Marie Iowa Dorion — partie V

Partie I
Partie II
Partie III
Partie IV

Marie sentait comme un gouffre atroce en dedans d’elle, sombre pis plein d’vent qui hurle, qui lui creusait les entrailles pis qui l’aspirait en même temps. Les jambes y manquaient. La tête y tournait. A l’avait l’goût d’vomir. A l’était tellement découragée, brûlée pis accablée d’peine qu’a put yinque se rouler en boule avec les flos en d’sour d’la peau de bison, sans parler, sans manger, sans même faire un feu.

A ferma pas l’œil d’la nuite tandis que ses pensées viraient en rond sans arrêt :

« Pierre est mort. Pis Reed pis Robinson pis Le Clerc pis les autres… Ah, c’tes pauvres hommes! Seigneur, tu parles d’une fin épouvantable! Y méritaient tellement pas ça! Pis nous-autres, si on reste icitte, on va mourir de faim ou ben s’faire pogner par les asties d’Flancs d’chien. Y fait frette à fendre, y’a ben que trop épais d’neige, on a rien dans l’ventre. Ah, Jésus-Christ, si seulement y’avait quequ’un pour v’nir nous sauver! Mais y’a pu parsonne. Y’a yinque moé. Pierre est mort… »

Si ça avait été yinque d’elle, Marie aurait clanché drette là vers l’ouest, en pleine nuite, pis couru pis couru jusqu’à temps qu’a l’aye pu d’jus, peu importe le danger. C’est ça que ça y criait d’faire au plus profond d’elle-même.

Mais a l’avait ses p’tits avec elle. A l’entendait leu ti respir tandis qu’y dormaient collés su elle. Y’étaient déjà faibles de faim – jamais qu’y tofferaient la run. Peu importe c’qu’a choisissait d’faire, fallait qu’a commence par leu trouver d’quoi à manger.

Y’avait toujours ben ça de clair.

C’est là que Marie pensa à d’quoi :

« Y’est censé avoir une réserve de poisson séché dans’cabane. Faique, à moins que les tueurs soyent partis avec, ça doit être encore là… »

Marie se l’va aux aurores. Avant d’aller à’cabane, fallait qu’a soye sûre qu’y aye pas de Flancs d’chien dans l’coin. Faique a l’emballa Paul pis Jean-Baptiste ben comme faut dans la peau d’bison pis leu dit :

« Faut que Maman aille voir de quoi. Ch’s’rai pas partie longtemps, ok? Restez ben tranquilles, j’vas r’venir, j’vous promets. »

A r’tourna su’a colline qui donnait vue su’a cabane pis observa un tit boutte : encore là, pas un chat.

« Ch’prendrai pas d’chance, m’as y aller c’te nuite. »

Quand à r’trouva ses p’tits gars, y’avaient les lèvres toutes bleues, les dents leu claquaient pis y bougeaient quasiment pu. A voulait pas faire de feu de peur que la fumée les fasse arpérer, mais rendu là, c’tait ça ou bedon les flos mouraient gelés.

Faique a fit une attisée pis l’éteignit dès que ses p’tits cœurs furent réchauffés ben comme faut. Pis une fois la noirceur tombée, a se dirigea vers la cabane : 

« Ah! Merci, merci, merci Seigneur Jésus-Christ, le poisson est encore là! »

Pis y’en avait pas mal, à part de t’ça; Marie put yinque en emporter la moitié pour tu’suite.

Juste avant l’aube, a r’fit le chemin vers son p’tit campement d’fortune. Y’était temps qu’a l’arrive avec de quoi à manger, parce que ses pauvres cocos avaient la p’tite lumière de batterie qui clignotait rouge.  

Marie fit un feu pis, enfin, donna aux flos du poisson séché. Y t’mangèrent ça s’un moyen temps, en grondant, les yeux fiévreux, comme si y’existait pu yinque ça dans l’univers.

Le lendemain, Marie arfit la même affaire pis ramena l’autre moitié du poisson séché. C’te job-là de faite, elle pis les p’tits étaient pu autant proches d’la perdition. Y’étaient quand même dans’marde en saint sifflette, mais… moins. Juste assez pour que Marie baisse un peu sa garde, c’te soir-là… Pis que le gouffre noir en dedans d’elle arcommence à la ronger :

« Pis là… Ch’fais quoi? Y’a rien à faire. Pierre est pu là. Y m’reste pu rien. Quand ben même que j’artournerais à’Willamette, ça donnerait quoi? Pu d’mari, j’vivrais dans’misère pis c’est toute… »

A passa quasiment une éternité presque sans bouger, effoirée par le désespoir; toute était trop grand, trop loin, trop frette, trop dangereux, trop impossible.

« Mourir gelés icitte ou bedon d’un banc d’neige à une semaine de route… Autant s’éviter du trouble pis rester proche des autres le temps que ça finisse… »

Mais au boutte de trois jours, Marie artrouva un semblant de force :

« C’pas vrai que j’ai pu rien. »

A se l’va enfin, paqueta littéralement ses petits, mis toute su le ch’fal pis prit la direction de l’Ouest.

Pendant neuf jours qu’a marcha, dans’grosse neige aux genoux en tirant le ch’fal par la bride, à monter pis à descendre des côtes pis en manquant s’tuer en tombant dins précipices ou bedon dans’bonne vieille rivière Snake. Pis c’tait pas comme dins parcs d’la SÉPAQ, là, que même si t’arrives à 6 h du matin un lendemain de tempête, y’a toujours un crinqué qui a déjà tapé l’sentier. Je l’sais pas si Marie avait des raquettes, mais j’y souhaite en astie.

En plus, pour faire du mal, a d’vait être dans l’même coin où c’qu’a l’avait accouché pis pardu son bebé deux ans avant – rien pour alléger l’atmosphère, mettons.

Pis là, le ch’fal arriva au boutte de ses forces. Y’était sec comme un coton pis c’tait clair qu’y frait pu un pas de plus.

« Bon, ben, advienne que pourra, c’est icitte qu’on va camper pour le reste de l’hiver. »

Marie trouva un spot caché, à l’abri du vent, au pied d’un précipice pardu au beau milieu des montagnes Bleues. Là, a fit boucherie avec la pauvr’bête. A l’accrocha la viande après un arbre pour qu’a gèle pis pour pas que la varmine tombe dedans; ça allait pas mal être la seule affaire qu’elle pis les p’tits auraient à manger jusqu’à ce que l’pire de l’hiver soye passé pis qu’y puissent espérer de s’rendre l’autre bord des montagnes.

Après ça, fallait qu’a pense à s’faire un abri. Comme matériaux, a l’avait des branches de sapin, du foin, d’la mousse pis d’la neige, pis c’tait toute. En plus, c’tait pas comme si y’avait déjà un beau p’tit tas d’branches coupées toute égal qui l’attendait – comme a l’avait pas de hache pis encore moins de sciotte, y fallut qu’a gosse toute à’mitaine avec son ti canif de rien! 

Mais, à force de savant taponnage, Marie finit par construire une p’tite hutte avec juste assez de place pour qu’a puisse rentrer dedans avec les deux flos. Fallait pas que ça soye ben ben plus grand que ça : l’idée, c’tait que l’abri se chauffe avec yinque la chaleur du des corps qu’y avait d’dans. Autrement dit, on était à des milles du shack en bois rond de luxe avec foyer, écran plat pis spa su’a galerie d’en arrière.

Moé, depuis l’début, y’a deux choses qui m’épatent sans bon sens : le courage à Marie, ben crère, mais aussi, la résilience des flos.

Tsé, de nos jours, tu pars juste pour une fin de semaine de vélotourisme dans Bellechasse avec les enfants pis t’es obligé de r’virer d’bord après deux heures parce que c’est plate, fait frette, est où ma tablette, veux des glosettes, perdu ma casquette, alouette, pis quand t’argardes su’l p’tit siège en arrière tu vois yinque une grand’bouche qui braille avec des larmes autour.

Mais Paul pis Jean-Baptiste, eux-autres, y’ont toute toffé comme des champions malgré la faim pis l’inconfort.

Quand Marie décida de l’ver le camp, au milieu du mois d’mars, ça faisait CINQUANTE-TROIS JOURS qu’y étaient là. Les flos d’vaient-tu faire la queue d’veau, un peu, vers la fin? Un bonhomme de neige, ça commence à être moins l’fun quand t’es rendu à ton 42e de suite, pis c’t’un peu poche de jouer à’cachette l’hiver.

Entécas, le temps s’tait assez adouci pour qu’y essayent de travarser les montagnes. Mais surtout, y leu restait pu de viande de ch’fal pis y’étaient passés au travers de leu réserve de poisson séché. C’tait l’temps qu’y partent. Sauf qu’y marchaient même pas depuis deux jours qu’y frappèrent un mur :

« Ahh, bonne Sainte Anne, mes yeux! Ça brûle! J’vois pu rien! »

Quand le soleil fesse su’a neige, sa lumière est réfléchie pis a t’arvient dins yeux; ça brûle, ça picote, ça larmoie pis tu peux même perdre la vue. C’pas pour rien que les Inuits ont toujours des espèces de lunettes avec une fente dedans!

Faique en s’promenant dins champs de neige en d’sour du gros soleil du printemps, Marie s’tait brûlé les yeux. Normalement, ça finit par guérir tu’seul, mais pour tu’suite, Marie était ben mal prise :

« Non, non, non! Ça s’peut pas! C’pas vrai! On peut pu avancer, sinon on risque de virer en rond ou de sacrer l’camp dans une crevasse. »

Une journée passa, pis une autre, pis une autre; Marie voyait toujours rien.

« Voyons, ça va-tu arvenir? D’un coup que ça r’vient jamais? Ben non, calme-toé, Marie, tu l’sais que ça r’vient. Mais c’est ben long! J’en peux pu! »

A stressait ben raide, sachant qu’y avaient pu d’reste de provisions pis chaque jour qu’y pardaient les mettait encore plus en danger de mourir de faim.

Finalement, le matin d’la quatrième journée, Marie s’réveilla en voyant assez pour être capable de s’orienter, faique a décida d’arprendre la route.

Elle pis les p’tits finirent par sortir des montagnes 15 jours après être partis d’leu camp d’hiver, pis y’arrivèrent dans une grande plaine. Sauf qu’y’étaient loin d’être sauvés : y’avait pas âme qui vive dins environs, pis ça faisait deux jours entiers qu’y avaient absolument rien mangé. Les enfants étaient rendus trop faibles pour marcher, faique Marie d’vait les porter.  

Marie avait besoin d’un miracle. Pis là :

« Hein! C’est-tu c’que ch’pense, ou ch’t’après halluciner? »

Au loin dans’plaine, y’avait un tout p’tit filet de fumée, le genre qui vient d’un feu d’camp.

« J’m’en sacre si y faut que j’me traîne avec les dents, mais j’vas me rendre là-bas. »

Sachant qu’a y’arriverait jamais avec Paul pis Jean-Baptiste dins bras, a prit une décision ben difficile :

« Mes cocos, Maman va aller chercher d’l’aide. J’vas r’venir, promis juré. Vous allez voir, dans pas long, on va manger des bonnes choses pis faire dodo près du feu pis on va être sauvés. »

A les emballa dans la peau d’bison, les cacha ben comme faut au travers des grosses roches puis, l’cœur qui savait pu si y d’vait s’gonfler d’espoir ou s’fendre en mille miettes, a partit en direction du filet d’fumée.

Au début, Marie avait pensé être capable de s’rendre au campement avant la noirceur, mais au coucher du soleil, a faisait pu yinque ramper. A pensa aux flos qui d’vaient capoter de passer la nuite tu’seuls pis de pas la voir arvenir, mais a l’était tellement écrasée de fatigue qu’a s’endormit dins fardoches.

A s’armit en ch’min dès qu’a l’ouvrit l’œil, mais a faisait chaque pas comme si a l’avait des boules de quilles dins bottines. Ben vite, a dut s’mettre à genoux. Vers la fin de l’avant-midi, chaque pied, chaque pouce qu’a l’avançait y prenait toute l’amour qu’a l’avait pour ses gars. Pis là, a pardit connaissance.

« Madame? Madame! Êtes-vous correcte? »

Heureusement pour elle, Marie avait pâmé assez proche du camp pour que quequ’un la voye, pis du monde vinrent tu’suite la ramasser. Y’étaient d’la nation des Walla Wallas, pis y furent super fins avec elle. A leur expliqua où c’qu’a l’avait laissé Paul pis Jean‑Baptiste. Une gang partit drette là les charcher pis les ramena le soir même, ben vivants.

L’horreur était finie pour de vrai.

On s’entend qu’après une aventure de même, Marie était ben écœurée de crapahuter pis de s’donner d’la misère; a décida donc de rester un boutte avec les Walla Wallas. Quand la Compagnie du Nord-Ouest construisit un poste de traite pas loin, a rencontra un autre voyageur du nom de Louis Vanier pis a se maria avec. A l’eut une fille avec lui, mais comme Pierre, y fut tué par des Autochtones. Ben coudonc.

Après, a s’armaria avec Jean-Baptiste Toupin, un employé d’la Compagnie d’la Baie d’Hudson. Y’eurent deux enfants ensemble, pis y’allèrent s’installer dans la belle vallée d’la Willamette, où quasiment tout l’monde parlait français. Super croyante pis hyper respectée, a d’vint un pilier de sa paroisse. À sa mort, a fut même enterrée en d’sour du parvis d’l’église, c’est ben pour dire.

Moé, entécas, j’me d’mande qu’est-cé qu’y attendent pour faire une vue ou un programme de tévé su sa vie. Après toute, y’ont ben faite un film su Léonardo DiCaprio qui arvient en ville tout crotté pis habillé en poil; mais lui, on sait ben, y’avait pas la charge mentale d’une femme qui est pognée pour survivre en s’occupant de deux flos en bas âge!  


Source : Larry E. Morris, The perilous West : seven amazing explorers and the founding of the Oregon Trail, 2013.

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Les Vikings arsoudent au Vinland, partie 4 : La dérape meurtrière de Freydis Eriksdottir

Partie 1
Partie 2
Partie 3

Freydis, la fille d’Erik le Rouge : c’te femme-là est une légende. Les artisses la représentent souvent comme une belle grande amazone, ses cheveux roux comme un incendie dans le soleil de minuit, avec une armure pis une épée pis toute la patente. Mais là, faudrait se slaquer l’imaginaire un peu, parce qu’on n’est pas dans les vues, pis c’est plus compliqué que ça. L’affaire, c’est que Freydis, dépendamment d’à qui qu’on demande, c’était une héroïne ou bedon une maudite faisant-mal, à l’argent pis sans scrupules.

Les deux principales sagas qui racontent la découverte du Vinland s’entendent pas pantoute sur le rôle de Freydis. À date, moé, j’me basais sur la Saga des Groenlandais. Mais dans la Saga d’Erik le Rouge, y’a une méchante anecdote trop bonne pour pas être racontée, faique j’vas commencer par ça.

Dans la Saga d’Erik le Rouge, Freydis était allée au Vinland en même temps que Thorfinn pis Gudrid. Pareil comme dans la Saga des Groenlandais, le beu fit peur aux Skrælings, sauf que là, y se sauvèrent, pis quand y’arvinrent quelques semaines après, c’était déjà pour attaquer le village. Entécas, je sais pas ce que le beu leur avait dit pour les crinquer de même, mais ça devait être une méchante vacherie (scusez-la).

Mais là, la puck roulait pas pour Thorfinn pis sa gang; les Skrælings étaient juste trop nombreux, faique les Vikings se mirent à battre en retraite.

C’est là que Freydis, enceinte jusqu’aux yeux, sortit de sa maison :

« Voyons, astie, qu’est-cé ça? Êtes-vous après vous sauver comme des pissous? Crime, si j’avais une arme, j’pourrais faire ben mieux que toute vous autres! »

Personne l’entendit, ou ben personne l’écouta, faique Freydis dut se sauver elle avec, mais ça allait pas vite vite à cause de sa bedaine. Rendue dans le bois, avec les Skrælings qui la rattrapaient, elle vit un Viking mort à terre et ramassa son épée. Elle se retourna vers ses poursuivants et se mit prête à se défendre. C’est là qu’elle se sortit les seins de la robe et lâcha un sacrament de cri de guerre en se crissant un gros coup du plat de l’épée sur la poitrine :

« YAAAAAAAAAAHHHHH!!!! »

Les Skrælings restèrent frettes en simonac devant cette espèce de déesse-mère en feu d’la mort qui tue qui hurlait après eux-autres en se frappant elle-même. Faique ils se dirent que ouin, finalement, ça leur tentait pu tant que ça d’attaquer, y’avaient oublié leur ragoût de phoque sur le rond, merci bonsoir! Ils revirèrent de bord et s’enfuirent tellement vite qu’un peu plus pis leurs canots partaient sur la trace.

Thorfinn pis les autres hommes vinrent la trouver pis la félicitèrent pour son courage. Heille, y devaient-tu filer cheap, un peu?

Faique revenons à la Saga des Groenlandais, qui raconte pas la même affaire pantoute. Dans celle-là, Freydis, était mariée avec un gars qui s’appelait Thorvard. Elle, c’était une germaine qui pétait plus haut que le trou, pis lui, c’était un mou qui faisait toute c’qu’a voulait. Y’avait été choisi pour être son mari juste parce qu’y avait ben de l’argent.  

L’été que Thorfinn pis Gudrid arvinrent du Vinland, deux frères, Helgi pis Finnbogi, arrivèrent de Norvège pour passer l’hiver au Groenland. Freydis alla tusuite les voir :

« Heille, ça vous tenterait-tu d’aller au Vinland? J’ai quequ’chose à vous proposer. Vous prenez votre bateau, moé m’a m’en trouver un de mon bord, on embarque à 30 hommes chaque à part des femmes, pis on se sépare le butin égal entre nous autres. Ça a-tu de l’allure? »

Les frères trouvaient que ça avait ben du bon sens, faique Freydis alla voir Leif :

– Heille e’l frère, j’veux aller au Vinland moé avec, tu me donnes-tu la maison que t’as bâtie là-bas?
– J’veux ben te la prêter, la sœur, mais pas te la donner. D’un coup que j’voudrais y r’tourner, tsé.

Freydis, Helgi et Finnbogi venaient yinque de se lancer dins préparatifs de l’expédition, que déjà là, Freydis commençait à manigancer : elle leur passa en dessous du nez cinq hommes de plus que les 30 qu’elle était supposée avoir.

En mer, les deux bateaux étaient censés rester le plus proche possible, mais comme Helgi pis Finnbogi arrivèrent un peu avant Freydis, y commencèrent à s’installer dans la maison à Leif. Faique quand la fille d’Erik le Rouge vit ça, elle dit :

– Heille? Qu’est-cé que vous crissez dans’ maison à mon frère?
– Ben là, ch’pensais qu’on pouvait rester icitte, comme on avait dit avant de partir, répondit Finnbogi.
– Nanon, fit Freydis. C’t’à moé que Leif a prêté la maison, pas à toé, faique claire ta marde.
– T’es sérieuse, là?
– Heille, dit Helgi en r’gardant par-dessus l’épaule de Freydis, c’tu moé où t’as amené plus de monde que t’étais supposée?
– Ben oui, pis? Qu’est-cé que vous allez faire, les crisser à l’eau pour qui s’en retournent au Groenland à’ nage?
– Astie que t’es croche, Freydis, calvaire, dit Helgi en partant avec ses affaires, suivi du reste de sa gang.

Faique Helgi, Finnbogi et leurs gars se bâtirent une maison à eux-autres pas trop loin, tandis que Freydis et son monde se mirent à couper du bois pour remplir le bateau.

Rendu à l’hiver, les frères proposèrent que les deux gangs jouent à des jeux pour se désennuyer. Au début, ça allait pas pire, pis c’tait ben l’fun, mais après un boutte, la chicane pogna pour une niaiserie, faique finalement tout le monde passa le reste de l’hiver à bouder chacun dans son coin.  

Un matin de bonne heure, Freydis se leva, s’habilla pis partit nu-pieds chez Helgi pis Finnbogi, enveloppée dans la grosse cape en laine de son mari parce qu’y faisait frette pis humide. Quand elle arriva à leur maison, elle entra par la porte laissée à moitié ouverte par Helgi, qui était sorti pas longtemps avant ça, probablement pour tirer une pisse ou quequ’chose de même.

Elle resta longtemps dans le cadre de porte sans rien dire. Un m’ment’né, Finnbogi, écartillé dans son lit, l’aperçut :

– Freydis, c’tu fais-là? Tu m’as fait faire un astie de saut!
– J’aimerais que tu te lèves pis que tu viennes avec moé, j’veux qu’on parle.

Finnbogi était ben, lui, dans ses couvartes toutes chaudes, comme un p’tit écureux enveloppé dans sa queue, mais y s’habilla et suivit Freydis. Ils s’assirent sur une souche pas loin de la maison.

– Pis, comment tu trouves ça, icitte, Finnbogi? demanda Freydis.
– C’est pas pire, j’veux dire, la terre est riche pis toute, mais messemble qu’y’a un frette entre nous autres; je comprends pas pourquoi, pis je trouve ça plate pas mal.
– Ouin, moé’ssi je trouve ça, dit Freydis. Faique si chu v’nue te voir à matin, c’est parce que je voudrais échanger mon bateau contre le vôtre, qui est plusse gros. Ch’tannée d’être icitte. Je veux sacrer mon camp pis m’en retourner au Groenland.
– Ah, ben si c’est yinque ça, pas de trouble, ça va me faire plaisir, répondit Finnbogi.

Faique Freydis s’en alla chez elle, pis Finnbogi retourna en t’sour des couvartes. Rendue à’maison, Freydis alla se recoucher à côté de son mari pis le réveilla en y collant ses pieds frettes dans le dos.

– Aaghhhrrr!! C’tu fais là avec tes torvis de grands pieds frettes, saint simonac?
– Thorvard! J’arviens d’aller voir les frères, pis tu créras pas ce qu’y m’ont fait, s’exclama Freydis. Je voulais acheter leur bateau, parce qu’y est plusse gros que l’nôtre, tsé. Mais là, on dirait qu’y ont mal pris ça, ché pas pourquoi, pis y’ont commencé à me brasser pis à me traiter de noms! Après ça, y m’ont sacré une volée, les écœurants!
– Ben voyons, ma chérie, t’es tu correcte?
– Ah, chu correcte! Tu m’connais, chu toffe! Mais mon honneur, lui, c’t’une autre affaire!
– Euh…
– Ben oui, mon honneur, Thorvard! Pourquoi c’est faire que t’es pas déjà deboutte après réveiller tes gars pour aller me venger, maudit branleux?

Thorvard fit une face comme si a y’avait crissé un coup de pied dins gosses.

– Mais là, Freydis, ch’pas sûr que…
– Ben c’est ça, Thorvard, toé, t’es jamais sûr de rien! Tu restes tout le temps là, la bouche ouvarte comme un gros innocent! En tout cas, c’est d’valeur en maudit qu’on soye pas au Groenland, parce que mon frère, lui, ça f’rait longtemps qu’y aurait r’troussé pour me défendre! Astie, si t’es trop lâche pour aller venger mon honneur pis le tien, va falloir que tu te trouves une autre femme, mon gars!   

La voix de Freydis était comme une égoïne qui zigonnait dans son orgueil. Finalement, Thorvard, pu capable d’en prendre, sortit du litte. Y rassembla son monde pis alla à maison des deux frères. Helgi, Finnbogi pis toutes leurs hommes furent garrochés dehors en bobettes pis massacrés, aucun dialogue, flâwk tusuite.

Quand ils y eurent toute passé, Freydis dit :

– Ouin, pis les femmes, eux autres?
– Ben là, Freydis, elles, y t’ont rien faite!
– Donne-moé ta hache.

Freydis pogna la hache des mains de son mari pis rentra dans la maison. Y’eut des sons de bardassage pis des hurlements, pis pu rien. Freydis ressortit, la face pleine de sang pis l’air de quequ’un de satisfait de son ouvrage.

« Là, si on finit par artourner au Groenland, que j’en voye pas un aller bavasser, parce que je vais m’arranger pour qu’y dise pu jamais un mot… On va dire qu’y’ont tellement aimé ça icitte qu’y’ont décidé de rester, c’tu clair? »

Faique au début du printemps, Freydis pis sa gang remplirent le bateau des deux frères ben plein de bois pis d’autres bonnes affaires du Vinland pis s’en retournèrent chez eux.

Rendue au Groenland, Freydis se fit ben généreuse avec le monde de son expédition – c’tait évident qu’a donnait des cadeaux de tous bords tous côtés pour acheter le silence.

Mais ben crère, vous savez comment c’est, ça prend juste un soir de brosse pour qu’un épais s’ouvre la trappe, pis ça commence à mémérer partout dans’ colonie.

Quand Leif entendit ça, y’était crissement pas de bonne humeur. Y’alla chercher trois compagnons à Freydis par le chignon du cou pis les força à avouer ce qui s’était passé : y dirent tous les trois exactement la même affaire.

« Bon, qu’est-cé m’a faire? se demanda Leif. J’ai pas l’cœur de punir ma sœur comme j’sais qu’à mérite. Mais ch’prédis que ses enfants vont avoir d’la misère dans vie, à c’t’heure que ça se sait partout dans’colonie que leu mère est une croche qui a tué plein de monde. »

Faique a s’en est clairé, la maudite! C’est pratique pareil d’être la sœur du chef.

Après ça, les sagas parlent pu des voyages au Vinland. On s’imagine que les Vikings ont fini par laisser faire, étant donné que les Autochtones étaient déjà là pis qu’y’avaient l’avantage du nombre. Mais même si à c’t’heure, le pays s’appelle le Canada pis pas la République démocratique du Vinland, c’te gang de crinqués-là ont quand même faite un exploit que le monde est pas près d’oublier.

Source principale : HON. RASMUS B. ANDERSON, LL.D. The Norse Discovery of America, 1906. https://www.norron-mytologi.info/diverse/norsediscovery.pdf

Les Vikings arsoudent au Vinland, partie 3 : la colonie à Thorfinn pis Gudrid

Partie 1
Partie 2

Quequ’temps après que Leif arvint au Groenland pis que les Eriksson apprirent que Thorvald était mort au Vinland, y’eut une grosse épidémie. Erik, comme ben du monde, péta au frette, pis Leif devint le chef de la colonie.

Un bon jour, un riche marchand islandais, Thorfinn Karlsefni, arsoudut au Groenland, le bateau plein d’affaires à vendre. Le monde qui restaient là étaient ben heureux de voir arriver du nouveau stock – faut ben remplacer ça de temps en temps, ces esclaves-là, qu’y se disaient. Leif, lui, était énarvé comme un p’tit veau du printemps :

« Heille! Si c’est pas mon vieux chum Thorfinn! Ça fait une maudite secousse qu’on s’est pas vus! C’tu fais dans l’boutte d’icitte? Enwoye, rentre, mon homme! Dégreille-toé pis tire-toé une bûche! »

Faique il l’invita à passer l’hiver à Brattahlíð – qui voulait dire « côte à pic » – le domaine qu’il avait hérité de son père. La saison s’écoula dans le plaisir pis l’agrément, mais tandis que l’vent du Nord fessait comme un déchaîné sur la colonie, y’avait pas juste le feu de tourbe qui chauffait le dedans d’la maison à Leif – y’avait aussi la pâssion.

Pas longtemps avant ça, Leif avait accueilli chez eux son ex-belle-sœur, Gudrid. Ex-belle-sœur, parce qu’elle avait été mariée avec Thorstein, le troisième frère Eriksson. Elle était partie avec lui en expédition au Vinland pour ramener le corps de Thorvald, mais leur bateau avait été bardassé de tous les bords par la mer pour enfin se ramasser dans l’établissement de l’Ouest, un autre boutte de la colonie du Groenland. Pendant l’hiver, Thorstein était mort de maladie, pis Gudrid était revenue à Brattahlíð.

Ça a d’l’air que c’était une créâture pas comme les autres, belle comme une princesse, pis brave, pis fine pis pleine de jarnigoine. Thorfinn se reconnaissait pu. Y’était rendu poète!

« Ah! Gudrid, avec ses yeux qui brillent comme une lame de hache ben affilée à’lueur d’la pleine lune de janvier! »

Par Freyja, a y faisait oublier le p’tit Jésus! Faique y niaisa pas avec la puck et la demanda en mariage. Gudrid, qui le trouvait aussi pas mal de son goût, se fit pas prier, pis les noces eurent lieu pas longtemps après, dans le temps de Noël.

Mais là, Gudrid, elle, était restée sur sa faim après le flop de l’expédition avec Thorstein. Elle avait une âme d’exploratrice, pis a voulait y’aller, au Vinland, bon! Faique quand, au printemps, ça commença à jaser de retourner dans le Nouveau Monde, elle se mit tusuite à achaler Thorfinn :

« On pourrait fonder une vraie colonie! On emmènerait des bestiaux pis toute la patente. Pis pas juste des gars, là, des femmes aussi! On se partagerait les profits égal toute la gang. Qu’est-ce t’en penses? »

Thorfinn, en bon marchand qu’y’était, put pas résister à ce qui avait d’l’air d’une bonne affaire. Pis, on va se le dire, y’aurait fait n’importe quoi pour sa belle nouvelle femme. Faique il prit la mer avec soixante hommes, cinq femmes, un beu, pis une gang de vaches qui beuglaient comme des pardues dans le fond de la cale.

C’te fois-là, la traversée de Gudrid se passa numéro un, pis les colons arrivèrent toutes d’un boutte au Vinland. J’vous dis que les vaches étaient contentes en simonac de ravoir de l’harbe en d’sour des sabots!

Le premier été, tout fut tiguidou : une baleine s’échoua pas loin du village, ce qui donna de la viande pour un christie de boutte. Y’avait des fruits, du poisson, du gibier. C’tait ben plaisant. Après, vint l’hiver.  

Le deuxième été, par exemple, les colons vikings tombèrent face à face avec des Autochtones, qu’ils surnommèrent « skrælings » – on n’est pas sûrs de ce que ce mot‑là voulait dire, mais d’la manière que ça sonne, on se doute que ça devait pas être ben ben flatteur.

Mais comme Thorfinn était moins niaiseux que Thorvald, il vit qu’ils avaient des sacs remplis de peaux pis de fourrures, probablement pour troquer, faique il les laissa approcher. C’est le moment que le maudit beu à’marde choisit pour pousser un gros :

« MMEEEEEUUUUHHHHH!!!! »

Les skrælings, qui avaient jamais entendu un son de même de leur vie, pognèrent la chienne et partirent à courir comme des malades. Ils essayèrent même de rentrer dans la maison à Thorfinn et Gudrid, mais Thorfinn bloqua la porte.

Faique là, t’avais une gang de Vikings d’un bord, pis une gang d’Autochtones de l’autre, plongés dans un silence malaisant pis tendu, pas trop sûrs de qu’est-ce qui fallait faire.

Finalement, les Autochtones ouvrirent leurs sacs pour montrer ce qu’il y avait dedans. Ben crère qu’ils voulaient échanger leurs fourrures contre les belles lames en fer des Vikings.

« Que j’en voye pas un leur donner son épée! Faut pas leur mettre ça entre les mains, avertit Thorfinn. Gudrid – toé pis les autres femmes, apportez-leur du lait, voir si y’en veulent. »

Les skrælings avaient jamais vu ça, du lait de vache, pis y trouvèrent ça bon en ti-péché. Ils échangèrent toutes leurs fourrures pour pouvoir se remplir la panse, pis repartirent de y’où c’qu’y’étaient venus.

Même si y’était rien arrivé de plate, Thorfinn, lui, était pas trop rassuré de savoir qu’y’étaient pas tout seuls dans l’boutte. Surtout qu’en plus, Gudrid était enceinte! Faique il fit construire une grosse palissade en bois autour du village. Pas longtemps après, Gudrid accoucha du premier Européen né en Amérique, un beau gros garçon que les heureux parents appelèrent Snorri. Tsé, j’vous l’avais dit que Gudrid, c’était une toffe : fallait le faire pareil, accoucher au milieu de nulle part en terrain semi hostile!

Au début du deuxième hiver, les Autochtones se repointèrent la face, encore avec des sacs pleins de peaux pis de fourrures à troquer. Sauf que là, ça se passa pas aussi ben que la première fois : un skræling essaya de pogner l’arme d’un des hommes, qui lui crissa aussitôt en plein front. Ça le tua ben net.

Les autres Autochtones se sauvèrent, laissant là toute leur stock. Mais Thorfinn savait que ça en resterait pas là, faique il se prépara pour la bataille.

« Bon ok, faut qu’on se parle. Ch’pas mal sûr qui vont arvenir avec plus de monde pour nous attaquer. M’a vous dire c’qu’on va faire. Vous-autres, allez su’l dessus du cap là-bas pour qu’y vous voyent. Les autres, allez dans le bois pis coupez des arbres pour faire de la place pour les vaches. Quand les skrælings vont s’en aller pour attaquer les gars sur le cap, nous-autres on va sortir du bois pis les prendre par surprise. Ah, pis on va mettre e’l beu en avant – y’a eu l’air de ben les épeurer l’autre fois. »

Quand les skrælings arrivèrent au spot que Thorfinn avait choisi, les Vikings sortirent du bois en hurlant, avec comme mascotte le beu paniqué ben raide. Pendant la bataille, beaucoup d’Autochtones furent tués.

Un m’ment’né, un des skrælings ramassa une hache viking qui était tombée à terre. Après l’avoir checkée une petite secousse, il la leva dins airs et en crissa un coup à un de ses compatriotes qui passait par là. J’sais pas trop à quoi y s’attendait en faisant ça, mais, euh, oups : le gars tomba raide mort.

Pas loin, y’avait un autre Autochtones qui avait toute vu ça aller. Y’était grand, large pis narfré; à son air fier pis son dos ben drette, Thorfinn se dit que c’était probablement le chef.

Faique là, le peut-être chef s’approcha du tata à la hache et y prit des mains, l’air de dire « Da-moé ça, toé! »

Il checka l’arme lui’ssi, pis, sans dire un mot, la garrocha au bout de ses bras, jusque dans la mer.

Après ça, les skrælings crissèrent leur camp par le bois, et on les revit plus de l’hiver.

Rendu au printemps, Thorfinn pis Gudrid étaient pu sûrs que ça leur tentait de rester une autre année :

– Tsé, avec le p’tit pis toute, ça me tente pas de prendre de chance. D’un coup que les skrælings arviennent?
– T’as ben raison. On est juste pas assez de monde pour se défendre si y nous attaquent encore. Tsé, on le sait pas, y pourraient être encore plus la prochaine fois. M’a dire au monde qu’on s’en va.

C’est de même que se termina l’aventure de Thorfinn et Gudrid : comme les autres avant eux, y s’en retournèrent au Groenland, les bateaux pleins de fourrures, de bois pis de raisins. Après, avec leur pécule, ils allèrent s’installer en Islande.

Pis, L’Anse-aux-Meadows, c’était tu ça, le camp à Thorfinn Karlsefni? Ça se peut, parce qu’en fouillant, on a trouvé des affaires qui prouvaient qu’y’avait eu des femmes à c’te place-là. Par exemple, y’avait un volant de fuseau, un gugusse qui servait à filer la laine. C’est une preuve béton, parce que tu peux être sûr qu’aucun homme aurait touché à ça de peur que la brimballe y tombe à terre.

En tout cas, on le saura jamais vraiment.

Mais, heille! Je vous avais dit qu’Erik le Rouge avait eu quatre enfants, pis je vous ai pas encore parlé de sa fille, Freydis. Elle, en tout cas, a n’avait d’dans, pis y’était pas question qu’a reste là à sécher comme un coton pendant que ses frères s’épivardaient dans le Nouveau Monde.

J’vous conte ça la semaine prochaine!


Partie 4

Source principale : HON. RASMUS B. ANDERSON, LL.D. The Norse Discovery of America, 1906. https://www.norron-mytologi.info/diverse/norsediscovery.pdf

Les Vikings arsoudent au Vinland, partie 2 : les voyages à Leif pis Thorvald

Partie 1

Leif, un des garçons à Erik, avait l’œil clair, l’esprit entreprenant pis ben d’la jarnigoine. Faique quand il entendit son père jaser avec Bjarni, les oreilles y retroussèrent tusuite :

« Une nouvelle terre? Faut que j’aille voir ça, moé! C’est ma chance de me faire un nom! »

Y fit pas ni une ni deux pis alla trouver Bjarni pour y poser des questions pis y’acheter son bateau. Après ça, y convainquit 35 gars de partir avec lui pis invita son père à devenir chef de l’expédition. Mais Erik, que les années commençaient à rattraper pas mal, répondit :

– Boaaarff, ch’pus en forme comme j’étais, t’sais! J’ai pu l’âge de m’énarver trop trop.
– Ben voyons, p’pa! Viens donc avec nous autres! T’es le découvreur du Groenland : tu vas être notre porte-bonheur! Enwoye don!

Flatté dans le sens du poil, Erik finit par dire oui. Mais la journée du départ, son cheval se planta comme un cabochon sur le chemin qui menait au quai, pis Erik tomba à terre et se fit mal au pied. Voyant ça comme un signe (ou une excuse), le vieux Viking dit :

– Non, moé, chuis pas dû pour découvrir d’autres places qu’icitte. Vas-y tout seul, mon gars, j’te fais confiance. Moé, j’m’en retourne trouver ta mère en avant du feu. Que le dieu Njord soye avec toé!
– P’pa, j’te l’ai dit que j’étais rendu chrétien!

Faique Leif rassembla sa gang pis mit l’cap sur l’inconnu, comme son père avait fait des années avant ça. Après une secousse à naviguer vers l’ouest, il aperçut une terre de roches plates qui s’étendaient de la mer jusqu’à un massif de montagnes de glace. Y’avait pas grand-chose d’intéressant là, mais Leif descendit pareil.

« Qu’y en ait pas un qui vienne dire que je suis branleux comme Bjarni. J’ai débarqué icitte pis j’vas donner un nom à la place : Helluland. »

Ça voulait dire « terre des roches plates ». C’était un peu facile, mais au moins y’a pas appelé ça « les roches à Leif », toujours ben.

Il poursuivit son chemin vers le sud, pis tomba ensuite sur une terre pleine d’arbres. Leif pis sa gang avaient la gueule à terre : y’avait de quoi en construire en simonac, des bateaux! Faique Leif nomma la place « Markland » ou « terre des forêts », pis repartit, en se promettant ben de faire un croche en revenant pour remplir sa cale de bois au ras-bord.

Ces deux places-là, on pense que c’était l’île de Baffin pis le Labrador, mais c’est après que ça devient moins clair.

Une bonne journée, Tyrker, un esclave allemand d’Erik que Leif aimait ben et considérait comme un deuxième père, revint pas au camp. Comme y’était rendu entre chien et loup, Leif commençait à stresser :

– Ben voyons, où c’qu’il est, Tyrker?
– Euh… On l’sait pas, y’était avec nous-autres, pis un m’ment’né, y’était pu là…
– Ben là! Gang de gnochons! J’vous avais dit de toujours rester ensemble! C’pas dur, messemble!
– Scusez! Y doit pas être loin! Veux-tu qu’on essaye de l’trouver?
– Na-non! Moé m’a y’aller, pis pas avec vous-autres! Ça se peut-tu être cave de même!

Faique Leif, en beau maudit, et 12 de ses compagnons partirent à la recherche de Tyrker. Ça prit pas grand temps pour qu’ils le voient sortir du bois, l’air toute de bonne humeur.

« Hein! T’étais où, son père? Pourquoi c’est faire que tu t’es écarté des autres pis que t’arrives tard de même? »

Tyrker avait pas l’air toute là : y parlait juste en allemand, roulait des yeux pis souriait comme un épais. Finalement, y dit dans la langue du Nord :

– Chus pas allé ben ben plus loin que vous-autres, pis j’ai trouvé quet’chose de pas pire pantoute : des vignes pis des raisins!
– Hein! T’es-tu sûr, son père?
– Ben crère! Là où c’que chus né, y’en avait en masse, d’la vigne, faique cré-moé que j’sais de quoi qu’ça a d’l’air!

Leif capotait. D’la vigne, heille! C’était ben au-dessus de tout ce qu’il aurait pensé trouver là. Le lendemain, il fit une annonce à sa gang :

« Ok les gars, changement de programme. À partir d’à c’t’heure, on explore pu : y’en a une gang qui vont couper des arbres, pis une autre gang qui va cueillir des raisins. On remplit le bateau ben accoté pis on s’en r’tourne au Groenland. Ah, pis icitte, à cause des vignes qu’on a trouvées, j’ai décidé d’appeler ça le Vinland. »

C’était où, exactement, le Vinland? Les savants s’astinent encore là-dessus. Le camp à Leif, c’est-tu celui qu’on a trouvé à L’Anse-aux-Meadows? Pas sûr pantoute. Là-bas, c’est plein de petits fruits nordiques qui font des batèche de bonnes confitures. Mais, des raisins? Ça se peut juste pas. Fait binque trop frette. En plus, dans les sagas, on dit que ça gelait même pas l’hiver. Parlez-en à un Terre-Neuvien – y va être crampé raide.

Faique, le Vinland, à Terre-Neuve? Oubliez ça. Certains disent que c’était au Nouveau-Brunswick. D’autres, au Maine ou au Massachussetts. Mais on le sait juste pas, parce qu’on n’a pas encore trouvé de preuve que les Vikings se sont rendus jusque‑là. P’t’être qu’un jour, quequ’un va tomber sur une épingle en cuivre vieille de 1 000 ans qui va changer toute ça…

Mais en tout cas, Leif, lui, savait c’était où, pis y le dit à d’autres. Son frère Thorvald, en l’entendant raconter toutes les belles affaires qu’il avait vues, devint tout énarvé :

« Ayoye, mon homme! C’est ben malade, ce que t’as découvert! Moéssi j’veux y aller! Tu me prêtes-tu ton bateau? Envoye-doooonc! »

Faique le printemps d’après, Thorvald partit au Vinland sur le bateau de Leif avec 30 de ses chums. Il explora tout le long de l’été, pis passa l’hiver dans le camp que Leif avait bâti. Au deuxième été, il repartit à la découverte.

Un jour, il arriva dans un estuaire, pis vit un cap qui s’avançait dans’mer, couvert de belle forêt. Il décida de débarquer pis d’aller sentir autour. Trouvant la place ben à son goût, il dit :

« Ouan, j’me construirais ben un chalet, icitte, moé! »

En retournant au bateau, Thorvald pis ses gars virent trois bosses bizarres sur la grève. En s’approchant, ils se rendirent compte que c’étaient trois canots en peau, avec trois hommes en dessous de chaque – des Autochtones. Thorvald, pas plus brillant que ça, cria : « POGNEZ-LES! »

Y’était pas le chef de la diplomatie européenne, mettons.

Ils tuèrent tous les hommes, sauf un, qui réussit à se sauver en canot.

Faique Thorvald et sa gang remontèrent sur le dessus du cap et virent plusieurs petites buttes de terre qui semblaient être des maisons. Mais ça les stressa pas plus qu’y faut, parce qu’ils retournèrent au bateau, se cantèrent et s’endormirent ben dur.

Mais là, leur beau dodo fut brutalement interrompu : du fond du bras de mer arrivait une trâlée de canots remplis d’Autochtones, pis ça prenait pas la tête à Papineau pour comprendre qu’y s’en venaient venger leurs compagnons.

Les gars sautèrent de leur litte comme des saumons qui remontent la Restigouche. Dans le bordel des flèches qui sifflaient pis du monde qui criaient, Thorvald dit :

« ‘Tention les gars! Essayez-pas de les attaquer, juste de vous défendre! Y vont peut-être se tanner! »

Pis soudain, les attaquants s’en allèrent, aussi rapidement qu’y étaient venus.

– Êtes-vous corrects, les gars? demanda Thorvald. Y’a-tu des blessés?
– Tout a l’air beau! Mais toé, Thorvald, ça va tu?

Le fils d’Erik le Rouge, ben sur l’adrénaline, prit le temps de se tchéquer, pis dit :

« Ah ben câline! Gorde ça, j’ai mangé une flèche dans le t’sour de bras! »

Il mit un genou à terre, et ses chums se garrochèrent pour le soutenir. Couché sur le pont du bateau de Leif, mourant, il leur dit :

« Bon, ben ça a l’air que je partirai pas d’icitte. Vous-autres, j’vous conseille de décâlisser au plus maudit. Mais avant, j’aimerais que vous me rameniez à la place que j’trouvais ben belle pis que vous m’enterriez là. C’est drôle pareil. J’aurais voulu un chalet, mais finalement, c’est ma tombe qui va être là… »

Et c’est de même que Thorvald Eriksson rendit l’âme, dans un premier rendez-vous botché entre l’Europe et l’Amérique.

Ses compagnons retournèrent au camp à Leif, remplirent le bateau de raisins pis de bois, pis repartirent au Groenland annoncer la nouvelle de la mort de Thorvald.

Une tragédie de même, ça aurait refroidi les ardeurs de pas mal de monde. Mais, heille! C’est des Vikings, qu’on parle, là! C’est pas une p’tite escarmouche qui allait leur faire peur. Faique l’été d’après, y’en avait déjà qui commençaient à jaser d’aller eux-autres avec tenter leur chance dans le Nouveau Monde.

Comment ça allait virer, toute ça? À suivre!

Partie 3


Source principale : HON. RASMUS B. ANDERSON, LL.D. The Norse Discovery of America, 1906. https://www.norron-mytologi.info/diverse/norsediscovery.pdf

Les Vikings arsoudent au Vinland, partie 1 : la saga d’Erik le Rouge

À l’extrême boutte du nord de Terre-Neuve, là où on peut presque chatouiller le t’sour des pieds du Labrador, se trouve une place ben mystérieuse, entre mer et swompe, perdue dans la brume : c’est L’Anse-aux-Meadows.

À cet endroit-là, que le monde du coin appelaient « le vieux camp d’Indiens », on pouvait voir de drôles de rectangles de terre, creux au milieu pis couverts d’herbe, binque trop à l’équerre pour être naturels. Quand des archéologues se mirent à fouiller là, dans les années 1960, ils découvrirent que c’était pas un camp autochtone pantoute : c’était en fait la preuve irréfutable qu’autour de l’an 1 000, les Vikings étaient venus virer jusqu’en Amérique du Nord, pis assez longtemps pour se construire un village.

C’était qui, ces crinqués-là, qui bravèrent les vagues, le vent pis les icebergs, à se geler le cul dans des bateaux ouverts aux voiles faites en laine, leurs vaches pis leurs bœufs à bord, avec jusse le soleil pis les étoiles pour savoir où c’qu’y allaient?

Pour le savoir, faut se plonger dans les sagas, les anciennes chroniques qui racontent l’histoire des Vikings.


Toute commença vers 870, dans une Norvège qui était pas encore un pays. Harald, roi de plusieurs petites garnottes de territoire qu’il avait soit conquises, soit héritées de son père, demanda en mariage la princesse Gyda, la fille de son voisin. Or, la belle, dédaigneuse, lui répondit :

« Pfft! T’es juste un p’tit roi de rien. T’auras ma main juste quand tu vas être roi de toute la Norvège! »

Faique Harald, insulté ben noir, répliqua : « Ah ouin? Check-moé ben aller, ma belle, tu créras pas à ça! »

Il jura alors de pas se couper ni se peigner les cheveux tant qu’il aurait pas conquis la Norvège au complet.

Ça lui prit dix ans – pendant ce temps-là, on le surnomma « Harald le Motté ». Pis quand il unifia le royaume et se coupa enfin la crigne, il devint roi sous le nom de « Harald aux Beaux Cheveux ».

L’affaire, c’est que les nobles norvégiens étaient pas trop contents de payer des impôts à leur nouveau roi sur des terres dont y’avaient autrefois été les seuls propriétaires. Faique y’en a une maudite gang qui paquetèrent leurs petits et s’en allèrent coloniser l’Islande, qui venait d’être découverte.

C’est quelques décennies plus tard qu’un certain Erik le Rouge arriva dans le décor. Comme son père avait été chassé de la Norvège pour « des meurtres » (quels meurtres, là, fouillez-moé, les sagas en disent pas plus là‑dessus), la famille s’en alla en Islande. Rendu là, quasiment toute le territoire était déjà occupé, faique Erik et sa famille durent s’arracher la vie sur un petit boutte de terre bourré de roches que personne avait encore réclamé.

À la mort de son père, Erik hérita de la ferme et se maria avec Thorhild, une fille dont la mère – fallait que vous le dise, c’est juste trop bon – répondait au doux nom de Thorbjorg Buste‑de‑bateau. J’vous laisse imaginer de quoi la madame avait l’air.

Un m’ment’né, les esclaves d’Erik (tout le monde en avait dans ce temps-là, c’était la grosse mode) allèrent se crisser où y’avaient pas d’affaire et causèrent un glissement de terrain qui détruisit la ferme d’un voisin. Pour se venger, Eyolf le Crotté, un membre de la famille du voisin en question, tua les esclaves. Erik, en beau maudit, tua Eyolf le Crotté pis un autre gars appelé Hrafn le Duelliste.

Faut savoir que dans ce temps-là, t’avais le droit de tuer ton voisin si y t’avait fait chier, mais seulement pendant un duel officiel avec des témoins. Erik, lui, avait pas pensé à ça, faique il fut déclaré coupable de meurtre pis banni temporairement de la région. Woups.

Tsé, quand tu prêtes ta varlope au gars qui reste en face, pis des mois plus tard, t’en as besoin, pis y te l’a pas encore ardonnée, faique là t’es pas de bonne humeur? Ben la suite, c’est un peu ça : c’est une chicane sanglante qui a éclaté à cause d’une… base de lit.  

(Photo de l’intérieur d’une maison reconstituée à L’Anse-aux-Meadows)

J’vous explique : dans les sagas, le mot qui est écrit, c’est setstokkr, pis les savants s’entendent pas trop sur ce que ça veut dire. Y’en a qui pensent que c’est des poteaux mystiques avec des runes gravées dessus que le père d’Erik avait apportés de Norvège; d’autres, que ça veut juste dire les planches qui servaient de plateforme pour s’asseoir pis dormir dans les maisons de ce temps-là. Moé, je choisis de dire que c’est une base de lit parce que c’est pas faux… pis c’est plus drôle.

Faique entécas, Erik, qui devait se faire discret pour un p’tit boutte, partit se réfugier sur une autre île. Le temps de se construire une autre maison, il confia les planches de sa base de lit à son chum Thorgest.

Pour les Vikings, le bois, c’était quet’chose de rare et de précieux, faique on s’entend que même si c’étaient pas des poteaux mystiques, Erik avait ben l’intention de ravoir ses setstokkr. Mais là, quand il se pointa chez Thorgest, le gars voulut pas y’ardonner!

Faique Erik fit pas ni une ni deux pis partit pareil avec sa base de lit (concrètement, on sait pas trop comment ça s’est passé, mais on se bâdrera pas trop avec les détails aujourd’hui). Thorgest pis sa gang se lâchèrent aussitôt après lui. Un peu plus loin, Thorgest rattrapa Erik, et ça vira à l’échauffourée. Bilan : plusieurs morts, dont deux des fils de Thorgest.

L’Islande au complet était maintenant déchirée par la base de lit de la discorde. Ok, j’exagère un peu, mais en tout cas, certains prirent le bord d’Erik, d’autres, le bord de Thorgest.  

Pis là, Thorgest alla se plaindre d’Erik au thing, l’assemblée des hommes libres qui servait entre autres de cour de justice, et réussit à le faire déclarer hors-la-loi pendant trois ans. Ça, ça voulait dire qu’Erik perdait tous ses droits et ses biens, pis que n’importe qui avait le droit de le tuer à vue.

Sentant la soupe chaude, Erik, caché par un de ses chums pendant que la gang à Thorgest le cherchait pour y faire la peau, prépara son bateau pour partir en expédition. Il dit aux hommes qui avaient pris son bord :

« Écoutez-moi ben : faut que je lève les feutres au plus crisse, mais j’ai nulle part où aller. Faique j’ai pensé à de quoi. Vous rappelez-vous de Gunnbjorn? Tsé, le gars qui a passé tout drette à cause d’une tempête, qui s’est retrouvé déporté vers l’ouest pis qui a vu une terre avec des grosses roches qu’il a appelée “les roches à Gunnbjorn”? Ben moé, je vais aller voir c’est quoi c’te terre‑là, pis m’a vous r’venir quand m’a l’avoir trouvée. »

C’est d’même qu’au printemps 982, Erik le Rouge, intrépide explorateur et, surtout, gars qui avait peur pour ses fesses, prit la mer vers des horizons inconnus.

Après avoir navigué vers l’ouest pendant une secousse, il vit enfin les roches dont Gunnbjorn avait parlé. Ensuite, il suivit la côte vers le sud et découvrit des baies abritées et des prairies toutes vertes. Pendant trois ans, il explora cette terre-là en donnant des noms à tout ce qu’il voyait – c’était une façon de prendre possession de la place :

– Ça, c’est l’île à Erik. Ça, c’est le fjord à Erik. Pis ça, c’est la butte à Erik.
– Cette anse-là, on pourrait-tu l’appeler l’anse à l’Ivoire? Ça ferait beau! Tsé, à cause des défenses des morses qui se tiennent là…
– Non, j’ai ben mieux que ça.
– Quoi?
– L’anse à Erik!

Comme vous voyez, y’était pas dû pour faire un poète.   

À l’été 985, sa hors-la-loi-itude était finie, faique il retourna en Islande recruter des familles pour coloniser sa nouvelle terre, qu’il avait appelée « Groenland », ou « terre verte », pour une raison ben simple :

« Pour attirer le monde, ça prend un nom vendeur! »

À défaut d’avoir de l’imagination, au moins y’avait le sens du marketing.

Il passa l’hiver chez un de ses chums, pis au printemps, il tomba sur nul autre que Thorgest, le gars de la base de lit.

Pas encore lui!

C’était comme deux matous qui tombent face à face dans une ruelle; les crocs pis les griffes sortirent, le ton monta pis la bagarre pogna. À la fin, c’est Thorgest qui gagna, mais heureusement, il tua pas Erik : dans un revirement qui sortait de nulle part, les deux hommes se raccommodèrent définitivement, pis ça finit en rires pis en grosses claques dans le dos. C’est si beau, l’accordéon!

À c’t’heure que c’t’affaire-là était réglée, Erik put se concentrer sur le recrutement de colons. Faut croire que le nom « Groenland » pognait fort : 35 bateaux partirent pour la nouvelle terre. Malheureusement, y’en a juste 14 qui se rendirent. Les autres coulèrent ou furent écartés de leur chemin par des tempêtes.

Malgré ça, la petite colonie s’en venait ben, même si la vie était toffe, au Groenland. Pis pour un ancien hors‑la‑loi, Erik était rendu pas pire pantoute aussi. Il était bien installé au fjord à Erik, il avait quatre enfants avec sa Thorhild – Thorstein, Leif, Thorvald et Freydis – pis y’avait été choisi comme chef de la colonie.

Un jour, un certain Bjarni Herjólfsson arriva au Groenland. Il était allé voir son père en Islande, mais rendu là, il s’était fait dire qu’il était parti avec Erik. Faique y’avait repris la mer avec son équipage pour aller le trouver.

Il fut bien reçu par Erik. Un soir que tout le monde était réuni autour du feu, avec plusieurs bocks dans le nez, Bjarni se mit à raconter ce qui lui était arrivé en se rendant au Groenland.

– Pis là, on s’est retrouvés pognés dans’brume pis on a dérivé pendant une méchante secousse. On savait pu pantoute où c’qu’on était! Après ça, le soleil est sorti, pis on a vu une terre qu’on connaissait pas, avec ben du bois. Mais là, moé, j’avais hâte de voir mon père, faique j’ai décidé de pas débarquer. Pis là, le vent est revenu du bon bord, pis on est arrivés icitte.
– Voyons, tu me niaises-tu? T’as trouvé une nouvelle terre, pleine de bois pour construire des bateaux, pis t’es pas débarqué? T’es ben épais! dit Erik.
– Ben là! J’voulais vraiment arriver icitte avant l’hiver!
– Franchement, c’est vraiment pas fort, ton affaire! Où c’qu’est ton sens de la découverte? Moé, à ta place, j’srais descendu sur un moyen temps!

Faique ça resta là. La nouvelle terre demeurait un mystère. Mais pas pour longtemps…


Partie 2


Source principale : HON. RASMUS B. ANDERSON, LL.D. The Norse Discovery of America, 1906. https://www.norron-mytologi.info/diverse/norsediscovery.pdf

Fridtjof Nansen, l’homme qui s’épivardait sur la banquise – partie 3

Partie 1
Partie 2

Au début, Fridtjof et Hjalmar avaient une bonne erre d’aller – jusqu’à ce que leurs montres s’arrêtent.

C’était plus grave que ça n’avait l’air : sans connaître l’heure exacte, ils pouvaient pas calculer précisément leur position à partir du soleil. Et comme ils savaient plus trop où ils étaient, ça devenait difficile de savoir où s’enligner pour atteindre la terre de François‑Joseph, un archipel pas habité et même pas toute cartographié.

Ils étaient complètement écartés, sans repères, sur une banquise qui changeait tout le temps. Mais, endurcis qu’ils étaient par toute la misère qu’ils avaient mangée dans leur vie, ils se forcèrent à avancer. Ils savaient pas quand ni comment, mais ils allaient rentrer chez eux, bout d’ciarge!

Le mois de mai passa, pis juin. L’été arctique s’installait tranquillement. La glace virait en sloche et fendait de partout, pis c’était un aria du diable de traverser les craques avec les traîneaux pis les chiens.

Traversée des craques dans la glace.
Source : The Project Gutenberg EBook of Farthest North, by Fridtjof Nansen

Un jour, ils tirèrent un gros phoque qui avait eu le malheur de passer trop proche d’eux‑autres. Heureux comme des papes, ils montèrent leur camp et se préparèrent tout un festin :

– Qu’est-ce que tu nous fricottes pour souper à soir?

– Des crêpes au sang, frites dans la graisse de phoque!

– Oohhh, ça va être bon dans yeule, ça!

– Mets-en!

– Euh, Fridt? Tu trouves pas que ça commence à chauffer pas mal fort?

– Hein?

– Fridtjof, ‘ttention! Le feu est pris!

– Ah, tabarnak!

Fridtjof et Hjalmar se garrochèrent en dehors de la tente dans une explosion de graisse pis d’huile de baleine en feu. Les flammes furent soufflées d’un coup, mais elles avaient laissé un gros trou dans la tente, que les gars bouchèrent avec un boutte de voile de traîneau. Ils se réinstallèrent, rallumèrent un feu et mangèrent enfin leurs crêpes au sang avec un p’tit peu de sucre : tant qu’à eux-autres, c’était la meilleure affaire qu’ils avaient jamais mangée.

Un m’ment’né, tandis que Fridtjof préparait son kayak pour le mettre à l’eau, il entendit Hjalmar lui crier :

« POGNE TON FUSIL! »

Fridtjof se revira de bord juste à temps pour voir un ours polaire courir vers Hjalmar et le crisser à terre sur le dos. Il niaisa pas avec la puck : il partit aussitôt pour pogner son arme, mais au même moment, son kayak, avec le fusil dedans, glissa dans l’eau. Il essaya de le rattraper, mais il était pesant, pis ça lui prit toute son p’tit change pour le ramener sur la glace tandis que, derrière lui, Hjalmar était après se battre avec l’ours.

Combat contre l’ours (à partir d’un croquis de Fridtjof)
Source : The Project Gutenberg EBook of Farthest North, by Fridtjof Nansen

« Fridtjof, dit calmement Hjalmar, la main sur la gorge de l’ours, si tu te déniaises pas, y va être trop tard! »

C’est là que l’ours remarqua les chiens. Il lâcha Hjalmar, ce qui donna à Fridtjof le temps de récupérer son fusil et de se placer pour tirer. PÂWF! L’ours tomba raide mort, une balle drette en arrière de l’oreille.

Pis enfin, le 23 juillet, plus de trois mois après avoir décidé de revirer de bord, Fridtjof et Hjalmar aperçurent une terre au loin. Ils savaient pas si c’était ben là qu’ils étaient censés aller, mais rendu là, ils s’en sacraient pas mal : une terre, c’t’une terre.

Pour se rendre, ils devaient traverser une grande étendue d’eau pas de glace, faique ils attachèrent les kayaks ensemble et posèrent une voile sur le dessus. Mais là, ils durent se faire une raison. Il avait déjà fallu abattre la majorité des chiens au fur et à mesure, pour que les autres puissent survivre; les deux derniers allaient devoir y passer aussi – c’était impossible de les emmener en kayak sur une aussi longue distance. Le cœur gros, Fridtjof s’en alla avec celui de Hjalmar, et Hjalmar, avec celui de Fridtjof. Les coups de fusil partirent en même temps.

En kayak.
Source : The Project Gutenberg EBook of Farthest North, by Fridtjof Nansen

Quand ils mirent finalement le pied sur la terre ferme, après deux semaines à pagayer quasiment sans arrêt, ils étaient fous comme des balais : ils couraient partout, sautaient par‑dessus les roches, cueillaient des fleurs… Mine de rien, ça faisait deux ans qu’ils avaient pas marché sur la terre nue!

– Astie, Hjalmar, j’aurais jamais cru être aussi content de voir de la bouette!

Fridtjof prit le temps d’observer comme faut la terre où ils avaient abouti : d’après les caps, les fjords pis les îles qu’il voyait, ça semblait bien être la terre de François‑Joseph. Il croyait pas à sa shot; plus que jamais, il avait l’espoir de pouvoir rentrer chez lui avant l’hiver.

Complètement brûlés par toute c’te pagayage, Fridtjof et Hjalmar prirent plusieurs jours pour se reposer, tout en sachant qu’ils devraient repartir bientôt. Malheureusement, ils étaient pas dûs pour ça : à la fin du mois d’août, il se mit soudainement à faire pas mal plus frette, et la glace revint presque du jour au lendemain. Comme ils avaient plus de chiens pour tirer leurs traîneaux, ils durent se rendre à l’évidence : ils étaient pognés là jusqu’au retour de l’été.

La falle basse, mais résignés, Fridtjof et Hjalmar construisirent leur abri pour les prochains mois avec les moyens du bord : des roches pour les murs, des peaux d’ours pour le plancher et le toit.

Leur abri pour l’hiver.
Source : The Project Gutenberg EBook of Farthest North, by Fridtjof Nansen

La nuit, y faisait -40° C. Au début, ils dormaient chacun de leur bord, mais ils gelaient comme des crottes, faique ben vite ils se mirent à dormir en petite cuiller dans le même sac de couchage. On se demande comment ils faisaient pour s’endurer, à rester collés de même pis à s’avoir tout le temps dans la face.

À Noël, leur troisième depuis leur départ, ils célébrèrent en grand en changeant de bobettes et en revirant leur chemise de bord, pour que le côté graissé de sueur arrête de leur coller sur la peau. Pour le réveillon, ils mangèrent du fiskegratin, fait de farine de poisson et de cornestache et frit dans l’huile de baleine – pour aimer ça, fallait juste pas penser à la dinde.

Après huit mois de noir pis de frette sans fin, avec pour seule compagnie les renards arctiques qui venaient parfois leur voler des affaires, Fridtjof et Hjalmar remarquèrent que les jours commençaient à s’allonger pis la banquise à fendre. C’était le temps de repartir.

Après avoir fait des provisions de viande d’ours, ils s’en allèrent vers le sud, pleins d’espoir. Un matin de juin, tandis qu’il allait chercher de l’eau pour faire à déjeuner, Fridtjof entendit un bruit familier.

– Hein? Des chiens? T’es sûr que t’es pas en train d’halluciner? demanda Hjalmar, tout collé de sommeil en sortant de la tente.

– Ben non, j’te jure! Écoute!

– Moé, j’entends juste les oiseaux.

– Tu penseras ben ce que tu voudras, mais après déjeuner, je vais aller sentir, voir. 

Faique Fridtjof partit à pied en direction des jappements. Ben vite, il jura avoir entendu une voix humaine. Tout énarvé, il cria un « AAAALLOOOOO! » aussi fort qu’il pouvait. Un cri lointain lui répondit. Puis, au travers des blocs de glace, il vit la silhouette d’un homme.

L’estomac serré, osant à peine croire à ce qui se passait, il s’en alla en direction de la silhouette. Il lui fit salut avec son chapeau; l’étranger fit pareil. Quand il fut assez proche, Fridtjof reconnut avec bonheur Frederick George Jackson, un explorateur anglais qu’il avait déjà rencontré avant.

Or, tandis que l’Anglais était propre, bien rasé, habillé avec du beau linge neuf, Fridtjof, lui, était vêtu de haillons pis de peaux de bêtes, et tellement crotté qu’il était à peine reconnaissable.

Fridtjof rencontre Frederick Jackson (scène reconstituée par après).
Source : The Project Gutenberg EBook of Farthest North, by Fridtjof Nansen

– Bien le bonjour! Heureux de vous rencontrer, dit l’Anglais en lui serrant la main.

– Moi pareil, répondit Fridtjof.

– Votre bateau est-tu là?

– Non.

– Vous êtes combien?

– Y’a un autre gars avec moi, pas loin par là-bas.

L’Anglais prit le temps de regarder Fridtjof en pleine face.

– Heille, dit-il. J’vous regarde, là – vous seriez pas Fridtjof Nansen?

– En plein ça.

– Ah ben ça parle au yâble! Là, je suis VRAIMENT content de vous voir!

Fridtjof et Hjalmar étaient sauvés.

Fridtjof et Hjalmar juste après avoir été sauvés. Source : Wikimedia Commons

Une couple de mois après, ils arrivèrent finalement à Hammerfest, en Norvège, où Fridtjof retrouva sa femme. Deux semaines plus tard, à leur grande joie, ils apprirent que le Fram était finalement sorti de la glace et sur son retour. Des télégrammes partirent dans toutes les directions, apprenant au monde entier la nouvelle de leur exploit de fou.

Quand l’équipage du Fram enfin réuni arriva à Christiania, le fjord était rempli de bateaux de toutes les sortes pis de toutes les grosseurs qui tirèrent du canon pour les saluer, et le bord de mer était noir de monde tout énarvés qui criaient des hourras, se faisaient aller les bras et brandissaient des drapeaux norvégiens pour les accueillir comme les héros du Grand Nord qu’ils étaient et qui venaient de se tailler une place dans l’histoire pour toujours.


Source principale : Jacob B. Bull, Fridtjof Nansen – A book for the young, 1903. https://www.gutenberg.org/files/38026/38026-h/38026-h.htm

Fridtjof Nansen, l’homme qui s’épivardait sur la banquise – partie 2

Partie 1

C’était encore une maudite idée de fou, mais taboire, cette-fois-là, le Parlement norvégien accorda une subvention à Fridtjof. Faut croire qu’astheure, le monde le prenait au sérieux.

Fridtjof se fit donc construire un bateau, le Fram, à partir de son idée. Sur le millier de personnes qui s’étaient garrochées pour participer à l’expédition, Fridtjof choisit 12 gars, dont Otto Sverdrup, qui l’avait accompagné dans sa traversée du Groenland, pis Hjalmar Johansen, un expert de la conduite d’attelage de chiens.

Puis, le 24 juin 1893, devant une grosse foule venue saluer le héros de la nation, le Fram quitta Christiania avec du charbon, de la bouffe pis du matériel pour cinq ans.

Le Fram à son départ. (Source : Wikimedia Commons)

Fridtjof pensait à sa femme et à son bébé fille, Liv, pis ça lui tirait les cordons du cœur de savoir qu’il les reverrait pas avant une maudite secousse – s’il les revoyait tout court. Son expédition, c’était loin d’être une promenade en char dans les rangs le dimanche après‑midi. En fait, tous les gars à bord avaient une graine dans chaque œil. Mais ils étaient déterminés à réussir.

Après avoir navigué pendant trois mois jusqu’au cap Tcheliouskine, point le plus au nord du continent, le Fram arriva à la place où la Jeannette, un bateau d’exploration américain, avait été complètement effoirée par la glace dans une autre tentative d’atteindre le pôle Nord quelques années avant. Faique là, ça passait… ou ça cassait. Littéralement.  

L’expédition de la USS Jeannette
 
En 1879, l’équipage de la Jeannette s’est embarqué pour le pôle Nord en passant par le détroit de Béring. Malheureusement, le bateau se retrouva pogné ben dur dans la banquise, où il resta pendant quasiment deux ans jusqu’à ce qu’il soit carrément écrapouti sous la pression de la glace.

Quant aux gars à bord, ce fut pas jojo : ils essayèrent de partir sur la banquise en traînant des petits bateaux jusqu’à l’eau libre, mais sur les 33, juste treize ont survécu; les autres se sont perdus dans une tempête ou sont morts de faim en errant dans la toundra.
 
Faique mettons que les gars savaient très bien ce qu’ils risquaient si Fridtjof s’était fourré dans ses calculs.
 
Comme des bouttes de ce bateau-là avaient été retrouvés des centaines de kilomètres à l’ouest, pas loin du Groenland, Fridtjof était convaincu qu’il y avait un courant marin qui allait dans ce sens-là, et qu’il fallait juste le suivre avec la glace pour arriver au pôle Nord.

Or, quand ce fut le tour du Fram d’embarquer dans la banquise, au lieu d’être effoiré, floup! Grâce à sa quille arrondie, il glissa en dehors de la glace, et il allait pouvoir se laisser porter par elle, comme Fridtjof l’avait imaginé!

« Astie que c’est beau! se dit Fridtjof en regardant son bateau aller. Il est tellement solide, y sent quasiment pas les plaques de glace pis y roule dessus comme une chique dans une spitoune! »

C’est là que commença le boutte plate.

Le Fram dans la banquise. (Source : Wikimedia Commons)

Fram, ça veut dire « en avant » en norvégien, mais au début, c’était pas vraiment dans ce sens‑là que le bateau allait. La banquise le faisait virailler n’importe comment, pis quand il allait du bon bord, c’était quasiment par hasard. Il fallut jusqu’en janvier 1894 pour qu’il commence à dériver comme faut vers le nord-ouest. Pendant ce temps-là, les gars essayaient de se désennuyer comme y pouvaient, mais il y a toujours ben des limites au nombre de parties de poker pis de trou de cul que tu peux jouer avant de t’écœurer.

Fridtjof, lui, commençait à être comme une queue de veau : un an et demi après le départ, le pôle Nord était encore loin, pis y se pouvait pu d’attendre à rien faire. Selon ses calculs, ça allait prendre encore cinq ans pour se rendre. Faique il eut une autre de ses idées de fou :  

« Mettons que je clanchais en traîneau à chiens jusqu’au pôle Nord, pis que je retrouvais la gang après? Pour m’en r’venir, il y a la terre François-Joseph, un peu plus à l’ouest. Faique, j’irai là-bas, pis après c’est juste un p’tit boutte en kayak jusqu’à Svalbard, où je trouverai ben un bateau pour me ramener.  »

Là, faut que je prenne le temps de vous expliquer à quel point c’était crinqué, son affaire. L’océan Arctique, c’est juste de la glace. C’est une immense immensité avec du rien à perte de vue. Il n’y a pas de terre où te mettre les pieds ni personne pour te venir en aide si ça va mal. Y’a pas de GPS. Pas de carte fiable. Pas de téléphone. C’était comme si Fridtjof se lançait dans un trou noir en gageant qu’il allait ressortir à l’autre boutte.

Fridtjof et Hjalmar quittent le Fram
(Source : The Project Gutenberg Ebook of Fridtjof Nansen, by Jacob B. Bull)

Sans en parler à son équipage, il commença donc à planifier son équipéeet  à faire des virées en traîneau à chiens sur la banquise pour s’entraîner. Puis, après quelques mois, il annonça ses intentions : il laisserait le commandement à Otto Sverdrup, pis il emmènerait Hjalmar Johansen. Vous allez trouver ça bizarre, mais ils étaient plusieurs dans l’équipage à être déçus de pas pouvoir y aller avec lui!

Faique, après tout ça, nous voilà revenus au moment où Fridtjof Nansen et Hjalmar Johansen quittèrent le Fram avec 27 chiens, leurs traîneaux, leurs skis, leurs kayaks et de la bouffe pour 100 jours dans le but de se rendre en haut de la calotte du monde. Pour leur dire au revoir, les gars restés dans le bateau tirèrent du fusil dans les airs.

Ben vite, ce fut la grosse misère noire : la glace était tout croche, avec des trous pis des bosses partout, faique ça skiait vraiment mal. Des fois, le soir, Fridtjof et Hjalmar étaient assez brûlés qu’ils tombaient endormis en mangeant. Leur linge venait tellement trempe pendant la journée qu’il leur gelait dur sur le dos, pis ils devaient se coucher tout habillés dans leur sac de couchage pour sécher pendant la nuit. Pis même là, ils se reposaient pas vraiment : Fridtjof était souvent réveillé par Hjalmar qui criait des directives aux chiens dans son sommeil.

Alors, comme si ça allait pas assez mal de même, la banquise se mit à dériver vers le sud, ce qui les éloignait encore davantage de leur but. Plus ça allait, plus elle devenait chaotique : devant nos deux explorateurs, il y avait juste d’énormes blocs de glace jusqu’à l’horizon. Un m’ment n’né, Fridtjof dut se rendre à l’évidence : y se rendraient pas au pôle Nord.

« Hjalmar, ça a pas d’allure. C’est plate, mais va falloir qu’on r’vire de bord. »

Alors, le 8 avril, à une latitude record de 86°14’, Fridtjof et Hjalmar reprirent le chemin de la maison. Ce qu’ils savaient pas, c’est que ça allait prendre plus de temps qu’ils pensaient. PAS MAL plus de temps.

Partie 3


Source principale : Jacob B. Bull, Fridtjof Nansen – A book for the young, 1903. https://www.gutenberg.org/files/38026/38026-h/38026-h.htm

Fridtjof Nansen, l’homme qui s’épivardait sur la banquise – partie 1

« Ma doudoune–STOP–J’étais tanné d’être pogné dans glace au beau milieu de l’océan Arctique–STOP–Faique Hjalmar pis moé on est débarqués du bateau pis on est partis pour le pôle Nord–STOP–Fais-toi s’en pas c’est juste 660 km aller pis ça prendra même pas deux mois–STOP–Je sais pas trop quand je redonnerai signe de vie, les ours polaires ont pas le télégraphe haha je t’aime–STOP et FIN »

C’est le télégramme que l’explorateur norvégien Fridtjof* Nansen aurait pu envoyer à sa femme Eva le 14 mars 1895, quand il clancha dans le frette pis le blanc à perte de vue pour essayer d’être le premier à atteindre le pôle Nord.

Mais, avant ça, il s’était fait les dents en réussissant la première traversée du Groenland par la terre.  

Né pour explorer

Fridtjof, c’est comme s’il avait commencé à s’entraîner pour être explorateur dès son plus jeune âge. Né en 1861, ce fils d’avocat apprit à skier à l’âge de deux ans, pis à dix ans, il alla essayer le saut à ski (le gros tremplin épeurant, là) sans la permission de ses parents. À son premier atterrissage, les bouttes de ses skis se plantèrent ben drette dans la neige et il tomba à pleine face, manquant de se tuer. Cette débarque épique aurait fait passer le goût du sport à n’importe qui, mais pas au jeune Fridtjof : plus tard, il fut plusieurs fois champion national de ski et de patin. 

Ado, il avait aussi l’habitude de partir des semaines de temps tout seul dans le bois, à vivre « comme Robinson Crusoé ». À l’université, il étudia la zoologie parce qu’il se disait que ça lui permettrait de travailler dehors. En 1882, il s’embarqua sur un phoquier** pour un voyage de cinq mois dans l’océan Arctique. Ça lui a fait tout un effet! C’est là, au large de la partie inexplorée*** du Groenland, que lui pogna le goût d’aller s’épivarder sur les glaciers.

En revenant, il fit son doctorat, mais pendant ce temps-là, l’envie de repartir lui démangeait sans arrêt…  

Jusque-là, tous ceux qui avaient essayé ça s’étaient plantés : ils s’entêtaient à partir du bord habité à l’ouest en direction du bord inexploré à l’est, ce qui les forçait à faire un aller-retour. Par contre, ce p’tit torvis de Fridtjof voyait les choses autrement :

« Mettons que moé, là, je partais du bord inexploré? Tsé, si je peux juste pas revirer de bord, je serai ben obligé de continuer jusqu’au boutte. »

C’était… pour le moins crinqué.

« Ben voyons, yé-tu tombé su’a tête? » fut, en gros, l’accueil réservé à son projet.

Ça traitait Fridtjof de fou dans les journaux. Le gouvernement, qui trouvait que ça avait pas d’allure, refusa même de financer l’expédition. Finalement, grâce aux bidous inespérés d’un homme d’affaires danois, Fridtjof, avec cinq autres gars qu’il avait triés sur le volet, partit pour le Groenland au printemps 1888. Y’était tellement frétillant d’impatience qu’il a même pas attendu les résultats de son examen final du doctorat.

Pendant la traversée. (photo Wikipedia)

L’expédition, mettons que ça a pas été une partie de sucre : le bateau était pas capable d’accoster, pis les gars dérivèrent sur la glace 380 km au sud de leur point de départ prévu à cause du temps de cul, durent remonter le long de la côte en kayak en se battant contre le courant, manquèrent de tomber dans des crevasses. Ils ont même dû arrêter pendant trois jours à cause des orages pis d’une pluie épouvantable.

C’est ben pour dire.

Finalement, après avoir traversé les montagnes, où y faisait en moyenne -45 °C la nuit, ils ont débouché de l’autre bord, se sont construit un bateau avec des bouttes de traîneau pis de tente et ont remonté jusqu’à Godthåb, la ville la plus proche.

Après 49 jours, ils avaient réussi leur gageure – ils étaient les premiers à réussir la traversée du Groenland par la terre! Tandis que Fridtjof arrivait, trempe, les pieds gelés, pis probablement ben écœuré et pressé d’aller se chauffer la couenne, le représentant de la ville l’accueillit en lui disant :

– Monsieur Nansen! Vous avez passé votre doctorat!

– Hein?

– Vous avez passé votre doctorat! Félicitations!

– Euhh, merci, mais je pensais tellement pas à ça, moé-là! Les orteils sont à veille de me tomber!

Malheureusement, quand Fridtjof et sa gang arrivèrent à Godthåb, il était trop tard dans l’année pour reprendre le bateau jusqu’en Norvège à cause de la glace, faique ils restèrent pognés là pendant sept mois. Pas ben ben grave : l’explorateur en profita pour chasser, pêcher pis étudier le mode de vie des Inuits, ce qui allait lui être utile plus tard. D’ailleurs, il dit dans son journal que ça lui coûtait quasiment de partir, tellement il avait eu du fun avec eux‑autres.

Eva, la femme de Fridtjof. Pour l’époque, son costume était scandaleux (on voit ses cheviiiiilles! Perversion!). (photo Wikipedia)

Quand Fridtjof revint en Norvège, heille! Là y’avait pu personne pour le traiter de fou. C’était le nouveau héros national! Quand il débarqua à Christiania (astheure Oslo, la capitale de la Norvège), le tiers de la ville était là pour l’acclamer. Il était demandé partout pour faire des conférences et reçut un char pis une barge d’honneurs. Ah, pis aussi, il se maria avec Eva Sars, célèbre chanteuse lyrique et fichue de bonne skieuse.

C’était ben le fun, tout ça, mais ça prit pas grand temps pour qu’une nouvelle idée lui excite le poil des jambes :

« Mettons qu’on construit un bateau assez petit pis solide pour qu’y glisse en dehors de l’eau au lieu de s’écrapoutir quand il est pris dans la glace, là… Ben en faisant exprès pour rester pognés dans la banquise pis en se laissant dériver, peut-être qu’on serait capables de se rendre au pôle Nord? »

Ça a tu marché? C’est ce qu’on va voir la semaine prochaine.

Partie 2

*Ça se prononce « Frite-yof ».
**Bateau qui sert à chasser le phoque.
***Inexplorée… par les Blancs. Y’avait des Inuits là depuis longtemps.


Source principale : Jacob B. Bull, Fridtjof Nansen – A book for the young, 1903. https://www.gutenberg.org/files/38026/38026-h/38026-h.htm