Marie Iowa Dorion — partie V

Partie I
Partie II
Partie III
Partie IV

Marie sentait comme un gouffre atroce en dedans d’elle, sombre pis plein d’vent qui hurle, qui lui creusait les entrailles pis qui l’aspirait en même temps. Les jambes y manquaient. La tête y tournait. A l’avait l’goût d’vomir. A l’était tellement découragée, brûlée pis accablée d’peine qu’a put yinque se rouler en boule avec les flos en d’sour d’la peau de bison, sans parler, sans manger, sans même faire un feu.

A ferma pas l’œil d’la nuite tandis que ses pensées viraient en rond sans arrêt :

« Pierre est mort. Pis Reed pis Robinson pis Le Clerc pis les autres… Ah, c’tes pauvres hommes! Seigneur, tu parles d’une fin épouvantable! Y méritaient tellement pas ça! Pis nous-autres, si on reste icitte, on va mourir de faim ou ben s’faire pogner par les asties d’Flancs d’chien. Y fait frette à fendre, y’a ben que trop épais d’neige, on a rien dans l’ventre. Ah, Jésus-Christ, si seulement y’avait quequ’un pour v’nir nous sauver! Mais y’a pu parsonne. Y’a yinque moé. Pierre est mort… »

Si ça avait été yinque d’elle, Marie aurait clanché drette là vers l’ouest, en pleine nuite, pis couru pis couru jusqu’à temps qu’a l’aye pu d’jus, peu importe le danger. C’est ça que ça y criait d’faire au plus profond d’elle-même.

Mais a l’avait ses p’tits avec elle. A l’entendait leu ti respir tandis qu’y dormaient collés su elle. Y’étaient déjà faibles de faim – jamais qu’y tofferaient la run. Peu importe c’qu’a choisissait d’faire, fallait qu’a commence par leu trouver d’quoi à manger.

Y’avait toujours ben ça de clair.

C’est là que Marie pensa à d’quoi :

« Y’est censé avoir une réserve de poisson séché dans’cabane. Faique, à moins que les tueurs soyent partis avec, ça doit être encore là… »

Marie se l’va aux aurores. Avant d’aller à’cabane, fallait qu’a soye sûre qu’y aye pas de Flancs d’chien dans l’coin. Faique a l’emballa Paul pis Jean-Baptiste ben comme faut dans la peau d’bison pis leu dit :

« Faut que Maman aille voir de quoi. Ch’s’rai pas partie longtemps, ok? Restez ben tranquilles, j’vas r’venir, j’vous promets. »

A r’tourna su’a colline qui donnait vue su’a cabane pis observa un tit boutte : encore là, pas un chat.

« Ch’prendrai pas d’chance, m’as y aller c’te nuite. »

Quand à r’trouva ses p’tits gars, y’avaient les lèvres toutes bleues, les dents leu claquaient pis y bougeaient quasiment pu. A voulait pas faire de feu de peur que la fumée les fasse arpérer, mais rendu là, c’tait ça ou bedon les flos mouraient gelés.

Faique a fit une attisée pis l’éteignit dès que ses p’tits cœurs furent réchauffés ben comme faut. Pis une fois la noirceur tombée, a se dirigea vers la cabane : 

« Ah! Merci, merci, merci Seigneur Jésus-Christ, le poisson est encore là! »

Pis y’en avait pas mal, à part de t’ça; Marie put yinque en emporter la moitié pour tu’suite.

Juste avant l’aube, a r’fit le chemin vers son p’tit campement d’fortune. Y’était temps qu’a l’arrive avec de quoi à manger, parce que ses pauvres cocos avaient la p’tite lumière de batterie qui clignotait rouge.  

Marie fit un feu pis, enfin, donna aux flos du poisson séché. Y t’mangèrent ça s’un moyen temps, en grondant, les yeux fiévreux, comme si y’existait pu yinque ça dans l’univers.

Le lendemain, Marie arfit la même affaire pis ramena l’autre moitié du poisson séché. C’te job-là de faite, elle pis les p’tits étaient pu autant proches d’la perdition. Y’étaient quand même dans’marde en saint sifflette, mais… moins. Juste assez pour que Marie baisse un peu sa garde, c’te soir-là… Pis que le gouffre noir en dedans d’elle arcommence à la ronger :

« Pis là… Ch’fais quoi? Y’a rien à faire. Pierre est pu là. Y m’reste pu rien. Quand ben même que j’artournerais à’Willamette, ça donnerait quoi? Pu d’mari, j’vivrais dans’misère pis c’est toute… »

A passa quasiment une éternité presque sans bouger, effoirée par le désespoir; toute était trop grand, trop loin, trop frette, trop dangereux, trop impossible.

« Mourir gelés icitte ou bedon d’un banc d’neige à une semaine de route… Autant s’éviter du trouble pis rester proche des autres le temps que ça finisse… »

Mais au boutte de trois jours, Marie artrouva un semblant de force :

« C’pas vrai que j’ai pu rien. »

A se l’va enfin, paqueta littéralement ses petits, mis toute su le ch’fal pis prit la direction de l’Ouest.

Pendant neuf jours qu’a marcha, dans’grosse neige aux genoux en tirant le ch’fal par la bride, à monter pis à descendre des côtes pis en manquant s’tuer en tombant dins précipices ou bedon dans’bonne vieille rivière Snake. Pis c’tait pas comme dins parcs d’la SÉPAQ, là, que même si t’arrives à 6 h du matin un lendemain de tempête, y’a toujours un crinqué qui a déjà tapé l’sentier. Je l’sais pas si Marie avait des raquettes, mais j’y souhaite en astie.

En plus, pour faire du mal, a d’vait être dans l’même coin où c’qu’a l’avait accouché pis pardu son bebé deux ans avant – rien pour alléger l’atmosphère, mettons.

Pis là, le ch’fal arriva au boutte de ses forces. Y’était sec comme un coton pis c’tait clair qu’y frait pu un pas de plus.

« Bon, ben, advienne que pourra, c’est icitte qu’on va camper pour le reste de l’hiver. »

Marie trouva un spot caché, à l’abri du vent, au pied d’un précipice pardu au beau milieu des montagnes Bleues. Là, a fit boucherie avec la pauvr’bête. A l’accrocha la viande après un arbre pour qu’a gèle pis pour pas que la varmine tombe dedans; ça allait pas mal être la seule affaire qu’elle pis les p’tits auraient à manger jusqu’à ce que l’pire de l’hiver soye passé pis qu’y puissent espérer de s’rendre l’autre bord des montagnes.

Après ça, fallait qu’a pense à s’faire un abri. Comme matériaux, a l’avait des branches de sapin, du foin, d’la mousse pis d’la neige, pis c’tait toute. En plus, c’tait pas comme si y’avait déjà un beau p’tit tas d’branches coupées toute égal qui l’attendait – comme a l’avait pas de hache pis encore moins de sciotte, y fallut qu’a gosse toute à’mitaine avec son ti canif de rien! 

Mais, à force de savant taponnage, Marie finit par construire une p’tite hutte avec juste assez de place pour qu’a puisse rentrer dedans avec les deux flos. Fallait pas que ça soye ben ben plus grand que ça : l’idée, c’tait que l’abri se chauffe avec yinque la chaleur du des corps qu’y avait d’dans. Autrement dit, on était à des milles du shack en bois rond de luxe avec foyer, écran plat pis spa su’a galerie d’en arrière.

Moé, depuis l’début, y’a deux choses qui m’épatent sans bon sens : le courage à Marie, ben crère, mais aussi, la résilience des flos.

Tsé, de nos jours, tu pars juste pour une fin de semaine de vélotourisme dans Bellechasse avec les enfants pis t’es obligé de r’virer d’bord après deux heures parce que c’est plate, fait frette, est où ma tablette, veux des glosettes, perdu ma casquette, alouette, pis quand t’argardes su’l p’tit siège en arrière tu vois yinque une grand’bouche qui braille avec des larmes autour.

Mais Paul pis Jean-Baptiste, eux-autres, y’ont toute toffé comme des champions malgré la faim pis l’inconfort.

Quand Marie décida de l’ver le camp, au milieu du mois d’mars, ça faisait CINQUANTE-TROIS JOURS qu’y étaient là. Les flos d’vaient-tu faire la queue d’veau, un peu, vers la fin? Un bonhomme de neige, ça commence à être moins l’fun quand t’es rendu à ton 42e de suite, pis c’t’un peu poche de jouer à’cachette l’hiver.

Entécas, le temps s’tait assez adouci pour qu’y essayent de travarser les montagnes. Mais surtout, y leu restait pu de viande de ch’fal pis y’étaient passés au travers de leu réserve de poisson séché. C’tait l’temps qu’y partent. Sauf qu’y marchaient même pas depuis deux jours qu’y frappèrent un mur :

« Ahh, bonne Sainte Anne, mes yeux! Ça brûle! J’vois pu rien! »

Quand le soleil fesse su’a neige, sa lumière est réfléchie pis a t’arvient dins yeux; ça brûle, ça picote, ça larmoie pis tu peux même perdre la vue. C’pas pour rien que les Inuits ont toujours des espèces de lunettes avec une fente dedans!

Faique en s’promenant dins champs de neige en d’sour du gros soleil du printemps, Marie s’tait brûlé les yeux. Normalement, ça finit par guérir tu’seul, mais pour tu’suite, Marie était ben mal prise :

« Non, non, non! Ça s’peut pas! C’pas vrai! On peut pu avancer, sinon on risque de virer en rond ou de sacrer l’camp dans une crevasse. »

Une journée passa, pis une autre, pis une autre; Marie voyait toujours rien.

« Voyons, ça va-tu arvenir? D’un coup que ça r’vient jamais? Ben non, calme-toé, Marie, tu l’sais que ça r’vient. Mais c’est ben long! J’en peux pu! »

A stressait ben raide, sachant qu’y avaient pu d’reste de provisions pis chaque jour qu’y pardaient les mettait encore plus en danger de mourir de faim.

Finalement, le matin d’la quatrième journée, Marie s’réveilla en voyant assez pour être capable de s’orienter, faique a décida d’arprendre la route.

Elle pis les p’tits finirent par sortir des montagnes 15 jours après être partis d’leu camp d’hiver, pis y’arrivèrent dans une grande plaine. Sauf qu’y’étaient loin d’être sauvés : y’avait pas âme qui vive dins environs, pis ça faisait deux jours entiers qu’y avaient absolument rien mangé. Les enfants étaient rendus trop faibles pour marcher, faique Marie d’vait les porter.  

Marie avait besoin d’un miracle. Pis là :

« Hein! C’est-tu c’que ch’pense, ou ch’t’après halluciner? »

Au loin dans’plaine, y’avait un tout p’tit filet de fumée, le genre qui vient d’un feu d’camp.

« J’m’en sacre si y faut que j’me traîne avec les dents, mais j’vas me rendre là-bas. »

Sachant qu’a y’arriverait jamais avec Paul pis Jean-Baptiste dins bras, a prit une décision ben difficile :

« Mes cocos, Maman va aller chercher d’l’aide. J’vas r’venir, promis juré. Vous allez voir, dans pas long, on va manger des bonnes choses pis faire dodo près du feu pis on va être sauvés. »

A les emballa dans la peau d’bison, les cacha ben comme faut au travers des grosses roches puis, l’cœur qui savait pu si y d’vait s’gonfler d’espoir ou s’fendre en mille miettes, a partit en direction du filet d’fumée.

Au début, Marie avait pensé être capable de s’rendre au campement avant la noirceur, mais au coucher du soleil, a faisait pu yinque ramper. A pensa aux flos qui d’vaient capoter de passer la nuite tu’seuls pis de pas la voir arvenir, mais a l’était tellement écrasée de fatigue qu’a s’endormit dins fardoches.

A s’armit en ch’min dès qu’a l’ouvrit l’œil, mais a faisait chaque pas comme si a l’avait des boules de quilles dins bottines. Ben vite, a dut s’mettre à genoux. Vers la fin de l’avant-midi, chaque pied, chaque pouce qu’a l’avançait y prenait toute l’amour qu’a l’avait pour ses gars. Pis là, a pardit connaissance.

« Madame? Madame! Êtes-vous correcte? »

Heureusement pour elle, Marie avait pâmé assez proche du camp pour que quequ’un la voye, pis du monde vinrent tu’suite la ramasser. Y’étaient d’la nation des Walla Wallas, pis y furent super fins avec elle. A leur expliqua où c’qu’a l’avait laissé Paul pis Jean‑Baptiste. Une gang partit drette là les charcher pis les ramena le soir même, ben vivants.

L’horreur était finie pour de vrai.

On s’entend qu’après une aventure de même, Marie était ben écœurée de crapahuter pis de s’donner d’la misère; a décida donc de rester un boutte avec les Walla Wallas. Quand la Compagnie du Nord-Ouest construisit un poste de traite pas loin, a rencontra un autre voyageur du nom de Louis Vanier pis a se maria avec. A l’eut une fille avec lui, mais comme Pierre, y fut tué par des Autochtones. Ben coudonc.

Après, a s’armaria avec Jean-Baptiste Toupin, un employé d’la Compagnie d’la Baie d’Hudson. Y’eurent deux enfants ensemble, pis y’allèrent s’installer dans la belle vallée d’la Willamette, où quasiment tout l’monde parlait français. Super croyante pis hyper respectée, a d’vint un pilier de sa paroisse. À sa mort, a fut même enterrée en d’sour du parvis d’l’église, c’est ben pour dire.

Moé, entécas, j’me d’mande qu’est-cé qu’y attendent pour faire une vue ou un programme de tévé su sa vie. Après toute, y’ont ben faite un film su Léonardo DiCaprio qui arvient en ville tout crotté pis habillé en poil; mais lui, on sait ben, y’avait pas la charge mentale d’une femme qui est pognée pour survivre en s’occupant de deux flos en bas âge!  


Source : Larry E. Morris, The perilous West : seven amazing explorers and the founding of the Oregon Trail, 2013.

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La guerre de l’oreille à Jenkins

(Si c’est dur à lire, cliquez avec le piton droit d’la souris pis faites « Ouvrir l’image dans un nouvel onglet ».

J’vous gage que yinque avec le titre, vous êtes déjà intrigués.

C’est qui, ça, Jenkins? Qu’est-cé qu’a crisse, son oreille? Pis c’est qui l’cave qui part en guerre pour une niaiserie de même?

Avant d’répondre à toute ça, va falloir que j’commence par vous mettre en contexte.

Dins années 1700, y faisait chaud dins Caraïbes, pis pas yinque à cause d’la latitude : c’tait bourré d’Européens, y s’brassait des GROS bidous pis ça jouait dur en ti-péché. Garrochez une oreille au milieu de t’ça, pis c’tait jusse une question de temps avant que ça pète.

Dans c’temps-là, on était en plein commerce triangulaire. On vous a montré ça à l’école, mais ch’prendrai pas d’chance pareil :

Bref, c’tait un gros génocide dégueulasse qui passait pour une biznesse respectable.

Les Espagnols, eux-autres, préféraient pas se salir les mains directement avec l’achetage pis le charroyage d’Africains. Faique c’qu’y faisaient, c’est qu’y donnaient une espèce de contrat de sous-traitance qu’y appelaient l’asiento pis qui garantissait l’droit d’être le seul à pouvoir vendre du monde aux colonies espagnoles.

Dans l’boutte qui nous intéresse, c’tait l’Empire britannique qui avait l’asiento. Ça y donnait l’droit d’importer 5 000 Africains pis d’accoster avec 2 navires de 500 tonnes de marchandises par année aux ports espagnols des Caraïbes.

Sauf que c’tait vraiment pas assez au goût d’la Compagnie de la mer du Sud, qui s’occupait du commerce dins Caraïbes au nom de l’Empire britannique. A l’avait des GROSSES ambitions commerciales, comprenez-vous, pis y rentraient juste pas dans le p’tit contrat d’misère donné par les Espagnols. Fallait que ça dézippe à queque part.

La solution d’la Compagnie? Bourrer les bateaux de contrebande, ben crère!

(Là, j’sais que c’est lourd, toute ça, mais l’oreille va r’voler ben vite, j’vous l’promets.)

Sauf qu’après un boutte, les Espagnols ont commencé à se douter de quequ’chose :

« Heille, sont-tu après essayer d’nous en passer une p’tite vite, eux-autres là? »

Dans c’temps-là, les Espagnols pis les Britanniques – pis les Français aussi, mais sont pas super importants dans l’histoire – étaient toujours après se crêper l’chignon, faique y signaient des traités d’paix aux 20 menutes.

Faique quand y’ont signé le traité de Séville de 1729, les Espagnols en ont profité pour passer une belle p’tite clause qui leu donnait le droit d’arrêter pis d’inspecter n’importe quel navire britannique en ch’min vers les Amériques pour voir si y’avait pas des p’tits cadeaux de cachés à bord.

Pour la Compagnie d’la mer du Sud pis la marine britannique, c’tait c’qu’on pourrait appeler… un irritant :

— Ah, tabarnak.
— Quossé qu’y a?
— Les asties d’Flamencos encore, y nous ont spottés pis y s’en viennent nous aborder!
— Câlisse, pas eux-autres! La dernière fois, j’ai été obligé de domper 4 caisses de vaisselle Fortnum & Mason à’mer pour pas qu’on s’fasse pogner!

Pis là, en avril 1731, y’a un abordage de routine qui a dérapé solide.

Le capitaine au long cours Robert Jenkins s’en allait d’la Jamaïque su son bateau, le Rebecca, quand y s’est faite arrêter par des garde-côtes espagnols. C’est pas trop clair c’qui s’est passé exactement, mais la chicane a pogné, pis ça a pas été long que l’capitaine Jenkins s’est ramassé attaché après l’mât de son bateau.

Là, le capitaine des garde-côtes, Juan de León Fandiño, y’a pogné l’oreille gauche pis y’a coupée d’un coup d’sabre. CHLAK.

Après ça, y lui a ardonné son oreille en disant :

« Quins, montre ça à ton roi, pis dis-y qu’m’as y faire pareil si j’y vois la face par icitte! »

Là, vous vous dites : « Bon! Faique y’est artourné en Grande-Bretagne, y’a montré son oreille, tout l’monde a été scandalisé, pis l’Empire britannique a déclaré la guerre à l’Espagne! »

Pas tant.

Ben sûr qu’en arvenant chez eux, Jenkins a porté plainte, pis un article su sa mésaventure a passé dans le Gentleman’s Magazine de Londres en juin 1731. Mais sinon, parsonne a pogné les nerfs avec ça; c’tait plus une anecdote qu’autre chose, pis la réaction de la plupart du monde a été :

« Y s’est faite couper l’oreille, lol. »

Comme disent les jeunes d’à c’t’heure, entécas.

C’en est pas mal resté là. Mais, l’année d’après, les Britanniques sont allés fonder la colonie de Georgie drette à côté d’la Floride, qui appartenait aux Espagnols. Pis les Espagnols ont pas aimé ça pantoute, c’qui était pas pour aider les deux empires à mieux s’accorder.

En plus, en 1733, le roi d’France Louis XV a signé un pacte d’alliance avec son mononcle Philippe V d’Espagne, pis c’tait pas super d’adon pour les Britanniques. À partir de c’te moment-là, les Espagnols pis les Français, rendus encore plus fantasses en sachant qu’y s’entrebackaient, se sont mis à écœurer encore plus les navires britanniques.

En 1738, le ton a commencé à monter au Parlement de Londres. Les tories – le parti d’opposition, là – voulaient la guerre contre l’Espagne, pis y’étaient pas tu’seuls : la Compagnie de la mer du Sud était tannée de s’faire mettre des bâtons dins ambitions commerciales. L’affaire, c’est que l’premier ministre whig Robert Walpole était pas trop chaud à l’idée :

« Mouerf, on veut-tu vraiment s’embarquer là-dedans? Mettons qu’on leu déclare la guerre pis que la France saute dans l’tas d’leu bord à eux-autres, on va avoir l’air fous s’un moyen temps. Chus sûr qu’y a moyen d’régler ça autrement. »

Faique là, les tories se sont mis à fouiller dans toutes les racoins possibles pour trouver toutes les cas où c’que les Espagnols ou les Français auraient faite d’la marde à des marins britanniques. Pis c’est là qu’y se sont souvenus de Jenkins :

« Heille! Vous rappelez-vous de, tsé, l’gars avec son oreille coupée? Ça aurait l’air qu’y l’a gardée dans l’vinaigre, en plus! Ça, ça puncherait si y’a montrait en Chambre! Comment c’qui s’appelait, don? »

C’est d’même que, 7 ans après l’incident, Jenkins a enfin pu sortir son oreille de ses tablettes à marinades.

Entécas, selon la légende. Ç’a d’l’air qu’y a pas de preuve écrite que Jenkins a vraiment sorti son boutte mariné devant tout l’monde au Parlement.

Sauf que là, l’affaire a faite pas mal plus de bruit : l’image en haut complètement, c’t’une caricature qui a paru dans l’journal The Craftsman le 24 juin 1738. Partout dans l’Empire, on parlait yinque de l’oreille à Jenkins.

Les tories avaient réussi leu coup : y’avaient montré assez d’écrapou pour que la majorité de la classe politique pogne le mors aux dents. Même le roi Georges II, qui filait pas fort fort parce qu’y v’nait pardre sa femme pis était pogné des hémorroïdes, était ben crinqué pour la guerre.

Le pauvre Walpole avait jusque pardu l’appui d’la moitié de son Cabinet, faique y’eut pas le choix de dire « mononc’ » :

« Ok, d’abord, vous allez l’avoir, votre guerre! »

Ça sert pas à grand-chose que j’vous conte la guerre en tant que telle dans l’détail. En gros, un tapon d’escarmouches ont éclaté un peu partout dins Caraïbes comme autant d’graines de popcorn au micro-ondes; les Britanniques ont attaqué les colonies espagnoles, les Espagnols se sont ben défendus, pis y’a eu énormément d’morts – surtout à cause d’la fièvre jaune pis d’la bonne vieille dysenterie.

Sauf que vers 1742, les Britanniques pis les Espagnols ont comme perdu l’intérêt pour leu chicane dans l’Nouveau Monde. C’est parce qu’y avait d’quoi de pas mal plus gros qui se brassait dins Europes : l’empereur Charles VI du Saint-Empire v’nait de mourir sans héritier doué de zouiz, pis y’avait toute légué à sa fille Marie-Thérèse. Pis comme c’tait une p’tite maman de 23 ans, les battes royaux de toute le continent pensaient qu’y pourraient la tasser facilement.

Crisse qu’y se trompaient. Mais ça, c’t’une autre histoire.

Entécas, au final, l’oreille à Jenkins aura pas changé grand-chose dans l’jeu d’échecs des grands empires coloniaux. Mais j’espère au moins qu’y l’a faite encadrer.


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Beau Brummell : sapré dandy, maudite grand’yeule

C’est la fête de Beau Brummell aujourd’hui! Mais c’tait qui, don lui?

Vous avez sûrement djà entendu son nom, ch’peux pas crère. Moé j’sais, entécas, que la mére à Mononc’Poêle a dit ça, un « Beau Brummell ». Pis Mémère Poêle aussi. Depuis plus que 200 ans, c’t’un synonyme de beauté pis d’élégance masculine, tellement que tout le monde utilisait sa face pis son nom pour annoncer leux produits :

Son vrai nom, c’tait George Bryan Brummell. Le surnom de « Beau », ça allait v’nir plus tard.

Y’est né en 1778, riche, mais pas top riche. Son pére était le secrétaire privé du premier ministre du Royaume-Uni.

Y’a reçu une bonne éducation, en premier à Eton College, pis après à Oxford. À’mort de son pére, le futur Beau avait 16 ans, pis y’a hérité d’un ptit motton. Pas assez pour faire la grosse vie sale pis arcevoir des duchesses dans son salon, mais assez pour s’acheter un poste dans l’régiment parsonnel du prince de Galles. (Parce que c’est d’même que ça marchait dans l’temps – plus t’étais riche, plus tu pouvait t’acheter un gros rang, faique même si t’étais un gros cave, tu pouvais payer pis monter assez haut pour que ton incompétence fasse tuer plein d’monde. D’ailleurs, y’ont aboli c’te système-là en 1871 parce qu’y ont ben vu que c’tait d’la marde.)

Pis l’régiment parsonnel du prince, le futur roi Georges IV, c’tait pas un choix au hasard. Pour se faire ouvrir les portes d’la haute société, not’Beau avait ben l’intention de s’faire armarquer par le prince en misant su sa maudite grand yeule, son sens de l’humour, son charisme pis son style d’enfer. D’ailleurs, c’tait quoi son style, exactement?

Pour vous donner une idée, avant Beau, les hommes s’habillaient de même :

Allez voir Bloshka! C’est une super source pour voir le linge de différentes époques!

Pis là, Beau est arrivé, pis tout l’monde s’est mis à l’copier :

Ça y prenait cinq heures à toué’s matins pour s’arranger pour pas avoir l’air de s’être arrangé. Faut l’faire, pareil. C’est pas pour arien qu’on l’appelle « le pére du dandyisme »!

Mais être un dandy, c’est pas yinque être ben greyé. C’est aussi avoir une astie d’attitude de frais-chié, passer son temps à insulter tout l’monde comme si tu t’en rendais même pas compte pis faire semblant de se crisser de toute. Pis Beau, c’tait l’champion de t’ça.

Toujours est-il que Beau a réussi à rentrer dins p’tits papiers du prince. Le prince le trouvait fascinant pis y pardonnait toute. Beau était tout l’temps en retard, y slaquait su’a job, y se présentait pas aux parades, mais c’tait pas grave. Y faisait c’qu’y voulait.

Quand son régiment est déménagé de Londres à Manchester, y’a préféré s’en aller de l’armée plutôt que d’aller dans une ville « pas d’classe pis pas d’culture ».

En dehors de sa job dans l’armée, par’zempe, y’allait dépendre complètement du bon vouloir du prince pour maintenir son statut. Mais pendant une bonne secousse, son plan a ben marché. Y rentrait partout, dans toutes les gros partys, à des places où normalement, parsonne l’aurait même argardé parce qu’y était trop bas dans l’échelle sociale.

Mais le p’tit crisse, y’aimait jouer avec le feu. Un jour, en jasant avec le prince autour d’un drink, Beau a dit une affaire tellement vache que Sa Majesté y’a crissé son verre de vin dans’face. Faique Beau, vite comme l’éclair, a crissé son verre de vin dans’face de son voisin de fauteuil pis a dit :

« C’est le toast du prince! Faites-lé tourner! »

Pis tout l’monde est parti à rire.

C’tait une vraie diva. Un m’ment’né, à un party au château de Belvoir, y’est allé se coucher d’bonne heure. Mais pas longtemps après, les cloches de l’alarme d’incendie se sont mises à sonner. Tout l’monde capotait, se d’mandant où l’feu était pris, quand Beau est arsoudu à un balcon pis a dit :

« S’cusez, c’parce qu’y a pas d’eau chaude dans ma chambre! »

Mais un bon m’ment’né, y’est allé trop loin. Y’était déjà un peu en frette avec le prince quand y s’est pointé à un party avec un de ses bons chums, Lord Alvanley. Tandis qu’y se promenaient, y’ont croisé le prince avec un autre lord. Sa Majesté, telle une tite fille d’école qui veut faire d’la peine à son amie pour montrer que c’est elle la boss des bécosses, a jasé avec Lord Alvanley pis a faite comme si Brummell existait pas.

Après, le prince pis l’autre lord ont continué leu ch’min. Dès qu’y ont eu le dos tourné, Beau a lâché, assez fort pour que le prince l’entende :

Parce que ouais, Sa Majesté était connue pour être un ti peu dodue. Su’l coup, le prince a rien faite. C’tu voulais qu’y fasse? On était pu à l’époque où tu pouvais faire décapiter quequ’un drette-là si y t’avait insulté.

Mais Beau avait quand même signé son arrêt de mort… social. Le prince a arrêté d’y donner de l’argent pis de l’inviter à des places. Pis comme Beau était bourré de dettes de jeu, y’a fallu qu’y se sauve en France, parce que dans c’temps-là, tu pouvais faire d’la prison à cause de tes dettes.

Rendu là-bas, y’a passé dix ans à Caen à pas faire grand chose jusqu’à ce que son chummy Alvanley y trouve un poste au consulat d’Angleterre. Mais ça dura yinque deux ans : y’a suggéré aux Affaires étrangères de farmer le consulat, pensant qu’y allait être transféré à un autre poste plus payant. Tu parles d’un move de cave : les Affaires étrangères ont faite comme y’a dit, pis y s’artrouva pu de job.

Pis finalement, y’est mort dans la pauvreté pis l’oubli, rendu à moitié fou par la syphilis.

Sa grande gueule avait faite sa légende, mais a l’a aussi causé sa perte.


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Adolf Munck, coach de fesses de Sa Majesté

Un bon soir de juillet 1775, le roi Gustave III de Suède, 29 ans, décida que c’tait l’temps qu’y s’déniaise.

Ça faisait neuf ans qu’y était marié avec sa reine, Sophie-Madeleine du Danemark, pis y’avait pas encore d’héritier doué de zouiz. En faite, y’avait pas d’héritier pantoute. Parce qu’y avait jamais couché avec la reine. Même, y’avait jamais couché avec parsonne, tout court.

Gustave III

Mais, pourquoi, don? Y’en a qui disent qu’y était gai. Aujourd’hui, on dirait p’t-être qu’y était asexuel. Une chose est sûre, c’est qu’y’était pas vraiment porté sur la chose. Ça fait bizarre, pareil, quand on pense à toutes les princes pis les rois de c’t’époque-là qui faisaient des bâtards à tour de bras comme Tim Hortons fait des beignes à l’érable, tandis que lui, y’était même pas capable de faire son d’dvouère.

Pis c’tait pas non plus qu’la reine était laitte. A l’était plutôt jolie. Mais, a l’était assez gênée comme fille, tellement qu’a paraissait snob, pis a l’avait arçu aucune éducation sur la chose. Faique, si Gustave allait pas la trouver pour tsé-veut-dire, c’est pas elle qui allait cogner à sa porte en jaquette à une heure du matin.

Sophie-Madeleine

Toujours est-il que là, Gustave en avait son tas. Y’allait pogner l’taureau par les cornes. Pour ça, y d’manda l’aide d’Adolf Frédérick Munck, son homme de confiance pis un gars qui pognait pas mal chez les créâtures d’la cour :

          « Lui y va savoir quoi faire, c’est sûr! »

Adolf Frédérick Munck. Argardez-y la face. C’est clair qu’y sait comment mettre les points sur les i pis les barres sur les t.

Munck se mis aussitôt à l’ouvrage : y’organisa pour le roi pis la reine des p’tites vacances romantiques au château d’Ekolsund, le chalet royal. Une fois rendu là-bas, y mit un portrait sexy de Sophie-Madeleine su’l litte du roi avec une lettre, clairement pas écrite pas la reine mais signée par elle, qui disait :

          « Niaise pas, pis fais d’moé la plus heureuse des femmes. »

Quand Gustave vit ça, y dut être inspiré, parce qu’y appela Munck :

            « Ok. Chus prêt. C’est l’heure. »

Faique Munck pis un autre domestique emmenèrent le roi en jaquette pis en pieds d’bas jusqu’à la chambre de Sophie-Madeleine.

Là, y l’aidèrent à se dégreyer, pis y s’en allèrent dans une chambre à côté.

Quinze menutes après, y’entendirent une clochette sonner : c’tait le roi qui appelait. Le domestique y alla, mais y’arvint tu’suite pis dit à Munck :

          « Le roi veut t’voir. Ça a ben d’l’air que ça marche pas. »

Le pauvre Gustave était toute rouge pis avait les yeux ronds comme des deux piasses :

         — Adolf! J’sais pas c’qui s’passe! Ch’trouve pas l’trou! Aide-moé!
        — J’sais pas quoi vous dire, Vot’Majesté… Avez-vous pensé de d’mander à la reine de vous montrer c’est où?
        — T’es-tu malade? C’est ben que trop gênant! A va penser que ch’t’un épais!
        — Sauf vot’respect, j’irai pas dans’chambre avec la reine pour vous

montrer c’est où. Va falloir que vous trouviez tout seul.

Notre Pee-Wee des fesses artourna donc, toute tremblant, auprès d’sa femme. Une heure plus tard, y’arsonna la cloche pis y’ordonna à Munck de l’aider à s’habiller. À y voir la face, y’avait clairement pas scoré.

Mais bon. Sa nuitte l’avait pas trop découragé, parce que, dès le lendemain matin, y se sentit game de réessayer. Comme la veille, Munck attendit dans’chambre à côté. Pis comme la veille, la clochette sonna après quinze menutes.

Quand y rentra dans’chambre, y vit Gustave effoiré de toute son poids su la pauvre Sophie-Madeleine comme un béluga mort s’une plage du bas du fleuve.

          « Ça marche paaaaaaaas! » se lamenta le roi comme un p’tit poute qui essaye de rentrer le bloc rond dans l’trou en étoile.

C’est là que Munck comprit que si y voulait que ça se règle, y’allait d’voir… prendre les choses en main. Littéralement.

          « Bon. Vot’Majesté, premièrement, tenez-vous su vos bras… »

Y dut guider le roi pis la reine, une étape à’fois : « Ça, ça va là, pis ça, ça va là… »

Dans ses mémoires, Munck mentionne que le roi avait l’capuchon serré pis que la reine avait les voies aussi impénétrables que celles du Seigneur. Ça faisait mal, c’tait gênant pis c’tait vraiment pas drôle pour parsonne. Imaginez le malaise!

En fin de compte, ça marcha pas plus c’te soir-là, mais Gustave pis Sophie-Madeleine étaient ben décidés à réussir. Quand on veut, on peut! Faique les soirs d’après, y réessayèrent pis réessayèrent pis réessayèrent.

Pis, un jour, on annonça que la reine était enceinte. Celle que tout l’monde trouvaient bête pis plate était maintenant toute contente pis jasante, le sourire fendu jusqu’aux oreilles. Finalement, elle pis Gustave eurent deux p’tits gars, Gustave pis Charles.

Mais là, y’eut des langues sales pour dire que Munck avait, disons, mis pas mal plus que son grain de sel dans la conception des p’tits princes.

Ça donna des caricatures comme celle-là  :

Si vous voulez voir la version non censurée, c’est ici. ATTENTION : Très très gros zouiz.

Le pire là-dedans, c’est que les rumeurs venaient directement de la mére à Gustave elle-même, Louise-Ulrique de Prusse, une espèce de germaine folle contrôlante qui haïssait Sophie-Madeleine pis qui voulait abolir le Parlement pour pouvoir toute décider tu’seule.

Après avoir travaillé aussi fort, le roi pis la reine étaient vraiment choqués d’entendre ces cochonneries-là. Gustave prit son courage à deux mains pis alla voir sa mére :

« M’man, si t’arrêtes pas de dire des affaires de même su moé pis ma femme, j’vas t’exiler en Poméranie! »

Finalement, comme a voulait rien entendre, y’arrêta d’y parler pis y’alla juste la voir su son lit d’mort. Pis même là, Sophie-Madeleine arfusa d’arvoir sa belle-mére.

Peu importe le rôle que Munck avait joué dans toute ça, le roi pis la reine étaient ben contents de lui pis y donnèrent plein de titres pis de domaines. Moé, entécas, j’salue son dévouement. Qu’est-ce qu’on ferait pas pour aider un chum, hein?

Méchante veillée : le palais de glace d’la tsarine psychopathe (édition HD revue et augmentée)

D’nos jours, l’organisage de partys, c’est rendu du sérieux. L’événementiel, qu’y appellent ça. On rit pu. 

Que tu veuilles un congrès de vétérinaires su les problèmes de zouiz chez le chinchilla ou bedon une tite fête y’où c’que tu pètes des ballounes pour savoir si ton bebé va faire pepi assis ou d’boutte plus tard, y’a un pro pour t’arranger ça. 

Mais d’un coup que ça te tenterait d’avoir une sauterie qui s’rait un mélange entre le Carnaval de Québec, une veillée de suprémacistes blancs pis une humiliation publique, y’a jamais eu parsonne dans toute l’Histoire de plus qualifié que la tsarine Anna Ivanovna. 

Parlez-en au prince Mikhaïl Alexeïevitch Galitzine : y’avait trouvé l’tour de faire fâcher la tsarine, faique a s’tait mis en frais de le faire chier en y’organisant des noces de l’enfer. Y’est passé proche de pas en réchapper, pis c’tait une soirée tellement spectaculaire de par les moyens qu’Anna avait pris pour faire étriver pis pâtir ses pauvres victimes qu’on en parle encore quasiment 300 ans plus tard. 

Mais avant de tomber dins détails, parlons du genre de bebitte qu’était Anna Ivanovna. 

Anna Ivanovna était la fille du tsar Ivan V, qui était pas toute là pis qui a jamais vraiment régné. C’est son demi-frère plus jeune, nul autre que le futur tsar Pierre le Grand, qui s’occupait du gouvernage.

Sa mére, Praskovia, était une méga germaine élevée dins valeurs du bon vieux temps. Mais a l’eut beau essayer de faire de sa fille une p’tite princesse ben religieuse qui dit jamais un mot plus haut que l’autre, Anna vira en une espèce de maudite vlimeuse mal engueulée. Même si a l’avait une face de tit-ange tout nu avec des grosses grosses joues – qu’a garda toute sa vie pis qu’un auteur anglais compara à un « jambon de Westphalie » – Anna s’comportait plus comme un p’tit démon qui faisait des vacheries à son monde yinque pour le fun. Les nobles d’la cour n’avaient peur, tellement qu’y l’appelaient « Iv-anna la Terrible », en référence à Ivan le Terrible, un autre tsar fou braque qui a pas besoin d’être présenté.  

Mais bon. Quand ton père est riche en tabarnak, y’a toujours quequ’un qui est prêt à t’épouser, même si t’as un caractère de cochon pis un maudit air de bœuf. C’est d’même qu’à 17 ans, Anna maria Frederick Wilhem, duc de Courlande, un flo qui avait le même âge qu’elle. 

Malheureusement, le p’tit gars péta au frette moins de deux mois après, su’a route entre Saint-Pétersbourg pis le duché de Courlande. C’tait peut-être une pneumonie, mais la version plus croustillante dit qu’y avait faite un concours de boisson avec Pierre le Grand, qu’y s’trouvait à être le mononcle d’Anna. Clairement, Ti-Fred était pas d’taille pour affronter le Russe le plus russe de toutes les Russes au calage de vodka, pis y se s’rait jamais armis de son lendemain de brosse.

Toujours est-il qu’Anna s’artrouva pognée en Courlande (un coin d’la Lettonie d’à c’t’heure) parce que parsonne à Saint-Pétersbourg avait envie de l’arvoir. A sarvit de régente là-bas quasiment 20 ans pis a resta veuve, mais c’tait ben malgré elle : maginez-vous don qu’a l’envoya pas moins que 300 lettres au monde de sa famille pour qu’y l’aident à s’trouver un mari. 

Ça la laissa quelque peu frustrée par rapport au mariage pis à l’amour. 

Quand même, a l’était pas pour sécher éternellement dans son trou pardu. 

Pendant c’te temps-là, en Russie, son mononcle Pierre mourut; après ça, sa femme Catherine régna pendant deux ans pis mourut à son tour; Pierre II, le p’tit-fils de Pierre Ier, monta su’l trône pis mourut jeune pas d’enfants. 

Le haut conseil, une gang de nobles qui grenouillaient pour virer ça à leur avantage, choisit Anna comme tsarine, pensant qu’une veuve pas d’enfants f’rait une marionnette parfaite. Pour être sûrs de leu z’affaire, les nobles y demandèrent de signer les « Conditions », un papier qui disait qu’a pouvait pas déclarer la guerre, faire condamner un noble, établir des impôts ni se marier sans leu permission. Aussi ben dire qu’a pouvait rien faire.

Sauf que quand a l’arriva à Saint-Pétersbourg, Anna les envoya chier pis déchira leu papier dans leu face. Après, a les fit sacrer en prison, décapiter ou geler du boutte en Sibérie.

Tant qu’à moé, ça leu z’apprendra à sous-estimer une créâture. 

Mais arvenons au prince Mikhaïl Galitzine pis à ses noces.

En 1729, Mikhaïl, qui v’nait d’une des plus grandes familles princières de Russie, tomba veuf à l’âge de 42 ans. Pour faire passer sa peine, y’alla s’la couler douce en Italie. Là-bas, y rencontra une autre femme, et ben vite, y’a d’manda en mariage.

L’affaire, c’est que la belle était catholique, pis que le prince Mikhaïl, lui, était orthodoxe. Pas grave : le prince se convartit pis épousa sa nouvelle blonde drette là.

— Mais, chéri, ça va pas faire du trouble quand on va s’en aller en Russie?
— Ben, c’est sûr qu’à la cour impériale, c’est mal vu de changer de religion, mais on a juste a pas le dire pis ça devrait être correct.
— Ouin, si tu le dis, mon amour…

Sauf qu’y s’fourrait le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Tsé, y’était parti s’chauffer la couenne à l’étranger avant l’début du règne à Anna, pis pour moé y connaissait pas trop la bête à qui y’avait affaire. 

Quand Mikhaïl eut l’malheur de s’arpointer la face en Russie avec la nouvelle madame Galitzine, Anna eut tu’suite l’œil dessus. Premièrement, a l’avait une dent contre les Galitzine en général, parce qu’y contrôlaient le haut conseil qui avaient essayé de faire une marionnette avec. Deuxièmement, ça la gossait énormément de l’voir autant amoureux de sa nouvelle femme. 

Pis comme la tsarine avait des espions partout, ça y prit pas grand temps pour découvrir que le prince s’tait convarti au catholicisme. Pis a l’aimait vraiment pas ça, les « infidèles » – c’tait ben la seule partie de l’éducation religieuse à sa mére qui lui était restée. 

C’tait le prétexte parfait, pis Anna était ben décidée à prendre toute son temps pour pleumer Mikhaïl jusqu’à c’qu’y lui reste pu une seule tite graine de dignité.

Pour commencer, a le força à divorcer pis renvoya sa femme en Italie (d’autres disent qu’a rendit l’âme; c’pas clair).

Après, a n’en fit son bouffon. Pour Mikhaïl, un chic monsieur de 51 ans habitué au respect, c’était toute une débarque : sa vie, maintenant, c’tait de rester assis dans un panier à côté d’la tsarine, habillé en poulet, à y servir du kvass (une sorte de bière au pain pas forte d’Europe de l’Est) pis à faire semblant de pondre des œufs pour la visite. Ayoye.

Deux ans plus tard, la tsarine n’avait toujours pas fini avec lui. Tsé, une affaire qu’a l’aimait ben faire, c’tait de jouer les marieuses, pis a s’trouvait ben bonne. C’tait l’temps que Mikhaïl profite de sa science lui avec. 

Un jour, Avdotya Bujéninova, une servante connue pour être particulièrement laitte pis qu’Anna gardait proche parce qu’a faisait des faces drôles pis des farces grasses, s’adonna à dire :

« Arf, j’aimerais don ça, moé, avoir un homme dans mon litte! »  

C’tait pas tombé dans l’oreille d’une sourde.

« Heille, ça fait ben, ça! répondit la tsarine. Ch’connais justement un gars qui aurait besoin d’une femme! »

Faique pas longtemps après, Anna, toute contente, alla voir le prince : 

« Heille toé, mon p’tit poulet Chubby! Ça fait assez longtemps que t’es célibataire. Faique dans ma grande générosité, ch’t’ai trouvé une femme pis ch’tai organisé tes noces, toutes dépenses payées! » 

Mikhaïl avait pas d’pognée dans l’dos, faique y savait ben que ça cachait d’quoi d’horrible. Faut savoir qu’en plus d’être, tsé, un pichou notoire, la pauvre Avdotya était Kalmouke, c’t’à-dire qu’a faisait partie d’une minorité ethnique qui comptait pour pas grand-chose dans’Russie du 18e siècle. Faique pour le prince, un gars d’son temps avec des opinions d’son temps, c’tait à peine moins pire que si on l’mariait avec une jument.

Mais ben vite, ça allait être le cadet d’ses soucis.

Mikhaïl pis Avdotya furent mariés à l’église dins règles de l’art. Mais après, y furent grèyés comme des clowns pis paradés dans l’chemin, dans une cage posée su’l dos d’un éléphant. Y’étaient suivis par un cortège de personnes handicapées, de minorités ethniques en costume traditionnel pis de musiciens dans des traîneaux tirés par des chiens, des rennes pis des animaux de ferme. Parce que tsé, la différence, c’est drôle. On arconnaît ben là l’humour raffiné de la tsarine! 

Y’eut un gros banquet auquel la tsarine assista. Pis là, ce fut l’temps d’emmener les tourtereaux là où y devaient passer leur nuit de noces.

Anna avait tellement hâte de leu montrer ça qu’a fortillait dans son carrosse.

Maginez-vous don que, pour célébrer la victoire d’la Russie contre l’Empire ottoman, la tsarine avait fait construire un immense palais de glace qui aurait faite passer celui du Bonhomme Carnaval pour un vieux shack de misère. Y brillait dans’nuite à la lueur de centaines de torches. Autour, y’avait des arbres en glace avec des oiseaux en glace, des canons en glace, des fontaines en forme de dauphin en glace pis même un éléphant en glace avec un gars dedans qui jouait d’la trompette pour faire le bruit!

En dedans, y’avait un grand corridor avec des colonnes pis une rangée de statues en glace chaque bord, pis un escalier qui menait au deuxième étage. En haut, y’avait une grande chambre à coucher où toute était en glace aussi : le litte, les oreillers, les tables, les chaises, la vaisselle pis une horloge qui marchait pour vrai. Y’avait une toilette en glace, sûrement ben confortable pour les numéros 2, les chandelles pis les bûches dans le foyer étaient en glace, pis on pouvait même les allumer en les graissant d’huile à lampe! 

Faique comme c’tait déjà là, c’te palais-là, Anna avait décidé de faire un deux pour un : ça s’rait aussi la cerise su’l sundae d’la punition du prince.

Après ça, Mikhaïl pis Avdotya furent dégrèyés complètement pis embarrés dans la chambre, pendant un des hivers les plus frettes que Saint-Pétersbourg ait connus. Autant dire qu’Anna les condamnait à mort. Avant de leu farmer la porte dans’face, la tsarine leu dit :

Mais on s’entend que quand t’as tellement frette que tu trembles comme une vieille laveuse, t’es pas trop inspiré pour ça. 

Voyant qu’elle pis Mikhaïl risquaient de pas s’rendre au matin, Avdotya fit un gros sacrifice. Tsé, c’te femme-là était une serve, c’t-à-dire qu’a l’était considérée comme un meuble au sens d’la loi, pis a l’avait jamais rien eu de vraiment à elle dans sa vie, pis encore moins d’affaires précieuses. 

Or, la tsarine y’avait donné en cadeau de noces un collier de perles, qu’a l’avait encore autour du cou. Faique a décida de l’échanger à un des gardes contre un gros manteau de poil qui y parmit, à elle pis à Mikhaïl, de survivre à’nuite. 

Y’a deux versions de c’qui s’est passé après.

Y’en a qui disent qu’Avdotya pogna son coup d’mort c’te soir-là pis mourut d’une pneumonie queques jours après. 

Pis y’en a d’autres qui disent que non seulement Avdotya survécut, mais qu’elle pis Mikhaïl restèrent mariés pis eurent deux enfants. Ça rapproche, pareil, les émotions fortes!

Anna, malade des reins, mourut l’automne d’après. Sa nièce, Anna Léopoldovna, devint régente d’la Russie pis libéra enfin Mikhaïl pis Avdotya. 

C’t’un peu conte de fées, comme fin. Messemble que les histoires de Russes, ça finit toujours d’la pire façon possible. Mais j’leu souhaite quand même d’avoir eu du bonheur, après avoir pâti d’même!