prisonniers, dirent les gars à bord.
– Chus correct, répondit Léo. Allez don tirer sur les SS à’place!

Faique Léo et sa trâlée d’Allemands continuèrent leur chemin. Pis là, vous me crèrez pas, mais c’est pas 10, pas 20, pas 30, mais avec QUATRE‑VINGT-TREIZE soldats que Léo arriva au poste de commandement du Régiment de la Chaudière! Son commandant avait la gueule à terre.

Vous allez peut-être me dire : « Franchement! Un gars tout seul qui a capturé 93 soldats ennemis? Tu nous prends-tu pour des valises? » J’vous comprends. Ça a pas d’allure. Pourtant, ça a ben l’air que c’est vrai. Même, pour ça, on voulut le décorer de la médaille de Conduite distinguée, mais y dit non parce que c’est le maréchal Montgomery – le numéro un des armées du Commonwealth – qui allait y donner, pis y voulait rien savoir, parce qu’il trouvait que c’était un gros incompétent.

Léo, c’tait un vrai.  

Pour être un héros, ça prend ben des qualités, mais ça prend aussi de la chance. Pis, c’est plate, mais Léo pouvait pas être chanceux pour toujours…

Partie 2


Source principale : Jocelyn Major (le fils de Léo), « N’oublions jamais ». HISTOMAG’44, no 57, décembre 2008-janvier 2009. https://www.39-45.org/histomag/mag-decembre2008.pdf

L’espion poche de New Carlisle

Un matin de novembre 1942, en Gaspésie, dans les eaux de la baie des Chaleurs pas encore tout à faite réveillée, un sous-marin allemand s’avançait sans faire de bruit comme un brochet en fer de 700 tonnes.

Ça faisait déjà une bonne couple de mois que des U-boat nazis rôdaient dans le coin; rendus fantasses par l’absence du gros de la flotte de la marine canadienne, partie défendre la Méditerrannée pis le golfe du Mexique, ils faisaient la pluie pis le beau temps dans le fleuve Saint-Laurent en coulant des cargos pis des corvettes.

Mais ce sous-marin-là, y’avait une autre mission. Pas loin de New Carlisle, il fit surface, pas pour tirer une torpille, mais pour faire débarquer un espion.

Werner von Janowski, espion poche

Étant donné qu’il avait déjà passé une bonne secousse au Canada dans les années 1930, Werner von Janowski, lieutenant de la flotte allemande, nom de code « Bobbi » (mais on va l’appeler « Ti-Werne »), était drette le bon gars pour entrer en contact avec des organisations nazies clandestines au Canada, apprendre des affaires secrètes pis tout bavasser au Reich. En tout cas, c’est ce que les Nazis pensaient. Ils avaient juste pas idée d’à quel point y se planterait, pis dans un temps record, à part ça.

Faique notre Ti-Werne débarqua sur une plage à quelques milles de New Carlisle, encore habillé en marin allemand. L’idée, c’était que s’il se faisait pogner habillé de même, il se ferait traiter comme un prisonnier de guerre, c’est-à-dire pas trop pire, tandis que s’il était habillé en civil, il risquait la peine de mort.

Quand il fut certain de pas se faire voir, il se changea et enterra son uniforme. Ensuite, il prit la direction du village. Son plan : prendre le prochain train pour Montréal.

À 9 h du matin, Ti-Werne arriva à l’hôtel The Carlisle. Sous le nom de William Brenton, il dit qu’il venait d’arriver sur l’autobus et demanda une chambre avec un bain, car il voulait se décrotter un peu.

Faut dire que la traversée de l’Atlantique avait pris 44 jours; après avoir passé autant de temps enfermé dans une canne de bines sous l’océan avec un tapon d’autres gars, il sentait le swing, l’humidité pis le diésel à plein nez. Et ça, c’est juste un des détails louches que Simonne Loubert, la jeune femme de chambre qui lui répondit, spotta tout de suite.

Tsé, un étrange qui r’soud de nulle part de bonne heure le matin dans un village d’à peu près 1 000 habitants, ça fesse. En plus, Ti-Werne avait l’air sur les nerfs et parlait avec un accent bizarre. Quand il s’acheta un paquet de cigarettes, il paya avec de la vieille argent qui datait de la guerre de ‘14. Mais le plus louche, c’était qu’y disait être arrivé sur l’autobus. Simonne savait ben que l’autobus passait pas c’te journée-là. Pis même à ça, l’autobus aurait débarqué le monsieur drette en avant de l’hôtel, pis y serait pas arrivé à pied.

Simonne était pas folle : a savait que les Allemands se promenaient autour de la Gaspésie en sous‑marin, pis qu’y en avait qui pourraient essayer de débarquer. Faique quand Ti-Werne fut parti dans sa chambre, elle alla voir Earle Annett Jr., le garçon du propriétaire de l’hôtel.

– Ça marche juste pas, son affaire. En plus, tsé, ça m’a l’air d’un gros fumeur, pis y savait même pas comment ça coûte, un paquet de cigarettes! Penses-tu que ça pourrait être un espion?
– Ouin, j’avoue que c’est crissement suspect! M’a voir ce que je peux faire.

Earle Jr., un jeune homme de 20 ans, aurait vraiment voulu partir péter des gueules de Nazis comme beaucoup de ses chums de gars. Ce qui était plate, c’est qu’il s’était irrémédiablement scrappé le genou en prenant une débarque en bécycle quand il était flot, faique l’armée l’avait pas accepté. Tant qu’à rester pogné du mauvais bord de l’Atlantique, il avait ben l’intention de participer à l’effort de guerre pis de démasquer l’espion.

Entre-temps, Ti-Werne s’était installé dans la salle à manger pour déjeuner. Earle Jr. trouva que son linge était bizarre – lui, y venait pas d’icitte, c’était évident. Pis quand il se leva pour partir, Earle Jr. vit qu’il avait échappé une boîte d’allumettes à côté de sa chaise.

Earle Jr. la ramassa et lut « Fait en Belgique » dessus. Ça, c’était suspect en viarge : dans ce temps-là, tous les paquets d’allumettes vendus au Canada portaient le même sceau spécial, qui était pas sur cette boîte-là, pis en plus, la Belgique était occupée par les Nazis depuis trois ans.

Earle Jr. était maintenant sûr de sa shot : c’était ben un espion.

Comme le train pour Montréal partait dans même pas une heure, fallait qu’y se grouille. Il embarqua dans son pickup et partit en direction de la gare. Rendu là-bas, il trouva notre Ti-Werne en train de prendre un café. Faique, ben relax, comme si de rien était, il s’assit à ras lui :

– Fait pas chaud à matin, hein?
Ah, z’est pas zi mal, répondit Ti-Werne, avec son accent bizarre du fond de la gorge.
– Cigarette?
– Oui, merzi.

Earle Jr. lui donna une cigarette, puis attendit qu’il lui offre du feu pour allumer la sienne. Alors, Ti-Werne sortit un autre paquet d’allumettes belges. Bingo!

– Ch’ai fu que le train z’arrêtait à Matapédia, demanda l’Allemand. Z’est quel genre d’endroit? Petit, che zuppose?
– Ouais, c’est grand comme ma yeule. Y’a pas grand-chose à faire là*
– Ah bon.

Y’avait un malaise dans l’air, comme quand quequ’un lâche un gros pet, pis que tout le monde le sent mais personne parle. L’espion soupçonnait-tu qu’on le soupçonnait?

Enfin, le train entra en gare pour 20 minutes. Pas le temps de niaiser – à c’t’heure qu’il avait une preuve, Earle Jr. alla tout de suite avertir le constable Alfonse Duchesneau de la Police provinciale.

Duchesneau était pas trop convaincu, mais il alla quand même à la gare. Il arriva drette comme le train partait et sauta dedans au dernier moment. À bord, il spotta tout de suite Ti-Werne grâce à la description qu’Earle Jr. lui avait donnée. Il alla s’asseoir avec.

– Bonjour Monsieur, constable Duchesneau de la Police provinciale. Ch’peux-tu voir vos papiers siouplaît?
– Bien zûr, répondit Ti-Werne en sortant ses cartes au nom de William Brenton.
– Qu’est-ce qui vous amène par icitte?
– Che zuis représendant de commerce et ch’afais affaire dans la région.
– Ok, pis ch’peux-tu voir votre valise itou, siouplaît?

Rendu là, Ti-Werne devait suer de la raie pas mal, car il dit aussitôt :

« Za zera pas nézessaire. Che zuis un offizier allemand, et che zers mon pays, comme fous. »

Et voilà : grâce à la vigilance de braves Gaspésiens, la carrière d’espion de Werner von Janowski était kaput après même pas 12 heures. Si c’était pas un record, c’était pas loin.

Après ça, Ti-Werne fut emmené à Montréal, où la GRC essaya d’en faire un agent double. Après un an, il avait fourni zéro pis une barre de renseignements, faique les autorités le shippèrent en Angleterre, où il passa le reste de la guerre dans un camp pour prisonniers allemands.

L’histoire dit pas si Ti-Werne voulait la gloire, mais en tout cas, il s’attendait sûrement pas à se retrouver pour l’éternité dans les palmarès des pires espions de tous les temps!


*Ne représente pas l’opinion de l’auteure. C’est un maudit bon spot de plein air! #TourismeGaspésie


Source principale : Dan Beeby, Cargo of Lies: The True Story of a Nazi Double Agent in Canada, 1996. https://utorontopress.com/us/cargo-of-lies-4

Quand ça passe par le mauvais trou : Alexis Saint-Martin, cobaye canayen

« Heille, je peux-tu saucer des affaires dans tes sucs gastriques par le trou dans ton estomac pour voir ce que ça fait? Tu serais logé et nourri, pis t’aurais un petit salaire… »

Alexis Bidagan, dit Saint-Martin, se serait jamais attendu à se faire demander une affaire bizarre de même. Né en 1794 à Berthier, au Québec, dans une famille pauvre, il aurait pas non plus pensé qu’il allait un jour aider à faire avancer la médecine… par accident.

Alexis Saint-Martin dans sa vieillesse (Source : Wikimedia Commons)

Toute a commencé quand Alexis avait 28 ans et travaillait comme trappeur pour l’American Fur Company. Au poste de traite de l’île Mackinac, au Michigan, un cabochon qui faisait pas attention lui tira un coup de fusil drette dans le ventre, sans faire exprès.

Il aurait dû être mort : il avait des côtes de cassées, des muscles déchirés, les poumons lacérés pis brûlés, pis il avait un trou dans l’estomac assez gros pour y rentrer l’index, par où la chevrotine avait ressorti.

Ça regardait mal, mais William Beaumont, médecin de l’armée en poste sur l’île Mackinac, l’opéra quand même en espérant qu’y toffe au moins la nuitte.

William Beaumont (Source : Wikimedia Commons)

Contre toute attente, notre brave Canayen français en réchappa. Y’avait juste une affaire : quand y fut assez en forme pour manger, toute la bouffe ressortit quelques minutes plus tard par le trou dans son estomac. Ouache.

Faique, au début, le Dr Beaumont nourrissait Alexis en lui faisant des lavements (par le péteux, là…). Après un p’tit boutte de même, le trappeur fut bon pour recommencer à manger même si le trou se refermait toujours pas. Un m’m’ent’né, comme Alexis avait pas une cenne pour payer, l’hôpital le crissa dehors.

C’était plutôt poche pour lui. Qu’est-ce qu’il allait faire, amanché de même? Mais le Dr Beaumont, lui, y vit une occasion en or :

« Ça parle au yâb! Je peux y voir dans l’corps! Faut absolument que je l’empêche de repartir – grâce à lui, je pourrais être le premier à percer les mystères de la digestion! »

C’est là qu’il lui fit la fameuse proposition. Dans le contrat qu’Alexis a signé, c’était écrit qu’il allait être employé comme serviteur chez le Dr Beaumont, logé pis nourri, avec un salaire de 150 $ par année – même avec l’inflation, c’était pas à se tirer dans les murs : ça revient à peu près à 2 800 $ aujourd’hui. Surtout qu’en échange, le Dr Beaumont pouvait faire les expériences qu’il voulait sur lui.

L’histoire, c’est que dans ce temps‑là, on parlait pas vraiment de t’ça, des affaires comme le consentement éclairé. Alexis était illettré pis y parlait à peine anglais, faique y devait pas trop savoir dans quoi y s’embarquait…

Le trou de la gloire
Dans ce temps-là, c’était ben mystérieux, la digestion. Pis on avait pas grand moyen de savoir comment ça marchait.
 
Quelques expériences avaient été faites sur des animaux, mais y’a toujours ben des limites à ouvrir bestiau après bestiau en plein lunch pour voir ce qui se passe en dedans. Pis on pouvait pas non plus étudier ça sur des cadavres, parce qu’un cadavre, ben ça digère pu.
 
Le scientifique Charles-Édouard Brown-Séquard, lui, avait une autre idée : il avalait des éponges attachées après une ficelle, pis il les régurgitait pour étudier ce qu’il y avait dessus. (Après ça, il était pu capable de manger normalement sans vomir. Un de ses collègues a dit que c’était un « sacrifice sur l’autel de la science ».)
 
Faique, dans ce contexte-là, le Dr Beaumont considérait le trou d’Alexis comme sa porte d’entrée au panthéon de la médecine. Et il était prêt à tout pour qu’elle reste ouverte…
 
Parce que c’est louche en maudit que le trou soit resté ouvert de même. Dans ses notes, le Dr Beaumont dit qu’il a tout fait pour le fermer, mais que ça a jamais marché, pis même qu’Alexis aurait refusé les points de suture ou une autre opération qui aurait pu régler le problème. C’est quand même dur à croire. Beaumont dit aussi qu’il a accueilli Alexis chez eux « par pure charité ». Prends-nous donc pas pour des valises, Doc.
 
En plus, selon un certain Gordon Hubbard, qui était là le matin de l’accident, le Dr Beaumont aurait mis quelque chose dans le trou pendant qu’il opérait Alexis pour que ça cicatrise autour pis que le trou reste ouvert…

À part saucer des affaires dans ses sucs gastriques par le trou dans son estomac (qu’il goûtait, des fois – selon lui, le poulet à moitié digéré, ça goûte « fade pis sucré »), le Dr Beaumont lui prélevait de l’acide gastrique pour voir si ça digérait pareil en dehors du corps pis pour en envoyer à d’autre monde.

D’autres fois, il prenait l’acide, le mettait dans une fiole avec un morceau de bouffe dedans, pis forçait Alexis à rester planté là comme un codinde avec la fiole accotée dans le t’sour de bras pour simuler la chaleur pis le mouvement de l’estomac :

— Combien de temps va falloir que je reste de même? Je suis pas mal écœuré pis faudrait vraiment que j’aille ch…
— Encore six heures, mon garçon. Lâche pas! C’est pour la science!

Le trou, dessiné par le Dr Beaumont (Source : Wikimedia Commons)

Le Dr Beaumont lui rentrait toutes sortes d’objets dans l’estomac. Mais une fois en particulier, c’était l’boutte du boutte :

— Enlève ta chemise, j’veux faire un autre test.
— Ok.
— À c’t’heure, penche-toi un peu par en arrière.
— Ok boss… Ark! Ben voyons quessé que vous faites là, tabarnak?
— Hm… Je note : «  Quand on liche l’intérieur de la muqueuse et que l’estomac est vide, ça goûte pas l’acide pantoute. »

Faique c’est pas surprenant qu’après un boutte à faire ça, Alexis ait fini par dire :  

« Moé, j’ai mon estie de voyage. Je câlisse mon camp d’icitte. »

Il retourna donc au Québec, où il se maria et eût une couple d’enfants.

Le Dr Beaumont, lui, était ben découragé de t’ça. Il avait perdu son trou pis il avait ben l’intention de le ravoir. Parce que, rendu là, tout le monde voulait le zieuter : une gang de granoles voulaient l’utiliser pour prouver que les plantes se digéraient mieux que la viande, pis la Medical Society of London avait même ramassé des sous pour faire le faire venir en Europe avec le Dr Beaumont. La gloire était à la portée du docteur, mais son cobaye, lui, en avait définitivement son tas.

Beaumont passa le reste de sa vie à essayer de le flatter dans le sens du poil pour le faire revenir, sans succès. Il écrivit quand même une grosse brique sur les résultats de ses expériences, pis on voit encore aujourd’hui sa face dans tous les livres de gastro-entérologie 101. Finalement, il mourut avant le Canayen français, à l’âge de 67 ans, en se pétant la fiole sur des marches pleines de glace noire.

Alexis, lui, mourut de sa belle mort à l’âge de 78 ans. Comme y’avait plein de maudits vautours qui voulaient avoir le corps pour l’exposer dans un musée ou fouiller dedans, la famille le laissa pourrir au soleil pour qu’il reste juste les os, pis l’enterra dans une tombe pas de nom sous un gros tas de roches.

Quand un autre docteur essaya de mettre la patte sur le cadavre, les enfants du trappeur lui répondirent par un télégramme assez raide, merci :

« Venez pas pour l’autopsie; on va vous faire la peau. »

Madeleine de Verchères

Madeleine de Verchères sur une affiche de recrutement en temps de guerre, 1939-1945.

Madeleine de Verchères! Elle, c’est un peu notre Jeanne d’Arc à nous-autres.

En 1692, alors qu’elle était ado et que ses parents étaient pas là, elle défendit quasiment toute seule le fort de son père, le seigneur de Verchères, contre une attaque d’Iroquois.

Ça, personne va vous astiner là-dessus : Madeleine, c’était une vraie.

L’affaire, c’est qu’elle a conté deux fois son aventure. La première fois, c’était court et touchant, pis ben raisonnable. La deuxième, on dirait qu’elle beurrait épais pis charriait même par bouttes.

Là, j’étais ben embêtée. J’étais pas pour vous conter des affaires qui sont peut-être des menteries! Par contre, la deuxième version de Madeleine est ben plus croustillante, pis c’est celle‑là qu’on voit le plus souvent dans les livres d’histoire.

Donc, je vais la laisser parler elle-même. Comme ça, si elle essaye de vous faire des accroires, ben ce sera pas de ma faute. Prenez juste ça avec un grain de sel.

Faique, vas-y, Madeleine! On t’écoute.


« Mesdames et Messieurs, laissez-moi vous raconter l’aventure qui m’arriva en 1692, l’année de mes 14 ans.  

C’te journée-là, mes parents étaient partis – mon père à Québec, ma mère à Montréal.

Le matin, j’étais à peu‑près à cinq arpents du fort de Verchères, quand j’entendis des coups de fusil.

« Sauvez-vous, Mam’zelle Madeleine! me cria un de mes domestiques. Les Iroquois s’en viennent! »

Je me revirai, pis je vis-tu pas quarante-cinq Iroquois qui tiraient sur les habitants pis qui s’en venaient à la course! Décidée à mourir plutôt qu’à me laisser pogner par eux‑autres, je partis vers le fort, les jambes au cou et priant la sainte Vierge, tandis que les balles me sifflaient chaque bord de la tête.

Quand je fus arrivée assez proche du fort pour qu’on m’entende, je criai : « Aux armes, aux armes! » J’espérais que quelqu’un vienne m’aider, mais personne se montra la face; il y avait deux soldats dans le fort, mais ils étaient probablement allés se cacher dans la redoute, les pissous. Je vis juste deux femmes qui se lamentaient parce que leur mari venait de se faire tuer. Elles voulaient pas rentrer, mais elles eurent d’affaire à me suivre : les Iroquois arrivaient, pis fallait fermer la porte au plus maudit.

Ça avait ben d’l’air que je devrais m’occuper toute seule de défendre le fort. Avant ça, les Iroquois avaient tué mon grand‑frère François-Michel pis deux maris à ma sœur Marie‑Jeanne, faique y’était pas question que je me laisse faire. Je me rendis à la redoute, où étaient les munitions et les deux soldats : y’en avait un qui était caché, pis l’autre qui avait une mèche allumée dans les mains.

– Ben voyons, quessé que vous faites avec ça? lui demandai-je.

– C’est pour allumer la poudre pis nous faire sauter, Mam’zelle, répondit-il, les yeux grands comme des trente‑sous. Y nous pogneront pas vivants!

– Êtes-vous après virer fou? Éteignez-moi ça tusuite! lui ordonnai-je, tellement raide qu’il l’éteignit sur un moyen temps, sa mèche.

Là, j’enlevai mon bonnet; je pris un chapeau d’homme, que je m’enfonçai su’a tête, pis un fusil. Et là, je dis aux deux soldats et à mes deux petits frères de 12 et 10 ans – parce que oui, ils étaient là, s’cusez, j’aurais dû vous le dire avant – :

« Bon, là, écoutez-moi ben. On va se battre jusqu’à mort pour notre patrie pis notre religion! Rappelez-vous de ce que mon père dit tout le temps : les gentilshommes viennent au monde juste pour verser leur sang au nom de Dieu et du roi. Il arrête pas de nous r’battre les oreilles avec ça, pis là, c’est le temps d’y montrer qu’on a compris! »

Crinqués par mes paroles, mes frères pis les deux soldats pissous pognèrent aussi des fusils et se mirent à tirer sur l’ennemi. Quant à moi, je demandai qu’on tire un coup de canon pour faire peur aux Iroquois pis pour avertir les autres soldats qui étaient partis à la chasse de se sauver pis de pas rentrer au fort.

Mais là, même au‑dessus des pets de fusils, on entendait quand même les cris des femmes pis des enfants morts de peur qui braillaient à n’en pu finir. Tannée, j’allai les voir et leur dit :

« Heille ça va faire, le braillage! L’ennemi va vous entendre pis penser qu’on a rien pour se défendre. Je comprends que vous avez la chienne, mais là, avec votre chignage, on a l’air d’une gang de désespérés! Arrêtez-moi ça tout de suite! »

Pendant que je leur parlais, je vis un canot sur la rivière : c’était M. Pierre Fontaine avec sa femme pis ses enfants qui s’en venaient débarquer au fort. C’était évident qu’ils allaient se faire tuer si on faisait rien. 

« Vous-autres! dis-je aux deux soldats. Allez au-devant d’eux-autres pis couvrez-les pendant qu’ils se rendent au fort! »

Il y eut un silence malaisant. Un soldat toussa, pis l’autre se regardait les pieds, les orteils par en‑dedans. J’étais pas ben ben surprise.

« Si c’est de même, je vais y aller, moi. Laviolette! dis-je à mon domestique. Pendant que je vais être sortie, tu surveilleras pis tu garderas la porte ouverte. Si on se fait tuer, ferme la porte pis continuez à défendre le fort. C’tu clair? »

Faique je sortis du fort avec mon chapeau pis mon fusil. J’espérais que les Iroquois pensent que c’était un piège, que j’étais un appât et qu’ils allaient se faire pogner s’ils venaient m’attaquer. J’étais pas dans leur tête, mais en tout cas, ils me laissèrent me rendre sans problème à la rivière.

M. Fontaine, sa femme et ses enfants débarquèrent du canot, et je les fis marcher en avant de moi. J’étais tellement droite pis sûre de mon affaire que je fis accroire aux Iroquois qu’ils avaient plus d’affaire à avoir peur que nous‑autres, et ils nous laissèrent rentrer dans le fort sans essayer de nous tuer.  

Après tout ça, y commençait à faire noir. En plus, le nordet se mit à souffler, accompagné de neige pis de grêle; la nuit allait être longue, d’autant plus que j’avais peur que les Iroquois profitent de l’obscurité pour essayer de grimper après la palissade. Faique là, je rassemblai mes troupes : Pierre et Alexandre, mes deux petits frères; Laviolette, notre domestique; La Bonté et Galhet, les deux soldats pissous; un vieux monsieur de 80 ans; et maintenant, M. Fontaine.

« Aujourd’hui, Dieu nous a sauvés de nos ennemis, commençai-je, mais c’te nuite, va pas falloir dormir au gaz. Vous verrez ben que moi, j’ai pas peur : Pierre, Alexandre, monsieur icitte pis moi, on va s’occuper chacun’un d’un bastion. MM. Fontaine, La Bonté et Galhet, allez trouver les femmes et les enfants dans la redoute. Si je me fais pogner par les Iroquois, rendez-vous jamais, quand bien même que je serais brûlée vive pis coupée en bouttes dans votre face. »

Tout le monde joua ben son rôle : toute la nuit, au-dessus du nordet qui soufflait comme un déchaîné, on entendait crier « Bon quart! » toutes les demi‑heures des bastions à la redoute pis de la redoute au bastion, « Bon quart! », comme si le fort était bourré de soldats.

Quand le soleil se leva, le fort était toujours deboutte, pis nous-autres avec. Soulagée, je m’adressai à ma petite troupe avec le sourire :

« Bon, ben ça a d’l’air qu’on a passé la nuite! Pis si on a passé celle‑là, grâce à Dieu, on peut en passer d’autres! Faut juste continuer à surveiller pis à tirer du canon pour avertir Montréal en espérant qu’ils viennent à notre secours.  »

Mes paroles ont eu l’air de faire effet : tout le monde semblait dedans pour continuer à tenir le fort; tout le monde, sauf Marguerite, la femme à M. Fontaine. Ben crère : c’était une Parisienne, une petite nature, peureuse comme toutes les Parisiennes, pis elle capotait ben raide :

– Heille là, là, Pierre, moi, je veux sacrer mon camp. On paqu’te les p’tits pis on s’en va au fort de Contrecœur. On est déjà chanceux de s’être rendus au matin, au travers des sauvages – qu’est-ce qui nous dit qu’on va être aussi chanceux la nuit prochaine? C’est juste un p’tit fort de rien pantoute, avec personne pour le défendre. Si on reste icitte, on va tous se faire tuer, ou devenir des esclaves, ou bedon mourir à petit feu en attendant des secours qui viendront jamais dans c’te crisse de trou perdu!

– Les nerfs, Marguerite! répondit M. Fontaine. Si tu veux, je peux te remettre toi pis les enfants dans le canot avec une voile, pis te donner une bonne poussée. Les enfants savent canoter, faique ça devrait ben aller. Mais moi, j’abandonnerai jamais le fort tant que Mam’zelle Madeleine va être là pour le défendre.

– Pis moi, je reste icitte, rajoutai-je d’un ton ferme. Savez-vous, Madame, ce qui va arriver si les Iroquois rentrent ici-dedans? Y vont connaître nos défenses pis savoir comment nos forts sont faits, pis ça va juste les rendre plus fantasses quand y vont attaquer d’autres forts français!

[Madeleine précise pas ce qui est arrivé à la madame après; j’imagine qu’elle a pris son trou?]

Après ça, j’enfilai les nuits blanches – je passai deux fois 24 heures sans dormir ni manger! J’allais monter la garde sur les bastions, j’allais voir comment ça allait à la redoute; j’avais tout le temps le sourire dans la face pis l’air de bonne humeur, histoire d’encourager pis de réconforter mon monde.

La huitième nuit (parce qu’on a été de même à la merci des Iroquois pendant huit jours, tout le temps sur le gros nerf dans la peur d’une attaque), les secours finirent enfin par arriver : M. de La Monnerie, le lieutenant de M. de Callière, gouverneur de Montréal, s’en venait sur la rivière avec 40 hommes en essayant de pas faire de bruit, sachant pas si le fort était pris ou pas.

Une des sentinelles, qui devait avoir entendu du bruit, cria : « Qui c’est qui est là? »

Endormie tout croche, la face sur la table, le fusil au travers des bras, je me retroussai aussitôt et je montai sur le bastion.

– Y’a du monde qui parle sur la rivière, Mam’zelle Madeleine, écoutez!, me dit la sentinelle.

– Ben ça parle au yâble, t’as ben raison mon homme! J’espère que c’est des Français pis pas des Iroquois! répondis-je. Vous êtes qui, vous autres? m’exclamai-je.

– C’est La Monnerie, on vient vous aider! fut la réponse. 

J’attendis pas le messie, parce que nos sauveurs venaient d’arriver : je me garrochai à la porte du fort, où je plaçai une sentinelle, pis je courus à la rivière pour accueillir M. de la Monnerie. Aussitôt qu’il mit le pied à terre, je lui dis :

– Soyez le bienvenu, Monsieur! Je vous rends les armes.

– Mademoiselle, me répondit-il en faisant son galant, elles sont entre bonnes mains, on dirait ben!

– Pas mal plus que vous pensez, répliquai-je.

Le lieutenant entra dans le fort avec ses hommes pis trouva que, pour un fort assiégé depuis huit jours, il était pas trop magané. Pis là, enfin, ma petite troupe et moi, on put aller se canter. J’avais jamais été aussi brûlée de ma vie, mais j’avais fait mon devoir.


Source principale : Diane Gervais et Serge Lusignan , « De Jeanne d’Arc à Madelaine de Verchères : la femme guerrière dans la société d’ancien régime » https://www.erudit.org/fr/revues/haf/1999-v53-n2-haf216/005446ar.pdf