L'Histoire comme on ne vous l'a jamais racontée… en bon gros québécois!
Auteur : autourdupoeleabois
Je ne suis pas historienne! Je suis traductrice, et je me passionne pour l'histoire. Je n'ai d'autre ambition que de vous divertir et d'attiser votre curiosité tout en redorant le blason de la langue québécoise.
Dessins de ma chum Christine Labrecque ❤ Merci Christine!
Les flos, hein. Des p’tits trésors. On les serre su not’cœur pendant l’cododo. On fait attention à toute c’qu’y rentre dedans pis on surveille toute c’qu’y en sort. On lit des affaires su l’développement holistique pis la parentalité bienveillante. On s’autoflagelle des heures de temps parce qu’on a pas viré la tête assez vite quand le kid a dit « R’garde, maman! » pis fait sa première pirouette un peu croche su’l tapis du salon.
(Ch’parle pas par expérience – chus Matante Poêle, pas Maman Poêle –, mais j’vois ben aller mes superhéroïnes de chums de fille qui ont des enfants.)
Ça a pas toujours été d’même, par’zempe. Artournons au 12e siècle.
En 1152, l’Angleterre était en pleine guerre civile. Mathilde, la fille du roi Henri Ier, était l’héritière choisie par son père. Mais son cousin Étienne de Blois, son plus proche parent doué de zouiz, avait dit « Heille, c’est yinque une créâture! Yé à moé, c’trône-là! »
Ben crère, y’eut du rififi entre les pro-Mathilde pis les pro-Étienne.
(On utilise pas assez l’mot « rififi » dans’vie quotidienne, m’as vous l’dire.)
Jean le Maréchal, c’tait un baron qui était loyal à Mathilde. Faique Étienne vint assiéger son château pendant qu’y était pas là. Après avoir résisté bravement pendant une secousse, les gens du baron envoyèrent un message à Étienne :
« On peux-tu avoir une tite trêve, yinque le temps d’avertir not’seigneur, sivouplaît? »
Étienne accepta une trêve d’une journée, mais à une condition : qu’on y donne en otage Guillaume, le p’tit gars de six ans de Jean le Maréchal. Tsé, comme garantie que Jean allait pas profiter d’la trêve pour ravitailler son château pis le r’garnir de troupes fraîches.
Faique le p’tit coco s’en alla chez l’ennemi – j’dis ça d’même tout bonnement, comme si y partait pour sa journée d’école, mais imaginez, vous autres, envoyer la chair de votre chair chez un gars qui veut votre peau – pis le siège fut levé; Jean en profita pour faire drette c’qu’Étienne voulait pas qu’y fasse.
Le lendemain, y’eut un échange de messages :
— Bon, la trêve est finie, là, rends-toé! — Va chier, Étienne, pis va-t’en chevous!
Se rendant compte qu’y s’tait faite passer une p’tite vite, Étienne se livra à une séance de sacrage en règle.
C’est là qu’arriva un espèce de conseiller huileux qui avait une idée pour faire plier Jean :
« Sire, on pourrait pendre le p’tit? L’baron Jean devrait filer doux après ça. »
Faique Étienne fit envoyer un message à Jean comme de quoi y’allait pendre Guillaume si y s’rendait pas.
Quand la réponse arriva, Étienne faillit tomber en bas d’sa chaise :
« Aweille, vas-y, tue-lé. C’pas grave, j’ai encore les enclumes pis des marteaux pour m’en forger des ben meilleurs. »
Ayoye.
Enragé, Étienne dit :
« Le p’tit crisse, m’as le pendre moi-même, simonac! »
Sauf que quand y’arriva à la potence, y vit le Guillaume. Sa tite face ronde pis ses grands yeux pis sa tite voix qui d’mandait à un des hommes d’Étienne si y pouvait avoir son javelot parce que c’tait un maudit beau javelot. Ooonnnnn. Étienne craqua, tellement qu’y prit le p’tit gars dans ses bras pis l’emmena avec lui.
Plus loin, les soldats étaient après assembler un trébuchet. Le conseiller huileux de tantôt artontit pis dit :
« Sire, j’ai une autre idée : mettons qu’on mettait l’flo dans l’trébuchet pis on l’garrrochait dans l’château? Y capoteraient, là-dedans! »
Là, le p’tit choupinet vit le trébuchet pis fut tout impressionné : « Monsieur! J’veux aller dans la balancine, sivouplaît! »
Étienne était comme : « Mon doux seigneur yé don ben cute c’t’enfant-là au secours. »
Y’eut ben un autre conseiller qui proposa d’accrocher le garçon su’l devant d’une tour de siège comme une décoration de hood de char pis d’attaquer l’château du baron Jean, mais rendu là, Étienne avait tellement le genou mou en avant de son p’tit otage que pu personne put y toucher ni même parler d’y faire du mal.
Heureusement, Guillaume finit par artourner dans sa famille. Y d’vint un chevalier super célèbre, pis ça vaudrait la peine que j’vous conte le reste de son histoire un jour. Étienne, lui, fut vaincu pis dut désigner l’fils à Mathilde – le fameux Henri II Plantagenêt – comme son successeur su’l trône d’Angleterre.
Bref, on a pas toujours eu peur que les enfants soient scrappés à vie si on connecte pas profondément avec eux autres sur le plan humain à chaque seconde d’la journée. Entécas, Jean, lui, a pas eu de scrupules à traiter son fils comme un hot-dog qui tombe dans’gravelle pendant un barbecue.
Parlant de t’ça, ça m’fait trop penser à la comtesse Caterina Sforza. En 1499, a l’était assiégée par les Borgia, qui artenaient ses enfants en otage. Selon la légende, a s’rait montée su les remparts, aurait arlevé ses jupes, s’montrant l’bataclan à toute l’armée, pis aurait crié :
« Tuez-lés si vous voulez, j’ai toute c’qui faut pour en faire d’autres! »
Ces temps-citte, le climat politique est un ti-peu tendu. Ça s’traite de toués noms pis ça s’menace de mort su’és médias sociaux.
Mais, ça vous est-tu déjà passé par la tête de MANGER François Legault parce que vous êtes pas d’accord avec comment c’qu’y mène la barque?
J’ose espérer qu’non, mais y’a pu grand-chose qui me surprend, m’as vous dire ben franchement.
Surtout depuis que ch’sais qu’en 1672, le grand-pensionnaire des Provinces-Unies des Pays-Bas a servi de lunch de fin d’soirée à ses concitoyens.
Heille, une histoire qui mélange politique pis cannibalisme! On s’crèrait dans Allô Police! Juste avec ça, ch’tais embarquée. Mais en grattant un peu, j’me suis rendu compte que ça cachait d’quoi d’encore plus intéressant : un duel entre deux gars aux idées ben différentes, deux têtes dures ben décidées à jamais céder d’un pouce – Johan de Witt pis Guillaume III d’Orange-Nassau.
Là, vous vous doutez ben que ça finira pas comme un épisode d’la Pat’Patrouille – malheureusement pour le gars qui s’est faite manger, aucun pitou qui parle s’est pointé à’dernière seconde pour le sauver d’la foule en colère pis montrer aux enfants que privatiser la police, c’est tiguidou.
Pis avant toute chose, pour que vous puissiez comprendre comment c’qu’on en vient à se taper un p’tit BBQ de foie humain su’a place publique, va falloir que j’vous explique le système de gouvernement de l’époque.
Faique si ça vous r’bute pas trop, venez-vous-en!
Mon explication est à la vraie affaire c’qu’un bonhomme allumette est à’Ronde de nuit de Rembrandt, mais, en gros : ça faisait un méchant boutte que les Néerlandais voulaient pu que leu roi, ça soit le roi d’Espagne, parce que ça avait aucun maudit rapport. Faique les sept provinces du nord des Pays-Bas décidèrent de former l’État des Provinces-Unies pour s’battre ensemble pour leu z’indépendance, qu’y gagnèrent officiellement en 1648 après 80 ans de guerre.
Fini! N’avait pu, de roi! Les Provinces-Unies, c’tait une république! Les dirigeants étaient élus – pas au suffrage universel, mais une affaire à’fois. Pis c’tes dirigeants-là, y’étaient une bonne gang à faire partie de l’élite bourgeoise pis pas, tsé, d’la noblesse.
À une époque où, juste l’autre bord d’la frontière, une trâlée de nobliaux en perruque jouaient du coude pour assister au ti-caca de Louis XIV, c’tait pas mal progressiste, comme gouvernement.
Le gouvernement des Provinces-Unies, c’tait une bébitte un peu étrange. Les sept provinces restaient indépendantes, avec chacune leux régents, leu monnaie, leux lois pis leu système de justice. Pour jaser d’affaires qui touchaient tout l’monde, genre l’armée pis la politique étrangère, y’envoyaient chacune leu délégué, ou « pensionnaire » à une assemblée qu’on appelait les États généraux.
Y’avait pas d’premier ministre, pas d’président, rien. Juste sept provinces qui d’vaient essayer de s’accorder du mieux qu’y pouvaient.
Quand même, pour faciliter les affaires, y’avait un des pensionnaires – celui d’la Hollande, parce que c’tait la province la plus grosse pis la plus riche – qui était nommé grand-pensionnaire.
Son rôle à lui, c’est ben toffe à expliquer parce qu’on n’a pas vraiment d’équivalent dans nos systèmes politiques d’à c’t’heure. Mais, dans l’fond, le grand-pensionnaire, c’tait un peu le WD‑40 des États généraux.
C’tait un genre de président d’assemblée, de top conseiller pis de haut fonctionnaire. En principe, y’était jamais censé prendre de décisions lui-même, juste huiler la machine pis faire c’que les États généraux avaient décidé. Pis quand y fallait une face pour parler aux autres pays, ben c’tait lui qui y allait.
Faique notre Johan de Witt dont j’vous ai parlé au début, c’est ça qu’y faisait dans’vie.
C’est lui, ça, Johan de Witt. Ch’trouve qu’y a une face moderne. Messemble que je le verrais avec un chignon, des stretchs dins oreilles pis une chemise carreautée me proposer une bière saison belge à la salsepareille….
C’tait un bourgeois, fils du maire d’la ville de Dordrecht pis une p’tite bolle des maths : y’avait écrit un traité publié en annexe d’la Géométrie de René Descartes, c’pas rien, ça, pis un des premiers traités modernes su « l’évaluation des rentes viagères par l’espérance mathématique », une p’tite lecture légère su’a plage à Puerto Plata.
Y’avait commencé sa carrière politique comme pensionnaire d’la ville de Dordrecht puis, à’faveur du pétage au frette du précédent pensionnaire de Hollande, y’avait été élu à c’te poste-là (pis donc au poste de grand-pensionnaire) en 1653.
Comme j’vous ai dit, un grand-pensionnaire, ça pouvait pas partir tu’seul de son bord pis faire c’que ça voulait. Johan avait aucun pouvoir officiel. Son seul privilège, c’tait de parler en premier dins assemblées; autrement dit, y pouvait donner l’ton pis mettre les idées qu’y voulait su’a table avant toutes les autres.
Après ça, c’tait lui qui présidait les débats, pis une fois que les mâche-patates s’taient faite aller, c’tait aussi lui qui rédigeait les « résolutions », ou les décisions rendues par les États généraux – une autre occasion de mettre subtilement sa touche dins affaires.
Avant toute, Johan avait le tour de s’servir de son influence pour que tout l’monde s’accorde sans se sauter dans’face; en vrai champion de l’accordéon, ça faisait 19 ans qui s’faisait réélire comme grand-pensionnaire.
Mais faut pas crère que, grâce à de Witt, les politiciens des Provinces-Unies s’faisaient des grosses colles, pratiquaient la communication non violente, s’organisaient des potlucks pis se t’naient main dans’main avec des fleurs dins ch’feux en chantant Imagine de John Lennon.
À toutes les paliers d’gouvernement, y’avait d’la tension entre deux factions. D’un bord, y’avait les républicains bourgeois, dont Johan de Witt. De l’autre, y’avait les orangistes – les partisans d’la maison d’Orange, c’t-à-dire les nobles les plus puissants des Pays-Bas pis c’qu’y avait de plus proche d’une famille royale.
Faut savoir que, quand les Provinces-Unies avaient gagné leu z’indépendance, Guillaume II, prince d’Orange, avait essayé de s’faufiler dins craques du changement de régime pis peut-être – les historiens s’astinent encore là-dessus – de devenir roi des Pays-Bas.
Lui, y’était le « stadhouder » de Hollande. En gros, ça voulait dire qu’y était le commandant en chef de l’armée des Provinces-Unies. C’tait pas censé être héréditaire, c’te fonction-là, mais ça faisait plusieurs générations que les Orange la monopolisaient comme ton grand frère pas fin qui voulait jamais te passer la manette quand vous jouiez à Street Fighter II en gang dans l’sous‑sol.
Guillaume, y’était pas content d’la paix qui avait été signée avec l’Espagne. La guerre, c’tait super bon pour le prestige de sa famille, pis y voulait que ça continusse! Faique y s’mit à manœuvrer par en arrière pour que la chicane arpogne.
D’abord, fallait qu’y empêche les États généraux de démobiliser l’armée. Y’essaya donc de flatter les régents des villes pis des provinces dans l’sens du poil avec des cadeaux pis des belles façons pour qu’y votent contre la démobilisation.
Mais tsé, quand tu sors d’une guerre de 80 ans, t’es pas mal écœuré, faique Guillaume récolta yinque un gros « bof ».
Frustré, l’prince d’Orange décida d’utiliser la manière forte : en 1650, y se servit de l’armée pour capturer six des régents qui l’faisaient plus étriver – dont l’père à Johan de Witt – pis arfusa de les libérer tant que les États généraux f’raient pas c’qu’y voulait.
Sa crisette fit son effet :
« Ok, ok, c’est beau, on la démobilisera pas, l’armée, là! Seigneur, chille, Ti-Will! »
Mais Guillaume eut à peine le temps de savourer sa victoire : queques mois plus tard, PAF! Y péta au frette, emporté par la variole à 24 ans.
Son trépas pogna tout l’monde les culottes à terre; c’tait un peu comme si, en pleine finale d’la coupe Stanley, les Golden Knights au complet s’taient faites effoirer dans un terrible accident de zamboni pis que les Panthers d’la Floride restaient tu’seuls su’a glace. Sauf que, tel un but scoré à 0,02 seconde d’la fin de la troisième, Guillaume III, le fils à Guillaume II, naquit huit jours après que son père eut passé l’arme à gauche.
La maison d’Orange était encore dans’game.
L’existence de c’te nouveau p’tit fruit-là faisait clairement pas l’affaire des républicains, dont de Witt. Pour pu que ça rarrive, des crisettes aristocratiques comme celle à Guillaume II, y travaillèrent ben fort pour que pu personne soit jamais nommé stadhouder en Hollande, écartant du pouvoir le prince encore au biberon. Pis une fois devenu grand-pensionnaire, de Witt organisa toute l’éducation à Guillaume Junior pour qu’y devienne un bon p’tit républicain.
Ça marcha pas ben ben. À’place, Guillaume III – Le retour de l’Orange, grandit en étant frustré de pas avoir la place qui aurait dû y’arvenir de plein droit, à son avis à lui pis à ses orangistes, qui l’défendaient avec autant d’ardeur que les swifties avec leu belle Taylor.
Pis là, vingt ans plus tard, le prince d’Orange argardait de Witt avec des tits yeux de crocodile qui dépassent à’surface de l’étang en guettant patiemment une occasion de le faire tomber.
Guillaume III d’Orange-Nassau, crocodile aristocratique.
L’année 1672 allait y donner drette ce dont y’avait besoin.
Jusque-là, ça allait tellement ben dins Provinces-Unies qu’on avait appelé les 100 dernières années « le siècle d’or ». Après s’être faite rentrer le catholicisme dans’gorge pendant 150 ans par l’Espagne, les Néerlandais, qui étaient une bonne gang à être protestants, avaient décidé de pu écoeurer personne avec une religion d’État. La liberté d’culte avait attiré plein d’monde de partout, pis y’avait eu une espèce d’explosion d’arts pis d’sciences pis d’commerce.
Mais, dans l’histoire du pays, 1672 est appelée rampjaar – traduction très TRÈS libre : « l’année où toute a chié ».
Quand les Provinces-Unies s’taient libérées de l’Espagne, y’avaient eu d’l’aide de la France pis de l’Angleterre. Tsé, pourquoi rater une occasion de faire la guerre par procuration à ton voisin péteux avec son tracteur à pelouse, sa piscine creusée pis son empire-colonial-plusse-gros-que-le-tien?
Mais là, qu’est-ce que les bourgeois au pouvoir avaient faite, depuis la création des Provinces-Unies? Y’avaient bourgeoisé, ben crère : sous leu direction, le pays était devenu une vraie puissance navale pis commerciale. Pis avec quiiiii ça les avait mis en compétition, ça?
Les Anglais!
Y’eut la première guerre anglo-néerlandaise, pis la deuxième guerre anglo-néerlandaise, deux chicanes navales qui durèrent deux ans chaque.
Un m’ment’né, Louis XIV, tanné, faut crère, des pâtés en croûte pis du foie gras qu’y engloutissait pendant que son peuple crevait d’faim, décida de s’arvirer contre ses anciens alliés pis de prendre une bouchée du territoire néerlandais à’place. Le roi Charles II d’Angleterre signa même un traité secret avec lui pour l’aider à conquérir les Provinces-Unies.
C’est là que toute prit l’bord pour les Néerlandais.
Comme j’vous disais, en bonne puissance navale, les Provinces-Unies avaient une flotte su’a coche; la preuve, le 7 juin 1672, une gang d’Anglais pis d’Français s’pointèrent par bateau en espérant débarquer su’é côtes néerlandaises, mais y s’firent arcevoir s’un moyen temps par l’amiral vedette Michel de Ruyter. Y leu fit tellement manger leux bas qu’y durent annuler toutes leux plans d’invasion par la mer.
L’armée d’terre, par’zempe, ça faisait dur pas mal.
Y’avait une raison pour ça, pis c’tait Johan de Witt. Bon, c’tait p’t-être pas juste lui, mais un gros boutte lui.
Tsé, l’idée des sept provinces unies, mais indépendantes, sans roi ni prince ni rien d’arsemblant? Johan, y’appelait ça la « vraie liberté », pis pour lui, c’tait l’affaire la plus importante au monde. Presque toute c’qu’y faisait, depuis quasiment 20 ans, c’tait pour protéger c’t’idéal-là, peu importe le prix.
Pis, vous vous rappelez la crisette à Guillaume II, 22 ans avant, avec l’armée?
Johan, lui, y’avait jamais oublié.
En plus d’abolir carrément la fonction de stadhouder en 1667, y’avait laissé l’armée de terre sécher comme un coton. Garder l’armée forte, après toute, c’tait comme cultiver une belle grosse pomme juteuse que Guillaume III pourrait être tenté d’cueillir.
À’place, Johan avait essayé d’utiliser son talent en jasette pour convaincre les royaumes voisins de pas attaquer les Provinces-Unies.
C’tait tu naïf, son affaire? P’t-être un peu.
Entécas, là, ça y pétait dans’face.
Wô, là, faut pas crère que de Witt restait planté là sans rien faire, comme l’empereur Honorius qui catichait ses poules pendant qu’Rome s’faisait piller par les Wisigoths : dès qu’la guerre avait été déclarée, y’avait tout faite pour donner des renforts à l’armée. Sauf qu’y était déjà trop tard, pis les Français avançaient comme un feu d’prairie – trop vite pour que les Néerlandais puissent vraiment s’arvirer d’bord.
Les villes des Provinces-Unies tombaient les unes après les autres. Dans celles qui étaient pas encore conquises, la panique pogna ben raide. Le monde sortaient dins rues en s’arrachant les ch’feux pis en criant Jésus Marie Joseph on va toutes mourir. Les Français arrivaient, pis y’avait rien ni personne pour les arrêter.
Les marchands décrissaient du pays en masse. La panique était pognée à’Bourse. Toute sacrait l’camp.
Malgré l’odeur de feu pis d’fin du monde, Guillaume d’Orange, lui, était mort de rire : c’tait enfin sa chance de faire passer de Witt pis les républicains pour une gang de cocombres mous pis de montrer que si ça avait été LUI, le boss, y’a rien de t’ça qui s’rait arrivé.
Sa patience de crocodile allait enfin payer.
Ses partisans, les orangistes, se mirent à crier su tou’és toits que toute était d’la faute de Johan de Witt pis qu’y fallait nommer Guillaume III stadhouder. Dins rues, y s’distribuait des pamphlets écrits par on sait pas qui qui accusaient de Witt de toutes les torts, de l’incompétence crasse à’haute trahison. Du haut d’leu chaire, les curés sautèrent aussi dans l’tas contre le grand‑pensionnaire, eux autres qui haïssaient les idées républicaines pis la maudite liberté de religion.
La populace fut facile à crinquer. La vieille idée d’un souverain de droit divin qui sait d’instinct c’qui est bon pour son royaume, ça avait la vie dure. De Witt pis ses proches, à côté, avaient l’air d’une gang de péteux d’broue qui s’pensaient meilleurs que les autres pis qui travaillaient pas pour les intérêts du vrai monde.
Johan, qui sentait toute y filer entre les doigts comme une pognée d’sable de grève, allait goûter à’rage populaire jusque dans sa chair. Le soir du 21 juin, y’arvenait d’la job avec deux serviteurs quand y s’fit sauter d’ssus par quatre jeunes gars qui voulaient pas juste y péter la gueule : y voulaient l’assassiner.
Y poignardèrent Johan dins côtes pis à l’épaule; y s’écroula à terre pis s’péta la tête solide su les pavés d’pierre. Le croyant mort, les flos se sauvèrent.
Johan était magané, mais y survécut.
Les flos, toutes des fils de politiciens orangistes, furent arrêtés, pis le chef d’la gang, Jacob van der Graeff, fut condamné à mort. L’explication qu’y donna à son procès?
« Johan de Witt, c’t’un traître! Y reste là assis su ses mains tandis que les Français nous ramassent! C’qu’y veut, c’est donner not’pays au roi d’France! C’t’un astie de traître! »
C’tait drette le discours qui circulait dans’population, qui l’avait attisé jusqu’au meurtre. Son exécution aida vraiment pas à calmer l’jeu; pire, ça eut l’effet d’une can de gaz s’un feu d’la Saint-Jean :
« De Witt était même pas si blessé que ça! Ça valait pas la peine de mort! Y’a d’quoi de pas net là-dedans! »
« Y’avait raison, le p’tit gars! C’t’un héros, pis y l’ont tué! Traîtres! »
« Nommez Guillaume d’Orange stadhouder pis clairez-moé de d’là c’te racaille de bourgeois! Ça presse! »
Le 4 juillet, les régents des provinces durent se résoudre à nommer Guillaume III stadhouder – pas tant parce qu’y l’aimaient, mais plutôt parce que la population était rendue tellement enragée qu’y avaient peur de toutes se faire massacrer sinon.
Le 23 juillet, argardez don ça, vous autres, vous parlez d’un adon : Cornelius de Witt, le frère à Johan, un politicien lui avec, se fit accuser d’avoir comploté pour assassiner l’prince d’Orange!
Guillaume Tichelaer, le gars qui l’avait dénoncé, c’tait un barbier pis un maquereau notoire. Y’avait été vu par plein d’monde entrer dans l’camp de l’armée à Guillaume d’Orange avec une créâture de p’tite vertu pis en r’sortir une grosse bourse pleine de piasses – oui, ok, clairement y fournissait du woup’laïdou aux militaires, mais là, la bourse était tellement grosse qu’y avait pu s’permettre de fermer sa shop de barbier. Quand même, y fut pris au sérieux, pis Cornelius fut enfermé dans’prison de Gevangenpoort à La Haye.
Le 4 août, Johan de Witt alla voir Guillaume III pour dire qu’y démissionnait du poste de grand‑pensionnaire. Y’était ni cave ni trop tête dure, y voyait ben qu’y avait pu aucune crédibilité. Tsé, quand ça crie dans’rue que toute irait ben si t’étais mort, c’est l’temps de partir…
Mais là, Johan stressait surtout pour son frère. Cornelius avait été torturé pendant des heures, mais la seule affaire que les bourreaux avaient réussi à y faire cracher, c’tait un poème en latin su’l courage pis la vertu dans l’adversité. Un fuck you élégant, quoi.
Au procès, les juges avaient rien d’autre que l’témoignage du barbier proxénète pour condamner Cornelius. C’tait clairement pas assez pour le déclarer coupable, mais y savaient ben que si y’acquittaient le gars, la foule en avant d’la prison allait péter des vitres, tout arracher pis les lyncher su’a place publique.
Vers neuf heures et demie le 20 août, le verdict était tombé. Tichelaer sortit d’la prison en compagnie de deux orangistes particulièrement convaincus qui avaient passé l’matin à crinquer la foule. Y’annonça :
« De Witt est condamné à l’exil à perpétuité. J’vous avais dit que ch’contais pas de menteries! C’t’un traître! »
Pour les juges, c’tait l’meilleur compromis qu’y pouvaient faire. Mais pour le troupeau d’enragés qui était rassemblé là, c’tait une sentence bonbon pis une grosse christie d’farce :
« Maudite gang de juges vendus! On les égorge pis on brûle leu maison! »
Pis c’est drette c’qu’y auraient faite si, à c’te moment-là, la prison de Gevangenpoort avait pas été encerclée par les hommes d’la garde civique. Mais c’tait évident que c’tes gens-là allaient pas juste se disperser tranquillement. La journée allait être longue…
Vers dix heures, une jeune servante se pointa chez Johan. A dit qu’a venait de la prison pis que Johan devait aller chercher son frère parce que, supposément, y’était pu capable de marcher à cause de la torture.
De Witt pogna aussitôt sa froque pis allait sauter dans son carrosse, mais un de ses amis qui était là y dit :
— Tu trouves pas ça bizarre que c’t’une p’tite fille qui vienne te chercher, pis pas un garde ou quequ’un de plus officiel? Tu devrais attendre une confirmation avant de t’garrocher.
— Ouin, Papa, vas-y pas, dit sa fille Anne qui était là aussi. C’est super louche! J’ai peur qu’y t’arrive de quoi, pis à nous autres aussi!
— Ben non, vous vous en faites pour e’rien. Mon frère a besoin d’moé pis c’est toute c’qui compte. J’ai jamais eu peur du monde, pis m’as pas commencer ça aujourd’hui.
Faique la maudite tête dure à de Witt s’en alla à Gevangenpoort pis réussit à rentrer dans la prison avec la protection d’la garde civique.
Dès que Cornelius le vit arriver, y dit :
— C’tu fais là? T’aurais pas dû v’nir. T’aurais dû me laisser icitte, sauver ta peau pis mettre ta famille pis la mienne en sécurité!
— Ben non, fais-toé z’en pas. On va s’arranger pour cuisiner Tichelaer pis y faire cracher l’morceau, pis avec ça, on va interjeter appel! On va s’en sortir, tu vas voir!
Johan, naïf pis idéaliste, même quand l’couvert d’la chaudronne faisait keling-kelang, que la stime sortait de tou’és bords pis que l’lait était su’l bord de s’répandre partout su’l dessus du poêle.
Vers onze heures, Johan avait réglé toutes les formalités pour faire sortir Cornelius. Mais quand y s’enlignèrent pour sortir d’la prison, quequ’un cria :
« Les traîtres s’en viennent! »
Les gardes s’artournèrent contre les frères pis dirent :
« Artournez dans’cellule ou on vous tire dessus! »
Johan essaya de s’astiner, de demander si y pouvait pas sortir par une autre porte, mais les gardes pointèrent leu fusil su lui pis l’armèrent.
CLIC.
Dehors, la masse de monde grossissait pis grossissait pis continuait de réclamer la tête à Johan pis Cornelius. Vers une heure de l’après-midi, la garde civique au complet avait été déployée autour d’la prison. Trois compagnies de cavalerie furent appelées en renfort, mais y’avait tellement d’monde de taponné là qu’y réussirent même pas à s’rendre jusqu’à prison.
Un messager alla demander de l’aide à Guillaume d’Orange. En tant que stadhouder, y’était parfaitement capable d’envoyer des renforts, mais sa réponse fut ben simple :
« Non. »
Vers le milieu de l’après-midi, y s’répandit une rumeur comme de quoi une horde de paysans déchaînés s’en venaient piller la ville.
Vers quatre heures, la cavalerie arçut l’ordre de s’déployer aux ponts qui donnaient accès à’ville pour empêcher la supposée horde de paysans de rentrer. Quand y’apprit ça, leu capitaine fit une face :
« M’as y’aller parce que c’est les ordres, mais j’vous l’dis, les de Witt sont pas mieux qu’morts. »
À cinq heures, la foule s’écœura pis décida d’en finir.
Quequ’un fit sauter les pentures d’la porte d’la prison en tirant dessus, pis deux forgerons pétèrent les serrures à coups de masse.
Les émeutiers s’engouffrèrent dans’prison pis trouvèrent les frères de Witt qui lisaient dans la cellule à Cornelius, l’air ben relax.
— Aweille en bas! C’est l’heure de mourir!
— Tant qu’à nous tuer, pourquoi pas le faire icitte? répondit Johan.
— Parce qu’y faut que tout l’monde vous voye crever, qu’on y rétorqua.
Johan pis Cornelius se firent ramasser pis emmener de force en bas des marches pis dehors. Dans l’bardassage, ça a l’air que Johan eut l’temps de mettre sa main su l’épaule à son frère pis d’y dire :
« Adieu, mon frère. »
Là, j’vous l’ai dit au début : ça finit pas ben comme dans la Pat’Patrouille. Faique si l’écrapou vous écoeure, sautez jusque là où c’t’écrit ICITTE un peu plus loin, parce que ça s’ra vraiment, VRAIMENT pas beau.
Bon! À c’t’heure qu’on est entre nous autres, m’as vous dire exactement c’qui est arrivé à Johan de Witt pis à son frère Cornelius. J’me suis pas tapé des heures pis des heures de lecture su’a politique néerlandaise du 17e siècle pour passer par-dessus l’gluant pis l’croquant.
Les enragés avaient prévu d’emmener les de Witt à l’échafaud pis de les fusiller, mais Johan pis Cornelius se rendirent jamais là vivants. Dès qu’y passèrent la porte, les insurgés se garrochèrent su eux autres.
Cornelius mourut en premier, percé tous bords tous côtés par des baïonnettes, les piques pis des épées.
Johan fut crissé à genoux. Ses derniers mots furent :
« Citoyens! Qu’est-cé vous faites là? »
Pis on y tira un coup d’mousquet dans l’derrière d’la tête.
On aurait pu crère que les émeutiers se s’raient calmés après ça, mais y’a… de quoi… qui s’empara d’eux autres. De quoi… d’ancien pis d’épeurant. Une espèce de rage de sang animale, une frénésie épouvantable.
Les deux cadavres furent traînés jusqu’à l’échafaud pis pendus par les pieds. Le monde se ruèrent dessus, les déshabillèrent pis leu coupèrent toutes les bouttes pis dépassaient – les mains, les pieds, les oreilles, pis même le zouiz, que d’après certains témoins, on essaya d’leu z’arracher avec les dents.
Y leu crevèrent les yeux. Après ça, y leu z’ouvrirent le ventre. Y prirent le cœur, le foie, sortirent les intestins pis s’amusèrent avec comme si c’taient des guirlandes de Nwël.
Ceux qui avaient ramassé des organes ou d’autres morceaux s’improvisèrent des p’tites enchères :
« Quiiii veut un boutte de traître? Dix piasses? Douze piasses? Qui dit mieux? »
Y’en a qui sortirent des p’tits braseros pis s’mirent à rôtir des morceaux pour les manger. Y’avait des riches pis des pauvres, des nobles pis des ordinaires, des hommes, des femmes pis des enfants toutes ensemble dans l’plaisir pis l’agrément. C’tait comme un barbecue ben convivial dans une fête des voisins au parc municipal, mais dans un film d’horreur.
ICITTE.
C’est pas avant une heure du matin que la foule fut assez dispersée pour que les amis pis la famille réussissent à récupérer les deux cadavres, qui étaient pu pantoute arconnaisables.
Les frères de Witt étaient officiellement pu d’ce monde. Vraiment, mais vraiment pu d’ce monde.
D’la manière qu’y avaient été tués pis mutilés, on aurait dit que c’tait pas yinque un assassinat politique. Dites-le moé si ch’pars s’une chire, mais c’qui s’était passé là, c’tait comme un… un genre de rituel de purification?
J’vous parlais tantôt de l’idée que Guillaume d’Orange était le vrai souverain de droit divin des Pays-Bas, tandis que les de Witt pis les autres bourgeois passaient pour gang de tyrans qui avaient pas d’affaire là.
Ben, c’tait comme si la foule, à c’te moment-là, avait rétabli l’autorité du Bon Dieu pis purgé l’royaume des méchants usurpateurs dans une orgie de sang pis d’violence. Un genre de sacrifice humain pour calmer l’courroux du Seigneur…
Mais bon, ch’t’après m’écarter.
La victoire à Guillaume III était TO-TALE. Y’était stadhouder, son pire ennemi était extrêmement pu là, pis y’avait même pas eu à se salir les mains.
Mais, y’était-tu vraiment blanc comme neige?
Pense pas, moé.
À sa défense, y croyait probablement pas que ça allait virer si pire que ça. Quand on y raconta c’qui venait d’se passer, y passa proche de pâmer.
Mais! Après la première tentative d’assassinat pis avant sa démission, Johan avait demandé au prince d’Orange de faire arrêter la campagne de salissage contre lui, mais y’avait arfusé parce que « ça dérangerait du monde à qui y d’vait sa gratitude ».
À part ça, c’te maquereau de Tichelaer? Dins années qui suivirent, y’arçut mystérieusement une pension jusqu’en 1702, l’année d’la mort à Guillaume III. Les rumeurs de paysans enragés qui fonçaient su La Haye, pis finalement c’tait pas vrai? C’tait clair que quequ’un avait parti ça par exprès pour éloigner la cavalerie. Pis j’vous rappelle que quand Guillaume III s’tait faite demander des renforts pour protéger la prison, y’avait dit non.
Pire encore, le stadhouder ordonna pas d’enquête. Personne fut accusé de rien. Tout l’monde savait exactement qui avait tiré Johan dans’tête, mais l’gars fit jamais face à la justice pour ça.
Dans l’meilleur des cas, l’prince d’Orange savait c’qui s’grenouillait pis y’avait juste laissé ça aller.
Toujours est-il qu’après, les choses finirent pu de ben aller pour lui. Y réussit à arpousser les Français pis signa la paix de Nimègue en 1678. Y devint même roi d’Angleterre en 1689, mais ça, c’t’une autre histoire que j’vous conterai p’t-être un m’ment’né.
Je l’sais pas pour vous autres, mais moé, tout l’long de cette histoire-là, ch’sentais comme un malaise. Si un massacre aussi épouvantable a pu arriver tout d’un coup dans une société supposément « civilisée » pis même « évoluée » où c’que florissaient les arts pis les sciences… Qu’est-ce qui nous dit que ça pourrait pas rarriver au jour d’à c’t’heure?
Sources :
Herbert H. Rowan, John de Witt : Statesman of the « True Freedom », Cambridge University Press, 1986. Wout Troost, William III, the Stadholder-King: A Political Biography, Routledge, 2005. Ingrid Frederika DeSanto, Righteous Citizens: The Lynching of Johan and Cornelis DeWitt, The Hague, Collective Violence, and the Myth of Tolerance in the Dutch Golden Age, 1650-1672, University of California, 2018.
Heille, j’ai le goût de vous parler d’ma famille, pour une fois, pour changer.
Quand ch’tais p’tite, mes parents, mon frère pis moi, on allait passer des étés d’temps su’l bord du fleuve dans l’boutte de Grosses-Roches, en Gaspésie.
Nous autres, on campait les pieds dans l’Saint-Laurent pis l’dos accoté après la côte, au travers des arbres pis du foin. Au début de l’été, mon père parquait l’char en haut, su’l bord de la 132, pis y clairait le ch’min jusqu’en bas à’machette. On descendait toute notre stock à bras – pas de 4 roues! On avait pas d’roulotte ni d’auvent ni d’patio, juste une tente pis un abri moustiquaire.
Notre toit, c’tait d’la polythène; nos planchers, c’taient des panneaux de veneer terris avec la marée. Notre toaster, c’tait le feu d’camp; notre toilette, c’tait un vieux seau de scellant à « sphatte » – comme disait mon père – qui te coupait l’sang dins fesses quand ton numéro 2 niaisait trop dans l’coude. On avait même pas de sable su’a grève, viarge : la place s’appelait pas Grosses-Roches pour rien!
C’tait sauvage pis c’tait modeste. Malgré ça, j’en garde un maudit beau souvenir. J’ai grandi à courir su’é roches, pis mes ch’feux sentaient la fumée pis l’air salin. Votre chalet su’l bord du lac avec la tévé pis l’bol qui flushe? J’vous l’envie pas pantoute.
Mais tsé, on tombe pas en amour avec une place de même en arrivant là par hasard.
Si j’armontais la côte pis à chaque fois que ch’traversais la route, ch’pouvais voir une vieille p’tite maison : la maison d’enfance à ma grand-mère du bord à mon père, construite s’un lot acheté par l’arrière-arrière-grand-père dins années 1870.
Autrement dit, la terre au bord du fleuve appartenait à la famille depuis au-dessus de 120 ans.
Du bord à ma mère, j’ai plein de matantes pis une trâlée de cousins; chus pas mal gâtée. Mon père, lui, était enfant unique, faique son bord à lui a toujours été un peu lointain pour moi. C’est plate de même. Mais ça m’a pas empêchée d’être intriguée pis de fouiller un peu dans l’histoire familiale, pis argardez don ça, j’ai trouvé des personnages pas mal fascinants!
À commencer par mon arrière-arrière-grand-père, qui est venu s’installer au milieu de nulle part entre Grosses-Roches pis Les Méchins pis qui a défriché la terre quand la 132 était à peine plus qu’une p’tite trail de bouette. Ça a d’l’air que c’tait toute qu’un bonhomme.
Son p’tit nom, c’tait Sévère. Ouep : mon arrière-arrière-grand-père était littéralement le père Sévère! Pis y’était ben nommé, à part ça : y’avait eu 14 enfants, pis tout l’monde chez eux savait se t’nir les fesses serrées. Ma grand-mère disait que, quand y faisait son somme, fallait même pas faire craquer l’plancher de peur de manger une claque en arrière d’la tête.
Sa première femme était morte à 26 ans, pis cinq mois plus tard, Sévère s’tait armarié avec Marie, mon arrière-arrière-grand-mère. Pas d’temps à perdre, hein?
Y’ont été ensemble pendant 47 ans, jusqu’à ce que Marie meure. Sévère s’est artrouvé veuf à 79 ans. À c’te moment-là, y vivait avec son garçon Joachim, sa bru Arthémise pis ses petits-enfants. Y’était ni tu’seul ni mal pris. Pourtant, le vieux snoro, y’a décidé de s’pogner une troisième femme! À son âge! Pis les détails sont franchement croustillants…
D’abord, la troisième femme, Marie-Louise, était beaucoup plus jeune que lui. A l’avait 49 ans – l’âge d’être sa fille! Son mari était mort quasiment en même temps que la femme a Sévère, pis y se sont mariés un an après.
Y’a pas yinque la différence d’âge qui m’bogue. En fouillant un peu, j’ai découvert de quoi dont personne m’avait parlé : Marie-Louise, là, c’tait pas une inconnue qui arrivait dans l’décor! A l’était déjà dans la famille : sa fille Henriette était mariée avec Guillaume… un autre garçon à Sévère. C’tait la mère de sa bru!
Moé, ça me rentre pas dans la tête : comment une jeune veuve de c’t’âge-là, qui avait hérité du magasin général du village à la mort de son mari pis qui était pas dans l’besoin pantoute, en est venue à marier l’père de son gendre, qui avait l’âge d’être son père à elle? Y’était où, son intérêt là-dedans? C’tait-tu un genre d’entente à l’amiable pour garder les avoirs dans’famille, Habsbourg-style? Ou bedon, ça cache-tu une histoire d’amour sortie d’un film de Léa Pool avec, genre, Gilles Renaud pis Hélène Florent qui s’échangent des r’gards de braise par en d’sour pendant les veillées de famille?
Ça m’intrigue ben gros, mais en même temps, ch’pas sûre que je veux TROP en savoir.
À part de t’ça, on m’a raconté que les deux vivaient pas ensemble. Marie-Louise restait au village à s’occuper du magasin; les vendredis, Sévère s’mettait su son 31, attelait le ch’fal au buggy pis s’en allait la trouver en sifflant comme un tit moineau.
Ma grand-mère m’a dit que pour elle pis ses frères et sœurs, quand y partait, c’tait le meilleur moment de la semaine.
Pis moé ch’pense à mon arrière-grand-mère Arthémise, une sainte femme, elle qui était pognée pour endurer l’air bête du beau-père à la semaine longue tandis que son mari était parti travailler su’a Côte Nord! A devait-tu être contente d’avoir la paix pour deux jours, un peu?
C’t’arragement-là – qui était quand même franchement moderne pour 1930, on va se l’dire – a pas duré ben longtemps : Sévère est décédé après un an de mariage. Mais un bonhomme comme lui, ça part pas discrètement dans’nuite : y’a une légende familiale su sa mort qu’y faut absolument que j’vous conte.
Faique mon père m’a dit que mon arrière-arrière-grand-père, qui s’intéressait ben gros à la politique, participait à un événement au village avec le député. Pis là, le député a voulu scorer queques points en offrant une p’tite shot de caribou « au doyen du comté ». Sévère, trop content de s’faire flatter dans l’sens du poil, se s’rait enfilé le caribou d’une traite. Pis là, on sait pas si y s’est étouffé ou si y’a pété du cœur, mais couic! Y s’rait tombé raide mort en avant de l’assemblée.
Maginez la face du député!
Sévère, je l’ai pas connu, vous vous en doutez ben. L’autre personne dont j’veux vous parler, elle, oui. Entécas, façon de parler. J’vous explique.
Comme j’vous disais, où on campait nous autres, y’avait pas de sable, juste d’la grosse roche ronde. Y’avait même un rocher énorme que quequ’un dins temps immémoriaux avait nommé le Gros Cran, direct en face. C’tait vraiment une sapristi d’grosse roche – j’vous dis, y’a des touristes qui se déplacent pour moins que ça.
Ça, c’est pas le Gros Cran. C’t’une autre roche qu’y avait à côté.ÇA, c’est le Gros Cran. La roche de l’autre photo? Est en bas à gauche…
En plus, notre spot était situé s’une p’tite pointe qui s’avance dans le fleuve, exposée au vent frette. Faique, quand on voulait s’mettre à l’abri pis marcher un peu dans le sable, on suivait la plage vers l’est jusqu’à ce qu’on atteigne « l’anse d’la tante Toinette ».
Officiellement, la région d’la Haute Gaspésie commence juste de l’autre bord du village des Méchins. Mais ses beaux paysages, tant qu’à moé, y commencent à l’anse d’la tante Toinette. Tu vires le croche su la 132, pis paf! T’es ailleurs. Tout d’un coup, y’a des falaises, pis c’est tellement magnifique que, dans l’temps où ça roulait pas aussi vite, sur la gravelle, pis que l’tour de la Gaspésie était une vraie aventure, les touristes s’arrêtaient pour prendre des photos.
L’anse d’la tante Toinette, y’a juste nous autres qui appelaient ça d’même, ben sûr. Vous trouverez pas c’te nom-là su’l site Web d’la Commission de toponymie.
Quand on arrivait, je voyais toujours mon père lever les yeux vers le haut de la côte.
Perchée là, y’avait une p’tite maison, encore plus p’tite pis plus vieille que l’autre dont j’vous ai parlé tantôt, en bardeaux d’cèdre à la grandeur. C’tait la maison d’la fameuse tante Toinette.
Matante, étrangement, malgré toutes les années que j’ai passées là, j’me suis jamais adonnée à la voir en personne. Toute c’que je savais, c’est qu’a l’existait pis qu’a vivait là, dans sa tite maison figée dans l’temps. Qu’a l’était très vieille, aussi. Qu’a l’avait un potager avec des légumes, des fleurs pis des plantes médicinales, pis que ses épouvantails, c’taient des cadavres de corneilles plantés su des bâtons. Pis que les cadavres avaient toujours l’air frais.
De ce que je comprenais, dans ma tête d’enfant pis avec l’information limitée que j’avais, Matante Toinette, c’tait plus une entité surnaturelle qu’une personne. Un genre d’esprit du lieu. Pis quand mon père argardait en haut d’la côte, c’est que, d’une certaine façon, y voulait être sûr d’avoir sa permission avant d’aller plus loin.
Tsé, c’tait pas comme si ça prenait un formulaire signé chaque fois qu’on se pointait. En gros, si a sortait pas de sa maison en hurlant de s’en aller, maudits étranges, c’est que c’tait correct. Mais le danger était réel.
Une des premières fois où mon père a emmené ma mère là, quand y’étaient tout jeunes amoureux, Matante Toinette est sortie de sa maison en hurlant pis en faisant des sparages; avec sa robe noire pis ses cris stridents, a l’avait l’air d’une des corneilles qui lui servaient d’épouvantails.
Mon père a ben essayé de lui crier :
« Matante, c’est correct, c’est moé, Gaston! »
Mais a l’était rendue sourde, pis y’avait rien à faire. Alors, mon père a dit :
« A m’arconnait pas. Viens-t-en, Brigitte, on f’rait mieux d’y aller avant qu’a sorte son douze. »
Pis P’pa exagérait pas. Sur la plage en bas de sa maison, y’avait trois cabanes abandonnées, deux tombées à terre pis une qui tenait encore deboutte. Selon la légende – j’ai vraiment aucune idée si c’est vrai –, Matante avait donné à trois gars – c’tait p’t-être ses neveux, mais ch’pas sûre – la permission de se construire des chalets là. Mais un jour, a se s’rait tannée des partys pis du bruit pis de l’énarvage, pis a l’aurait chassé les trois gars à la pointe du fusil.
Matante Toinette est finalement décédée en 2004 à l’âge de 96 ans, sans que je réussisse jamais à la voir en chair pis en os.
À c’te moment-là, ses descendants ont juste placardé sa maison sans rien toucher dedans, comme si y’avaient peur qu’a r’vienne de l’au-delà si y dérangeaient quoi que ce soit. Pis aujourd’hui encore, la maison est là, intacte pis ben visible d’la route.
J’en aurais probablement pas su plus au sujet de la légendaire matante si, des années après sa mort, j’avais pas traduit les mémoires à Rollande, la sœur à ma grand-mère. Pourquoi a l’avait écrit ses mémoires en anglais, c’t’une autre histoire; mais entécas, dedans, y’a un chapitre complet su Matante Toinette.
Là, j’ai découvert la madame en arrière de l’entité surnaturelle. Pis franchement, j’argrette de pas avoir eu la chance d’la connaître.
D’abord, c’tait QUI, Matante Toinette? On me l’avait jamais vraiment dit. Ben, surprise, j’vous en ai déjà parlé! C’tait nulle autre qu’Henriette, la fille à Marie-Louise pis la bru à Sévère!
Là vous vous dites : comment ça c’est Henriette t’as dit Toinette ça marche pas, ça!
C’est plate, mais j’ai pas d’explication. Tout le monde dans la famille l’appelait Toinette, pis j’ai juste su qu’a s’appelait Henriette quand j’ai fouillé dans la généalogie pis les faire-part de décès. Pourquoi on l’appelait un autre nom que celui su son baptistaire, j’ai ben peur que ça reste un mystère.
Toujours est-il que Sévère avait séparé sa terre entre trois de ses gars : un boutte à Joachim, mon arrière-grand-père; un boutte à François, qui avait perdu un bras pis un oeil dans un accident de dynamite pis qui avait toujours l’air bête (les deux étaient probablement liés; tsé, on s’rait grognon à moins); pis un boutte à Guillaume, alias Ti-Yam, le mari à Henriette/Toinette.
Joachim pis François se sont construit des maisons neuves, tandis que Guillaume a hérité d’la vieille maison familiale qui datait des années 1870.
Malheureusement, Ti-Yam est mort au début d’la trentaine, emporté par une bête pneumonie. Toinette s’est artrouvée veuve, mère d’une p’tite fille, enceinte d’une autre, pis l’cœur pété en milles morceaux.
Son Ti-Yam, c’tait l’amour de sa vie! Faique son trépas l’a un ti-peu… changée.
À partir de d’là, Toinette a pu yinque porté le noir du deuil, jusqu’à son dernier souffle. Yinque du noir, tou’és jours, pendant plus que 70 ans!
Faique vous vous en doutez ben, a s’est JAMAIS armariée. C’est pas parce qu’a manquait de soupirants : une belle jeune veuve au ch’feux noirs comme la nuit qui tombent en bouclettes, avec une terre pis une maison! Si a l’avait voulu, a l’aurait pu s’faire un lineup de monsieurs pis choisir dans l’tas. Mais non.
Au lieu de s’intéresser à des monsieurs en chair et en os, a préférait tomber en amour avec des hommes inaccessibles, comme Roger Baulu, un ancien animateur à Radio-Canada à la belle voix de prince savant, ou bedon avec un mystérieux inconnu avec qui a l’a échangé des lettres durant des années.
Après le départ à Ti-Yam, a l’a pu jamais rien changé dans la maison. A s’tait ben faite poser l’Hydro pis une douche un m’ment’né, mais sinon, toute est resté pareil comme dins années 1930.
A l’a pu jamais rien jeté, non plus.
Au fil du temps, sa maison s’est remplie : des revues pis des catalogues Eaton; des bouteilles de médicaments vides; des couvertes pis du vieux linge; les affaires de bébé, les livres d’école pis les devoirs de ses filles. Vers la fin, toutes les pièces étaient remplies jusqu’au plafond, tellement qu’y avait quasiment pu de place pour marcher. Pis les habits à Ti-Yam étaient restés accrochés au pied du litte, comme si y’allait arvenir d’un moment à l’autre.
Vous savez quoi? Y sont probablement encore là. Comme j’vous ai dit, à ma connaissance, la famille a rien touché. La maison est comme Matante l’a laissée y’a 20 ans. Moé, entécas, quand ch’passe en avant su’a route, ça m’serre toujours un ti-peu l’cœur. Ch’peux pas m’empêcher d’penser que c’est comme un monument à la vie de Matante, pis surtout, à ce que sa vie aurait pu être si Ti-Yam avait vécu. C’est poignant, pareil. Pis maudit que j’aimerais ça voir toutes les reliques qu’y a là-dedans!
Mais wô, Matante Toinette, c’tait pas yinque d’la poussière pis d’la tristesse. Au contraire, ma tante qui a écrit ses mémoires dit que c’tait une ricaneuse quasiment toujours d’bonne humeur.
A l’a élevé ses deux filles toute seule sans jamais d’mander la charité. A l’avait un frère resté vieux garçon qui lui donnait un coup d’pouce, mais c’est toute. Avec son potager, ses confitures de p’tits fruits cueillis à la main, sa vache, ses poules, ses oies, ses moutons pis ses cochons, a l’aurait faite l’envie des p’tits jeunes d’à c’t’heure qui trippent su l’autosuffisance alimentaire.
A s’est battue bec et ongles contre Hydro-Québec pis l’gouvernement provincial qui voulaient l’exproprier pis tasser sa maison de l’autre bord du ch’min. Au final, la maison a pas bougé, mais la route s’est tellement élargie que les chars passent pratiquement dans le salon.
Matante Toinette, c’tait une femme courageuse pis pleine de r’sources, aussi bonne pour tisser des catalognes que pour monter un gâteau de noces de trois étages. En plus, a l’avait 11 chats, la preuve qu’a savait ben s’entourer. C’qui faut artenir avant toute, c’est qu’a l’était hyper loyale pis aimante envers les membres de sa famille… Quand a les arconnaissait, ben sûr. Pour les autres, a pouvait avoir l’air d’une vieille corneille enragée. Faique tsé, ça vous étonne-tu qu’avec le temps, la vieille veuve su’l bord d’la côte a commencé à avoir une réputation de sorcière?
Y’a tellement d’autres affaires que je sais pas su ma famille du bord à mon père. Ma grand-mère est décédée v’là vingt ans, pis malheureusement, j’ai pas allumé assez vite su l’histoire familiale pour y poser toutes les questions que j’ai à c’t’heure. Faique j’vous encourage à parler à vos grands-parents si c’t’encore possible. Vous savez pas c’que vous pourriez découvrir, pis ça s’rait ben triste que toutes ces histoires-là s’perdent à jamais!
Bon! Heille! J’me lance dans l’vide pis j’ai un ti vertige.
J’vous présente mon premier VIDÉO!
C’est faite avec les moyens du bord su’l coin d’la table d’la cuisine, mais comme j’disais, y’a ben de l’amour là-dedans. J’ai toute appris au fur et à mesure (la prochaine fois, dites-moi don de pas commencer avec un vidéo de 12 minutes 😆)
Un gros MERCI à Frère André* pour son énorme aide. J’aurais pas réussi sans lui. Pis un gros merci à Christine Labrecque pour ses super dessins de saint Nic ❤ Maudit qu’chus ben entourée!
*Pour les nouveaux icitte, Frère André, c’est mon frère. Qui s’appelle André. Le vrai frère André descend pas du ciel pour me montrer comment utiliser les programmes de son pis d’vidéo pis Photoshop. Ça serait cool, par exemple.
(Ce texte-là a d’abord été publié su Facebook – si vous suivez mon Facebook, c’est rien de nouveau)
C’tu moé ou on sent une certaine tension entre sainte Anastasie d’Illyrie pis sainte Parascève d’Iconium dans c’te peinture du 15e siècle?
Au départ, mon idée, c’tait juste d’écrire ça, de publier l’image, pis tiguidou.
Mais, comme j’doute toujours de toute, ch’t’allée vérifier à la source si le mari à Anastasie était débauché tant que ça.
Dans Wikipédia, ça dit : « Romaine d’origine, elle est mariée à un débauché nommé Publius. »
Sauf que dans La légende dorée de Jacques de Voragine, best-seller du Moyen-Âge et source ultime pour toute c’qu’y est saint, ça dit que Publius était païen pis pas fin, mais ça dit pas qu’y était particulièrement débauché. J’vous dis, faut TOUJOURS TOUTE vérifier.
Mais même si l’histoire à Anastasie arsemble pas mal aux autres histoires de saintes romaines (mari païen qui veut contrôler sa vie – gouverneur méchant qui la torture – miracle – mort en martyr – fin), en plein milieu, y’a comme une dérape avec trois servantes pis ça vire complètement burlesque. J’vous résume.
En gros, Anastasie avait trois servantes chrétiennes qui s’adonnaient à être des sœurs : Irène, Chionie pis… Agapite. C’t’un p’tit nom qui arvient pas trop à’mode, ça, hein, Agapite? Tant qu’à ça, Chionie, ça annonce rien de bon pour le secondaire 2.
Malheureusement pour elles, un gouverneur vicieux les avait spottées pis avait ben envie que les p’tites pitounes viennent faire un tour su’és genoux à mononc’, si vous voyez c’que j’veux dire.
Ne voulant rien savoir, les trois voulurent se sauver, mais le gouverneur les fit enfermer dans un cagibi où c’qu’on gardait les ustensiles de cuisine. Pourquoi yé z’avait pas faite emmener à queque part de plus confortable, genre sa chambre, fouillez-moé – les p’tites places renfermées avaient-tu des associations spéciales pour lui?
Toujours est-il que, quand l’gouverneur entra dans l’cagibi, le Seigneur avait rendu les filles invisibles; faique à’place, le gars zigna un tas d’chaudronnes pleines de suie – pis y s’en rendit même pas compte! Ça, tant qu’à moé, c’est le plus gros miracle d’la patente.
Vous m’creyez pas? V’là ce qui est écrit dans La légende dorée :
« Et le gouverneur, qui brûlait de l’amour qu’il avait pour elles, alla à elles pour assouvir sa luxure, et il croyait avoir affaire aux vierges, et il trouva pots et chaudrons, poêles et autres outils semblables, et il les accolait et baisait. »
Ça devait mener un train d’enfer, toute ça. Imaginez quequ’un qui passait dans l’corridor à c’te moment-là pis qui entendait des « kaklang kaklang kaklang » – y’avait d’quoi s’poser des questions!
Quand le gouverneur eut fini son affaire pis sortit du cagibi, y’était toute débraillé pis graissé de suie d’la tête aux pieds. Y t’avait tellement une allure épouvantable que, quand ses serviteurs le virent, y crièrent « Aaah! Un démon! Fessons dessus! » Tsé, comme ferait n’importe qui de sensé.
Après y’avoir crissé une volée à coups de bâtons, les serviteurs du gouverneur se sauvèrent à’course, le laissant là toute poqué. Y décida donc d’aller brailler à l’empereur. Mais, partout su son chemin, on continuait de l’fesser à coups de poings pis de bâtons pis on y crachait dessus.
Autour de lui, ça criait : « Laitte! Laitte! Gros démon laitte! »
« Ben voyons, pourquoi c’qu’on m’persécute de même? »
Le gouverneur comprenait rien de c’qui s’passait, pis la raison était ben simple : le Seigneur l’avait aussi rendu aveugle, faique y’avait aucun moyen de s’voir l’allure.
L’histoire dit pas comment, mais notre libidineux légat finit par s’mettre à l’abri. C’est là qu’on y’expliqua qu’y avait traversé la ville en ayant l’air d’avoir passé la nuite dans l’poêle. Face à c’t’information-là, y pouvait tirer deux conclusions :
J’ai zigné des chaudronnes graissées de suie dans un cagibi comme un bazouelle d’animal, faique j’me suis artrouvé tout graissé moé’ssi.
C’est des sorcières pis y m’ont jeté un sort pour me rendre laitte.
Laquelle qu’y choisit, vous pensez?
« Qu’on les déshabille tout nues, c’tes maudites guédailles-là! »
Quand les gardes s’approchèrent pour les dégreyer, le linge des trois sœurs – qui, euh, avaient réapparu depuis tantôt, on dirait ben – s’colla tellement serré su elles que c’tait impossible de leu z’enlever.
Pis tout d’un coup, le gouverneur tomba endormi.
L’histoire des sœurs finit d’même, pis après, ça r’vient à Anastasie.
C’est ça, la beauté des récits de sainteté écrits au Moyen-Âge : au moment où tu t’y attends le moins, ça vire en pestacle de Guignol avec des marionnettes qui s’fessent à coups de bâton!
Mon livre est officiellement en vente dins librairies! Pis y se commande aussi en ligne, à part ça : su’l site de Québec Amérique, su’l site Les Libraires, su Renaud-Bray, su Archambault, su’l démon (Amazon) pis à ben d’autres places, probablement!
Elle imagine ainsi sans complexe ce qu’auraient pu être les discussions entre ces personnages du passé laissant place à des situations facétieuses. Sans compter sa revisitation personnelle de la grammaire, conjuguant par exemple dans tous les temps le très chantant verbe « arsoudre ». Un premier ouvrage qui vaut tous les détours.
À part de ça, c’est mon lancement à soir, à la Librairie Morency su’a 3e avenue à Limoilou! Si vous êtes dans l’boutte, v’nez faire un tour! J’vas lire une histoire inédite, à part ça!
Pis enfin, j’étais en entrevue mercredi matin su’és ondes d’ICI Gaspésie-Les-Îles!
Quand queque chose arrive pas aussi vite que j’voudrais, ch’fais l’bacon pis j’dis :
« Si ça arrive pas tu’suite, ça arrivera jamaaaaaais! »
Ch’t’aussi ben perfectionniste pis j’ha-guis être pognée en défaut pis pas réussir.
Bref, ch’pas reposante; vous en parlerez à Mononc’Poêle.
Mais heille, ch’s’rai jamais aussi pire que François Vatel, le « contrôleur général de la bouche » du prince de Condé au château de Chantilly.
Ça mérite un ti-peu d’contexte, hein?
D’abord, « contrôleur général de la bouche », ça veut pas dire que l’bon monsieur Vatel avait comme job de tchéquer l’haleine du prince à chaque fois qu’y sortait d’chez eux ou qu’y arcevait d’la visite.
La « bouche », au 17e siècle, en France, ça voulait dire toute c’qu’y avait rapport au manger dans’maison du monde d’la noblesse. Autrement dit, Vatel s’occupait de faire les listes d’épicerie pis d’organiser les repas – des soupers intimes avec yinque 5 services pis d’la tite musique de chambre aux gros banquets à 3 000 personnes avec des jongleurs pis des feux d’artifice.
Les 23, 24 pis 25 avril 1671, Vatel avait une maudite grosse commande : son boss arcevait Louis XIV, le Roi Soleil EN PERSONNE!
En plus, pour le prince de Condé, fallait absolument que toute se passe comme su des roulettes.
L’affaire, c’est que Condé avait un ti-peu pris les armes contre son cousin Louis XIV pendant la Fronde, dins années 1650, pis les deux étaient comme en frette depuis c’temps-là. En invitant le roi chez eux, le prince espérait vraiment arvenir dans ses bonnes grâces.
À part de ça, Condé avait vraiment besoin d’un bon pouish de Febreeze Aube calme à la vanille™ pour couvrir l’odeur de scandale qui le suivait depuis qu’y avait accusé sa femme d’avoir commis l’adultère avec un domestique pis qu’y l’avait faite enfermer dans une tour.
Pis toute ça tombait su’és épaules à Vatel, qui stressait en baptême.
Les menus, les tables, le décor, la musique, le divertissement, y’avait pensé à toute pis y s’tait fendu en 4 pour que toute soit PAR-FAIT. Y voulait que son boss soit content, mais pas yinque ça : pour lui, c’tait une question d’honneur.
Le jeudi 23, la visite arriva à Chantilly – le roi pis les 3 000 personnes attendues, plus 75 agrès pas de classe qui décidèrent de s’pointer aussi, sans avertir.
Y furent accueillis comme les autres, hein; pas question d’les arvirer d’bord, ça s’faisait juste pas.
Mais y manqua un rôti à deux tables. Pas si grave, tsé, s’une vingtaine de services à 25 tables!
Vatel le prit MAL. Y capotait ben raide pis y’hyperventilait. Y dit à Gourville, son second :
« Ah, ça a pas de bon sens! J’ai l’air d’un astie d’cave! J’m’en r’mettrai jamais! Gourville, va t’occuper de donner des ordres, moé, j’vois pu clair – ça fait 12 jours que j’ai pas dormi… »
Gourville, qui s’inquiétait de voir Vatel dans toutes ses états d’même, alla bavasser au prince de Condé. Pis Condé, qui aimait ben gros son contrôleur général de la bouche, s’rendit jusqu’à sa chambre pour y dire de slaquer l’autoflagellation :
— Vatel, toute est beau! Le souper du roi était ben beau! — Monsieur, vous êtes ben fin! Mais non! Y’a manqué un rôti à deux tables, ça a-tu d’l’allure! — Ben non, c’est correct. Relaxe, toute va ben!
Comble de l’humiliation, c’te soir-là, y’avait d’la grosse brume, pis le gros feu d’artifice organisé pour finir la soirée fit patate. Vatel passa une autre nuitte blanche à s’taper d’ssus pis à stresser pour le lendemain.
Le vendredi, c’tait un jour maigre, c’t-à-dire qu’y fallait pas manger d’viande; pis en plus, on était en plein carême.
Faique notre contrôleur général avait prévu un festin de poisson de mer. Dans c’temps-là, y’avait pas de frigidaires; le château était pas équipé pour garder le poisson dans des viviers, pis c’tait pas encore ben répandu d’utiliser d’la glace pour garder la bouffe au frais. Autrement dit, le voyage de poisson devait arriver le jour même, pis pas une menute en retard. À part ça, Chantilly était pas exactement au bord d’la mer.
À quatre heures du matin, Vatel faisait déjà le pied d’grue à attendre après son poisson :
« Voyons, qu’est-cé qu’y fait là, qu’y arrive pas mon poisson? »
Enfin, artontit un p’tit marchand avec sa charrette.
— C’est toute? fit Vatel, découragé; c’tait clairement pas assez pour nourrir le roi pis sa gang de poudrés (ch’parle pas d’la poudre qui rend funné, là). — Euh… oui? répondit l’marchand.
C’que l’marchand savait pas, c’est que Vatel avait passé des commandes dans toutes les ports de mer; faique, c’tait loin d’être toute.
Mais c’tait rien pour rassurer Vatel, qui continuait de s’tordre les entrailles à attendre. Plus l’temps passait, plus y désespérait, pis y’avait toujours pas d’poisson à l’horizon.
— Ahhhh, Gourville! Déjà qu’hier, j’ai eu l’air d’un maudit moron d’incompétent, qu’est-cé m’as faire si j’ai rien à mettre su’a table de Sa Majesté? M’as devenir connu comme l’astie d’jambon d’incapable qui a affamé le roi d’France! Là, c’est sûr que j’m’en r’mettrai jamais! — Franchement, répondit Gourville. Y va arriver, vot’poisson! Yé encore de bonne heure, là, prenez don vot’gaz égal!
Mais, à huit heures, Vatel y creyait pu. Dans sa tête, toute était fini; sa réputation était irrémédiablement scrappe.
Y monta dans sa chambre pis ferma la porte.
Y prit son épée pis accota son épée su’a porte, la lame vers lui.
Pis s’embrocha dessus.
Drette comme, dehors, on l’cherchait partout :
« Monsieur Vatel! Monsieur Vatel! Le poisson arrive! De tous bords tous côtés! »
On l’artrouva mort dans son sang.
Pour une affaire de queques menutes.
Vatel devint une légende, un genre de martyre sacrifié su l’autel d’la gastronomie française.
Pis moé, ben, comme j’vous disais, je l’comprends : j’haïs attendre autant que j’haïs perdre la face.
Source : Lettres de Madame de Sévigné, de sa famille et de ses amis (tome II), publié en 1862.
J’me rappelle que feu la reine Élizabeth a donné une entrevue à’TV en 2018. C’tait ben rare qu’a faisait ça, des entrevues. Un m’ment’né, un monsieur avec des gants blancs arrive avec la couronne impériale d’apparat dins mains pis la dépose beeen doucement su’a table en avant d’la reine.
Pis là, Lilibeth ramasse la couronne en la bardassant un peu – qui va y faire des gros yeux, tsé? – pis a dit avec une face de tite fille :
« J’aime ben le rubis du Prince Noir! »
Pis là, a fait tourner la couronne pour montrer à la caméra une sapristi de grosse garnotte rouge.
Là, chus sûre que vous êtes intrigués. Le rubis du Prince Noir? Qu’est-cé ça? C’est qui le Prince Noir? On est où, là? Qu’est-cé qui se passe?
Pour commencer, m’as vous montrer la roche comme du monde :
Impressionnant, hein? C’est gros comme un œuf de poule, c’t’affaire-là!
Pis tsé, j’vous ai toujours dit que j’vous conterais jamais de menteries, faique avant d’aller plus loin, m’as faire mon d’voir en vous disant que c’te rubis-là, c’t’un imposteur.
En faite, c’t’une autre sorte de pierre précieuse qui s’appelle un spinelle. La différence entre rubis pis spinelle, c’est dins molécules : les deux s’arsemblent, mais y’ont pas la même formule chimique, pis leux cristaux sont pas faites exactement pareil.
C’est yinque en 1783 qu’un minéralogiste français s’est aperçu de t’ça; c’est là que plusieurs rubis célèbres se sont faites démasquer comme spinelles.
Mais à c’te moment-là, le rubis du Prince Noir avait déjà quatre siècles de carrière, pis y’était tellement légendaire qu’y était pas question qu’y change de nom.
La première fois qu’on entendit parler de lui dans l’histoire, c’t’en 1362, en Espagne.
À c’t’époque-là, on était en pleine Reconquista, c’t-à-dire la période où les royaumes chrétiens d’Espagne comme la Castille pis l’Aragon étaient après arconquérir, su plusieurs siècles, toutes les territoires qui avaient été pris au VIIIe siècle par les Omeyyades, une dynastie de califes arabo-musulmans.
Du grand territoire musulman d’Al-Andalus, y restait quasiment pu yinque l’émirat de Grenade, le dos accoté su’a mer Méditerranée.
Comble de l’humiliation, l’émirat de Grenade était rendu le vassal d’la Castille. En gros, ça voulait dire qu’y restait indépendant dans ses affaires, mais que dès que la Castille y demandait de faire de quoi pour elle, y devait se plier en quatre pour l’accommoder.
Le sultan Mohammed VI avait faite un coup d’État pis pris le contrôle de Grenade, sauf que, à c’qu’on dit, c’tait un branleux pis un insignifiant pis y tapait su’és nerfs de tout l’monde. Faique, le roi Pedro de Castille conclut une alliance avec un ancien sultan en exil, Mohammed V, pour l’armettre su’l trône à la place de l’autre Mohammed.
Se sachant faite à l’os, Mohammed VI paqueta toutes ses richesses pis s’en alla chez le roi Pedro, espérant avoir un bon deal pour sauver sa peau. Pedro le laissa rentrer dans’ville avec sa gang pis les invita même à souper, laissant croire que toute était beau pis qu’y allaient pouvoir s’accorder.
Sauf qu’au souper, Pedro captura tout l’monde.
On dit qu’y aurait lui-même tué Mohammed VI en y plantant une lance dans l’flanc :
« Quins toé! Enfin débarrassé! »
Pis tandis que l’sultan lâchait son darnier soupir, Pedro, pas barré pour deux cennes, aurait fouillé dans ses poches pis en aurait sorti… le fameux rubis.
Y venait probablement des montagnes du Badakhchan, dans l’Afghanistan d’à c’t’heure. C’est ce qu’on pense, entécas, étant donné que la grande majorité des gros rubis connus à l’époque médiévale v’naient de d’là. Y se s’rait rendu jusqu’en Espagne par la Route de la soie.
Pis là, dins mains graissées de sang du roi Pedro, sa légende v’nait de commencer.
On raconte que le rubis aurait été quelque peu traumatisé par son changement de propriétaire brutal. Pis vu qu’un rubis, ça a pas ben ben d’intelligence émotionnelle, au lieu d’aller en thérapie pour démêler son ressenti, y se s’rait mis à malédictionner toutes ceux qui le possédaient.
À commencer par le roi Pedro : même pas quatre ans plus tard, y’était chassé de son royaume.
Voyez-vous, le père à Pedro, Alfonso XI de Castille, s’tait pris d’une passion dévorante pour Leonor de Guzmán, une créâture qui était pas sa femme. Y’était juste pas capable de la lâcher deux secondes : avec elle, y’avait eu dix enfants en dehors des liens sacrés du mariage!
Parmi ces dix-là, y’avait un dénommé Henri de Trastamare. Henri, y s’tait mis dans’tête de prendre le trône à son demi-frère Pedro, le seul fils légitime à Alfonso. Pis, avec l’aide de troupes françaises dirigées par le chevalier Bertrand du Guesclin, y’avait réussi à faire décrisser Pedro d’la Castille.
Avant de traiter Henri de gros usurpateur sale, on va nuancer un ti peu. Pedro haïssait ses demi-frères et sœurs pis voulait rien d’autre que les réduire en tite poussière en d’sour de sa botte. Pis étant donné qu’y avait l’habitude de zigouiller toutes les nobles qui s’trouvaient dans ses jambes, par exprès ou pas, on comprend qu’Henri d’vait faire des tis cacas stressés pis préférait passer à l’attaque avant qu’on l’assassine dans son litte.
En plus de ça, à’mort d’Alfonso XI, Marie-Constance de Portugal, sa vraie femme, avait à peine attendu qu’y soye frette dans son tombeau pour se venger en faisant exécuter la mère d’Henri pour trahison.
Bref, Henri avait une pas pire bouse su’l cœur, pis y’était pas le seul.
Rendu là, Pedro était appelé le Cruel, un indice qu’y était pas exactement Monsieur Personnalité. Y passait son temps à écrapoutir des rébellions contre lui. Même sa propre mère avait fini par s’arvirer contre lui! On la comprend un peu :
« Maudite marde, j’me sus fendue en quatre pour y’arranger un super mariage avec une princesse de France, pis lui, l’innocent, y l’a dompée trois jours après ses noces pour aller s’vautrer dans l’péché avec sa maîtresse! »
Toujours est-il que Pedro allait pas laisser son demi-frère changer les serrures de son royaume de même. Comme Henri avait de l’aide des Français, en pleine Guerre de Cent Ans, Pedro s’tourna vers leux ennemis naturels, les Anglais. Y’alla donc cogner à’porte d’Édouard de Woodstock, le fils aîné d’Édouard III, roi d’Angleterre, alias… le Prince Noir. Ouep, le fameux Prince Noir du rubis, là!
Ça fesse comme surnom, hein? Le genre qui vient avec de l’écho pis d’la tite fumée.
À vrai dire, c’est yinque 165 ans après sa mort qu’Édouard de Woodstock fut appelé de même pour la première fois, par un poète anglais, supposément parce qu’y portait une armure noire. Ou bedon parce qu’y avait une réputation de gros toffe. On sait pas trop.
Une chose est sûre, par’zempe : Édouard était un des plus grands chefs de guerre de son temps :
Bref, en plein le gars que Pedro voulait de son bord.
En 1366, Pedro, Édouard pis Charles, le roi de Navarre, signèrent le traité de Libourne, un accord où-ce que Pedro s’engageait à offrir des terres pis du cash aux deux autres en échange de leu z’aide militaire.
En garantie, Pedro laissa à Édouard ses deux filles, Constance pis Isabelle – imaginez avoir 16 ans, pis votre père vous dompe au Instant Comptant – pis, vous l’aurez deviné… le rubis!
Pedro pis ses alliés artontirent donc en Castille pour affronter Henri, Bertrand du Guesclin pis les troupes françaises. Bertrand, lui’ssi c’tait un gros toffe pis y’avait déjà affronté le Prince Noir ben des fois; y savait comment faire pour le battre :
— Votre Altitude, vos ennemis sont ben forts pis ben habiles, faique c’est pas une bonne idée d’leu rentrer dans’face drette de même. C’qu’on va faire, c’est les achaler pis les pogner par surprise pour les affaiblir p’tit à p’tit.
— Aahh, ben non, mon homme, tu m’prends-tu pour un siffleux qui rentre pis qui sort de son trou? Nanon. C’t’astie-là, m’as l’effoirer d’une shot, d’une grosse bataille épique, pis les troubadours vont parler d’moé pendant des générations!
Ça vaut la peine de s’engager un conseiller d’même pour pas l’écouter! À Najera, en Navarre, Henri se fit RA-MA-SSER par Pedro pis le Prince Noir. Y se sauva en Aquitaine la queue entre les jambes, pis Bertrand, capturé, fut libéré en échange d’une rançon.
Faique Pedro était d’artour su’l trône d’la Castille! Mais là, y’avait pris des engagements par-devers le Prince Noir, pis y’allait ben falloir qu’y crache un jour.
Sauf que Pedro s’pognait l’beigne pis y crachait pas. Y’avait toujours une excuse. Édouard passa plusieurs mois à poireauter tandis que ses hommes tombaient comme des mouches à cause d’la faim pis d’la dysenterie. Un jour, y finir par s’écoeurer :
« Heille simonac, si ça continue d’même, y va yinque rester moé, des tentes vides pis trois-quatre ch’faux raide maigres. D’la marde. Ch’sacre mon camp avec les deux créâtures pis la grosse garnotte rouge. C’est mieux ça que rien pantoute. »
Mais avant de suivre le rubis pis son nouveau propriétaire, j’vas quand même vous dire c’qui s’est passé avec Pedro – ça vaut la peine.
Deux ans plus tard, Henri arvint dans l’décor, encore accompagné par Bertrand du Guesclin. Clairement, Henri payait mieux que Pedro, pis l’argent compense pour ben des humiliations.
C’tait l’heure de l’affrontement final entre les demi-frères. Sauf que là, c’te maudit radin de Pedro avait pu l’aide ni les conseils à Édouard. Y s’pensait assez fin pour gagner tout seul, mais y s’rentrait l’doigt dans l’œil jusqu’au coude. À’bataille de Montiel, y se fit sacrer une volée pis capturer par Bertrand du Guesclin.
Là, je l’sais que des fois j’en mets un peu avec mes gros mots, mais j’vous jure que c’t’arrivé d’même. Quand Henri entra dans’pièce où son demi-frère était prisonnier, y cria :
« Où-ce qu’y est, l’enfant d’chienne? »
Pedro se l’va de sa chaise comme si y’avait un ressort dins fesses pis répondit :
« C’est TOÉ l’enfant d’chienne! »
Y se garrocha su son demi-frère, pis les deux s’mirent à s’tapocher su’a gueule jusqu’à ce que Pedro sorte une dague! Là, la gang à Henri eut pas l’choix de s’en mêler. Y sautèrent su Pedro, Henri sortit sa dague à lui pis tua son demi-frère.
Pis vous autres, votre dynamique familiale?
Entécas.
J’ai dit que l’Prince Noir avait sacré son camp, mais y’artourna chez eux en Angleterre : y passa un autre quatre ans à s’battre contre les Français.
L’affaire, c’est qu’y fut pu jamais l’même après la Castille : y’avait pogné une chiasse dont y’arriva jamais à s’débarrasser. Ça l’affaiblit tellement qu’y dut s’résigner à rentrer en Angleterre en 1370.
À c’te moment-là, les filles à Pedro furent mariées à deux des frères à Édouard, Jean pis Edmond. Aussitôt, Jean arvendiqua le trône de Castille au nom de sa femme Constance. Y’essaya pendant 16 ans de devenir roi sans jamais passer proche de réussir, mais ça l’empêcha pas de d’mander à tout l’monde de l’appeler El Rey. Astie que ça devait être gossant.
Le Prince Noir artrouva pu jamais son pep d’avant; c’te grand guerrier pis l’héritier du trône mourut de maladie en 1376 à 45 ans, avant son père.
Quand Papi Édouard III rendit l’âme l’année d’après, c’est le p’tit gars de dix ans du Prince Noir, Richard, qui monta su’l trône. C’est là que l’rubis s’ajouta officiellement aux joyaux d’la Couronne anglaise.
Pis que sa malédiction s’abattit su’é rois d’Angleterre! Entécas, c’est c’qu’on dit.
On peut pas nier que, dans l’siècle qui suivit, y’en a pas un d’eux autres qui fit vieux os :
Là, vous allez m’dire : Matante, tsé, c’est l’époque! C’tait normal de mourir le crâne défoncé ou de s’chier l’corps jusqu’à ce que mort s’ensuive!
P’t-être. Quand même, les rois du siècle d’avant avaient toutes toffé jusqu’à la soixantaine (sauf Édouard II, mais personne aime Édouard II, faique c’pas grave).
Pis messemble que c’est ben plus l’fun de s’dire qu’y ont toutes été victimes d’une garnotte malfaisante qui gère mal ses traumatismes.
Pour raconter le reste de l’histoire du rubis après ça, faudrait que j’vous conte l’histoire des rois pis des reines d’Angleterre au complet. Ch’frai pas ça, ben crère.
Mais y’a quand même une couple d’anecdotes qui valent le détour.
Mettons que t’es un roi du Moyen-Âge qui va lui-même su’l champ d’bataille, dans l’danger, l’chaos, l’sang pis les hurlements. Comme aux échecs, t’es la pièce la plus importante : si tu tombes, c’est toute ta gang qui tombe avec toé.
Faique c’est quoi, l’affaire la plusse fantasse que tu peux faire pour dire à tes ennemis : « Ch’t’icitte, j’ai pas peur de vous-autres, v’nez-vous en? »
À’bataille d’Azincourt, en 1415, c’tait Anglais contre Français.
En jeune souverain fringant de 29 ans, Henri V d’Angleterre s’pointa là avec su’l top de son casse une grosse maudite couronne dorée couverte de joyaux qui brillait comme une boule disco au milieu de l’enfer. Pis c’tait quoi la pièce maîtresse de c’te couronne-là? Le rubis du Prince Noir, ben crère.
V’là un roi qui avait pas peur de s’salir.
Selon la légende, le duc d’Alençon, spottant Henri pis sa couronne de l’autre bord du champ d’bataille, se s’rait enligné direct pour l’occire, pis y’aurait failli réussir : y crissa un gros coup de hache su’l casse du roi d’Angleterre, envoyant la couronne rouler dans’gadoue.
Ce fut pas assez pour faire tomber Henri, qui s’défendit en lion. Le duc d’Alençon, lui, se fit tuer pas longtemps après.
Comme vous l’savez p’t-être, à c’te bataille-là, les Anglais rincèrent les Français comme y’avaient rarement été rincés. Y firent des milliers de prisonniers. On raconte qu’un de ceux-là avait vu la couronne arvoler pis promit de l’artrouver en échange de sa liberté; y’artrouva la couronne pis l’rubis du Prince Noir avec, mais on « oublia » le libérer.
Pis en 1485, Richard III, le dernier roi d’Angleterre à mourir au combat, portait supposément l’rubis su son casse quand y se l’fit encastrer dans l’ciboulot à la bataille de Bosworth Field. Sa couronne arvola d’un buisson pis servit drette là à couronner son rival, Henri Tudor.
Clairement, le rubis avait l’tour de pas disparaître.
Y survit même à la pire catastrophe à arriver aux joyaux d’la Couronne : en 1649, près avoir faite exécuter le roi Charles Ier pis aboli la monarchie, Oliver Cromwell vendit TOUTE le bling royal pis fit fondre toute c’qu’y avait d’or dins coffres pour frapper des pièces de monnaie.
Sauf que, woup! Quand la monarchie fut rétablie pis que Charles II, le fils à Charles Ier, monta su’l trône, qui qu’y artontit avec lui? Le rubis, après 11 ans d’absence! Supposément qu’y était su la nouvelle couronne que le roi se fit faire pour son couronnement en 1661.
D’ailleurs, c’est pendant l’règne de Charles II qu’y arriva une dernière aventure au rubis.
En 1671, c’tait pas vraiment dur de voir les joyaux d’la Couronne : t’avait yinque à payer l’gardien à’tour de Londres pour qu’y te laisse rentrer.
Un jour, un dénommé Thomas Blood s’pointa là avec une idée en arrière d’la tête.
Accompagné d’une madame qui faisait semblant d’être sa femme, y demanda à voir les joyaux. Tandis qu’y regardaient ça, la femme fit semblant qu’y lui pognait un gros mal de ventre. Le gardien, un monsieur de 77 ans qui s’appelait Talbot Edwards, décida de les amener dans son appart, qui était drette à côté, pour que sa femme s’occupe d’elle.
Mais, c’tait juste un prétexte pour que Blood puisse se mettre chummy avec le gardien. Le lendemain, y’arvint avec un cadeau pour la femme à Edwards pour la r’mercier d’avoir aidé sa « femme ». Après, une chose mena à une autre, pis Blood était tout le temps rendu à souper chez les Edwards; y’était même question que son « neveu » marie leu fille.
Quand vint le temps de présenter le fameux neveu, Blood se pointa avec lui pis deux autres gars. C’est là qu’y demanda à Edwards si y pouvait leu montrer les joyaux.
Y descendirent dans’salle où étaient la couronne, l’orbe, le sceptre pis toute le kit, pis là, flâwk! Le pauvre monsieur Edwards se fit garrocher une cape su’a tête, fesser avec un marteau pis bâillonner.
Blood enleva la grille qui protégeait les joyaux, prit la couronne (su laquelle y’avait probablement le rubis) pis l’aplatit à coups de marteau pour qu’a rentre en d’sour de son manteau pis mit l’orbe dans ses culottes tandis qu’un de ses complices essayait de scier le sceptre en deux pour le mettre dans son sac.
C’est à c’te moment-là qu’Edwards arprit connaissance pis se mit à crier :
« MEURTRE! TRAHISON! QUEQU’UN EST APRÈS VOLER LA COURONNE! »
Blood pis ses complices partirent pour s’échapper, mais y furent capturés.
Tandis qu’y se faisait questionner par les gardes, Blood dit :
« J’répondrai à parsonne d’autre qu’au roi! »
Je sais pas c’tait quoi la peine dans c’temps-là pour avoir essayer d’voler les joyaux d’la Couronne, mais ça d’vait pas être une tape su’é doigts.
Pourtant, quand Blood réussit à parler au roi en personne, non seulement Charles II le laissa partir, mais y lui donna des terres en Irlande avec un bon p’tit revenu. C’est presque louche.
Enfin, en 1838, le rubis se ramassa su la couronne impériale d’apparat qui servit à couronner la reine Victoria, pis c’est là qu’y est encore aujourd’hui.
Depuis une couple de siècles, les souverains britanniques ont un pas pire taux de survie, faique peut présumer que le rubis s’est enfin écœuré de tuer ses propriétaires.
Pis, à moins d’un revirement épouvantable que personne aurait vu v’nir, y’a pas grand chance qu’on voye Charles III en armure à ch’fal su’l champ de bataille avec une couronne pleine de joyaux su’a tête comme en 1415, faique on peut présumer que c’est pas mal la fin des aventures du rubis aussi.
C’est ben en masse, vous trouvez-pas?
Sources
Jean Froissart, Les Chroniques de Sire Jean Froissart, livre I, partie II (vers 1400).
Mrs Goddard Orpen, Stories about famous precious stones, 1890.
P’tit rappel des personnages parce que ça fait 6 mois depuis le dernier épisode (j’m’excuse) :
Y s’appelait Philippe-Christophe von Kœnigsmark.
Ah! Philippe. À 23 ans, c’tait un séduisant comte suédois qui courait l’aventure de job en job dins armées du Saint-Empire. Y’avait la longue crigne noire brillante, la moustache artoussée pis le r’gard de braise – sortez votre plus beau fantasme de D’Artagnan, pis ça va probablement donner d’quoi d’approchant. Y’était pas marié pis y’était pas pantoute pressé de l’être; y’en a qui l’traitaient de libertin. Chose certaine, y combinait le mystère du voyageur au standing d’un grand seigneur.
Bref, y’avait toute pour titiller.
Là, y v’nait de débarquer à Hanovre parce qu’Ernest-Auguste l’avait engagé comme colonel dans son armée.
Pis m’as vous dire une affaire : Sophie-Dorothée le connaissait déjà.
Oh!
Y’en a qui disent qu’y avaient été amoureux quand y’étaient jeunes, fiancés même, mais que le mariage avec Georges-Louis les avait séparés. C’est p’t-être un ti-peu exagéré. C’qui est vrai, c’est qu’à une certaine époque, la famille Kœnigsmark avait voisiné celle à Sophie-Dorothée, pis qu’avant que Georges-Guillaume réussisse à faire de sa fille une princesse, Mme Kœnigsmark s’tait essayée d’avoir sa main pour son fils aîné, le frère à Philippe.
Quand y’étaient p’tits, Philippe pis Sophie-D avaient-tu joué ensemble pendant que leux parents jasaient? Y s’taient-tu couru après en riant au travers des haies en fleurs? Y s’taient-tu envoyé des mots doux en secret? Y leu z’était-tu resté un p’tit queque chose dans l’cœur de c’t’époque-là? Fouillez-moé; la réponse est pardue dans l’fin fond du 17e siècle.
Entécas, quand Philippe fut officiellement présenté à’cour de Hanovre après être entré en poste pis que son r’gard croisa celui à Sophie-Dorothée… y s’passa d’quoi.
C’tait pas un moment intime, alors là pas pantoute – c’tait un bal, pis tout l’monde était là : Ernest-Auguste, Sophie la Péteuse, Georges-Louis, la comtesse de Platen, pis toute le reste du gratin du duché.
Philippe de Kœnigsmark était au centre de toute ça, magnétique, crampant, plein de culture pis d’anecdotes. La cour était déjà sous son charme – pis surtout les demoiselles.
Après avoir salué son boss pis sa famille, y’arriva devant Sophie-Dorothée.
« Enchanté d’vous r’voir, Madame, ça faisait ben longtemps… »
Y vit la princesse qu’y avait connue floune, rendue femme avec ses grands yeux de Bambi tristes pis sa bouche en cœur dans sa face de porcelaine, pis tout d’un coup, le gars qu’on traitait de volage pis d’inconstant se sentit l’âme d’un chevalier-servant qui volerait à’rescousse d’la demoiselle en détresse.
« Pareillement, Monsieur! Ben heureuse que vous ayez décidé d’poser vos valises chez nous pour une p’tite secousse… »
Sophie-Dorothée s’tait jamais faite argarder d’même de toute sa vie. Ouf, hein! A l’avait connu Philippe ti-gars, la tête un peu pardue dins nuages; y’arrivait homme, pis y’incarnait toute c’qui lui avait manqué depuis son mariage – c’t’à-dire, toute c’que Georges-Louis était pas.
Bref, le courant passa direct entre les deux; ça, y’avait pas de doute là-dessus. Drette après, y d’vinrent inséparables.
Philippe était tout l’temps après rendre visite à Sophie-Dorothée dans ses appartements pis y restait jusque tard dans’nuite. Selon Mlle von Knesebeck, la dame d’honneur qui était brochée en permanence après les jupes à Sophie-D pis qui voyait toute aller, le comte passait la soirée à conter ses histoires de voyages remplies d’aventures pis de potins juteux su l’monde des grandes cours d’Europe :
« Y’était vraiment l’fun à écouter; c’est clair qui d’vait nous faire des accroires, mais entécas, Sophie-Dorothée riait comme une folle. »
C’qui est surprenant, c’est que ces visites-là se faisaient pas mal au vu pis au su de tout l’monde.
Pour vous donner une idée d’à quel point Kœnigsmark, à tout le moins, se gênait pas pour montrer son affection pour Sophie-Dorothée en public, v’là une anecdote racontée par l’écrivain Gottfried Leibniz, qui travaillait pour Ernest-Auguste.
Un soir, toute la famille princière de Hanovre était à l’opéra. Philippe était là lui avec.
Tout d’un coup, quequ’un cria : « Au feu! »
En temps normal, ça aurait été les écuyers, c’t-à-dire des gentilshommes serviteurs, qui auraient aidé toute c’te noblesse-là à sortir de leu loge dans le calme pis l’ordre. Mais là, la panique pogna tellement vite que tout le monde se garrocha vers la sortie.
Philippe artroussa de son siège pis cria « Sauvez la princesse! » d’une manière tellement dramatique qu’on se s’rait cru tout d’un coup d’une pièce de Shakespeare.
Dans le semi-noir, y courut vers celle qu’y pensait être Sophie-Dorothée pis y donna la main pour la sortir d’la bousculade. Sauf que là, y se rendit compte que la dame qu’y avait ramassée était en faite Sophie-belle-mère, qu’y dompa drette là en plein chaos pour aller trouver Sophie-Dorothée.
Aux dires de Leibniz, ça aurait encore plus empiré le frette entre Sophie-D pis sa belle-mère.
Normalement, après une affaire de même, Georges-Louis aurait dû mettre la hache dans c’te relation-là, ne serait-ce que pour sauver la face. Dans l’ancien temps, si une femme trompait son mari, on disait que c’tait parce qu’y était pas assez homme pour la satisfaire. Y’avait pas de pire tache su’a réputation d’un gars que d’être cocu. Ça a pas ben ben changé d’nos jours.
Bref, plus c’te relation-là durait, plus Georges-Louis avait l’air fou.
Pourquoi d’abord, personne fit rien pour arrêter ça, même pas Ernest-Auguste pis Sophie-belle-mère?
M’as vous l’dire, c’est bizarre.
Pendant c’temps-là, la comtesse de Platen était pas contente. Non seulement Kœnigsmark s’prosternait pas à son autel à elle, c’qui était franchement inacceptable, mais y vouait son culte à Sophie-Dorothée, la rivale qu’a l’essayait d’effacer.
Selon la rumeur, la comtesse aurait d’abord essayé de séduire Philippe. À c’t’époque-là, a l’avait 44 ans pis lui, 27. A l’aurait déployé l’artillerie lourde, à grands coups d’argards langoureux pis de sparages sulfureux, mais le jeune comte voulait rien savoir. En fait, y’a laissait poliment s’éreinter à y plaire, pis le soir, y’allait artrouver sa princesse pis y racontait toute. Pis là, les deux s’mettaient à la bitcher dans son dos, fessant su la moindre de ses manies pis habitudes :
— Heille, pis, t’es-tu rendue compte que, depuis queques temps, a s’met jamais trop proche des lampes? A’tu peur que l’plein jour la montre pu à son avantage? — Ben crère! Pour moé a doit s’mettre deux pouces de fard pis du polyfilla pour patcher les craques dans sa face!
Les oreilles d’la Platen d’vaient y siler.
Quoi qu’y en soit, voyant qu’a l’arrivait nulle part, mais pouvant pas s’résoudre à lâcher le morceau, la comtesse proposa plutôt à Philippe la main de sa fille, Sophie-Charlotte. Kœnigsmark avait arfusé poliment, mais avait failli s’étouffer de rire en bavassant toute ça à Sophie-D :
— Moé, marier sa grosse taure de fille? Est tombée su’a tête, elle! — Pis, t’rends-tu compte? Vu que la Platen est la maîtresse à mon beau-père, ça s’pourrait que ça soye la demi-sœur à mon mari! Y peuvent ben avoir tou’és deux l’même maudit air de bœuf!
C’pas fin, hein? Mais, pour Sophie-Dorothée, casser du sucre su’l dos d’la comtesse pis de son entourage avec Kœnigsmark, c’tait rendu un vrai sport, pis a n’en tirait une joie perverse.
Tellement, que même quand Philippe partait en campagne avec l’armée hanovrienne, y continuaient leux médisances par écrit. Y s’disaient aussi des mots doux! Les lettres qui ont survécu de c’te correspondance-là sont assez claires : y’étaient amoureux, pas juste deux amis qui aimaient mémérer. Mais, y couchaient-tu ensemble? C’est ça, la grande questions qu’vous vous posez toutes, hein?
J’ai pas dans l’idée d’vous faire languir, mais soyez patients, on va y r’venir.
Que les deux eussent trinqué du nombril ou pas, entécas, c’tait pas assez pour défâcher Sophie-Dorothée à propos de son mari pis de ses activités parascolaires.
Un soir, pendant une chicane particulièrement épouvantable au sujet de Mélusine, la maîtresse de monsieur, Georges-Louis aurait failli étrangler Sophie-Dorothée. Y’avaient hurlé tellement fort les deux que tout l’monde au palais de Hanovre put suivre la joute, réplique par réplique. Heureusement, ça fit en sorte que quequ’un put v’nir au secours de Sophie-D quand Georges-Louis en vint aux mains.
À c’te moment-là, c’qui restait d’leu mariage était tombé en lambeaux. Y pouvaient pu s’voir sans s’tomber dans’face. Ça en vint au point où, juste avant de partir en voyage à Berlin, Georges-Louis dit à sa femme :
« Ça a pu d’allure. Quand m’as r’venir, m’as écrire à ton père pour y d’mander qu’on nous sépare. »
Sophie-Dorothée était ben que trop pressée pour attendre qu’y arvienne. Aussitôt qu’y fut parti, a se garrocha chez ses parents.
À c’te moment-là, Georges-Guillaume pis Éléonore étaient à leu chalet de Bruchhausen, au beau milieu du bois, pis y’étaient loin de s’attendre à l’arrivée surprise de leu fille.
A leu déballa toutes ses malheurs pis les supplia à genoux de la laisser de séparer de Georges-Louis.
Sauf que Georges-Guillaume fut très peu réceptif :
« ‘Coute-moé ben, ma fille. As-tu idée de toute c’que ça m’a coûté, c’te mariage-là? Depuis qu’t’es née que ch’travaille pour te placer comme faut dans’vie. C’est ma plus grande réussite, pis toé, tu veux que j’défasse toute ça! Pourquoi? Parce que ton mari est pas fin. Heille! Arviens-en. Les maris sont pas fins avec leu femme depuis que l’monde est monde. Dans c’temps-là, tu baisses la tête pis tu joues l’jeu. Ch’te gage que si t’essayais plus fort, tu réussirais même à l’adoucir! Faique là, tu vas artourner à Hanovre, pis j’veux pu jamais entendre parler de t’ça, c’tu clair? »
Sophie-Dorothée fit drette ça, artourner à Hanovre. Sauf qu’a l’avait pas pantoute l’intention de faire comme son père avait dit. Tu’suite, a l’arvit son beau Philippe, qui s’tait entretemps trouvé une nouvelle job de général chez son grand chum l’électeur de Saxe.
Y semblerait qu’à c’te moment-là, Sophie-Dorothée avait décidé qu’a n’avait assez. Voyant pu d’autre façon d’s’en sortir, a commença faire des plans pour se sauver avec Kœnigsmark, possiblement en Saxe, où l’électeur haïssait la face d’Ernest-Auguste pis accepterait peut-être d’lés accueillir. A l’avait espérance que, rendue là-bas, a pourrait forcer la séparation d’avec Georges-Louis pis marier Philippe à’place.
La fidèle Mlle von Knesebeck viendrait avec eux autres, pis Kœnigsmark s’arrangerait pour leu trouver une p’tite escorte de soldats. Fallait que toute soye planifié au quart de tour.
Pour éviter que quequ’un s’doute de queque chose, y décidèrent de pas s’arvoir avant le jour fatidique.
Sauf qu’un soir, Philippe arçut un billet qui disait :
« À soir, après huit heures, la princesse Sophie-Dorothée attendra le comte Kœnigsmark. »
L’écriture su’l papier était bizarre, pas trop assurée. L’heure du rendez-vous était bizarre – huit heures, c’tait pas une heure pour arriver chez l’monde! Toute était bizarre. Mais le comte s’posa pas plus de questions pis artontit tout guilleret au rendez-vous.
Sophie-D y fit ouvrir la porte de ses appartements, mais a comprenait pas trop c’qu’y faisait là : a y’avait pas demandé de venir. Quand même, a l’était tellement contente de le voir qu’a posa pas de questions elle non plus. C’tait tellement romantique! Même si y s’taient entendus pour prendre leux distances avant leu départ, y’avait pas pu s’empêcher d’y rendre visite!
Faique y passèrent la soirée comme d’habitude, à mémérer su’l monde d’la cour pis à rêver d’avenir. Sauf qu’après que Philippe fut arparti chez eux aux p’tites heures pis que la porte à Sophie-Dorothée se fut arfarmée en arrière de lui… Pu personne l’arvit jamais.
Y’avait disparu. Pouf!
Drette le lendemain, les papiers à Sophie-Dorothée pis ceux à Kœnigsmark furent saisis, pis Mlle von Knesebeck fut arrêtée.
Qu’est-cé qui avait ben pu arriver en pleine nuitte, après l’départ de Philippe?
Comme j’vous disais tantôt, on n’a pas d’preuve du rôle que la Platen a joué c’te soir-là. Entécas, l’monde spéculent là-dessus depuis des siècles, mais la plupart s’entendent pour dire que c’est elle qui aurait fait envoyer la maudite invitation à Philippe. Un de ses espions y’aurait bavassé les plans des deux amoureux, pis a l’aurait décidé d’agir drette là, avant qu’y soit trop tard.
Sophie-Dorothée elle-même était pas mal certaine que la Platen avait d’quoi à voir dans la disparition à Kœnigsmark. Dans une lettre à un conseiller, a l’a dit :
« J’ai peur pour la vie du comte de Kœnigsmark si yé entre les mains d’la dame que vous savez. Attendons queques jours, qu’on soye ben sûrs de c’qui lui est arrivé. En attendant, j’me fie su vous, parce que j’ai pas de tête en ce moment. »
L’affaire devint un gros scandale qui fit jaser toute l’Europe, jusqu’à la table de Louis XIV de France! La belle-sœur du roi, communément appelée la « princesse palatine », s’trouvait à être la nièce de Sophie-belle-mère pis était au courant de toute c’qui s’passait à Hanovre. Faique Louis XIV y d’manda si c’tait vrai que Sophie-Dorothée avait exigé que la comtesse de Platen, « son accusatrice » soye chassée d’la cour.
Le comte de Saint-Simon, plus grosse mémère d’la cour de Louis XIV, a écrit que Georges-Louis, jaloux, avait fait crisser Kœnigsmark dans un four chaud, mais on sait pas trop où c’qu’y a pris ça.
Toujours est-il que le monde qui ont étudié l’affaire pensent pas mal toutes que la comtesse avait fait tendre une embuscade à Philippe à sa sortie de chez Sophie-Dorothée. Son idée, c’tait probablement d’le faire arrêter en flagrant délit pis d’y faire avouer, sous la torture si y fallait, qu’y couchait avec Sophie-D.
Toute ça, dans l’but de prouver que not’princesse était une femme adultère.
Sauf que Kœnigsmark, en fier D’Artagnan qu’y était, se s’rait défendu un peu trop fort, l’échauffourée aurait dégénéré pis y’aurait été tué.
Oups.
Évidemment que si ça se savait que Philippe avait été assassiné, sa famille pis ses amis demanderaient des comptes pis y’aurait d’la marde. Faique la Platen pis ses sbires auraient décidé de cacher l’corps pis d’siffler comme des épais en espérant que ça se tasse. Si c’est ben ça qui s’est passé, y l’ont ben caché en maudit, l’corps, parce que 339 ans plus tard, y’a toujours pas été artrouvé.
Pendant c’temps-là, l’étau s’arfermait su Sophie-Dorothée. On passait ses lettres pis celles à Kœnigsmark au peigne fin dans l’espoir d’y trouver la moindre allusion à des culbutes coupables. Y’en avait pas, mais y’avait en masse de preuves que Sophie-D pis Philippe étaient en amour.
Y’avait aussi presque pire : toutes les bitcheries que Sophie-Dorothée avait dites au sujet de son mari pis de sa maîtresse, de la Platen, de son beau-père, de sa belle-mère pis même de son propre père. Y’aurait p’t-être eu du monde qui aurait été prêt à l’aider, mais après ça, tout l’monde y tourna l’dos.
La brave Mlle von Knesebeck fut interrogée, mais jamais qu’on réussit à y faire dire que sa maîtresse avait passé du temps tu’seule, tu’seule avec le comte de Kœnigsmark, même sous la menace d’la torture.
Sophie-Dorothée fut envoyée au château d’Ahlden, un manoir de campagne su’l territoire à son père. Pis tandis qu’a séchait là, son sort se jouait sans qu’a puisse rien y faire. On y disait rien de c’qui se passait. De temps en temps, des bonshommes v’naient l’interroger, mais chaque fois à répondait :
« Ch’comprends que les apparences sont contre moé, mais le comte de Kœnigsmark a JAMAIS passé la nuite chez nous! Mais, m’as vous dire une affaire, parzempe : mon mari, on dirait qu’y est pas capable de m’voir en peinture! Ça fait des années que j’me plie en quatre pour qu’y m’haïsse moins, pis y’a rien qui fait! Je d’mande yinque d’être séparée d’lui pis de m’artirer queque part en paix, là. Messemble que ça rendrait service à tout l’monde? »
Ça rendrait service à tout l’monde : la pauvre chouette croyait pas si ben dire.
Entretemps, le ton avait monté : l’électeur de Saxe – l’ami et l’employeur à Philippe, j’vous rappelle – menaçait de déclarer la guerre à Ernest-Auguste si y lui disait pas c’qu’y était arrivé à Kœnigsmark. Ben sûr que c’tait pas la seule raison; comme j’vous disais, l’électeur de Saxe pouvait pas l’sentir pis cherchait yinque un prétexte pour y taper d’ssus avec ses alliés.
Faique vous comprenez que ça aurait été hyper délicat si y’avait un lien d’établi publiquement entre la disparition de Philippe pis l’affaire entre Georges-Louis pis Sophie-Dorothée.
Comme l’enquête donnait pas les preuves qu’on voulait, on décida de changer d’plan.
Ch’précise que « on », icitte, veut dire la clique de ministres à Ernest-Auguste – avec au top, le mari de la Platen – pis à Georges-Guillaume, parce que oui, l’père à Sophie-D était du bord de son frère plutôt qu’du bord de sa fille. Pendant c’temps-là, Éléonore, la mère, armuait ciel et terre pour sauver sa fille.
Au yâble Kœnigsmark pis les allégations d’adultère : on en aurait même pas besoin!
On fit signer à Sophie-Dorothée une déclaration disant qu’a voulait se séparer, sans y dire pourquoi. On grenouilla pour l’empêcher de témoigner en personne en avant des juges responsables de son affaire pour pas qu’a puisse donner de détails gênants.
Pis là, les juges rendirent leu jugement : y déclarèrent Sophie-Dorothée coupable d’avoir ABANDONNÉ son mariage. Méchant crime! A l’allait être séparée de Georges-Louis, dépossédée d’sa fortune pis enfermée pour toujours au château d’Ahlden; a l’aurait pas l’droit de s’armarier pis pourrait pu jamais voir ses enfants.
À son mariage, sa belle-famille avait d’mandé le prix fort pour l’accepter en se pinçant l’nez, vu les origines à sa mère.
A l’avait assuré l’avenir de la maison de Hanovre en accouchant d’un héritier doué de zouiz.
A s’tait faite déposséder de toutes ses avoirs.
À c’t’heure qu’a l’avait joué son rôle, pu parsonne avait besoin d’elle. A fut donc j’tée aux oubliettes.
C’tait juste horrible.
Vingt ans plus tard, Georges-Louis d’vint roi d’Angleterre. Comme j’vous ai dit au début, la succession d’la reine Anne Stuart passait par son plus proche parent protestant, qui s’trouvait à être Sophie-belle-mère.
Pis même là, alors que l’peuple anglais trouvait ça bizarre que leu nouvelle reine soye enfermée dans l’fin fond de l’Allemagne, George-Louis, boqué ben raide, arfusa de libérer sa femme.
Au final, Sophie-Dorothée passa 32 ans au château d’Ahlden, avec sa mère comme seule visite, jusqu’à ce qu’Éléonore vienne trop vieille pis fatiguée pour faire le voyage.
Pis quand la princesse mourut, à l’âge de 60 ans, Georges-Louis la fit mettre dans un cercueil en plomb avec rien d’écrit dessus, dans une ultime tentative de l’effacer d’la mémoire du monde.
Mais comme vous voyez, on en parle encore au jour d’à c’t’heure, faique ça a pas marché. Dans tes dents, Georges-Louis!
Sources :
Charles-Prosper-Maurice Horric de Beaucaire, Une mésalliance dans la maison de Brunswick, 1665-1725: Éléonore Desmier d’Olbreuze, duchesse de Zell, 1884. Henri Blaze de Bury, « Le Dernier des Koenigsmark », Revue des Deux Mondes, 1853. Philarète Chasles, « Drame-journal de Sophie-Dorothée, femme de Georges Ier », Revue des Deux Mondes, 1845.