L’yâbe au corps : l’histoire de John « Mad Jack » Mytton

« Son comportement par devers sa femme était inexcusable, mais tsé en même temps y’était pas si pire, pis y l’aimait, pour vrai, pis tsé y’était fin, dans l’fond, mais c’est quand même compréhensible qu’a soit partie; sauf que c’est même pas vrai qu’y a garroché son chien d’poche dans l’feu, y l’a juste lancé un ti-peu, pis y’a pas vraiment tiré sa femme dans l’lac pour qu’a s’neye, y l’a juste poussée pour la taquiner pis a s’est mouillé les souliers – pis c’te jour-là y faisait chaud–, pis quand y l’a enfermée avec ses chiens de chasse c’tait juste deux minutes pour rire. » 

— Le biographe licheux de John Mytton, Esquire

Imaginez un gros char de riche, genre une McLaren vert pétant toute shinée, qui part sur la trace dans un nuage de boucane, roule à 150 milles à l’heure, fonce dans l’mur deux rues plus loin, pogne en feu pis explose. 

Ça serait un bon résumé de la vie de John Mytton, un aristocrate anglais du 19e siècle. 
C’te gars-là, y’avait toute : un titre de noblesse, un manoir, une famille pis un énorme motton d’argent; mais pourtant, y passa sa vie à courir après la mort, comme si y’avait pas de lendemain, ou comme si y’auditionnait pour l’émission Jackass, 200 ans trop d’bonne heure.

C’est lui, ça, Jack Mytton. Y’a l’air ben tranquille, les pieds su’a bavette du poêle avec ses chiens pis ses livres pis ses peintures de chasse pis de lièvre la tête en bas, mais… fiez-vous pas à ça.

Si on connaît toutes ses exploits en détail, c’est que Mytton a une biographie détaillée, écrite par un de ses grands chums. Sauf que j’vous arcommande pas ça comme tite lecture de chevet : le grand chum en question est un peu licheux pis arrête pas de justifier les pires conneries à Mytton en le comparant à des personnages de l’Antiquité pis à des poètes libertins morts d’la syphilis, pis ça vient fatiquant à la longue. 

Toujours est-il que John Mytton, Esquire, naquit le 30 septembre 1796. 

Si ça vous intéresse de savoir qu’est-cé ça mange en hiver, un « esquire », m’as vous l’dire, parce que moé’ssi, j’me suis posé la question. Esquire, ça vient de « écuyer » – wô oui, le gars qui traînait les cossins d’un chevalier au Moyen-Âge. C’est le deuxième plus bas titre de noblesse anglais, en haut du gentilhomme, mais en bas du baronet – tsé, René Angélil aurait pu argarder John Mytton de haut. 

Mytton perdit son père au tendre âge de deux ans. D’ailleurs, son biographe prend une page et demie, une citation en latin, une métaphore de botanique pis une anecdote de Grèce antique pour illustrer que, si John était devenu un maudit énarvé qui savait pas s’tenir, c’tait parce qu’y avait été élevé par sa mère. Le Doc Mailloux aurait été d’accord, sûrement. 

Quand même, on aurait vraiment dit que le p’tit Mytton avait l’yâbe au corps. Y fut expulsé d’la Westminster School pour s’être battu avec un prof, pis d’la Harrow School après trois sessions. 

Sa mère engagea des tuteurs privés pour essayer d’y mettre un peu d’plomb dans’tête, mais y partirent toutes un après l’autre parce que John aimait leu jouer des tours –  tsé, quand tu t’réveilles un matin pis un ch’fal est après chier su ton tapis de chambre, c’est normal de vouloir crisser ton camp.

Mytton fut admis au Trinity College de Cambridge pis prépara l’terrain en s’faisant livrer 2000 bouteilles de porto su’l campus. Vous d’vez vous demander quelle espèce de party d’cégep pas d’bon sens qu’y préparait là, mais ça couvrait à peine ses besoins d’base : on dit qu’y buvait de quatre à six bouteilles par jour pis qu’y poppait l’bouchon de la première en s’rasant l’matin. 

Finalement, y s’pointa jamais à Cambridge pour ses études. À 18 ans, décrétant qu’y en avait assez des bancs d’école, John partit faire une grande tournée des Europes, comme c’tait de coutume pour les aristocrates de c’temps-là. 

Après sa tournée, en quête d’un ti-peu d’action, Mytton s’engagea dans l’armée. Sauf qu’à c’te moment-là, les Anglais pis leux alliés v’naient de sacrer une volée à Napoléon; les combats étaient finis, le régiment à Mytton s’artrouva en France dins forces d’occupation, pis c’tait plate à mort. 

Pis qu’est-cé tu fais quand t’es un jeune soldat alcoolique fonctionnel avec trop d’bidous qui s’tourne les pouces à l’étranger?

Tu tombes dans l’JEU! 

Se disant qu’y allait rembourser ça plus tard, quand y’hériterait officiellement de sa fortune, y’emprunta 3000 £ à un banquier de Saint-Omer. 

J’me sus informée, pis 3 000 £ dins années 1810, c’est genre six cent soixante mille piasses en dollars canadiens d’aujourd’hui.

Drette le lendemain, y’en perdit la moitié à’table de roulette. Ben sûr, y blâma la table pis la décrissa en tits morceaux. On aime ça, la maturité.

À sa libération d’l’armée, Mytton rentra au pays pis essaya de faire une vie normale de gentleman respectable. 

En 1818, y maria Harriet Emma Jones, avec qui y’eut une fille. Harriet avait la santé fragile, pis a mourut en 1820. L’année d’après, Mytton s’armaria avec Caroline Mallet Giffard, de qui y’eut cinq autres enfants.

Entre-temps, y’essaya d’faire carrière en politique. Six Mytton avant lui avaient été députés de Shrewsbury, pis y se sentait comme obligé d’arprendre la shop familiale.

Y remporta son siège à l’élection partielle de janvier 1819, supposément en donnant un billet de 10 £ à chaque personne qui voulait ben promettre de voter pour lui. 

Aussi ben crisser l’argent dans l’poêle. 

Ch’pas docteure, mais ça m’a l’air évident que Mytton avait un p’tit déficit d’attention. Si l’école était trop plate pour lui, maginez les débats parlementaires! Y toffa une grosse demi-heure en chambre avant de s’mettre à faire la danse de saint-Guy su’l banc, pis y crissa son camp pour jamais r’venir. 

Aux élections générales de 1820, y s’arprésenta même pas, sous prétexte que « ses fonctions parlementaires étaient incompatibles avec ses activités actuelles ».

C’tait quoi, au juste, ses « activités actuelles »? À c’te moment-là, Mytton avait enfin compris qu’y était faite ni pour les études, ni pour la politique, ni pour toute autre affaire plate qu’y faut rester assis pis écouter du blabla. 

À place, y’allait être c’qu’on appelait un « sportsman » – c’t-à-dire, su papier, qu’y allait passer son temps à chasser, à élever des chiens de chasse, des ch’faux pis des oiseaux de proie, pis à faire des courses de ch’faux. 

Lâché lousse sans aucune contrainte professionnelle, Mytton partit tellement sur une dérape que ses chums commencèrent à l’appeler « Mad Jack ».

Heureusement pour nous autres, la biographie à Mytton nous donne une maudite belle idée de comment toute ça s’est passé grâce à des belles illustrations en couleur, comme celle-là :

Ou bedon comme celle-là :

Le biographe à Mytton raconte qu’y portait jamais de bobettes pis aimait chasser les canards en queue de chemise pis les fesses nu-tête, même en hiver pis au beau milieu de la nuite. 

Pis le snoro, y tombait jamais malade! 

Parce que Mytton était gâté côté physique, ça a d’l’air. Son biographe, qui passait clairement son temps à l’argarder, le menton dans ses tis poings avec des yeux de merlan frit, dit que « son biceps était plus gros que celui de Jackson, le boxeur célèbre » – heille, on rit pu, hein. Y dit aussi que « les autres parties de son corps étaient tout aussi puissantes pis narfées ». Ahem.

Bref, y’avait beau être une poule pas d’tête avec un problème d’alcool, y’avait une constitution de fer. 

Un jour que Mytton venait de se disloquer trois côtes après s’être planté à ch’fal, un de ses chums arsoudit à son manoir en y disant : 

« Heille j’viens d’capturer un ti r’nard, je l’ai mis d’une poche, yé full vite pis full énarvé, on va le lâcher dans l’champ pis on va courir après avec les chiens pour le tuer, ça va être malade! »

Mytton, au lieu de dire « Heille s’cusez man, ch’pas mal pété faique m’as passer mon tour c’te fois-là », y’artroussa tu’suite de son fauteuil, s’habilla, monta su son ch’fal le plus roffe, qu’y appelait « le Yâbe » pis passa la journée à galoper dans l’champ jusqu’à c’qu’y pogne la pauvre p’tite bête. À’fin, y’avait tellement mal qu’y voyait pu clair, mais pour lui, y’était pas question d’montrer le moindre signe de faiblesse. En débarquant de son ch’fal, y dit même à son biographe : 

« Y’en a pas un crisse qui va m’voir pâmer. »

Mais pour Mytton, prendre des débarques, c’tait quotidien. Y faisait même exprès pour se planter.

Un jour qu’y s’promenait avec un de ses chums dans une p’tite carriole à deux roues, tsé le genre qui verse de rien si tu pognes un croche trop raide, le chum en question trouvait qu’y chauffait pas mal cowboy. Mytton, s’rendant compte que son passager était un ti peu su’és nerfs, y demanda : 

—    Heille, t’as-tu déjà faite ça, toé, virer su’l top en carriole?
—    Ah, euh, non, ça m’est jamais arrivé!
— Jamais? Cibole, t’es ben lent! 

Comme Mytton disait ça, la carriole passait à côté d’une p’tite butte. Par exprès, Mad Jack embarqua une roue su’l flanc d’la butte, pis FLÂWK! La carriole renversa su’l côté, dompant Mytton pis son passager. Mytton pis son passager revolèrent, les quatre fers en l’air.

Pis comme Mytton était mardeux, personne fut blessé, pas même le ch’fal.

Faut dire que Mad Jack, autant y’avait l’coeur su’a main – y donnait du blé de ses récoltes aux pauvres, y tippait généreusement, heille, y cachait des billets d’banque un peu partout dans son manoir pis su son domaine yinque pour que le monde les trouvent – autant y’adorait faire étriver ses amis.

Tsé, dans sa ménagerie ben garnie, Mytton avait 2 000 chiens de chasse pis aussi… une ourse appelée Nell. 

À son domaine, un soir de party ben arrosé (j’me demande pourquoi je le précise, parce que les partys à Mytton était TOUJOURS arrosés; c’t’homme-là aurait trouvé l’tour de tinquer pendant une coloscopie), Mytton laissa ses chums dans le salon pis s’éclipsa queques minutes. 

À son retour, y’était habillé en kit de chasse complet, le jacket rouge, les bottes à éperons pis toute, pis monté su’l dos d’son ourse. En voyant ça, ses chums grimpèrent partout su’és meubles comme une gang de chats épeurés.

Au début, l’ourse se promenait ben tranquillement dans l’salon, toup toup toup; a l’était habituée. Sauf qu’un m’ment’né, Mytton y’accrocha l’flanc avec l’éperon su sa botte; surprise par la douleur, la pauvre bête prit une grosse mordée dans l’mollet à Mytton, pis les serviteurs durent la ramener dans sa cage pendant que son maître s’faisait soigner.

Une autre fois, par’zempe, y fit ben pire – des affaires pour se faire tuer! 

Un bon soir, y’arcevait à souper un pasteur pis un docteur. 

À une certaine heure, les invités décidèrent de faire un boutte.

Faique y’embarquèrent su leu ch’fal pis s’en allèrent. Pis pendant qu’y trottaient vers la maison, Mytton, qui aurait dû trotter vers son litte, eut plutôt une de ses idées de sans-dessein : y mit un grand capot de charretier, chargea ses pistolets avec des balles à blanc, monta à ch’fal pis partit bride abattue après ses deux visiteurs. 

Déguisé en bandit de grand chemin, y rattrapa le pasteur pis le docteur pis s’mit à tirer su eux autres en criant : 

« Haut les mains pis donnez-moé toute votre argent! »

Ben sûr, les deux gars détalèrent comme des lapins vers le village, laissant Mytton crampé raide dans l’noir. 

« Astie! J’ai jamais vu deux gars partir aussi vite de ma vie! »

Tu parles d’une bulle au cerveau; maginez-vous c’qui s’rait arrivé si le pasteur pis l’docteur avaient été armés?

Mytton, y pensait jamais vraiment à son affaire. 

Son biographe dit qu’un m’ment’né, en arvenant des courses de ch’faux, dans son carrosse, les f’nêtres ouvertes, y comptait une pile de billets d’banque pour plusieurs milliers de livres. Y finit par s’endormir, les billets encore sortis, pis quand y s’réveilla, toute le motton était parti au vent.  

Avoir cherché une métaphore pour la façon dont y gérait l’argent dans’vie en général, on aurait jamais trouvé mieux. 

Faique vous vous doutez ben qu’à force de boire, de jouer pis de sacrer l’argent par les fenêtres, Mytton se ramassa dans l’trou. 

Solide. 

Pour payer ses dettes, y’avait pu d’autre choix que d’vendre son domaine ancestral. Son conseiller financier avait une solution pour éviter l’pire : 

— Monsieur, si vous limitiez vos dépenses à 6 000 £ par année pendant six ans, vous pourriez payer vos dettes pis éviter d’vendre.
— Heille! 6 000 £ par année! Ch’pas un chien, ciboire!

Six mille livres, en dollars canadiens d’à c’t’heure, c’est un million cinq cent mille. 

Ch’tiens à dire que c’te pauvre conseiller-là, y’a dû gagner son ciel à travailler avec Mytton. Lui, y’avait juste pas moyen de le conseiller tout court, parce qu’y répondait tout l’temps :

« Pourquoi c’est faire que j’ai une tête, si ch’pour me servir d’la tienne? »

Au travers de ça, sa femme Caroline crissa son camp après dix ans de mariage pis emmena les enfants avec elle. Vous imaginez-vous à quel point fallait qu’une femme soit À BOUTTE pour quitter son mari en 1830? 

Tsé, après toute, y’avait garroché son chien dans le feu « juste » un ti-peu pis l’avait poussée « juste » un ti-peu dans le lac pis l’avait enfermée avec ses chiens de chasse deux minutes « juste » pour rire! Mais c’tait pas « juste » ça! D’après ce que je comprends, y v’nait jaloux quand y’était saoul (c’t-à-dire, tout l’temps), pis y l’empêchait de sortir pis d’voir du monde.

Y’a toujours ben des limites.

Finalement, pu d’femme, pu d’enfants, pu rien, Mytton dut s’résoudre à vendre son domaine, mais ses dettes étaient tellement immenses que c’tait même pas assez pour toute payer. Comme dans c’temps-là, tu pouvais aller en prison parce que tu d’vais de l’argent, Mytton se sauva à Calais, en France. 

Là-bas, Mytton s’mit à agir encore plus bizarrement qu’avant. Encore une fois, ch’pas docteure, mais on dirait ben qu’y commença à faire d’la démence alcoolique. 

Un soir, comme y’était en jaquette, su’l bord de s’coucher, y pogna le hoquet pis y’était juste pas capable de s’en débarrasser. 

« Ah, j’en peux pu de c’te maudit hoquet-là! M’as y faire peur, moé! »

Faique y pogna une chandelle pis mit l’feu à sa jaquette. Le p’tit coton d’la jaquette flamba en queques secondes, pis Mytton se transforma en torche humaine.

Heureusement pour lui, son fidèle valet pis un autre gars étaient avec lui; y s’garrochèrent su lui, le sacrèrent à terre comme à’lutte pis lui arrachèrent la jaquette en feu de su l’dos. 

Pis pendant que les deux gars finissaient d’éteindre les flammes en pilant d’ssus, Mytton se glissa tout bonnement en d’sour de ses couvertes en soupirant d’soulagement : 

« Ah! Fini, l’ciboire de hoquet! »

Le lendemain, quand son biographe arriva pour le visiter, Mytton était flambant nu, pis l’biographe vit tu’suite qu’y s’tait pas manqué, avec sa jaquette en feu : ses épaules pis sa poitrine arsemblaient à du baloney fraîchement sorti d’la poêle :

— Ben voyons, John, pourquoi t’as fait ça? T’aurais pu y passer!
— J’voulais t’montrer comment chus bon pour toffer la douleur! 

Pis dans la biographie, quand y raconta c’t’épisode-là, le biographe le compara à Néron.

Mytton récupéra jamais vraiment de ses brûlures. Pour calmer la douleur, y s’mit à boire encore plus. Même après que son docteur se fut arrangé pour qu’y puisse pu s’faire livrer d’la boisson, Mytton demanda à son valet d’y apporter des bouteilles d’eau de cologne, pis y buvait ça. 

Pis à cause de l’alcool, ses muscles commençaient à faiblir. Y’était dans l’déni su son état pis insistait pour sortir au lieu de s’arposer; y fallait deux gars pour l’empêcher de tomber à terre dans’rue; y s’évanouissait à table au souper. 

La nuite, y’était gardé par trois gars pour pas qu’y puisse sortir de chez eux. Y’a toujours été chanceux malgré toute.

Y répétait sans arrêt qu’y allait ravoir sa femme, même si c’tait évident que son chien était mort, raide, frette, dans son trou avec une tite croix croche marquée « Fido ».

Y’engueulait l’monde qui avaient jamais entendu parler d’Euphrates, son ch’fal de course préféré, dont tout l’monde se sacrait, ben sûr.

Un m’ment’né, ça a l’air qu’y parla pendant 18 heures de temps sans s’arrêter, pis rien de c’qu’y disait avait du sens. 

Un soir, le valet à Mytton alla trouver son biographe, la voix tremblante d’inquiétude : 

« Euh… Monsieur… Faudrait que vous veniez, parce que Monsieur Mytton s’est comme un ti-peu enfermé dans sa chambre avec six couteaux pis chus vraiment pas sûr de c’qu’y fait avec ça… »

Le biographe arsoudit aussitôt chez Mytton pis le trouva dans son lit avec les six couteaux : 

– Heeeeille, mon chuuuuum, qu’est-ce tu fais-là don, avec ça? demanda-t-il, doucement, soucieux de pas le brusquer.
— Oh, t’es là! Viens icitte, m’as te montrer! répondit Mytton avec le sourire pis une tite lueur fiévreuse dans l’œil.
— Je, euh, ch’pense que j’vas rester icitte proche d’la porte, si ça te dérange pas…
— M’as nous rendre riches! Tu sais pas c’que je viens de découvrir? Ces couteaux-là, là, y’enlèvent le feu de d’dans la chair…
— Euh, ok, ouin…

Heureusement, ça prit pas grand chose pour le convaincre de lâcher les couteaux pis de s’coucher. 

Pas longtemps après, même le biographe sait pas trop comment, Mytton fut ramené en Angleterre sous prétexte de signer la vente du dernier boutte de terrain qu’y lui restait. 

Mais, dès qu’y mit l’pied en sol anglais, y fut arrêté pis jeté en prison.

À c’te moment-là, y tenait pu pantoute su ses pattes. Pire, y d’vint paralysé des extrémités. Y filait tellement pas que le directeur d’la prison fit venir sa mère à son chevet. Pis un jour, pouf, y s’éteignit comme une chandelle qui s’étouffe dans sa propre cire fondue. Y’avait 38 ans. 

C’est pu qu’une vie bizarre, hein? Ch’rais ben curieuse de savoir c’qu’un psychologue dirait de Mytton. Une chose est sûre, entécas, c’est que Mad Jack a vécu comme si y’avait jamais su où était l’brake – même si sa famille, ses amis, ses docteurs, tout l’monde y pointait avec une grosse flèche rouge pis l’implorait de peser d’ssus.


Source :

Nimrod (1837). Memoirs and Life of John Mytton, Esq. of Halston, Shropshire. M.P. for Shropshire, High Sheriff for the Counties of Salop & Merioneth, and Major of the North Shropshire Yeomanry Cavalry. With His Hunting, Shooting, Driving, Racing and Extravagant Exploits

Les vagues scélérates

Merci à Christine Labrecque pour son interprétation d’une vague scélérate

Comme vous le savez, ça fait des mois qu’chus dins bateaux pis la navigation pis les catastrophes maritimes. Pis pendant mes recherches, chus tombée s’un phénomène ben intéressant pis ben épeurant : les VAGUES SCÉLÉRATES.

D’abord, prenons deux-trois secondes pour apprécier que ça s’appelle de même, une vague scélérate : du latin sceleratus, « souillé d’un crime ». Clairement, c’t’une vague qui porte un ti bandeau de bandit. Concrètement, c’t’une vague géante, deux fois plus haute que les autres autour, qui est imprévisible, qui a l’air de sortir de nulle part, qui fesse comme un mur d’eau pis qui peut détruire un navire aussi facilement qu’une maquette en bâtons de popsicle.

Ça fait des siècles que les marins savent que ça existe. Mais quand y’arvenaient à terre pis qu’y contaient ça au monde normal – parce qu’y faut clairement être un ti-peu craqué pour aller su’a mer, pis je dis ça avec ben d’l’affection pis d’l’admiration –, personne les croyait. C’tait yinque une légende.

M’as vous donner un exemple de quoi ça peut avoir l’air. En 1916, par une nuitte de tempête, l’explorateur Ernest Shackleton s’promenait s’un ti voilier dans l’Atlantique Sud, quand soudain, y vit une éclaircie à l’horizon. « Cool », qu’y s’dit. Sauf que là, c’qu’y pensait être une ligne de nuages blancs au-dessus d’un ciel noir ben dégagé était en faite la crête d’une ÉNORME vague. Y’eut à peine le temps de crier « aaaaa » que la vague ramassa son bateau de plein fouette pis faillit l’engloutir complètement. C’t’un miracle qu’y aille pas coulé, mais y’était pas au boutte de ses peines, le Shackleton. Faudrait ben que j’vous conte ses aventures un jour. 

Autre exemple plus épeurant : le cargo allemand München, équipé de toute c’qu’y avait de plus moderne en 1978, s’en allait pour traverser l’Atlantique Nord pis disparut dans une tempête, pis on l’arvit jamais – ses dernières paroles furent une chaloupe de sauvetage avec son nom dessus qui flottait tu’seule su l’océan, artrouvée plusieurs mois plus tard. 

C’est lui, ça, le München. On s’entend que c’pas une coquille de noix.

Le monde qui tchéquèrent la chaloupe étaient ben mêlés : su’l bateau, a devait être accrochée un bon 20 mètres au-dessus de l’eau, mais pourtant, c’tait clair qu’a l’avait été arrachée, comme un boutte de jouet Fisher-Price qui est pas censé s’enlever, mais qu’un flo brise-fer avait fini par péter. Qu’est-cé qui aurait ben pu faire ça? Une vague géante? Ça s’pouvait pas, voyons donc. La Commission d’enquête des accidents maritimes de l’Allemagne conclut que le naufrage du München était « inexplicable ». 

En faite, c’est pas avant 1995 que les vagues scélérates sont passées de folies de vieux loup d’mer, comme le Kraken pis le Léviathan, à’réalité scientifique. Le 1er janvier de c’t’année-là, une grosse maudite vague fessa la plateforme pétrolière Draupner, dans’mer du Nord; le laser installé su la plateforme mesura que la vague faisait 26 mètres, au travers d’autres vagues de 11-12 mètres. Ça se pouvait, finalement! 

 « BEN QUINS! » dirent les marins de partout su’a terre.

Encore aujourd’hui, on est pas trop sûrs de comment ça marche, les vagues scélérates. Y’en a qui pensent que qu’y se forment quand deux vagues se foncent dedans drette d’la bonne façon pis forment une plus grosse vague, mais ça pourrait être autre chose aussi. Mais bon, ch’pas une experte, faique j’me mouillerai pas en essayant d’vous donner une explication scientifique. 

C’que je peux faire par exemple, c’est vous donner d’autres exemples épeurants de vagues scélérates! 

Le 10 novembre 1975, l’Edmund Fitzgerald, un vraquier des Grands Lacs (c’t’-à-dire un gros bateau qui transporte du vrac… su’és Grands Lacs) s’atrouva pogné, vous l’aurez d’viné, dans une tempête su’l lac Supérieur. Y’en arrachait un peu : y prenait l’eau pis y commençait à verser su’l côté, mais y t’nait bon. 

Tandis qui s’en allait vers la baie Whitefish dans l’espoir de s’protéger un peu, y’envoya un dernier message à un autre bateau qui s’trouvait pas loin :  « On va passer au travers ». Dix menutes après, pu rien. Même pas un mayday. C’tait comme si la main du Bon Dieu avait sacré une claque dessus pis l’avait englouti. Les 29 membres d’équipage furent perdus, pis le navire fut atrouvé en deux morceaux au fond du lac. 

Y’eut ben d’l’astinage su la cause du naufrage de l’Edmund Fitzgerald, mais au jour d’à c’t’heure, le suspect numéro 1 est un phénomène qui s’produit yinque dans le lac Supérieur qu’on appelle « les trois sœurs » – un trio de vagues scélérates qui frappent une après l’autre, comme un tour du chapeau de Marie-Philip Poulin. Étant donné que l’Edmund Fitzgerald avait déjà d’la misère, y’aurait eu aucune chance contre ça. 

Heille, même su’a terre, on est pas à l’abri des vagues scélérates. Pendant une tempête en 1900, trois gardiens disparurent du phare des îles Flannan, en Écosse. Y’avait aucune trace d’eux autres. POUF. Les journalistes de l’époque partirent en peur avec l’histoire : un dit qu’un serpent de mer avait emporté les trois gars; un autre qu’y s’taient arrangés pour pogner un lift avec quequ’un pour commencer une nouvelle vie; pis un autre encore dit qu’y avaient été enlevés par un bateau fantôme. 

Le phare des îles Flannan

Le seul indice su’l sort des gardiens, c’tait que le débarcadère du côté ouest de l’île était magané : les garde-corps étaient toutes crochis, un coffre à 33 mètres au-dessus d’la mer avait été défoncé pis c’qu’y avait dedans avait été répandu partout, une roche de plus d’une tonne avait bougé, pis une bande de turf de 10 mètres avait été arrachée du bord d’la falaise. La seule explication plausible : une vague géante avait balayé l’île pis emporté les trois gars. 

Dernier exemple : une vague scélérate qui aurait pu changer l’histoire. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, le Queen Mary, méga paquebot de luxe, servait de navire de transport des troupes pour l’armée américaine. Le 11 décembre 1942, y’avait à bord, tenez-vous ben, 10 389 soldats pis 950 membres d’équipage cordés comme des sardines. Ça fait du monde en viarge, ça. 

Le Queen Mary

Le Queen Mary approchait de l’Irlande quand y fut pogné dans une tempête. Ça brassait en tabarouette – le navire montait pis tombait l’équivalent de plusieurs étages à chaque grosse vague qu’y rencontrait. Pour ben des gars à bord, c’tait leu premier voyage su l’océan, faique ben vite, l’odeur du vomi s’répandit dans toutes les cabines pis les passages. 

Pis un m’ment’né, FLÂWK! Un vague scélérate fessa le côté du Queen Mary à tribord. Une vague, ça se pogne ben de face, mais su’l flanc, c’est moins drôle. Des hublots pétèrent pis l’eau entra dans les cabines. Le paquebot pencha de 10 degrés, puis 15, 30, 40… jusqu’à 52 degrés, tellement bas que les chaloupes de sauvetage à bâbord lichaient pratiquement la surface de l’océan. Vous imaginez-vous comment ça devait être épeurant? Y’eut même des gars qui étaient convaincus que le navire avait mangé une torpille.

Le Queen Mary passe proche de chavirer, peinture de Pierre Mion

Pendant une éternité, le navire resta penché d’même su l’eau. Pis lentement, comme un pépère qui s’arlève en grognant après avoir pris une débarque, le Queen Mary s’armit drette, continua son chemin pis finit par mener sa cargaison humaine à bon port. 

Les ingénieurs qui tchéquèrent le Queen Mary au port calculèrent que si y’avait penché yinque 3 degrés de plus, y’aurait coulé sans que personne à bord ait l’temps de se sauver. Ça aurait fait 11 339 morts! Le Titanic aurait eu l’air de d’la p’tite bière à côté. 

Si le Queen Mary avait coulé à c’te moment-là, ça aurait pu changer l’histoire : pendant la guerre, y’a transporté environ 800 000 soldats au total, des tonnes d’équipement, pis même Winston Churchill, un moment donné. Y s’rait arrivé quoi, pu de Queen Mary? La question s’pose. 

Faique, heille, une p’tite croisière, ça vous tente?

Croque ton politicien : l’horrible histoire de Johan de Witt

Ces temps-citte, le climat politique est un ti-peu tendu. Ça s’traite de toués noms pis ça s’menace de mort su’és médias sociaux.

Mais, ça vous est-tu déjà passé par la tête de MANGER François Legault parce que vous êtes pas d’accord avec comment c’qu’y mène la barque?

J’ose espérer qu’non, mais y’a pu grand-chose qui me surprend, m’as vous dire ben franchement.

Surtout depuis que ch’sais qu’en 1672, le grand-pensionnaire des Provinces-Unies des Pays-Bas a servi de lunch de fin d’soirée à ses concitoyens.

Heille, une histoire qui mélange politique pis cannibalisme! On s’crèrait dans Allô Police! Juste avec ça, ch’tais embarquée. Mais en grattant un peu, j’me suis rendu compte que ça cachait d’quoi d’encore plus intéressant : un duel entre deux gars aux idées ben différentes, deux têtes dures ben décidées à jamais céder d’un pouce – Johan de Witt pis Guillaume III d’Orange-Nassau.

Là, vous vous doutez ben que ça finira pas comme un épisode d’la Pat’Patrouille – malheureusement pour le gars qui s’est faite manger, aucun pitou qui parle s’est pointé à’dernière seconde pour le sauver d’la foule en colère pis montrer aux enfants que privatiser la police, c’est tiguidou.

Pis avant toute chose, pour que vous puissiez comprendre comment c’qu’on en vient à se taper un p’tit BBQ de foie humain su’a place publique, va falloir que j’vous explique le système de gouvernement de l’époque. 

Faique si ça vous r’bute pas trop, venez-vous-en!

Mon explication est à la vraie affaire c’qu’un bonhomme allumette est à’Ronde de nuit de Rembrandt, mais, en gros : ça faisait un méchant boutte que les Néerlandais voulaient pu que leu roi, ça soit le roi d’Espagne, parce que ça avait aucun maudit rapport. Faique les sept provinces du nord des Pays-Bas décidèrent de former l’État des Provinces-Unies pour s’battre ensemble pour leu z’indépendance, qu’y gagnèrent officiellement en 1648 après 80 ans de guerre. 

Fini! N’avait pu, de roi! Les Provinces-Unies, c’tait une république! Les dirigeants étaient élus – pas au suffrage universel, mais une affaire à’fois. Pis c’tes dirigeants-là, y’étaient une bonne gang à faire partie de l’élite bourgeoise pis pas, tsé, d’la noblesse.

À une époque où, juste l’autre bord d’la frontière, une trâlée de nobliaux en perruque jouaient du coude pour assister au ti-caca de Louis XIV, c’tait pas mal progressiste, comme gouvernement.

Le gouvernement des Provinces-Unies, c’tait une bébitte un peu étrange. Les sept provinces restaient indépendantes, avec chacune leux régents, leu monnaie, leux lois pis leu système de justice. Pour jaser d’affaires qui touchaient tout l’monde, genre l’armée pis la politique étrangère, y’envoyaient chacune leu délégué, ou « pensionnaire » à une assemblée qu’on appelait les États généraux. 

Y’avait pas d’premier ministre, pas d’président, rien. Juste sept provinces qui d’vaient essayer de s’accorder du mieux qu’y pouvaient. 

Quand même, pour faciliter les affaires, y’avait un des pensionnaires – celui d’la Hollande, parce que c’tait la province la plus grosse pis la plus riche – qui était nommé grand-pensionnaire.

Son rôle à lui, c’est ben toffe à expliquer parce qu’on n’a pas vraiment d’équivalent dans nos systèmes politiques d’à c’t’heure. Mais, dans l’fond, le grand-pensionnaire, c’tait un peu le WD‑40 des États généraux. 

C’tait un genre de président d’assemblée, de top conseiller pis de haut fonctionnaire. En principe, y’était jamais censé prendre de décisions lui-même, juste huiler la machine pis faire c’que les États généraux avaient décidé. Pis quand y fallait une face pour parler aux autres pays, ben c’tait lui qui y allait. 

Faique notre Johan de Witt dont j’vous ai parlé au début, c’est ça qu’y faisait dans’vie.

C’est lui, ça, Johan de Witt. Ch’trouve qu’y a une face moderne. Messemble que je le verrais avec un chignon, des stretchs dins oreilles pis une chemise carreautée me proposer une bière saison belge à la salsepareille….

C’tait un bourgeois, fils du maire d’la ville de Dordrecht pis une p’tite bolle des maths : y’avait écrit un traité publié en annexe d’la Géométrie de René Descartes, c’pas rien, ça, pis un des premiers traités modernes su « l’évaluation des rentes viagères par l’espérance mathématique », une p’tite lecture légère su’a plage à Puerto Plata.

Y’avait commencé sa carrière politique comme pensionnaire d’la ville de Dordrecht puis, à’faveur du pétage au frette du précédent pensionnaire de Hollande, y’avait été élu à c’te poste-là (pis donc au poste de grand-pensionnaire) en 1653.

Comme j’vous ai dit, un grand-pensionnaire, ça pouvait pas partir tu’seul de son bord pis faire c’que ça voulait. Johan avait aucun pouvoir officiel. Son seul privilège, c’tait de parler en premier dins assemblées; autrement dit, y pouvait donner l’ton pis mettre les idées qu’y voulait su’a table avant toutes les autres. 

Après ça, c’tait lui qui présidait les débats, pis une fois que les mâche-patates s’taient faite aller, c’tait aussi lui qui rédigeait les « résolutions », ou les décisions rendues par les États généraux – une autre occasion de mettre subtilement sa touche dins affaires. 

Avant toute, Johan avait le tour de s’servir de son influence pour que tout l’monde s’accorde sans se sauter dans’face; en vrai champion de l’accordéon, ça faisait 19 ans qui s’faisait réélire comme grand-pensionnaire. 

Mais faut pas crère que, grâce à de Witt, les politiciens des Provinces-Unies s’faisaient des grosses colles, pratiquaient la communication non violente, s’organisaient des potlucks pis se t’naient main dans’main avec des fleurs dins ch’feux en chantant Imagine de John Lennon.

À toutes les paliers d’gouvernement, y’avait d’la tension entre deux factions. D’un bord, y’avait les républicains bourgeois, dont Johan de Witt. De l’autre, y’avait les orangistes – les partisans d’la maison d’Orange, c’t-à-dire les nobles les plus puissants des Pays-Bas pis c’qu’y avait de plus proche d’une famille royale.

Faut savoir que, quand les Provinces-Unies avaient gagné leu z’indépendance, Guillaume II, prince d’Orange, avait essayé de s’faufiler dins craques du changement de régime pis peut-être – les historiens s’astinent encore là-dessus – de devenir roi des Pays-Bas.

Lui, y’était le « stadhouder » de Hollande. En gros, ça voulait dire qu’y était le commandant en chef de l’armée des Provinces-Unies. C’tait pas censé être héréditaire, c’te fonction-là, mais ça faisait plusieurs générations que les Orange la monopolisaient comme ton grand frère pas fin qui voulait jamais te passer la manette quand vous jouiez à Street Fighter II en gang dans l’sous‑sol.

Guillaume, y’était pas content d’la paix qui avait été signée avec l’Espagne. La guerre, c’tait super bon pour le prestige de sa famille, pis y voulait que ça continusse! Faique y s’mit à manœuvrer par en arrière pour que la chicane arpogne.

D’abord, fallait qu’y empêche les États généraux de démobiliser l’armée. Y’essaya donc de flatter les régents des villes pis des provinces dans l’sens du poil avec des cadeaux pis des belles façons pour qu’y votent contre la démobilisation. 

Mais tsé, quand tu sors d’une guerre de 80 ans, t’es pas mal écœuré, faique Guillaume récolta yinque un gros « bof ». 

Frustré, l’prince d’Orange décida d’utiliser la manière forte : en 1650, y se servit de l’armée pour capturer six des régents qui l’faisaient plus étriver – dont l’père à Johan de Witt – pis arfusa de les libérer tant que les États généraux f’raient pas c’qu’y voulait.

Sa crisette fit son effet :

« Ok, ok, c’est beau, on la démobilisera pas, l’armée, là! Seigneur, chille, Ti-Will! »

Mais Guillaume eut à peine le temps de savourer sa victoire : queques mois plus tard, PAF! Y péta au frette, emporté par la variole à 24 ans. 

Son trépas pogna tout l’monde les culottes à terre; c’tait un peu comme si, en pleine finale d’la coupe Stanley, les Golden Knights au complet s’taient faites effoirer dans un terrible accident de zamboni pis que les Panthers d’la Floride restaient tu’seuls su’a glace. Sauf que, tel un but scoré à 0,02 seconde d’la fin de la troisième, Guillaume III, le fils à Guillaume II, naquit huit jours après que son père eut passé l’arme à gauche.

La maison d’Orange était encore dans’game.

L’existence de c’te nouveau p’tit fruit-là faisait clairement pas l’affaire des républicains, dont de Witt. Pour pu que ça rarrive, des crisettes aristocratiques comme celle à Guillaume II, y travaillèrent ben fort pour que pu personne soit jamais nommé stadhouder en Hollande, écartant du pouvoir le prince encore au biberon. Pis une fois devenu grand-pensionnaire, de Witt organisa toute l’éducation à Guillaume Junior pour qu’y devienne un bon p’tit républicain. 

Ça marcha pas ben ben. À’place, Guillaume III – Le retour de l’Orange, grandit en étant frustré de pas avoir la place qui aurait dû y’arvenir de plein droit, à son avis à lui pis à ses orangistes, qui l’défendaient avec autant d’ardeur que les swifties avec leu belle Taylor.

Pis là, vingt ans plus tard, le prince d’Orange argardait de Witt avec des tits yeux de crocodile qui dépassent à’surface de l’étang en guettant patiemment une occasion de le faire tomber.

Guillaume III d’Orange-Nassau, crocodile aristocratique.

L’année 1672 allait y donner drette ce dont y’avait besoin.

Jusque-là, ça allait tellement ben dins Provinces-Unies qu’on avait appelé les 100 dernières années « le siècle d’or ». Après s’être faite rentrer le catholicisme dans’gorge pendant 150 ans par l’Espagne, les Néerlandais, qui étaient une bonne gang à être protestants, avaient décidé de pu écoeurer personne avec une religion d’État. La liberté d’culte avait attiré plein d’monde de partout, pis y’avait eu une espèce d’explosion d’arts pis d’sciences pis d’commerce. 

Mais, dans l’histoire du pays, 1672 est appelée rampjaar – traduction très TRÈS libre : « l’année où toute a chié ».

Quand les Provinces-Unies s’taient libérées de l’Espagne, y’avaient eu d’l’aide de la France pis de l’Angleterre. Tsé, pourquoi rater une occasion de faire la guerre par procuration à ton voisin péteux avec son tracteur à pelouse, sa piscine creusée pis son empire-colonial-plusse-gros-que-le-tien?

Mais là, qu’est-ce que les bourgeois au pouvoir avaient faite, depuis la création des Provinces-Unies? Y’avaient bourgeoisé, ben crère : sous leu direction, le pays était devenu une vraie puissance navale pis commerciale. Pis avec quiiiii ça les avait mis en compétition, ça?

Les Anglais!

Y’eut la première guerre anglo-néerlandaise, pis la deuxième guerre anglo-néerlandaise, deux chicanes navales qui durèrent deux ans chaque.

Un m’ment’né, Louis XIV, tanné, faut crère, des pâtés en croûte pis du foie gras qu’y engloutissait pendant que son peuple crevait d’faim, décida de s’arvirer contre ses anciens alliés pis de prendre une bouchée du territoire néerlandais à’place. Le roi Charles II d’Angleterre signa même un traité secret avec lui pour l’aider à conquérir les Provinces-Unies.

C’est là que toute prit l’bord pour les Néerlandais. 

Comme j’vous disais, en bonne puissance navale, les Provinces-Unies avaient une flotte su’a coche; la preuve, le 7 juin 1672, une gang d’Anglais pis d’Français s’pointèrent par bateau en espérant débarquer su’é côtes néerlandaises, mais y s’firent arcevoir s’un moyen temps par l’amiral vedette Michel de Ruyter. Y leu fit tellement manger leux bas qu’y durent annuler toutes leux plans d’invasion par la mer.  

L’armée d’terre, par’zempe, ça faisait dur pas mal.

Y’avait une raison pour ça, pis c’tait Johan de Witt. Bon, c’tait p’t-être pas juste lui, mais un gros boutte lui.

Tsé, l’idée des sept provinces unies, mais indépendantes, sans roi ni prince ni rien d’arsemblant? Johan, y’appelait ça la « vraie liberté », pis pour lui, c’tait l’affaire la plus importante au monde. Presque toute c’qu’y faisait, depuis quasiment 20 ans, c’tait pour protéger c’t’idéal-là, peu importe le prix. 

Pis, vous vous rappelez la crisette à Guillaume II, 22 ans avant, avec l’armée?

Johan, lui, y’avait jamais oublié. 

En plus d’abolir carrément la fonction de stadhouder en 1667, y’avait laissé l’armée de terre sécher comme un coton. Garder l’armée forte, après toute, c’tait comme cultiver une belle grosse pomme juteuse que Guillaume III pourrait être tenté d’cueillir.

À’place, Johan avait essayé d’utiliser son talent en jasette pour convaincre les royaumes voisins de pas attaquer les Provinces-Unies.

C’tait tu naïf, son affaire? P’t-être un peu. 

Entécas, là, ça y pétait dans’face. 

Wô, là, faut pas crère que de Witt restait planté là sans rien faire, comme l’empereur Honorius qui catichait ses poules pendant qu’Rome s’faisait piller par les Wisigoths : dès qu’la guerre avait été déclarée, y’avait tout faite pour donner des renforts à l’armée. Sauf qu’y était déjà trop tard, pis les Français avançaient comme un feu d’prairie – trop vite pour que les Néerlandais puissent vraiment s’arvirer d’bord. 

Les villes des Provinces-Unies tombaient les unes après les autres. Dans celles qui étaient pas encore conquises, la panique pogna ben raide. Le monde sortaient dins rues en s’arrachant les ch’feux pis en criant Jésus Marie Joseph on va toutes mourir. Les Français arrivaient, pis y’avait rien ni personne pour les arrêter.

Les marchands décrissaient du pays en masse. La panique était pognée à’Bourse. Toute sacrait l’camp.

Malgré l’odeur de feu pis d’fin du monde, Guillaume d’Orange, lui, était mort de rire : c’tait enfin sa chance de faire passer de Witt pis les républicains pour une gang de cocombres mous pis de montrer que si ça avait été LUI, le boss, y’a rien de t’ça qui s’rait arrivé.

Sa patience de crocodile allait enfin payer.

Ses partisans, les orangistes, se mirent à crier su tou’és toits que toute était d’la faute de Johan de Witt pis qu’y fallait nommer Guillaume III stadhouder. Dins rues, y s’distribuait des pamphlets écrits par on sait pas qui qui accusaient de Witt de toutes les torts, de l’incompétence crasse à’haute trahison. Du haut d’leu chaire, les curés sautèrent aussi dans l’tas contre le grand‑pensionnaire, eux autres qui haïssaient les idées républicaines pis la maudite liberté de religion. 

La populace fut facile à crinquer. La vieille idée d’un souverain de droit divin qui sait d’instinct c’qui est bon pour son royaume, ça avait la vie dure. De Witt pis ses proches, à côté, avaient l’air d’une gang de péteux d’broue qui s’pensaient meilleurs que les autres pis qui travaillaient pas pour les intérêts du vrai monde. 

Johan, qui sentait toute y filer entre les doigts comme une pognée d’sable de grève, allait goûter à’rage populaire jusque dans sa chair. Le soir du 21 juin, y’arvenait d’la job avec deux serviteurs quand y s’fit sauter d’ssus par quatre jeunes gars qui voulaient pas juste y péter la gueule : y voulaient l’assassiner. 

Y poignardèrent Johan dins côtes pis à l’épaule; y s’écroula à terre pis s’péta la tête solide su les pavés d’pierre. Le croyant mort, les flos se sauvèrent.

Johan était magané, mais y survécut.

Les flos, toutes des fils de politiciens orangistes, furent arrêtés, pis le chef d’la gang, Jacob van der Graeff, fut condamné à mort. L’explication qu’y donna à son procès? 

« Johan de Witt, c’t’un traître! Y reste là assis su ses mains tandis que les Français nous ramassent! C’qu’y veut, c’est donner not’pays au roi d’France! C’t’un astie de traître! » 

C’tait drette le discours qui circulait dans’population, qui l’avait attisé jusqu’au meurtre. Son exécution aida vraiment pas à calmer l’jeu; pire, ça eut l’effet d’une can de gaz s’un feu d’la Saint-Jean : 

« De Witt était même pas si blessé que ça! Ça valait pas la peine de mort! Y’a d’quoi de pas net là-dedans! »

« Y’avait raison, le p’tit gars! C’t’un héros, pis y l’ont tué! Traîtres! »

« Nommez Guillaume d’Orange stadhouder pis clairez-moé de d’là c’te racaille de bourgeois! Ça presse! »

Le 4 juillet, les régents des provinces durent se résoudre à nommer Guillaume III stadhouder – pas tant parce qu’y l’aimaient, mais plutôt parce que la population était rendue tellement enragée qu’y avaient peur de toutes se faire massacrer sinon.  

Le 23 juillet, argardez don ça, vous autres, vous parlez d’un adon : Cornelius de Witt, le frère à Johan, un politicien lui avec, se fit accuser d’avoir comploté pour assassiner l’prince d’Orange!

Guillaume Tichelaer, le gars qui l’avait dénoncé, c’tait un barbier pis un maquereau notoire. Y’avait été vu par plein d’monde entrer dans l’camp de l’armée à Guillaume d’Orange avec une créâture de p’tite vertu pis en r’sortir une grosse bourse pleine de piasses – oui, ok, clairement y fournissait du woup’laïdou aux militaires, mais là, la bourse était tellement grosse qu’y avait pu s’permettre de fermer sa shop de barbier. Quand même, y fut pris au sérieux, pis Cornelius fut enfermé dans’prison de Gevangenpoort à La Haye.

Le 4 août, Johan de Witt alla voir Guillaume III pour dire qu’y démissionnait du poste de grand‑pensionnaire. Y’était ni cave ni trop tête dure, y voyait ben qu’y avait pu aucune crédibilité. Tsé, quand ça crie dans’rue que toute irait ben si t’étais mort, c’est l’temps de partir…

Mais là, Johan stressait surtout pour son frère. Cornelius avait été torturé pendant des heures, mais la seule affaire que les bourreaux avaient réussi à y faire cracher, c’tait un poème en latin su’l courage pis la vertu dans l’adversité. Un fuck you élégant, quoi.

Au procès, les juges avaient rien d’autre que l’témoignage du barbier proxénète pour condamner Cornelius. C’tait clairement pas assez pour le déclarer coupable, mais y savaient ben que si y’acquittaient le gars, la foule en avant d’la prison allait péter des vitres, tout arracher pis les lyncher su’a place publique.

Vers neuf heures et demie le 20 août, le verdict était tombé. Tichelaer sortit d’la prison en compagnie de deux orangistes particulièrement convaincus qui avaient passé l’matin à crinquer la foule. Y’annonça :

« De Witt est condamné à l’exil à perpétuité. J’vous avais dit que ch’contais pas de menteries! C’t’un traître! »

Pour les juges, c’tait l’meilleur compromis qu’y pouvaient faire. Mais pour le troupeau d’enragés qui était rassemblé là, c’tait une sentence bonbon pis une grosse christie d’farce :

« Maudite gang de juges vendus! On les égorge pis on brûle leu maison! »

Pis c’est drette c’qu’y auraient faite si, à c’te moment-là, la prison de Gevangenpoort avait pas été encerclée par les hommes d’la garde civique. Mais c’tait évident que c’tes gens-là allaient pas juste se disperser tranquillement. La journée allait être longue…

Vers dix heures, une jeune servante se pointa chez Johan. A dit qu’a venait de la prison pis que Johan devait aller chercher son frère parce que, supposément, y’était pu capable de marcher à cause de la torture. 

De Witt pogna aussitôt sa froque pis allait sauter dans son carrosse, mais un de ses amis qui était là y dit : 

—       Tu trouves pas ça bizarre que c’t’une p’tite fille qui vienne te chercher, pis pas un garde ou quequ’un de plus officiel? Tu devrais attendre une confirmation avant de t’garrocher.

—       Ouin, Papa, vas-y pas, dit sa fille Anne qui était là aussi. C’est super louche! J’ai peur qu’y t’arrive de quoi, pis à nous autres aussi!

—       Ben non, vous vous en faites pour e’rien. Mon frère a besoin d’moé pis c’est toute c’qui compte. J’ai jamais eu peur du monde, pis m’as pas commencer ça aujourd’hui.

Faique la maudite tête dure à de Witt s’en alla à Gevangenpoort pis réussit à rentrer dans la prison avec la protection d’la garde civique. 

Dès que Cornelius le vit arriver, y dit : 

—       C’tu fais là? T’aurais pas dû v’nir. T’aurais dû me laisser icitte, sauver ta peau pis mettre ta famille pis la mienne en sécurité!

—       Ben non, fais-toé z’en pas. On va s’arranger pour cuisiner Tichelaer pis y faire cracher l’morceau, pis avec ça, on va interjeter appel! On va s’en sortir, tu vas voir!

Johan, naïf pis idéaliste, même quand l’couvert d’la chaudronne faisait keling-kelang, que la stime sortait de tou’és bords pis que l’lait était su’l bord de s’répandre partout su’l dessus du poêle. 

Vers onze heures, Johan avait réglé toutes les formalités pour faire sortir Cornelius. Mais quand y s’enlignèrent pour sortir d’la prison, quequ’un cria : 

« Les traîtres s’en viennent! » 

Les gardes s’artournèrent contre les frères pis dirent : 

« Artournez dans’cellule ou on vous tire dessus! »

Johan essaya de s’astiner, de demander si y pouvait pas sortir par une autre porte, mais les gardes pointèrent leu fusil su lui pis l’armèrent. 

CLIC. 

Dehors, la masse de monde grossissait pis grossissait pis continuait de réclamer la tête à Johan pis Cornelius. Vers une heure de l’après-midi, la garde civique au complet avait été déployée autour d’la prison. Trois compagnies de cavalerie furent appelées en renfort, mais y’avait tellement d’monde de taponné là qu’y réussirent même pas à s’rendre jusqu’à prison. 

Un messager alla demander de l’aide à Guillaume d’Orange. En tant que stadhouder, y’était parfaitement capable d’envoyer des renforts, mais sa réponse fut ben simple : 

« Non. »

Vers le milieu de l’après-midi, y s’répandit une rumeur comme de quoi une horde de paysans déchaînés s’en venaient piller la ville. 

Vers quatre heures, la cavalerie arçut l’ordre de s’déployer aux ponts qui donnaient accès à’ville pour empêcher la supposée horde de paysans de rentrer. Quand y’apprit ça, leu capitaine fit une face : 

« M’as y’aller parce que c’est les ordres, mais j’vous l’dis, les de Witt sont pas mieux qu’morts. »

À cinq heures, la foule s’écœura pis décida d’en finir.

Quequ’un fit sauter les pentures d’la porte d’la prison en tirant dessus, pis deux forgerons pétèrent les serrures à coups de masse. 

Les émeutiers s’engouffrèrent dans’prison pis trouvèrent les frères de Witt qui lisaient dans la cellule à Cornelius, l’air ben relax. 

—       Aweille en bas! C’est l’heure de mourir!

—       Tant qu’à nous tuer, pourquoi pas le faire icitte? répondit Johan.

—       Parce qu’y faut que tout l’monde vous voye crever, qu’on y rétorqua. 

Johan pis Cornelius se firent ramasser pis emmener de force en bas des marches pis dehors. Dans l’bardassage, ça a l’air que Johan eut l’temps de mettre sa main su l’épaule à son frère pis d’y dire : 

« Adieu, mon frère. »

Là, j’vous l’ai dit au début : ça finit pas ben comme dans la Pat’Patrouille. Faique si l’écrapou vous écoeure, sautez jusque là où c’t’écrit ICITTE un peu plus loin, parce que ça s’ra vraiment, VRAIMENT pas beau. 

Bon! À c’t’heure qu’on est entre nous autres, m’as vous dire exactement c’qui est arrivé à Johan de Witt pis à son frère Cornelius. J’me suis pas tapé des heures pis des heures de lecture su’a politique néerlandaise du 17e siècle pour passer par-dessus l’gluant pis l’croquant. 

Les enragés avaient prévu d’emmener les de Witt à l’échafaud pis de les fusiller, mais Johan pis Cornelius se rendirent jamais là vivants. Dès qu’y passèrent la porte, les insurgés se garrochèrent su eux autres. 

Cornelius mourut en premier, percé tous bords tous côtés par des baïonnettes, les piques pis des épées. 

Johan fut crissé à genoux. Ses derniers mots furent : 

« Citoyens! Qu’est-cé vous faites là? » 

Pis on y tira un coup d’mousquet dans l’derrière d’la tête. 

On aurait pu crère que les émeutiers se s’raient calmés après ça, mais y’a… de quoi… qui s’empara d’eux autres. De quoi… d’ancien pis d’épeurant. Une espèce de rage de sang animale, une frénésie épouvantable. 

Les deux cadavres furent traînés jusqu’à l’échafaud pis pendus par les pieds. Le monde se ruèrent dessus, les déshabillèrent pis leu coupèrent toutes les bouttes pis dépassaient – les mains, les pieds, les oreilles, pis même le zouiz, que d’après certains témoins, on essaya d’leu z’arracher avec les dents.

Y leu crevèrent les yeux. Après ça, y leu z’ouvrirent le ventre. Y prirent le cœur, le foie, sortirent les intestins pis s’amusèrent avec comme si c’taient des guirlandes de Nwël. 

Ceux qui avaient ramassé des organes ou d’autres morceaux s’improvisèrent des p’tites enchères : 

« Quiiii veut un boutte de traître? Dix piasses? Douze piasses? Qui dit mieux? »

Y’en a qui sortirent des p’tits braseros pis s’mirent à rôtir des morceaux pour les manger. Y’avait des riches pis des pauvres, des nobles pis des ordinaires, des hommes, des femmes pis des enfants toutes ensemble dans l’plaisir pis l’agrément. C’tait comme un barbecue ben convivial dans une fête des voisins au parc municipal, mais dans un film d’horreur.

ICITTE. 

C’est pas avant une heure du matin que la foule fut assez dispersée pour que les amis pis la famille réussissent à récupérer les deux cadavres, qui étaient pu pantoute arconnaisables.

Les frères de Witt étaient officiellement pu d’ce monde. Vraiment, mais vraiment pu d’ce monde. 

D’la manière qu’y avaient été tués pis mutilés, on aurait dit que c’tait pas yinque un assassinat politique. Dites-le moé si ch’pars s’une chire, mais c’qui s’était passé là, c’tait comme un… un genre de rituel de purification?

J’vous parlais tantôt de l’idée que Guillaume d’Orange était le vrai souverain de droit divin des Pays-Bas, tandis que les de Witt pis les autres bourgeois passaient pour gang de tyrans qui avaient pas d’affaire là. 

Ben, c’tait comme si la foule, à c’te moment-là, avait rétabli l’autorité du Bon Dieu pis purgé l’royaume des méchants usurpateurs dans une orgie de sang pis d’violence. Un genre de sacrifice humain pour calmer l’courroux du Seigneur…

Mais bon, ch’t’après m’écarter. 

La victoire à Guillaume III était TO-TALE. Y’était stadhouder, son pire ennemi était extrêmement pu là, pis y’avait même pas eu à se salir les mains. 

Mais, y’était-tu vraiment blanc comme neige? 

Pense pas, moé. 

À sa défense, y croyait probablement pas que ça allait virer si pire que ça. Quand on y raconta c’qui venait d’se passer, y passa proche de pâmer. 

Mais! Après la première tentative d’assassinat pis avant sa démission, Johan avait demandé au prince d’Orange de faire arrêter la campagne de salissage contre lui, mais y’avait arfusé parce que « ça dérangerait du monde à qui y d’vait sa gratitude ». 

À part ça, c’te maquereau de Tichelaer? Dins années qui suivirent, y’arçut mystérieusement une pension jusqu’en 1702, l’année d’la mort à Guillaume III. Les rumeurs de paysans enragés qui fonçaient su La Haye, pis finalement c’tait pas vrai? C’tait clair que quequ’un avait parti ça par exprès pour éloigner la cavalerie. Pis j’vous rappelle que quand Guillaume III s’tait faite demander des renforts pour protéger la prison, y’avait dit non. 

Pire encore, le stadhouder ordonna pas d’enquête. Personne fut accusé de rien. Tout l’monde savait exactement qui avait tiré Johan dans’tête, mais l’gars fit jamais face à la justice pour ça. 

Dans l’meilleur des cas, l’prince d’Orange savait c’qui s’grenouillait pis y’avait juste laissé ça aller. 

Toujours est-il qu’après, les choses finirent pu de ben aller pour lui. Y réussit à arpousser les Français pis signa la paix de Nimègue en 1678. Y devint même roi d’Angleterre en 1689, mais ça, c’t’une autre histoire que j’vous conterai p’t-être un m’ment’né. 

Je l’sais pas pour vous autres, mais moé, tout l’long de cette histoire-là, ch’sentais comme un malaise. Si un massacre aussi épouvantable a pu arriver tout d’un coup dans une société supposément « civilisée » pis même « évoluée » où c’que florissaient les arts pis les sciences… Qu’est-ce qui nous dit que ça pourrait pas rarriver au jour d’à c’t’heure?


Sources :

Herbert H. Rowan, John de Witt : Statesman of the « True Freedom », Cambridge University Press, 1986.
Wout Troost, William III, the Stadholder-King: A Political Biography, Routledge, 2005.
Ingrid Frederika DeSanto, Righteous Citizens: The Lynching of Johan and Cornelis DeWitt, The Hague, Collective Violence, and the Myth of Tolerance in the Dutch Golden Age, 1650-1672, University of California, 2018.

Une fois c’tait trois servantes pis un gouverneur dans un placard – mais ça vire pas comme vous pensez

(Ce texte-là a d’abord été publié su Facebook – si vous suivez mon Facebook, c’est rien de nouveau)

C’tu moé ou on sent une certaine tension entre sainte Anastasie d’Illyrie pis sainte Parascève d’Iconium dans c’te peinture du 15e siècle?

Au départ, mon idée, c’tait juste d’écrire ça, de publier l’image, pis tiguidou.

Mais, comme j’doute toujours de toute, ch’t’allée vérifier à la source si le mari à Anastasie était débauché tant que ça.

Dans Wikipédia, ça dit : « Romaine d’origine, elle est mariée à un débauché nommé Publius. »

Sauf que dans La légende dorée de Jacques de Voragine, best-seller du Moyen-Âge et source ultime pour toute c’qu’y est saint, ça dit que Publius était païen pis pas fin, mais ça dit pas qu’y était particulièrement débauché. J’vous dis, faut TOUJOURS TOUTE vérifier.

Mais même si l’histoire à Anastasie arsemble pas mal aux autres histoires de saintes romaines (mari païen qui veut contrôler sa vie – gouverneur méchant qui la torture – miracle – mort en martyr – fin), en plein milieu, y’a comme une dérape avec trois servantes pis ça vire complètement burlesque. J’vous résume.

En gros, Anastasie avait trois servantes chrétiennes qui s’adonnaient à être des sœurs : Irène, Chionie pis… Agapite. C’t’un p’tit nom qui arvient pas trop à’mode, ça, hein, Agapite? Tant qu’à ça, Chionie, ça annonce rien de bon pour le secondaire 2.

Malheureusement pour elles, un gouverneur vicieux les avait spottées pis avait ben envie que les p’tites pitounes viennent faire un tour su’és genoux à mononc’, si vous voyez c’que j’veux dire.

Ne voulant rien savoir, les trois voulurent se sauver, mais le gouverneur les fit enfermer dans un cagibi où c’qu’on gardait les ustensiles de cuisine. Pourquoi yé z’avait pas faite emmener à queque part de plus confortable, genre sa chambre, fouillez-moé – les p’tites places renfermées avaient-tu des associations spéciales pour lui?

Toujours est-il que, quand l’gouverneur entra dans l’cagibi, le Seigneur avait rendu les filles invisibles; faique à’place, le gars zigna un tas d’chaudronnes pleines de suie – pis y s’en rendit même pas compte! Ça, tant qu’à moé, c’est le plus gros miracle d’la patente.

Vous m’creyez pas? V’là ce qui est écrit dans La légende dorée :

« Et le gouverneur, qui brûlait de l’amour qu’il avait pour elles, alla à elles pour assouvir sa luxure, et il croyait avoir affaire aux vierges, et il trouva pots et chaudrons, poêles et autres outils semblables, et il les accolait et baisait. »

Ça devait mener un train d’enfer, toute ça. Imaginez quequ’un qui passait dans l’corridor à c’te moment-là pis qui entendait des « kaklang kaklang kaklang » – y’avait d’quoi s’poser des questions!

Quand le gouverneur eut fini son affaire pis sortit du cagibi, y’était toute débraillé pis graissé de suie d’la tête aux pieds. Y t’avait tellement une allure épouvantable que, quand ses serviteurs le virent, y crièrent « Aaah! Un démon! Fessons dessus! » Tsé, comme ferait n’importe qui de sensé.

Après y’avoir crissé une volée à coups de bâtons, les serviteurs du gouverneur se sauvèrent à’course, le laissant là toute poqué. Y décida donc d’aller brailler à l’empereur. Mais, partout su son chemin, on continuait de l’fesser à coups de poings pis de bâtons pis on y crachait dessus.

Autour de lui, ça criait : « Laitte! Laitte! Gros démon laitte! »

« Ben voyons, pourquoi c’qu’on m’persécute de même? »

Le gouverneur comprenait rien de c’qui s’passait, pis la raison était ben simple : le Seigneur l’avait aussi rendu aveugle, faique y’avait aucun moyen de s’voir l’allure.

L’histoire dit pas comment, mais notre libidineux légat finit par s’mettre à l’abri. C’est là qu’on y’expliqua qu’y avait traversé la ville en ayant l’air d’avoir passé la nuite dans l’poêle. Face à c’t’information-là, y pouvait tirer deux conclusions :

  1. J’ai zigné des chaudronnes graissées de suie dans un cagibi comme un bazouelle d’animal, faique j’me suis artrouvé tout graissé moé’ssi.
  2. C’est des sorcières pis y m’ont jeté un sort pour me rendre laitte.

Laquelle qu’y choisit, vous pensez?

« Qu’on les déshabille tout nues, c’tes maudites guédailles-là! »

Quand les gardes s’approchèrent pour les dégreyer, le linge des trois sœurs – qui, euh, avaient réapparu depuis tantôt, on dirait ben – s’colla tellement serré su elles que c’tait impossible de leu z’enlever.

Pis tout d’un coup, le gouverneur tomba endormi.

L’histoire des sœurs finit d’même, pis après, ça r’vient à Anastasie.

C’est ça, la beauté des récits de sainteté écrits au Moyen-Âge : au moment où tu t’y attends le moins, ça vire en pestacle de Guignol avec des marionnettes qui s’fessent à coups de bâton!

François Vatel : l’anxiété d’un contrôleur général de la bouche

Moé, chus ben impatiente.

Quand queque chose arrive pas aussi vite que j’voudrais, ch’fais l’bacon pis j’dis :

« Si ça arrive pas tu’suite, ça arrivera jamaaaaaais! »

Ch’t’aussi ben perfectionniste pis j’ha-guis être pognée en défaut pis pas réussir.

Bref, ch’pas reposante; vous en parlerez à Mononc’Poêle.

Mais heille, ch’s’rai jamais aussi pire que François Vatel, le « contrôleur général de la bouche » du prince de Condé au château de Chantilly.

Ça mérite un ti-peu d’contexte, hein?

D’abord, « contrôleur général de la bouche », ça veut pas dire que l’bon monsieur Vatel avait comme job de tchéquer l’haleine du prince à chaque fois qu’y sortait d’chez eux ou qu’y arcevait d’la visite.

La « bouche », au 17e siècle, en France, ça voulait dire toute c’qu’y avait rapport au manger dans’maison du monde d’la noblesse. Autrement dit, Vatel s’occupait de faire les listes d’épicerie pis d’organiser les repas – des soupers intimes avec yinque 5 services pis d’la tite musique de chambre aux gros banquets à 3 000 personnes avec des jongleurs pis des feux d’artifice.

Les 23, 24 pis 25 avril 1671, Vatel avait une maudite grosse commande : son boss arcevait Louis XIV, le Roi Soleil EN PERSONNE!

En plus, pour le prince de Condé, fallait absolument que toute se passe comme su des roulettes.

L’affaire, c’est que Condé avait un ti-peu pris les armes contre son cousin Louis XIV pendant la Fronde, dins années 1650, pis les deux étaient comme en frette depuis c’temps-là. En invitant le roi chez eux, le prince espérait vraiment arvenir dans ses bonnes grâces.

À part de ça, Condé avait vraiment besoin d’un bon pouish de Febreeze Aube calme à la vanille™ pour couvrir l’odeur de scandale qui le suivait depuis qu’y avait accusé sa femme d’avoir commis l’adultère avec un domestique pis qu’y l’avait faite enfermer dans une tour.

Pis toute ça tombait su’és épaules à Vatel, qui stressait en baptême.

Les menus, les tables, le décor, la musique, le divertissement, y’avait pensé à toute pis y s’tait fendu en 4 pour que toute soit PAR-FAIT. Y voulait que son boss soit content, mais pas yinque ça : pour lui, c’tait une question d’honneur.

Le jeudi 23, la visite arriva à Chantilly – le roi pis les 3 000 personnes attendues, plus 75 agrès pas de classe qui décidèrent de s’pointer aussi, sans avertir.

Y furent accueillis comme les autres, hein; pas question d’les arvirer d’bord, ça s’faisait juste pas.

Mais y manqua un rôti à deux tables. Pas si grave, tsé, s’une vingtaine de services à 25 tables!

Vatel le prit MAL. Y capotait ben raide pis y’hyperventilait. Y dit à Gourville, son second :

« Ah, ça a pas de bon sens! J’ai l’air d’un astie d’cave! J’m’en r’mettrai jamais! Gourville, va t’occuper de donner des ordres, moé, j’vois pu clair – ça fait 12 jours que j’ai pas dormi… »

Gourville, qui s’inquiétait de voir Vatel dans toutes ses états d’même, alla bavasser au prince de Condé. Pis Condé, qui aimait ben gros son contrôleur général de la bouche, s’rendit jusqu’à sa chambre pour y dire de slaquer l’autoflagellation :

— Vatel, toute est beau! Le souper du roi était ben beau!
— Monsieur, vous êtes ben fin! Mais non! Y’a manqué un rôti à deux tables, ça a-tu d’l’allure!
— Ben non, c’est correct. Relaxe, toute va ben!

Comble de l’humiliation, c’te soir-là, y’avait d’la grosse brume, pis le gros feu d’artifice organisé pour finir la soirée fit patate. Vatel passa une autre nuitte blanche à s’taper d’ssus pis à stresser pour le lendemain.

Le vendredi, c’tait un jour maigre, c’t-à-dire qu’y fallait pas manger d’viande; pis en plus, on était en plein carême.

Faique notre contrôleur général avait prévu un festin de poisson de mer. Dans c’temps-là, y’avait pas de frigidaires; le château était pas équipé pour garder le poisson dans des viviers, pis c’tait pas encore ben répandu d’utiliser d’la glace pour garder la bouffe au frais. Autrement dit, le voyage de poisson devait arriver le jour même, pis pas une menute en retard. À part ça, Chantilly était pas exactement au bord d’la mer.

À quatre heures du matin, Vatel faisait déjà le pied d’grue à attendre après son poisson :

« Voyons, qu’est-cé qu’y fait là, qu’y arrive pas mon poisson? »

Enfin, artontit un p’tit marchand avec sa charrette.

— C’est toute? fit Vatel, découragé; c’tait clairement pas assez pour nourrir le roi pis sa gang de poudrés (ch’parle pas d’la poudre qui rend funné, là).
— Euh… oui? répondit l’marchand.

C’que l’marchand savait pas, c’est que Vatel avait passé des commandes dans toutes les ports de mer; faique, c’tait loin d’être toute.

Mais c’tait rien pour rassurer Vatel, qui continuait de s’tordre les entrailles à attendre. Plus l’temps passait, plus y désespérait, pis y’avait toujours pas d’poisson à l’horizon.

— Ahhhh, Gourville! Déjà qu’hier, j’ai eu l’air d’un maudit moron d’incompétent, qu’est-cé m’as faire si j’ai rien à mettre su’a table de Sa Majesté? M’as devenir connu comme l’astie d’jambon d’incapable qui a affamé le roi d’France! Là, c’est sûr que j’m’en r’mettrai jamais!
— Franchement, répondit Gourville. Y va arriver, vot’poisson! Yé encore de bonne heure, là, prenez don vot’gaz égal!

Mais, à huit heures, Vatel y creyait pu. Dans sa tête, toute était fini; sa réputation était irrémédiablement scrappe.

Y monta dans sa chambre pis ferma la porte.

Y prit son épée pis accota son épée su’a porte, la lame vers lui.

Pis s’embrocha dessus.

Drette comme, dehors, on l’cherchait partout :

« Monsieur Vatel! Monsieur Vatel! Le poisson arrive! De tous bords tous côtés! »

On l’artrouva mort dans son sang.

Pour une affaire de queques menutes.

Vatel devint une légende, un genre de martyre sacrifié su l’autel d’la gastronomie française.

Pis moé, ben, comme j’vous disais, je l’comprends : j’haïs attendre autant que j’haïs perdre la face.


Source : Lettres de Madame de Sévigné, de sa famille et de ses amis (tome II), publié en 1862.

La consanguinité chez les Habsbourg : de quessé, pourquoi, comment?

Les Habsbourg, ça vous dit-tu d’quoi, ça?

Si vous v’nez souvent écouter mes histoires, y’a des grosses chances que oui.

Pour les autres, m’as vous l’dire tu’suite, « Habsbourg » c’est pas un village thématique des Canadiens d’Montréal avec le resto à Mario Tremblay pis des marigorondes genre « Les Montagnes russes à Kovalev » pis « Le Slapshot à Boum-Boum Geoffrion ».

Les Habsbourg, c’t’une famille de monarques européens qui étaient tellement consanguins qu’y ont passé proche de s’auto-faire disparaître.

Là, vous vous dites peut-être : « Consanguins? Dans l’sens qu’y mariaient leux cousines? Comme Ti-Clin Dufour du rang 12? Tu parles de des colons! »

On l’sait, c’te genre d’union-là passe assez mal dans’société, que tu soyes un big shot ou pas.

Mais quand même, entre Ti-Clin Dufour pis les Habsbourg, y’a une bazouelle de grosse différence.

Ti-Clin, lui, ça se peut que l’choix d’femmes à marier était pas vargeux dans son rang 12 – y voyait sa cousine Floridâ à tou’és jours su’l lot d’à côté, pis y’a fini par se dire ouin, a s’en vient pas pire la p’tite, j’irai pas charcher plus loin!

Mais les Habsbourg, eux-autres, y’étaient riches et puissants, pis l’Europe au complet était leu buffet quand v’nait l’temps de s’marier.

Faique pourquoi, d’abord, toujours piger dans le même plat d’bonbons?

Justement parce qu’y étaient riches et puissants, pis qu’y voulaient l’rester.

Toute ça, on va dire que ça a commencé – parce qu’y faut ben commencer queque part! – par le gars qu’on appelait Charles Quint.

Avant lui, les Habsbourg étaient quand même pas des tout nus : c’taient des archiducs d’Autriche pis des empereurs du Saint-Empire.

Mais Charles, y’a amené ça à un autre niveau en devenant le souverain d’une quantité de territoires qu’on avait rarement vue mise toute ensemble depuis l’empire romain!

Comment c’t’arrivé, don? Charles était-tu un méga conquérant?

Pantoute!

C’est que, grâce à des mariages ben stratégiques arrangés par son grand-père pis son arrière-grand-père, pis une bonne dose de chance, Charles Quint a hérité des titres de ses QUATRE grands-parents – d’habitude, tsé, yinque un, c’est ben en masse!

C’qui était excessivement rare, c’est que Charles avait deux grands-mères régnantes, c’t’à dire qu’y régnaient de leu propre droit, comme feu Élizabeth, au lieu d’être juste « la femme de », ou « consort », comme Camilla.

Sa grand-mère paternelle, c’tait Marie, duchesse régnante de Bourgogne. Dans c’te temps-là, le duché de Bourgogne était un grand territoire qui comprenait, en plus d’la Bourgogne en tant que telle (en France), une partie d’la Belgique pis des Pays-Bas.

Son grand-père paternel, c’tait Maximilien Ier, archiduc d’Autriche pis empereur du Saint-Empire.

Par son père Philippe, qu’on appelait « le Beau », Charles a hérité de toutes leux titres, sauf celui d’empereur du Saint-Empire – fallait être élu pour ça, mais, souvent, les princes-électeurs se cassaient pas trop l’bécique pis élisaient le fils ou le frère de l’ancien. Faique, à’mort de son grand-père Maximilien, Charles a été élu à sa place, vu que son père avait déjà passé l’arme à gauche.

(Là, faites-vous en pas si je vous garroche plein de noms d’même – vous êtes pas obligés de vous souvenir de toute, c’pas grave.)

L’empereur Maximilien, sa femme Marie, son fils Philippe, ses petits-fils Charles pis Ferdinand, pis Louis, roi de Hongrie, le mari d’la fille à Philippe – c’qui fout là, lui, on s’en reparle plus tard. On voit que les titres pis les territoires, c’tait pas la seule affaire qui se transmettait de génération en génération.

Sa grand-mère maternelle, c’tait Isabelle Ière, reine régnante de Castille. Son grand-père maternel, c’tait Ferdinand II, roi d’Aragon.

Donc, par sa mère, Jeanne Ière, qu’on appelait « la Folle » (pourquoi, je rentrerai pas là-dedans, c’t’une histoire en soi), Charles a hérité de la Castille pis de l’Aragon.

Mais, quand ses parents se sont mariés, c’tait loin d’être évident que Charles allait hériter de toute.

D’abord, Jean, le frère à Jeanne pis le prince héritier, est mort jeune, supposément parce qu’y avait trop baratté l’beurre avec sa nouvelle femme, mais y’a plus de chances que c’tait la tuberculose. Après ça, Isabelle, sa sœur plus vieille, est morte elle avec, pis son bébé garçon aussi.

Faique quand la reine Isabelle est partie arjoindre le p’tit Jésus, c’est Jeanne qui est devenue reine de Castille, pis Charles a co-régné avec elle jusqu’à sa mort.

Ferdinand d’Aragon, dans l’espoir de se fricoter un nouvel héritier doué de zouiz pour son royaume à lui, s’est armarié avec Germaine de Foix. Sauf que, à 63 ans, y’avait l’manche un peu mou, faique sa femme y’a fait faire une p’tite potion à base de gosses de taureau pis d’extrait de coléoptère. Malheureusement, l’apothicaire aurait raté le dosage, pis Ferdinand est mort empoisonné.

Et pouf! Charles s’est artrouvé roi d’Aragon.

Les grands-parents maternels à Charles Quint. Isabelle de Castille a l’air d’une maman dévouée mais au bord du burn-out; Ferdinand d’Aragon a l’air de ton chummy poteux qui squatte ton divan depuis 3 semaines « le temps de s’arvirer d’bord ». 

Bref, une fois toutes ses aïeux éteints, Charles V du Saint-Empire, ou Charles Quint, s’est ramassé avec un astie de tapon de territoires, y compris les colonies espagnoles en Amérique.

À c’t’heure, fallait qu’y s’arrange pour garder ça, pis les mariages allaient être au cœur de sa stratégie.

Pour mieux comprendre pourquoi, faut se d’mander à quoi ça sert, un mariage royal.

Premièrement – on peut pas passer à côté – ça sert à produire des héritiers, de préférence doués de zouiz. Dans un système héréditaire de même, y’avait rien de plus important.

Des fois, ça pouvait influer su’és décisions. Au départ, Charles Quint était censé marier sa cousine Marie Tudor, la fille à sa matante Catherine pis la future reine d’Angleterre, mais y’a changé d’idée parce qu’y voulait des d’héritiers au plus maudit, pis Marie, a l’avait juste cinq ans.

Deuxièmement, un mariage royal, ça sert à créer des alliances ou à les rendre plus fortes. Quand Charles Quint a fini par marier une autre cousine, Isabelle du Portugal, c’tait pas parce qu’y l’avait croisée une couple de fois dins partys d’famille pis qu’y’a trouvait cute, mais parce qu’une alliance avec le Portugal était ben d’adon pour l’Espagne. Vu que, dans c’tes années-là, les deux royaumes étaient après explorer pis coloniser à tour de bras, c’tait important qu’y s’accordent pis qu’y s’pilent pas su’és pieds. À part de ça, l’Portugal était riche en simonac; bref, c’tait mieux pour l’Espagne qu’y soye allié avec elle plutôt qu’avec, genre, la France.

Tin-Clin Dufour et sa cousine Floridâ, un portrait du bonheur conjugal.
(Charles Quint pis Isabelle de Portugal)

Avançons un ti-peu dans l’temps. À 55 ans, Charles Quint, malade pis tanné de courir partout, a abdiqué. Son frère Ferdinand Ier a ramassé les terres ancestrales des Habsbourg en Autriche pis a été élu empereur du Saint-Empire. Son fils Philippe II est devenu roi d’Espagne pis a ramassé toute le reste. À partir de c’te moment-là, les Habsbourg ont été séparés en deux branches : la branche espagnole pis la branche autrichienne.

C’est là qu’on voit que renforcer des alliances, c’est pas yinque avec les étranges. Ça peut être en dedans d’une même famille. Icitte, fallait éviter que les deux branches s’écartillent complètement pis aient pu les mêmes intérêts, pis la stratégie avait commencé ben avant l’abdication à Charles : Maximilien II, le garçon à Ferdinand, avait marié Marie, la fille à Charles.

Phillipe II, le fils à Charles, s’est marié quatre fois :

  1. avec Marie-Manuelle, sa double cousine portugaise (son père à lui pis sa mère à elle étaient frères et sœurs, pis sa mère à lui pis son père à elle aussi);
  2. avec Marie Tudor (la même que son père avait failli marier);
  3. avec Élizabeth de Valois, une princesse française;
  4. avec Anne d’Autriche – nulle autre que sa nièce, la fille à sa sœur Marie pis à son cousin Maximilien II. C’est avec elle qu’y a fini par produire son héritier doué de zouiz, le futur Philippe III.
Beau comme un prince : Philippe II d’Espagne

Quand sa quatrième femme est morte, Philippe a voulu s’armarier avec sa sœur à elle, qui avait yinque 14 ans. Su’l ch’min de l’Espagne pour ses noces, la p’tite a faite « fuck non » pis est entrée en religion.

Bravo, ma belle. J’aurais faite pareil.

Là, si l’cœur vous lève un peu, vous êtes pas tu’seuls. Mais, ça fait yinque commencer.

Troisièmement, un mariage royal, ça sert à garder la richesse dins mains d’la même p’tite gang de privilégiés.

Quand des monarques négociaient un mariage entre leux arjetons, c’tait pas yinque, ma fille marie ton gars, une poignée de main, c’est ça qu’y est ça. Nenon. C’tait un échange à pu finir de propositions pis de contre-propositions :

« Faique toé tu m’donnes un boutte du Tyrol pis moé ch’te donne un coin de Sicile, avec tel motton d’argent, tu donnes deux-trois fiefs à ma fille pour ses p’tites dépenses, pis moé ch’t’aide à taper su’és Ottomans aux frontières… »

Des fois, ça servait à régler des conflits, mais en temps de paix, les deux parties finissaient souvent ni plus riches ni moins riches qu’avant. Ça montre que c’tes tractations-là étaient pas tant un moyen de s’enrichir, mais plus du WD-40 pour alliances diplomatiques.

L’affaire, c’est que ça marchait yinque quand les mariés avaient l’même rang social. Fallait pas – horreur – qu’un mariage inégal fasse passer d’la richesse dins mains de des ROTURIERS.

Ark!

Y’a juste à voir la réaction à Ferdinand Ier quand son p’tit darnier, Ferdinand Junior, est tombé en amour avec une femme d’la bourgeoisie, l’a mariée en secret pis a eu deux p’tits gars avec :

« Voir si j’vas laisser le moindre ti-boutte du motton des Habsbourg aller à des pas propres! Heille, des affaires pour qu’y s’enflent la tête pis s’prennent pour des princes! Ça commence par une, pis dans pas long toute la racaille va nous garrocher ses filles à marier! L’ordre social au complet va crisser l’camp! »

Faique Ferdinand Junior a dû garder son mariage secret, arnoncer à toute succession pour ses gars pis faire semblant de les « trouver » en avant d’la porte d’entrée comme deux chatons abandonnés, en échange de quoi son père s’est engagé à y verser une rente pour pas qu’y crèvent de faim.

Le genre d’affaire qui a aucun sens dans notre logique d’à c’t’heure.

Le meilleur moyen de garder la richesse toute à’même place, ça reste de s’marier le moins possible avec du monde d’en dehors, c’que les Habsbourg ont faite à la perfection.

À’génération suivante, Philippe III d’Espagne s’est marié avec Marguerite d’Autriche-Styrie, sa petite-cousine ET cousine germaine éloignée au premier degré. Dans l’doute, argardez l’arbre, c’est ben plus clair de même.

Ensemble, y’ont eu huit enfants, dont l’héritier Philippe IV pis l’infante Marie-Anne.

Marie-Anne, a s’est mariée avec Ferdinand III du Saint-Empire, son cousin, lui-même fils de l’empereur Ferdinand II pis de Marie-Anne de Bavière, sa cousine ET cousine germaine éloignée au premier degré.

Après ça, sa fille à elle, aussi appelée Marie-Anne, s’est mariée avec Philippe IV d’Espagne, son cousin PIS son mononcle en MÊME TEMPS.

Simonac, gang. Le ciboulot m’chauffe.

Finalement, quand on conclut un mariage royal, faut pas yinque penser à c’qui s’passe dans l’moment; faut aussi voir loin dans l’avenir. J’vous donne un exemple.

Tsé, le gars qui avait pas rapport dans l’portrait tantôt, pis j’ai dit que j’vous en reparlerais?

Menute.

J’vous rappelle, Louis II de Hongrie, y’était marié avec Marie, la petite-fille à Maximilien Ier. Y’était aussi le beau-frère à Ferdinand Ier, qui lui était marié avec sa sœur Anne. En gros, si y’a été mis dans l’portrait d’la belle-famille, c’tait pour la propagande, du genre :

« Ah ouais, le p’tit Louis, on l’aime assez! Y’é d’la famille! Ses affaires, c’est nos affaires! »

Mais, pourquoi beurrer aussi épais?

Quand Louis II de Hongrie est mort nèyé en prenant une fouille dans sa grosse armure pesante tandis qui s’sauvait des Ottomans à la bataille de Mohács, comme y’avait ni enfants ni frères, Maximilien Ier a r’vendiqué la couronne de Hongrie au nom de sa p’tite fille Marie, la veuve à Louis, PIS au nom d’Anne Jagellon, sa bru pis la sœur à Louis.

Voyez-vous l’coup double, là? Maximilien Ier avait commencé à préparer ça avant même que Louis vienne au monde! Ben sûr qu’y pouvait pas savoir si Louis allait mourir jeune, mais c’tait un coup de dés qui a payé : au boutte de pas mal de crêpage de chignon, le royaume de Hongrie est allé aux Habsbourg, qui l’ont gardée pendant des siècles après ça.

C’qu’on comprend de ça, c’est que mettons que t’étais un monarque, tu pouvais arvendiquer la succession à ton gendre si sa lignée était éteinte.

L’inverse était aussi vrai : si TA lignée à TOÉ s’éteignait, ben là c’est la belle-famille qui pouvait arvendiquer ta succession au nom à ta fille, pis là t’avais des étranges su ton trône.

C’est l’genre de passe que tu veux pas te faire faire.

Alors, encore une fois, le meilleur moyen d’éviter ça, c’est de s’marier en famille, hein?

Sauf que là, la Stratégie Habsbourg contre l’ingérence étrangère allait carrément s’arvirer contre eux autres.

Là où on a laissé la branche espagnole, Philippe IV d’Espagne avait marié sa cousine ET nièce Marie-Anne d’Autriche.

Ça pouvait juste pas faire des enfants forts : y’en ont eu 5, pis y’en a trois qui sont morts au berceau.

Leu plus vieille, Marguerite-Thérèse, s’est rendue à l’âge adulte pis a marié – icitte, m’as faire une p’tite pause avec un gros soupir – Léopold Ier du Saint-Empire, son oncle PIS son cousin EN MÊME TEMPS.

Y’ont eu quatre enfants, pis y’en a trois qui sont morts au berceau. Marguerite-Thérèse elle-même est morte à 21 ans.

L’autre enfant survivant à Philippe IV d’Espagne pis à Marie-Anne d’Autriche, c’tait Charles II d’Espagne.

Mettons que tu voulais faire une affiche du ministère d’la Santé pis des Services sociaux pour avertir le monde des dangers de la consanguinité, ben c’est sa face que tu mettrais dessus.

Y’avait d’la misère à marcher. Y’avait d’la misère à parler. Y’avait d’la misère à manger. Y bavait partout. Y saignait du nez. Y faisait des crises d’épilepsie. Y’avait des hallucinations pis des migraines. Y’a jamais eu sa puberté, faique y’était stérile.

Y’était tellement magané qu’on l’appelait « l’Ensorcelé ». Parce que son état avait AUCUNE autre explication que la sorcellerie pis la possession démoniaque. Voyons don!

Quand y’ont faite des tests d’ADN su lui des siècles plus tard, y’ont découvert qu’y était aussi consanguin que si ses parents avaient été frère et sœur.

Y’était littéralement un cul-de-sac génétique.

Y’é mort à 37 ans, pas d’héritier, pas de frères ni de sœurs, ni mononcle du bord à son père. La branche espagnole des Habsbourg était officiellement éteinte.

Les vautours avaient commencé à virer autour de lui pis d’l’Espagne ben avant ça, par’zempe : y’était même pas encore mort que la France, l’Angleterre pis les Pays-Bas étaient déjà après décider entre eux autres qui allait prendre quel boutte de ses territoires. Pis ça, c’tait sans compter Léopold Ier du Saint-Empire, qui était sûr de toute ramasser vu qu’y était le mononcle ET le beau-frère à Charles.

Entécas, à c’t’heure que Charles II était parti trouver ses ancêtres, le free-for-all allait éclater pour de vrai : c’tait le début de la guerre de succession d’Espagne.

D’un bord t’avait, ben sûr, Léopold, qui arvendiquait au nom à sa femme Marguerite-Thérèse, morte depuis 27 ans, avec dans l’idée de donner l’trône espagnol à son fils qu’y avait eu avec sa troisième femme.

De l’autre, t’avais nul autre que Louis XIV de France, qui arvendiquait au nom à sa femme Marie-Thérèse, la demi-sœur à Charles II, pour donner le trône à son p’tit-fils le duc d’Anjou.

Après 13 ans de guerre, c’est la France qui a gagné, le duc d’Anjou est devenu le nouveau roi d’Espagne, pis ses descendants règnent encore aujourd’hui.

Faique voilà : après avoir passé deux cents ans à essayer de toute garder dans’famille, les Habsbourg se sont ramassés drette dans la situation qu’y voulaient éviter : avec un étrange su leu trône.

À force de trop vouloir toute contrôler, y se sont auto-empissettés; là où y’ont voulu imposer leu volonté, la nature a fini par les rattraper.

N’empêche que Ti-Clin Dufour, lui, y’aurait pu s’forcer pour aller s’charcher une femme une couple de rangs plus loin. 


Source : Paula Sutter Fichtner, « Dynastic Marriage in Sixteenth-Century Habsburg Diplomacy and Statecraft: An Interdisciplinary Approach », The American Historical Review vol. 81, No. 2 (Apr., 1976), pp. 243-265.

Wikipédia pour les p’tits détails (ben oui, Wikipédia ça s’utilise, faut juste se sarvir de sa jugeotte pis pas toute prendre pour du cash)

Vincenzo Gonzaga : quand ta bizoune est une affaire d’État

Heille, gang? Ça vous tente-tu d’entendre parler d’la bizoune de Vincenzo Ier Gonzaga, duc de Mantoue pis de Monferrat?

Avant de répondre « Ark! Non! Voyons don, Matante Poêle, t’es-tu débarquée de tes pentures? », attendez deux secondes! La bizoune en question, a l’a toute une histoire : a l’a été r’gardée, tâtée, mesurée, testée en laboratoire pis su’l terrain, toute au nom d’la raison d’État. Parce que, pour la noblesse européenne du 16e siècle, bander mou, c’tait politique. 

ATTENTION : Y va sans dire qu’on va parler de bizounes dans l’détail. BEN dans l’détail. Faique si les bizounes vous écœurent, vous devriez pas aller plus loin. Vous pourrez pas dire que j’vous ai pas avertis!  

Toute a commencé en 1583 par l’annulation du mariage de Vincenzo, 21 ans, avec Margherita Farnese, 16 ans, la fille du duc de Parme. 

Ça faisait deux ans que Vincenzo essayait de consommer son mariage avec Margherita, mais… ça rentrait pas. Ça rentrait juste pas. 

Les docteurs argardèrent ça, pis y conclurent que les parties d’la pauvre Margherita étaient impropres aux relations conjugales, supposément à cause d’un boutte de chair qui bloquait l’chemin. 

Y’en a qui proposèrent de l’opérer : 

« J’ai lu queque part qu’y a un docteur arabe qui a réussi de quoi d’même, une fois! Mais… ça s’pourrait qu’a meure, par’zempe. »

Un professeur d’anatomie, que la famille Gonzaga avait faite v’nir de l’Université de Padoue exprès pour examiner la fille, avait sa propre suggestion : 

« On pourrait essayer d’élargir l’antichambre de Madame en y rentrant des cônes de plus en plus gros, jusqu’à ce qu’on arrive à la grosseur d’la verge ducale. » 

Là, on va régler ça une bonne fois pour toutes : un vagin, ÇA LOUSSE PAS AVEC L’USAGE. C’T’UN MUSCLE. 

Faique c’t’idée-là prit rapidement l’bord – énéwé, la pauvre Margherita hurlait de douleur chaque fois qu’on essayait d’y faire ça. 

Mais là, les Farnese – la famille à Margherita –, y voyaient ça aller, pis y’étaient pas contents. Si le mariage était annulé :

  1. ça s’rait pas bon pour leu réputation;
  2. Margherita s’en irait au couvent;
  3. y perdraient toutes les avantages qui v’naient avec le mariage.

Voyant que le ton montait, le pape Grégoire XIII envoya le cardinal Carlo Borromeo – le futur saint Charles Borromée, en passant – régler la chicane, vu qu’y était respecté autant par les Gonzaga que par les Farnese. 

Faique le cardinal fit venir au moins 15 personnes de partout en Italie – docteurs, chirurgiens, dames de compagnie, bonnes sœurs – pour qu’y examinent les parties du couple. 

Y comparèrent les tréfonds à Margherita à ceux de quatre vierges certifiéesᴹᴰ autour du même âge qu’elle, qui avaient accepté de servir de vagins de référence en échange d’une dot pour se marier. 

Les docteurs pis les chirurgiens tchéquèrent l’érection à Vincenzo, la mesurèrent pis la comparèrent avec l’avenue royale à Margherita.

Finalement, fallut s’rendre à l’évidence : comme les voies du Seigneur, Margherita était impénétrable. 

Le cardinal Carlo Borromeo convainquit Margherita d’entrer au couvent; franchement, avoir été à sa place à elle, j’aurais été contente d’aller dans une place où, présumément, on m’laisserait la bourzaille tranquille pour l’restant d’mes jours. 

L’mariage fut annulé pas longtemps après. 

À c’t’heure, Vincenzo était libre de s’trouver une nouvelle femme plus, euh… ouverte. 

Pour ça, y s’armit à r’garder du côté d’Eleonora de Médicis, qu’y avait failli marier, mais qu’y avait mise de côté parce que la dot à Margherita était plus grosse. 

L’affaire, c’est que les Farnese avaient jamais digéré la répudiation d’leu fille; pour se venger, y répandirent des rumeurs comme de quoi c’tait pas Margherita le problème, c’tait Vincenzo qui bandait mou! 

Ben vite, des tavernes au bureau du pape en passant par les bordels pis les palais, tout l’monde avait entendu parler des supposés problèmes de couchette à Vincenzo. Mais, pour notre futur duc – son père était encore en vie à c’te moment-là –, le problème s’arrêtait pas là : à l’époque, un homme mou d’la fourche était considéré comme mou dans toutes les autres aspects de sa vie. Si les rumeurs continuaient, pu parsonne le prendrait au sérieux. Ça pourrait y nuire à lui, ça pourrait nuire à sa famille, pis ça pourrait nuire à son duché au complet. 

Faique avant de conclure le contrat d’mariage entre Vincenzo pis Eleonora, le grand duc Francesco Ier de Médicis, le père d’la fille, mit une condition : 

« Que le fils du duc Gonzaga fasse la démonstration, une bonne fois pour toutes, qu’y est capable de consommer un mariage avec une jeune vierge. »

Non, mais ça d’vait-tu être HUMILIANT pour Vincenzo, un peu? Sa bizoune allait faire l’objet d’une procédure hyper rigoureuse à plusieurs étapes, supervisée par l’Église pis documentée comme une poursuite au civil, tandis que toute l’Italie suivrait l’affaire, crampée raide, avec un plat d’popcorn. 

En premier, on suggéra que Cesare d’Este, un grand chum à Vincenzo avec qui y faisait les 400 coups, déclare sous serment que le futur duc de Mantoue était parfaitement capable de performer avec une vierge. Y’était ben placé pour en témoigner, parce que, voyez-vous, avant les rumeurs, Vincenzo avait une réputation de courailleux infatigable, pis Cesare avait souvent été aux premières loges de ses exploits. 

Faique Cesare signa un affidavit en deux copies qui fut envoyé chez les Médicis pis chez le pape. Ça disait :

« Je jure pis j’affirme que Son Altesse peut avoir une érection comme n’importe quel autre gars pis qu’y peut se servir de son érection avec n’importe quelle femme, qu’a soye vierge ou non, aussi facilement que n’importe quel autre gars. »

Mais tsé, ça valait c’que ça valait. Les Médicis étaient pas convaincus pis voulaient d’autres preuves.

La grosse question, c’tait : y’avait-tu un problème avec la bizoune à Vincenzo? 

Pour répondre à ça, les docteurs y firent passer une série d’tests qui t’naient plus du génie mécanique que d’la médecine. 

Par exemple, y lui d’mandèrent de s’monter en graine pour vérifier si son érection pouvait tenir un « poids raisonnable ». Y lui d’mandèrent aussi de pousser avec contre la paume d’une main pour voir si, vraisemblablement, y’avait assez de force pour défricher l’champ d’fraises d’une demoiselle. 

Y firent aussi une réplique de l’instrument à Vincenzo, qu’y purent taponner à loisir pour s’assurer qu’y était pas déformé.

L’histoire dit pas c’qui arriva au proto-dildo ducal par après. 

Après toute ça, y fut conclu que le salami d’Gênes du prince marchait comme un charme. J’en connais un qui d’vait être soulagé.

Malheureusement, c’tait toujours pas assez pour les Médicis : y voulaient un test en conditions réelles. 

Mais quelles conditions, exactement? 

Les négociations furent aussi serrées qu’au renouvellement d’une convention collective d’la FTQ-Construction. 

Les familles réussirent quand même à s’entendre su c’tes points-là : 

  • Vincenzo devrait prouver, devant témoin, qu’y était capable de déflorer une vierge. 
  • La vierge en question – d’une classe sociale inférieure, ben crère – s’rait choisie avec soin; Vincenzo avait d’mandé qu’a soye d’une bonne famille, pas trop jeune ni trop vieille, pis pas trop laitte.
  • La virginité de l’heureuse élue s’rait vérifiée par un docteur pis une sage-femme. Après, la fille resterait embarrée dans sa chambre jusqu’au moment du test.
  • La démonstration se passerait dans une villa de Venise appartenant aux Médicis, sous la surveillance de Belisario Vinta, un gars à leu service, qui aurait l’droit de « r’garder pis de toucher avec ses mains autant que possible ».
  • En contrepartie de devoir faire sa démonstration « à l’étranger », Vincenzo aurait droit à plusieurs essais s’une période de 24 heures, pis le temps compterait yinque quand y s’rait dans la chambre avec la fille.
  • Pour entrer dans la chambre, y devrait porter yinque sa jaquette pis sa robe de chambre, pis Belisario Vinta devrait le fouiller pour s’assurer qu’y apportait juste son « instrument naturel ». 

Là on rit, mais faut quand même le dire : c’t’absolument épouvantable pour la pauvre fille. Maginez, vous-autres-là, que vous êtes une orpheline avec presque aucune chance de vous marier (donc, à l’époque, presque aucune chance d’avancer dans’vie), pis là, y’arrive un bonhomme louche qui vous demande : 

« On pourrait-tu utiliser votre trou pour une esspérience? En échange, on va vous trouver une dot pis un mari pas trop r’gardant… » 

C’est déshumanisant, c’est dégueulasse, pis c’est de l’exploitation pure. Toute ça avec le OK de l’Église. Blark. 

Vinta fit l’tour des orphelinats de Florence pis y finit par trouver une dénommée Giulia, « 21 ans, grande, avec un beau teint, ni grosse ni maigre, un peu gênée, mais avec une bonne tête, faique on devrait être bons pour l’entraîner ».

Re-blark. 

Une fois sa virginité certifiéeᴹᴰ, Giulia fut emmenée à Venise, escortée par une gardienne. 

Tout guilleret, Vincenzo arriva queques jours d’avance pour sa démonstration. Quand y vit Giulia, y dit : 

« Heille, pas pire! J’y sauterais d’ssus drette là! »

Mais, on y dit de s’calmer l’pompon parce que la fille était menstruée, pis que le lendemain c’tait vendredi, pis c’tait pas un bon jour pour copuler à cause d’la religion.

Trois jours plus tard, c’tait enfin l’heure de vérité. Sauf que… ben, une maudite chance pour Vincenzo qu’y s’tait négocié plusieurs essais. 

Après l’avoir inspecté, Vinta s’en alla dans la pièce à côté le temps qu’y fasse ses affaires. 

Sauf qu’y entendit rien pendant un long boutte; pis tout d’un coup, Son Altesse sortit d’la chambre en filant comme une balle, en s’tenant l’ventre pis en criant : 

« M’as être malade tabarnak m’as être malade! »

Selon le rapport à Vinta, au souper, Vincenzo se s’rait bourré la face dins huîtres – vu que les huîtres ont supposément un effet aphrodisiaque, ça compte-tu pour du dopage, ça?

Une fois rendu au lit avec Giulia, y’aurait été pogné d’un endormitoire du yâble, pis y se s’rait réveillé avec la chiasse. 

Le futur duc perdit pas d’temps : y sauta dans sa gondole pis clancha vers sa résidence vénitienne pour se faire faire un lavement à l’huile d’amande douce.

Quant à Giulia, Vinta pis la gardienne vérifièrent si a l’était encore vierge, pis, c’tait clair que le prince s’tait pas trempé l’goupillon dans son bénitier.

Chez les Gonzaga, on capotait pis on criait au maléfice. C’tait de la sorcellerie! C’tait sûr! Y’avait pas d’autre explication! 

Tandis que Vincenzo s’armettait de son va-vite, on pria pour lui pour chasser l’mauvais sort pis on y prépara des remèdes – on sait pas quoi exactement – pour l’aider à performer quand y’allait se réessayer. 

Faique quand y s’arpointa à la villa des Médicis, quatre jours plus tard, Vincenzo était gonflé à bloc : 

« Tonight zde night, bebé! »

Y déshabilla Giulia, se fit inspecter par Vinta, pis tiguidou rail’trou. 

Ça faisait pas quinze menutes que Vinta attendait l’autre bord d’la porte qu’y entendit Son Altesse l’appeler : 

« Heille Vinta! Viens icitte! Chus d’dans! Touche, tu vas voir! » 

Drette là, Vinta aurait de loin préféré rentrer dans l’plancher plutôt que dans c’te chambre-là, mais y’avait une mission à accomplir. 

Y s’rendit donc jusqu’au bord du lit pis tâta pour vérifier que toute était plogué comme faut aux places qu’y fallait. Toute avait l’air beau. 

« Bon, faique à c’t’heure que t’as touché pis qu’t’es convaincu, sors d’icitte pis laisse-moé finir. »

Mais, même si Vincenzo partit de d’là certain d’avoir scoré comme Jean Béliveau, le lendemain matin, le dossier était toujours pas réglé. 

Quand Giulia se fit examiner par Piero Galletti, un chirurgien au service des Médicis, a dit qu’a l’était pas sûre si a l’était vraiment pu vierge : 

« Ben… yé v’nu, ça c’tait clair, mais… Ch’comme pas sûre qu’y est rentré au complet? »

Faique Galletti alla, encore une fois, inspecter le set de clefs du futur duc. Mais, comme y’était pas dur à c’te moment-là, le chirurgien écrit dans son rapport qu’y avait pas d’preuve irréfutable de son aptitude au labour.

Le jour d’après, par’zempe, Vincenzo fit v’nir Galletti dans sa chambre : 

« Gâ! Gad’ça comme c’est beau! » 

Vincenzo était couché su son litte, la jaquette ouverte, la rosette de Lyon glorieuse, ben dressée vers les cieux. 

« Aweille, touche, tu vas voir. » 

(Montrez pas c’te boutte-là au monde sans l’contexte, sivouplaît – on dirait vraiment un début d’film de fesses.)

Non content d’avoir ébloui le chirurgien des Médicis avec sa bizoune « dure comme un fuseau, ben drette, assez grosse mais pas trop, pis parfaitement proportionnée », le soir, Vincenzo rendit une troisième visite à Giulia. 

C’te fois-là, y’avait pu d’doute. Quand Galletti vint faire son debriefing avec la fille, a dit : 

« Ah, là ch’peux vous dire que chu pu vierge. 100 % pu vierge. »

Après ça, on perd la trace de l’héroïque Giulia. J’ose espérer que les promesses qu’on lui avait faites ont été respectées, mais ça doit : après toute, si les Gonzaga avaient dompé la pauvre fille pu d’honneur pu rien après l’avoir utilisée d’même aussi publiquement, ça se s’rait su pis ça aurait mal paru. J’souhaite de toute mon cœur qu’a se soye trouvé un bon mari fin pis qu’a l’a faite une belle vie après ça. 

Quant à Vincenzo, sa virilité prouvée de façon éclatante, y put enfin marier Éleonora de Médicis. Y’eut six enfants avec elle pis continua de courir inlassablement la galipote. 

Pis j’ai une dernière tite pépite croquante pour vous-autres : à la mi-quarantaine, quand y commença à mollir du fudgscicle, y’envoya un apothicaire en Amérique du Sud au péril de sa vie pour y trouver un remède miracle. Malheureusement, quand l’apothicaire arvint en Italie, le duc de Mantoue et de Monferrat avait déjà passé l’arme à gauche. 

Bref, détenteurs de bizounes, si vous avez des ennuis mécaniques au lit, réjouissez-vous : au moins, c’est pas une affaire d’État.


Source : Bourne, Molly (2016). «Vincenzo Gonzaga and the Body Politic: Impotence and Virility at Court ». Dans Matthews-Grieco, Sara F. (ed.). Cuckoldry, Impotence and Adultery in Europe (15th-17th century). Routledge.

Opération minou acoustique

Un chat, c’pas comme un chien, tsé, C’est fin pis c’est doux pis c’t’affectueux, un chat – j’adore c’tes p’tites bêtes-là! Mais au final, ça f’ra pas du rouli-roulant d’boutte su’é pattes d’en arrière en jonglant avec des ballounes pour te faire plaisir. Un chat, ça fait c’que ça veut, quand ça veut.

C’t’évident pour n’importe qui qui a passé plus que cinq menutes avec un minou. Mais pas pour les agents d’la CIA dins années 1960, ça d’l’air.

Faut dire que dans c’temps-là, c’tait pas mal wild. On était en pleine guerre froide, pis pour les États-uniens, y’avait rien de trop broche à foin ou de trop tiré par les ch’feux pour prendre le dessus su’é communisses.

L’nerf d’la guerre, ben sûr, c’tait le renseignement. Tout l’monde était toujours après écouter tout l’monde.

L’écoute téléphonique, ça marchait pas pire. Mais comme y’a pas yinque c’qui s’disait su’é lignes qui était intéressant, les agents d’la CIA ont commencé à s’essayer avec des micros cachés.

Le problème, c’est que les micros de l’époque étaient pas vargeux : y pognaient toutes les sons dans une pièce. Mettons que t’en plaçais un d’une salle à manger pis que l’monde que t’espionnais s’faisaient une bonne bouffe, t’entendais quasiment plus les bruits d’vaisselle que c’qui se disait autour d’la table.

Une fois, la CIA a caché un micro dans une craque de divan dans l’appart d’un diplomate chinois en France. Sauf que dès que quequ’un s’assisait, les agents d’surveillance dans leu panel l’autre bord du ch’min entendaient pu yinque des grincements d’arssorts. Pire encore, le diplomate en question aimait ben s’ramener des p’tites pitounes françaises chez eux pis, de toute évidence, trouvait que l’divan faisait mieux qu’le litte pour ses activités de… « sensibilisation culturelle ».

Ouin. Pis vous-autres, votre job?

Fallait donc améliorer les micros pour qu’y soyent capables de mieux filtrer les sons. Mais tandis que les ingénieurs s’creusaient le ciboulot, fallait ben que les agents d’surveillance fassent de quoi.

Un jour, pendant qu’un gars qu’y surveillaient jasait stratégie avec ses adjoints, les agents armarquèrent que des chats rentraient pis sortaient d’la place sans que parsonne s’en occupe vraiment.

Faique y’a un agent qui eut une idée :

« Mettons qu’on mettait un micro DANS un chat pis qu’on le dressait pour qu’y écoute la voix du monde? »

C’est d’même qu’est née « l’Opération minou acoustique »!

En gros, le plan, c’tait de dresser l’chat, de l’ouvrir, d’y mettre une batterie dans l’chest, un implant dans l’oreille pis un émetteur dans l’chignon du cou, d’y passer un fil dans l’poil pis une antenne dans’queue, pis voilà! Un minou cyborg espion à’fine pointe d’la technologie.

Incroyablement, l’idée passa au conseil – comme j’vous ai dit, c’tait wild, dans c’tes années-là.

Faique aussitôt, y s’ramassèrent un matou qui, sans l’savoir, allait devenir « Le chat de 6 millions », comme à’tévé.

Y dressèrent donc le chat pour qu’y s’assise tranquillement pis écoute le monde jaser. Après, y l’endormirent pour y poser toutes les gréements électroniques pis commencèrent à faire des tests.

Mais c’qui d’vait arriver arriva : minou était ben entraîné, mais dès qu’y spottait un moineau, de quoi qui avait une senteur intéressante ou bedon une minoune qu’y trouvait de son goût, toute prenait l’bord pis les agents pardaient l’contrôle. 

Tsé, c’t’un CHAT. Entre vous-autres pis moé, y s’attendaient à quoi?

Faique y l’rouvrirent pis y lui posèrent d’autres fils qui étaient censés y couper les envies pis l’empêcher de lâcher la job. Comment ça marchait, fouillez-moé.

Là, vous d’vez vous dire que c’est cruel, c’t’affaire-là, pis vous avez ben raison. Si PETA avait existé dans c’temps-là, y se s’raient ben toutes mis tout nus en avant d’la bâtisse d’la CIA. Mais ça a d’l’air qu’à part le faite de, tsé, avoir été opéré, le chat avait pas mal pis était pas dérangé par toute son bataclan. Les agents avaient faite ben attention, mais pas tant pour le bien-être du chat que pour s’assurer qu’y s’mettrait pas à s’griffer pis à s’mordre pour s’enlever ça pis qu’y endommagerait pas le matériel.

C’est don fin.

Toujours est-il qu’après des mois de dressage pis de tests, les agents d’surveillance décidèrent que c’tait l’temps pour la première mission du chat. Faique y l’embarquèrent dans leu panel avec toute le matériel pis s’en allèrent à côté d’un parc, où des espions soviétiques étaient après s’passer des valises.

Y parquèrent le panel, ouvrirent la porte, lâchèrent le chat, pis…

SPLAT. Effoiré par un taxi drette en débarquant.

Notre matou cyborg fut l’seul de sa sorte, parce que la CIA décida de farmer le projet en 1967. Toute ça pour ça.

Si on est au courant de c’t’histoire-là, c’est qu’en 2001, une trâlée de documents d’la CIA ont été déclassifiés, dont une note de service intitulée « Opinions sur les chats dressés ».

Y’a des gros bouttes de textes qui avaient été enlevés, mais à la fin, ça dit en gros que « c’est possible d’entraîner un chat à aller à des places à courte distance, mais à cause de l’environnement pis des conditions de sécurité dans une situation réelle à l’étranger, ça serait juste pas pratique ».

BEN QUINS!

Avant de s’mettre en frais pis de martyriser un pauvre matou qui avait rien faite au Bon Dieu, y’auraient pu d’mander à moé, à elle, à la Mère Michel : yinque à voir, on voit ben qu’un chat, ça f’ra toujours yinque à sa tête.


Sources :
Jeffrey T. Richelson, The Wizards of Langley : Inside the CIA’s Directorate of Science and Technology, 2008.
Tom Vanderbilt, « The CIA’s Most Highly-Trained Spies Weren’t Even Human », Smithsonian Magazine, octobre 2013.


Un GROS merci à ceux qui m’encouragent sur Patreon : Christine L., David P., Chrestien L., Herve L., Valérie C., Eve Lyne M., Serge O., Alice et Tomasz, et Mélanie L.

Pour faire comme eux-autres et lire les articles avant tout le monde, c’est par ici!

Une chaise roulante su l’autoroute pis un empereur s’un chevreuil

Heille, aujourd’hui j’ai un p’tit 2 pour 1 à vous conter. Une première affaire, pis une autre affaire à laquelle la première affaire m’a faite penser.

J’ai vu ça l’autre jour : c’est l’histoire d’un gars qui s’appelait Ben Carpenter. Un m’ment’né, y traversait la rue en chaise roulante. En même temps, y’a une grosse van qui est sortie d’la cour d’un poste de gaz. Quand la lumière est virée verte, Ben avait pas fini de traverser l’chemin. Sauf que l’chauffeur d’la van savait pas qu’y était là parce qu’y était trop proche pis trop bas pour qu’y l’voye. Faique, comme on fait d’habitude quand la lumière est verte, y’a pesé su’a pédale à gaz. 

Ben aurait pu finir effoiré drette là! Mais la van est partie lentement, pis au lieu de passer su’a chaise, a l’a juste poussée pis faite tourner jusqu’à c’que Ben soye complètement dos à la van. Là, les poignées d’la chaise sont restées prises dans’grille d’la van… Pis c’tait le début d’une cristie d’raille. 

Tu’suite après avoir passé la lumière, la van est embarquée su l’autoroute. 

Ben, lui, était encore en avant d’la van comme une figure de proue après un bateau! Y flyait à 60 milles à l’heure, lui-là, pas d’winshire, sûrement une couple de mouches entre les dents, à capoter sa vie. Une chance qu’y avait une ceinture de sécurité! 

L’monde dins chars ont vu ça aller, faique y’ont appelé la police. Au début, au 911, y pensaient que c’tait une joke, mais quand ça a faite 38 appels qui disaient la même affaire, y’ont décidé de prendre ça au sérieux. 

Finalement, deux polices ont réussi à rattraper le chauffeur d’la van pis y’ont dit : 

« Heille! Arrête! Y’a un gars en chaise roulante pogné dans’grille de ta van! »

Le chauffeur creyait pas à ça pantoute, mais quand y’est allé voir, ben ça parle au maudit, y’avait vraiment un gars en chaise roulante pogné dans’grille de sa van!

La preuve que j’vous conte pas de menteries!

Ben était en un seul boutte – un vrai miracle. Les tires de sa chaise roulante était finis raides, par’zempe. Pis quand les polices y’ont d’mandé si y’était correct, y’a yinque répondu, avec un ti filet d’voix : 

« J’ai renvarsé ma liqueur. » 

Toute est bien qui finit bien. Mais c’t’affaire-là, ça m’a faite penser à une autre raille d’enfer qui a pas eu une aussi bonne fin : celle à Basile 1er, empereur byzantin. 

Lui, c’tait un paysan né en Macédoine pis, à ce qu’on dit, une belle pièce d’homme aussi. Ça a d’l’air qu’y était grand pis large de poitrine pis d’épaules, avec des grands yeux, un monosourcil pis « un air un peu débiné ». Messemble d’y voir la face. 

Entécas, Basile avait l’tour de s’mettre chummy avec du monde de plus en plus puissant, pis c’est d’même qu’y a fini par se ramasser su’l trône de l’empire byzantin en l’an 867. En assassinant Michel, l’empereur qui était là avant. Qui était aussi son ami. Pis p’t’être son amant, on n’est pas sûrs. Pis fort probablement l’pére de ses garçons Léon pis Étienne, parce que la femme à Basile, Eudocie, était la maîtresse à Michel depuis des années, pis quand est tombée enceinte, Michel voulait pas que le flo soye un bâtard, faique y’a marié Eudocie à Basile en tassant la femme que Basile avait déjà. 

(Pis après, Michel a continué à coucher avec Eudocie, pis y’a dit à Basile : « Quins mon homme, pour ton p’tit service, v’là ma sœur, je l’ai sortie drette du monastère pour qu’a t’serve de maîtresse. »)

Ouf. 

Les Feux de l’amour pis l’Trône de fer ont rien inventé.

Entécas, peu importe comment Basile avait abouti avec la couronne impériale su’a tête, y paraît qu’y’a faite un bon empereur, pis y’a régné pendant 20 ans. 

Une bonne fois, quand y’était rendu vieux, Basile est allé chasser l’chevreuil pour se changer les idées. 

Un m’ment’né, y’a cru n’avoir tué un, faique y’est allé voir de proche. Sauf que là, la bête a r’troussé comme un yâble! Fouillez-moé comment, mais les bois du chevreuil ont pogné dans la ceinture à Basile, pis l’chevreuil est parti à’course en l’traînant comme une catin en guénille. SU 20 KILOMÈTRES.

J’vous fais des beaux ti dessins, hein?

Hier, j’ai conté ça à Mononc’Poêle, pis y cré pas à ça, lui, un chevreuil qui traîne un gars loin d’même. Un buck argnal peut-être; pas un chevreuil. Mais tsé, c’t’une histoire de chasse, pis quand on y pense, c’tes affaires-là ont tendance à enfler au fur à mesure qu’on les conte pis qu’on les arconte. 

Toujours est-il que l’pauvre Basile battait encore après l’flanc du chevreuil comme une vieille sacoche accrochée par la ganse quand un de ses serviteurs est arrivé pis a réussi à couper sa ceinture.  

L’empereur était sauvé – poqué, mais vivant. 

Faut savoir que vers la fin de sa vie, Basile était rendu pas mal parano : y’était sûr que son fils-pas-fils Léon voulait l’assassiner pour venger son pére-pas-pére Michel. Faique au lieu de couvrir son sauveur de pièces d’or, y l’a faite exécuter pour tentative de meurtre su sa personne. Quins! Ça y’apprendra, au serviteur, à être loyal pis courageux. 

L’empereur a été ramené au palais pis là, ses blessures ont commencé à s’infecter. Y’est mort de fièvre queques jours après – une fin flyée pour une vie complètement pétée. 

Le Balloonfest’86 : quand l’enfer est pavé… de ballounes

Y’a-tu quequ’un qui aime pas les ballounes? C’est comme des belles cerises en plastique de toutes sortes de couleurs, toutes rondes pis toutes joyeuses; y peuvent exploser, pis quand y dessoufflent vite, y font des sons de pet pis y volent tout croche dins airs comme un papillon avec une fusée dans l’derrière. Heille, j’ai déjà gardé une gang de flos occupés pendant un après-midi de temps yinque en jouant avec ça. C’est l’fun de même, des ballounes.

Y’a rien d’méchant dans une balloune. Ça peut pas faire de mal. Mais si vous pensez ça, c’est clair que vous avez jamais entendu parler du Balloonfest’86 à Cleveland, en Ohio.

C’tait parti d’une bonne intention : pour se faire de la publicité pis ramasser de l’argent, Centraide du Grand Cleveland voulait battre le record du monde du plus grand nombre de ballounes gonflées à l’hélium pis r’lâchées en même temps.

En plus, dans c’te temps-là, Cleveland avait la réputation d’être un trou. Tsé : dins années 1970, ça allait tellement mal financièrement que la Ville avait fait défaut su ses paiements, la rivière Cuyahoga qui la traversait était tellement polluée qu’a l’avait pogné en feu, pis ses équipes de sport arrêtaient pas de perdre comme des pas bonnes – quoique, du côté d’la NFL, ch’pas sûre que ça c’est tant ramieuté. C’tait rendu au point où c’que Cleveland avait été surnommée « Mistake on the Lake » – l’erreur su l’lac, en français, parce qu’a l’était située su’l bord du lac Érié.

Bref, Cleveland avait d’quoi à prouver  :

« On est pas des jambons pis des ti-clins! Nous-autres aussi on peut faire des belles pis des grandes affaires, bon! »

Faique tout l’monde était hyper motivé. Ça a pris six mois pour organiser la patente; les flos d’école vendaient les ballounes à deux pour une piasse, pis une armée de bénévoles ont aidé à toute préparer. La veille, y se sont occupés de gonfler les ballounes, travaillant quasiment toute la nuite avec des bouttes de tape collés autour des doigts pour pas se faire des ampoules.

Le jour du lancement, y’avait 1,4 million de ballounes dans une espèce de filet au beau milieu de la ville, soit ben en masse pour battre le record; on aurait dit qu’une piscine à boules pour enfants s’tait mise à fortiller tout d’un coup comme un gros blob monstrueux pis allait bouffer Cleveland.

Comme y’arrivait de l’orage, les organisateurs ont décidé de lancer les ballounes plus vite que prévu. Faique le 27 septembre à 1 h 50 de l’après-midi, le filet a été détaché pis les ballounes se sont envolées.

C’tait ben impressionnant. Selon le point de vue, ça avait l’air d’une envolée de bonbons, de youptidou pis d’amour universel… Ou bedon d’la 11e plaie d’Égypte. Argardez ça :

Tout l’monde étaient fous comme des balais, pis ça criait :

« GO CLEVELAND! RECORD DU MONDE! WOUHOUUUU! »

Sauf que l’bonheur était pas pour durer.

Normalement, les ballounes gonflées à l’hélium montent pis montent pis montent, des fois jusqu’à 10 000 pieds d’altitude, où l’atmosphère est pas mal moins dense. Comme l’air du dehors pèse moins s’a balloune, tandis que la pression en-dedans de la balloune reste la même, la balloune gonfle. En plus, haut de même, y fait vraiment frette, faique la balloune gèle pis devient fragile. Résultat : la balloune pète en plein de tis bouttes qui ardescendent lentement su’a terre.

Entécas, c’est ça que les organisateurs pensaient qu’y allait se passer.

Mais là, avec l’orage qui s’en venait, les ballounes ont pas eu le temps de se rendre assez haut. En s’en allant vers le nord, par-dessus le lac Érié, y’ont frappé un front froid qui les a r’poussées vers la ville, pis la grosse pluie les a fait artomber pendant qu’y étaient encore gonflées.

Pis là, le bordel a pogné.

D’abord, plein de ballounes se sont ramassées au beau milieu d’la piste de décollage de l’aéroport Cleveland Burke Lakefront, qui a dû arrêter toute le trafic aérien pendant une grosse demi-heure.

À part de t’ça, les ballounes ont envahi les rues pis les autoroutes. Le monde qui chauffaient leu char voyaient c’te nuée psychédélique aux allures de mousse trois couleurs du lave-auto pis se disaient « Qu’est-cé ça câlisse? ». Soit y donnaient des coups d’volant pour éviter les ballounes dans l’chemin, soit y’étaient juste distraits par le spectacle, pis y’accrochaient les garde-fous ou les autres chars. Les accidents sont multipliés partout dans’ville.

Les ballons aboutirent à plein de places : su l’lac Érié, dins rivières, dins forêts, en Ontario, pis ailleurs en Ohio.

Y’a une madame qui élevait des chevaux arabes pur-sang qui coûtaient les yeux d’la tête su sa ferme au sud de Cleveland. A l’a poursuivi Centraide pour 100 000 piasses parce que des ballounes avaient atterri dans son champ pis avaient faite tellement peur à ses chevaux qu’y en a un qui avait pogné le mors aux dents, était parti à courir, avait foncé drette dans une clôture pis s’tait pété la fiole tellement fort qu’y avait pu rien à faire avec.

Pis pire encore, les ambitions ballouniennes de Cleveland ont p’t-être coûté la vie à deux gars.

L’affaire, c’est que quand les ballounes ont été lâchées, la garde côtière charchait déjà deux pêcheurs, Raymond pis Bernard. La veille, y’avaient été portés disparus su l’lac Érié, pis leu bateau avait été artrouvé vide le matin du 27.

Mais là, essaye, toé, d’artrouver deux gars au beau milieu d’une orgie de ballounes! À voir la surface du lac, on aurait dit que quequ’un avait échappé une chaudière complète de tites billes en sucre qui vont su’é gâteaux d’fête.

En entrevue à’tévé, un gars qui participait aux recherches en bateau a dit :

« C’est comme essayer d’trouver une aiguille d’une botte de foin! Tsé, on charche une tête ou bedon un gilet de sauvetage orange, mais là avec toutes c’te marde-là pleine de couleurs qui grouille su’l lac, comment c’tu veux qu’on les voye, les deux gars? »

C’tait pas plus vargeux du côté des recherches en hélicoptère :

« Ben là, on peut même pu décoller. Dins airs, c’est comme un champ d’astéroïdes en plein trip d’acide, viarge! »

Finalement, la garde côtière a dû abandonner les recherches, pis Raymond pis Bernard ont été artrouvés morts deux jours plus tard. Y’auraient-tu pu être sauvés si Centraide du Grand Cleveland avait pas répandu du vomi d’licorne partout su l’lac Érié? On l’saura jamais.

Quand même, Centraide pis la Ville de Cleveland avaient gagné leu pari : leu record s’est artrouvé dans l’édition 1988 du livre Guinness. Mais la catégorie du plus grand nombre de ballons r’lâchés en même temps a été abolie pas longtemps après parce que tsé… C’tait cave pis dangereux, pis polluant à part de t’ça.

Une chose est sûre, c’est que c’tait pas c’te fois-là que Cleveland allait ardorer son image. C’est ça qui arrive quand on part s’une balloune…


Un GROS merci à ceux qui m’encouragent sur Patreon : Christine L., David P., Chrestien L., Herve L., Valérie C., Eve Lyne M., Serge O., Audrey A. et Mélanie L.

Pour faire comme eux-autres et lire les articles avant tout le monde pis même profiter de contenu extra rempli de détails croustillants, c’est par ici!