L'Histoire comme on ne vous l'a jamais racontée… en bon gros québécois!
Auteur : autourdupoeleabois
Je ne suis pas historienne! Je suis traductrice, et je me passionne pour l'histoire. Je n'ai d'autre ambition que de vous divertir et d'attiser votre curiosité tout en redorant le blason de la langue québécoise.
Heille, j’l’arconnais : ça fait un boutte que j’ai rien publié icitte. Si vous m’suivez pas su Facebook, j’vous en veux pas d’avoir pensé que ch’tais morte!
Mais non! Ch’travaillais fort su mon deuxième livre, qui s’en vient au printemps. En attendant, oubliez pas d’ramasser vos trente sous!
Pis, bon. Pendant que ch’travaillais su mon livre, j’ai vu BEAUCOUP de manuscrits du Moyen Âge, pis y’en a un du 15e siècle qui m’a vraiment impressionnée : les Heures de Louis de Laval.
Tsé, le livre commence drette avec Dieu pis l’Big Bang :
L’enlumineur était inspiré : l’néant est comme une pupille, pis les âmes sont comme un iris, pis l’univers est un œil, pis Dieu est l’architecte pis avez-vous vu les plis dans sa tunique avec du doré? C’est malade, pour l’époque! (Pour voir d’autres enluminures du même temps, allez icitte.)
Bref, j’voulais vous faire découvrir c’t’œuvre-là; mais, vous donner le lien pis vous dire d’aller tchéquer ça, c’est p’t-être pas la meilleure idée. Ch’crés ben qu’y a pas grand monde à part moé qui s’taperaient 700 pages d’enluminures su l’écran d’ordi.
Faique j’vous ai faite un best of de mes images préférées.
Mais d’abord, un tit peu de contexte.
Les Heures de Louis de Laval, comme le nom l’dit, c’t’un livre d’heures – pour ceux qui l’savent pas, c’t’un guide de prière pour les catholiques laïcs, pis c’tait ben à’mode chez les big shots de s’en faire faire un sur mesure, yinque pour eux autres, hyper décoré avec des dessins pis d’la feuille d’or.
Tsé, dans l’temps où les riches finançaient la culture au lieu d’la remplacer par d’la marde pas d’âme chiée par une machine?
S’cusez mon langage, mais ça m’met l’feu.
Pis comme le nom l’dit aussi, c’te livre-là a été commandé par Louis de Laval, seigneur de Châtillon, baron de Lohéac, seigneur de Frinandour, de Quemper-Guézennec, du Vieux-Marché, de Blanquefort, de Gaël et Bréal.
Essayez de dire ça avec une pognée de Cheerios dans’bouche.
Entécas, trêve de tataouinage – allons-y.
Comme on s’y attend, dins Heures, y’a plein de scènes bibliques, comme Adam pis Ève chassés d’l’Éden :
Pis tu’suite après, c’t’épais de Caïn qui tue son frère Abel pis s’fait pogner par Dieu :
Tsé, yinque le deuxième homme sur terre pis ça aurait déjà pris un psy pis une thérapie de gestion d’la colère.
Y’a d’autres histoires de l’Ancien Testament.
Là, t’as Noé qui s’est endormi saoul le zouiz à l’air, pis qui est découvert par ses fils Cham, Sem pis Japhet. En s’réveillant pis en s’rendant compte que Cham avait ri d’lui tandis que les deux autres lui avaient couvert les parties avec un manteau, Noé fit c’que toute patriarche raisonnable aurait fait dans une situation d’même : y maudit Canaan, le fils de Cham, pour l’éternité.
Genre, va donc chier, Grand’p’pa. T’avais yinque à pas t’endormir saoul le zouiz à l’air.
D’ailleurs, c’est loin d’être le seul zouiz qu’on voit dans le livre. C’est plein de circoncisions partout :
Le bonhomme qui s’auto-circoncit, c’est Abraham. Yé hardcore, Abraham.
Plus loin, Dieu apparaît à Abimelech, roi de Sichem – fils naturel du roi Gédéon pis de sa servante, qui a zigouillé ses 70 demi-frères légitimes pour monter su’l trône, mais tsé, c’pas grave parce que ses demi-frères vénéraient Baal – pour y dire de pas allumer les ronds d’poêle de Sarah, qu’y venait de prendre dans son harem sans savoir que c’était la femme d’Abraham, sinon y’allait commettre un péché :
Ça, c’est le roi Asa de Juda qui chasse sa grand-mère, fidèle d’la déesse Ashéra, pis les idolâtres hors du temple à coups de bâton. Mais moé, pas de contexte, j’ai vu d’quoi d’autre :
Le triste sort de toute personne dont l’chum fait des arts martiaux. (Pas toé, Mononc. Continue de me montrer des projections de ju-jitsu.)
Ça c’est quand, pendant l’Exode, les tribus de Ruben, de Gad pis de Manassé demandèrent à Moïse de s’installer à l’est du Jourdain plutôt que d’rentrer en terre promise :
Le tit roi sorti par la fenêtre, c’est Achab d’Israël qui capote sa vie parce que Ben-Hadad de Syrie est à veille de l’attaquer avec 32 autres rois pis d’y prendre, et je l’cite, « son or pis son argent, ses femmes pis ses plus beaux enfants ». Les nerfs, Epstein.
Les prophètes, dans l’temps, y niaisaient pas avec la puck. Pis y’étaient légèrement susceptibles. J’vous présente Élisée, prophète, éternel asticoteux de rois tombés dans’débauche, qui un jour tomba sur une gang de flos baveux qui rirent de lui parce qu’y était chauve. Y les maudit, pis deux minutes après, deux ourses sortirent du bois pis en bouffèrent 42 :
QUARANTE-DEUX. Quand les ourses ont attaqué les deux premiers flos, les 40 autres sont-tu restés là comme des codingues la bouche ouverte? Y se sont pas sauvés? Voyons don.
À part de ça, y’a des scènes de saints, comme saint Eustache qui voit un chevreuil avec un crucifix su’a tête pis qui s’convertit drette là :
Faique, Mononc, tu f’ras attention à ta prochaine chasse!
Le bonhomme les deux pieds dans l’âtre, c’est saint Antoine, qui résiste à une pitoune envoyée par le yâble pour le tenter, pis qu’y va jusqu’à s’crisser dans l’feu pour pas succomber.
Sérieux, Tony, si c’tait dur de même de résister, t’étais peut-être pas fait pour la sainteté.
V’là sainte Marthe pis la Tarasque! La Tarasque, c’tait une grosse bebitte monstrueuse qui bouffait du monde autour de Tarascon, en Espagne. Sainte Marthe l’a domptée en y pouishant de l’eau bénite dessus, pis après, a l’a mis en laisse pis a l’a ramenée au village, où les villageois l’ont tuée :
Mais tsé! A l’était rendue fine, la Tarasque! Tchéquez-y le sourire! Y’auraient pu s’en servir pour faire peur à leux ennemis, tirer des charrettes, la garder dans’maison pis y donner des croquettes, je l’sais pas, moé! Tu parles d’une trahison.
Le latin en bas dit « Heureux êtes-vous, saints de Dieu, vous qui avez mérité de devenir les compagnons des vertus célestes ». Ça se peut pas que ça soit vraiment sainte Thérèse d’Avila qui est là, parce que le livre a été fait avant qu’a soit née, mais c’tait une extaseuse notoire, pis ça m’faisait rire.
Pis on finit ça avec Moïse pis Aaron, qui laissent cramer toute la gang qui s’étaient rebellés contre eux autres pis contre l’Éternel, faique l’Éternel les a toutes toastés.
Dessin de l’incomparable Christine Labrecque! (Pis merci à Mononc’Poêle pis Frère André d’avoir servi de modèles)
L’histoire, c’est sérieux; nous autres icitte, à Autour du poêle à bois, on sait ça depuis longtemps.
Mais des fois, en fouillant, je tombe sur une histoire qui a l’air tout droit sortie du cerveau de Mononc’Poêle pis de ses chums quand y déconnent en jouant à Donjons et Dragons.
Avant toute chose, par’zempe, m’as vous expliquer vite vite c’tait quoi une lettre de rémission en France au Moyen-Âge.
En gros, mettons que t’étais accusé d’un crime, mais pas encore condamné, tu pouvais écrire au roi pour dire de quoi du genre, « Oui, j’ai crissé un coup d’poing dins dents de l’arbitre au hockey mineur, mais c’pas d’ma faute : j’étais fâché parce que le piochon avait donné une mauvaise pénalité à mon gars! » Si le roi trouvait que ça avait de l’allure, ben y t’envoyait une lettre de rémission, pis toutes les procédures judiciaires étaient arrêtées, POUF! Comme si y s’tait rien passé.
Y’avait pas juste la colère, hein; l’amour aussi servait à justifier ben des taloches, du genre, « Si je l’ai poussée en bas des marches, c’est parce que je l’aimais TELLEMENT! »
Mais, au travers des affaires déprimantes qui font penser que c’est mieux à c’t’heure, mais quand même pas si différent pareil, y’a des PERLES.
Comme celle-là :
Une fois c’t’un gars en France au XVe siècle, on va l’appeler Ti-Jean, qui buvait d’une taverne avec un de ses chums, on va l’appeler Ti-Paul. Un m’ment’né, Ti-Paul dit « Bon ben m’as faire un boutte » tandis que Ti-Jean décidait de rester pis de s’envoyer une couple d’autres pintes.
Quand Ti-Jean s’en alla à son tour, y fit un méchant saut : dehors, dans un racoin sombre, Ti-Paul l’attendait depuis toute c’te temps-là. Y se garrocha su Ti-Jean, pis y’avait d’quoi dins mains… Ti-Jean eut yinque le temps de s’rendre compte que c’tait un chat mort à moitié décomposé avant d’en arcevoir un coup drette dans’face, SHPLAK!
Ti-Jean mit la main su sa joue – du sang?
« C’est quoi ton astie d’problème? Tu m’as grafigné avec ton crisse de chat! »
Enragé noir, Ti-Jean sortit son poignard pis blessa Ti-Paul au bras.
Le swigneux d’chat se sauva, laissant Ti-Jean avec plein de questions : qu’est-cé qu’y lui avait pogné là? Y’avait trouvé ça où, c’te chat mort-là? Depuis quand y’était caché dans l’coin avec ça dins mains?
Mais l’histoire était pas finie.
Ça vous surprendra pas, mais Ti-Paul, c’tait un crotté, pis y prit même pas la peine de laver sa plaie. Résultat : la gangrène pogna là-dedans, pis y mourut. Qui swigne un chat risque trépas, faut crère.
Faique Ti-Jean fut accusé d’meurtre, pis y pouvait avoir la peine de mort!
Attisé par un profond sentiment d’injustice, Ti-Jean alla voir un procureur pour qu’y lui rédige une demande de lettre de rémission.
Son principal argument, c’tait ça :
« Y m’a swigné un chat mort dans’face sans aucune maudite raison, pis y m’a grafigné la face! Ch’pense que j’avais l’droit d’être fâché! »
Faut crère que c’tait convaincant, parce que le roi y’accorda sa lettre de rémission, pis c’est d’même que cette anecdote pas d’allure se rendit jusqu’à nous autres.
Pis, qui sait, ça donnera peut-être des idées d’arme improvisée à Mononc’Poêle pour sa prochaine campagne de D&D?
BOUM! Carol fut catapulté dins couloirs de l’école Monseigneur-Télésphore-Brillant; le cœur y serra.
Y s’arvit ti-cul en huitième année, tu’seul dans son coin. Le rejet de la classe. Y’arvit du monde qui pensait jamais arvoir pis qu’y aurait jamais voulu arvoir non plus : Jason « la Guédille » Paquet, Greta Asselin pis Fern « Pue-d’la-yeule » Parenteau, ses trois intimidateurs en huitième année.
— Ah, non, pas c’tes caves-là! souffla Carol, blanc comme un drap. — Vous voyez là des ombres du passé, dit l’esprit, voyant que Carol filait mal. Elles ne peuvent ni vous voir ni vous atteindre.
Une chance.
« Ha ha! C’est Carol le Bol! Le linge brun, c’tu pour cacher les traces de brake? Chez vous, ça a l’air d’une bécosse! » ricana Jason avec sa grand’face de pet.
Ça volait pas haut.
« Mon beau Carooolll? Ça te tente-tu de venir voir un film avec ta tite Greta d’amour pendant les vacances de Noël? ronronna Greta en battant des cils. Ben non innocent, c’tune joke! T’étais-tu franchement imaginé deux secondes que j’allais sortir avec toé? Pfouaahahaha! »
Fern, lui, y disait rien. Y disait jamais rien. Y’était juste là avec ses grands bras ballants, prêt à fesser quand on y demande.
Mais c’pas pire, Carol eut pas le temps de se faire arracher sa tuque que, oups! l’esprit l’avait ramené à’maison, la même maison qu’y habitait encore aujourd’hui pis que Jason « la Guédille » Paquet traitait de bécosse.
Quand Carol en avait hérité, y l’avait gardée telle quelle pis avait arfusé d’la vendre. C’tait yinque parce qu’y voulait pas donner une seule autre cenne à un maudit crosseur de notaire; certainement pas parce qu’y avait des beaux souvenirs dans ces murs-là.
Riendeau s’vit rentrer d’l’école. Dans sa maison d’enfance, y régnait une ambiance de peur pis d’frette qui continuait de le hanter même à c’t’heure. Les stores étaient toujours fermés pis le thermostat était toujours à 16. Par le cadre de porte du salon, y voyait les pieds de son père assis dans son fauteuil. Jeune Carol essayait de pas faire de bruit; ça y tentait pas que l’paternel le voye pis l’traite encore de bon’rien.
Heureusement, y’avait sa grande sœur Fanny. Quand y la vit arriver, Carol vint les yeux humides.
— Je vous sens ému, Monsieur Riendeau, dit l’esprit. — Fanny, c’tait la seule à avoir été fine avec moé dans’famille, répondit Carol, la voix éraillée. Maman est morte jeune, pis ch’pense qu’a se sentait responsable de jouer c’te rôle-là à sa place. P’pa était pas du monde, mais a faisait toute pour raccommoder la famille.
Là, Carol s’arvit les tits yeux pleins d’étoiles en avant de son bas d’Noël étendu proche du poêle. Jeune Carol tâta le bas; ça craquait! Là, y découvrit… une patate enveloppée dans du papier journal. Chaque année, une patate dans le papier journal. Son père riait comme un malade. Chaque année, Carol y se disait que son père l’arpognerait pas, mais le bonhomme réussissait tout le temps à y faire croire que non, c’t’année ça allait être de quoi de beau.
Mais sa sœur, elle, a prenait toujours la peine d’y offrir un p’tit cadeau, une p’tite soufflette de rien; c’tait elle qui lui avait donné son premier portefeuille. Le soir de Noël, a préparait toujours des p’tits sandwichs pas de croûte pis des saucisses roulées dans l’bacon, à défaut d’un cipâte ou d’une dinde. Pour Carol, c’tait le plus beau repas de l’année.
— Chus ben niaiseux, soupira Carol. — Pourquoi donc? demanda l’esprit. — Mon neveu Fred, c’est l’garçon à ma sœur; c’est toute c’qui m’reste d’elle, dans l’fond. Hier, y m’a invité à souper, pis, ch’sais pas pourquoi, j’l’ai arviré d’bord comme un chien…
L’esprit dut voir que Riendeau commençait à avoir les jambes molles, parce qu’y le ramena chez eux, dans l’présent.
Y l’argarda tituber jusqu’à son litte pis s’endormir aussitôt. Y sourit avec bienveillance pis s’éteignit comme une chandelle.
Carol se réveilla à’même heure, pareil comme la veille, dans l’silence, le givre dins chassis qui l’empêchait de voir dehors.
« Coudonc, c’tu l’jour d’la marmotte? »
Y’avait encore le motton d’avoir vu sa sœur la veille, mais y s’préparait déjà mentalement pour le prochain esprit.
« Qu’est-cé qu’y vont ben me montrer à soir? »
Tout d’un coup, y’entendit des grelots, comme si Ginette Reno était après descendre du ciel en chantant « La promenade en traîneau ».
« HO HO HO! »
Carol faillit tomber en bas du litte : en avant d’lui, c’est nul autre que l’père Noël qui apparut.
« Joyeux Noël, Carol! Venez avec moi dans mon traîneau, mon garçon, j’vous emmène! Vite, nous n’avons pas beaucoup de temps! »
Tiré par la queue d’chemise, Carol se ramassa le derrière su’l siège passager du traîneau du père Noël, volant au-dessus d’la ville.
— Alors, mon p’tit Carol, Monsieur Dickens m’a dit que tu penses que Noël, ça ne sert à rien? — Euh…
Carol eut quand même un p’tite hésitation avant de dire en pleine face au père Noël que sa fête, c’tait d’la marde. Mais y put pas s’en empêcher.
— Ben là, j’m’excuse, Monsieur Noël, mais ch’comprends juste pas pourquoi l’monde s’énarve pis jette l’argent par les f’nêtres de même, yinque parce que le 25 décembre s’en vient. La vie est assez dure de même sans se donner autant d’misère : courir partout dins centres d’achats pour acheter des cossins qui vont finir aux vidanges, décorer avec des gugusses cassants qui font yinque prendre d’la place dans l’débarras, faire semblant d’être fin avec le monde alors qu’on s’en sacre le reste de l’année, sans parler de c’t’espèce d’orgie d’bouffe complètement obscène de pâtés à’viande pis d’Ferrero Rocher du Jean-Coutu. Pis toute ça, ça fait juste sentir mal toutes ceux qui sont pas capables de se le payer… — Ça, c’est ton point de vue, mon garçon. Et si nous allions voir la fête dans les yeux des autres?
Le père Noël donna un p’tit coup de rênes à ses rennes, pis y’étaient partis.
Carol s’artrouva au Salon des artisans. Tout le monde avait le sourire, ça magasinait pis ça jasait. Les vignerons pis les chocolatiers pis les cuisineux de terrines pis de gelées aux p’tits fruits que Carol connaissait pas faisaient goûter leux produits faits avec amour. Ça sentait bon.
Sur une p’tite scène dans l’coin, y’avait une chorale avec des enfants qui chantaient des airs des Fêtes. Carol sentit comme une chaleur y monter dans’poitrine, de quoi qui lui était pas arrivé depuis longtemps. Parmi les p’tits chanteurs, y’armarqua le flo qu’y avait vu chanter dans l’chassis de son bureau la veille de Noël pis y argretta de l’avoir chassé.
« Ouin, là, c’tait p’t-être moé, l’cave… »
Pis là, wôh! Un autre p’tit tour de traîneau, pis l’père Noël l’emmena dans’maison à Bob, son employé. Y’était autour de la table en train de réveillonner avec sa femme Chantal pis leux enfants. Jamais y’aurait pensé que Ti-Bob pouvait passer un beau Noël de même au salaire minimum. Y’avait une dinde, des bonnes patates pilées pis d’la bûche! Ça chantait, ça riait pis ça s’taquinait. Bob y complimenta Chantal, qui avait mis la main s’une dinde en super spécial.
« Chantal, c’est ta meilleure dinde en carrière! commenta Bob. T’es un vrai génie de l’économie! »
Bob prit la peine d’armacier sa femme parce qu’elle avait encore réussi à ménager toute l’année, ti par ti peu, pour acheter un cadeau à tout le monde.
« Des fois, j’me dis que Chantal, ça m’aurait fait une bonne femme », s’avoua Carol dans l’intimité de son ciboulot.
Bob eut une pensée pour Carol :
« J’lève mon verre à mon vieux grippe-sous de patron. Ch’t’arconnaissant envers lui pareil : j’oublie jamais qu’y m’a laissé une chance parce j’étais pas capable de me placer à cause de mes folies de jeunesse. Santé, le vieux! »
Mais, encore une autre tour de traîneau, pis le fantôme l’emmena sentir ce qui se passait chez son neveu Fred.
« Ouin, j’ai invité mononcle Carol, mais y m’a envoyé promener comme d’habitude, racontait Fred à ses invités. J’y demande à chaque année, pis chaque année c’est pareil. J’me dompte pas. Pauvre lui, y’est pas fin, mais pareil, ça doit être triste chez eux à soir. On lève tu notre verre pareil à’santé de mon vieux mononcle Séraphin? Chus sûr qu’y a du bon dans le fond. Santé, Mononcle! »
Le père Noël emmena Carol visiter la ville, vite pis lentement en même temps. Y’en vit, des affaires : toutes sortes de réveillons, des riches avec des huîtres pis du champagne le p’tit doigt en l’air, jusqu’à des moins riches dans le style de Bob, mais ben d’autres encore qui avaient moins, mais qui s’arrangaient grâce aux paniers de Noël. Y’appréciaient le peu qu’y avaient. Y’en vit qui se chicanaient. Y fut transporté vers du monde qui étaient loin de chez eux pis qui s’ennuyaient.
« Vous leu feriez pas un lift avec votre traîneau, père Noël? » demanda Carol avec un sourire en coin.
Le père Noël répondit pas pis le ramena plutôt chez eux, dans son litte, à réfléchir su toute c’qu’y avait vu.
Carol avait ben constaté qu’y avait des heureux, des moins heureux, pis des pas heureux pantoute, pis que ça avait pas à voir tant que ça avec l’argent.
Carol s’tait jamais vraiment arrêté à penser aux autres pis à c’qu’y vivaient, mais là, y v’nait d’en avoir un concentré, pis ça l’faisait filer bizarre. Y’avait fait rire de lui dans sa vie, mais là, y se surprit à penser à toutes les fois qu’y avait ri des autres, lui’ssi. Y se disait que les pauvres étaient pauvres parce qu’y étaient lâches; que si lui, y’avait réussi à se ramasser un motton, tout le monde était capable. Mais, c’tait ben plus compliqué que ça.
Là, son motton, y l’avait dans la gorge. En même temps, y se sentait comme toute attendri; le vieux mur de crépi qu’y avait bâti autour de son cœur commençait à craquer.
C’est son propre ronflement qui le réveilla la troisième fois. Après avoir vu le père Noël la veille, Carol était optimiste :
« Dickens a dit que j’allais voir l’avenir. Ça devrait pas être si… AAAH!!! »
Dans l’coin d’la chambre, y’avait une grande silhouette sombre qui portait une espèce de chasuble noire tout échiffée. A s’approcha du litte en flottant à un pied du plancher, sans faire un son, la face cachée par son capuchon.
L’esprit répondit pas, mais y fit signe de l’arjoindre avec un doigt décharné.
C’te fois-là, pas de charmante promenade en traîneau.
Carol s’artrouva téléporté dans l’entrée d’un édifice à bureaux. Trois bonshommes avec qui y’avait déjà eu affaire jasaient en avant d’la porte.
— Ouin, tu parles d’une nouvelle toé! Le vieux gratteux à Riendeau qui est passé de l’autre bord! Y l’ont trouvé tu’seul sans connaissance dans sa maison. — Ben oui toé! Ch’pensais qu’y mourrait jamais! J’me demande c’qu’y avait décidé de faire avec son argent. Pour moé y va se faire enterrer avec. Comme j’le connais, y’est après se dealer une place au paradis pas trop chère avec saint Pierre. — Ha! Ha! Entécas moé, j’ai d’autres choses à faire dans’vie que d’aller à son service – comme classer mes guides de l’auto de 1972 à 2024. À moins qu’y aye un p’tit buffet frette, pour la peine!
Carol eut un gros pincement au cœur. Y’avait jamais pensé finir de même. Y s’tourna vers l’esprit, toujours aussi silencieux et épeurant.
« Y va-tu avoir du monde à mon service? » demanda Carol.
L’esprit leva un bras, pis PAF! Y s’artrouvèrent au salon. Où, à part l’urne à Carol pis le croque-mort, y’avait juste Fred, qui disait au revoir à Bob, passé faire un p’tit tour cinq minutes. Pas de cousins, pas de connaissances, pis surtout pas d’amis.
« Fred! Mon bon Fred! s’exclama Carol, les yeux pleins d’eau, se sentant encore plus coupable d’avoir arfusé son invitation. Pis Bob! »
Riendeau commençait à hyperventiler.
« Y’a pas personne d’autre qui pense à moé après ma mort? »
L’esprit le téléporta alors dans un deux et demi où une jeune femme faisait ses comptes à’table d’la cuisine. Tout d’un coup, son chum entra en coup d’vent :
— Steph! Tu sais pas quoi? — Quoi? — Tsé l’bonhomme Riendeau? — L’gars du prêt qui appelle icitte cinq fois par jour comme une tache pour qu’on l’rembourse? — Ouais! — Ben lui, quoi? Accouche! — Yé mort! — Ben voyons don, toé, pour vrai? — Vrai de vrai. Y s’rait mort le vendredi soir tu’seul dans son salon, mais c’est yinque lundi qu’y l’ont trouvé; son employé s’inquiétait de pas l’voir au bureau. — Mais on aura sûrement pas la paix? Notre dette va être transférée à quequ’un? — Ouais, mais d’ici à c’que ça s’arrange, j’vas avoir été payé pour la job que j’ai faite le mois passé, pis on va être bons pour rembourser. En attendant, on s’fra pu harceler! — T’as ben raison. Meilleure nouvelle de l’année!
Carol avait l’impression de s’être fait scier les jambes. Fred pis Bob s’taient pointés à ses obsèques pas mal par devoir, y s’en doutait ben. Pis sinon, la seule émotion que sa mort inspirait, c’tait d’la joie pis du soulagement!
L’esprit l’tortura pas plus longtemps. Carol artourna direct dans son litte.
Après toute c’qu’y avait vécu, y se demanda si y’allait s’réveiller correct. Pis pour vrai, quand y’ouvrit les yeux, toute était comme d’habitude dans’maison. Ses vieilles pantouffes étaient à leu place, le cadre du frère André pis son vieux plateau de dîner Swanson d’la veille aussi. Toute.
Y faisait toujours aussi frette mais y’était tellement content! Y’avait jamais ben filé de même.
« Je veux vivre dans le passé, le présent et l’avenir! s’écria-t-il en sautant en bas du litte. Les leçons des trois esprits demeureront gravées dans ma mémoire. Ô Charles Dickens! Que le ciel et la fête de Noël soient bénis de leurs bienfaits! Je le dis à genoux, oui, à genoux! »
Carol Riendeau comprenait pu rien.
« Voyons, qu’est-cé qui m’prend? Chus rendu que je parle comme Monsieur Dickens, moé là! »
Y s’garrocha dans le châssis pour voir dehors. Toute avait l’air normal. Y’avait un ti gars qui passait dans la rue en sifflotant.
— Heille, ti-gars! On est quel jour? — Ben, c’est Noël, c’t’affaire! répondit le flo, toute froissé qu’on y demande une question aussi niaiseuse.
En même temps, les cloches des églises se mirent à sonner partout. Riendeau se pouvait pu tellement y se sentait heureux.
Y s’habilla avec son plus beau linge pis sortit dehors. Le vieux Carol garrocha des Joyeux Noël! partout à tout le monde. Y donna même trois vingt piasses à un gars qui quêtait au coin d’la rue.
Un peu plus tard, l’ex-radin viraillait en avant de chez son neveu Fred. Y savait pas trop si y pouvait s’présenter là, parce qu’y avait été ben ben fin avec lui la veille. Y se décida à cogner à’porte.
C’est sa nièce par alliance qu’y ouvrit, les yeux grands comme des cinquante cennes.
— Ah! Euh, bonjour, mononcle Ca…rol. — Bonjour pis Joyeux Noël ma belle nièce! Vous êtes en beauté aujourd’hui! Finalement j’ai décidé de venir fêter Noël avec vous autres, si chus toujours invité.
Fred arriva su les entrefaites.
— Oh! Mononcle Carol! Rentrez, rentrez! Vous avez changé d’idée? — Ben… oui, si tu m’en veux pas trop pour hier. — Non, non, venez-vous en, chus tellement content de vous voir!
Carol goûta chaque moment du souper pis de la soirée. Y’avait jamais passé un beau Noël de même. Y se promit d’en vivre d’autres à l’avenir.
Y rentra chez eux le soir tard, toute guilleret, pis le lendemain, y se rendit au travail comme prévu.
Bob arriva en retard, toute piteux pis un peu pâteux. Y s’attendait à manger sa gratte.
— T’es en retard, mon niaiseux? lâcha le bonhomme en se forçant pour parler comme le Riendeau d’avant. — Euh oui… je… m-m-m-m’excuse m’m’m’monsieur Riendeau, bégaya Bob, avec l’envie de rentrer en dessous du tapis toute parcé. On a eu pas mal de fun hier. Ça arrivera p-p-p-pu, je vous le prom… — C’t’une farce! Je comprends ça, le coupa Riendeau, s’amusant de voir la face à Bob, toute pardu. — Mais y fait ben chaud ici dedans? Le thermostat est-tu déréglé? demanda l’ébarlué. — Non non, j’ai monté le chauffage. Chus tanné de geler. Toé’ssi j’imagine? s’enquit le boss, devant la face de plus en plus incrédule à son employé. Pis, sais-tu quoi mon bon Bob? — Euh… non, Monsieur? s’inquiéta Bob. — J’vas t’augmenter. Ça fait des années que tu m’endures pour un salaire de crève-faim, tu travailles super ben, t’es fiable pis honnête pis t’es précieux pour moé. Faique tiens, une tite avance pour tu’suite. Tu vas voir, mon Bob, ça va changer icitte. On va aller loin toé pis moé! À’place de nuire, on va aider!
Bob eut besoin de ramasser ses bras à terre, tellement y’étaient tombés. Le lendemain, y pensa qu’y allait revenir au bureau pis que le beau temps serait fini, mais non. Le surlendemain pis les autres jours non plus.
De son côté, Carol Riendeau vit pu jamais de spectres. Ses visites dans le temps l’avaient transformé pour de vrai. Y devint un maudit bon bonhomme, tout le temps de bonne humeur. Y’en a qui riaient de t’ça, qui le traitaient de vieux gâteaux qui sait pas ce qui veut, mais lui y s’en sacrait. Y’était juste reconnaissant de la chance qu’y avait eu.
Pis à sa mort, des années plus tard, le salon funéraire était ben plein d’monde.
(un conte écrit à six mains – avec Mémère Poêle pis l’fantôme de Charles Dickens)
Illustration : Christine Labrecque
Carol Riendeau, pour moé, c’tait le gars l’plus gratteux d’la terre. Hé, cibole.
Tu le voyais pour la première fois pis ça sautait aux yeux. Maigre comme un tit poulet déplumé, y mettait tout le temps des kits en coton ouaté brun pour pas avoir besoin de les laver trop souvent. Y’avait jamais cessé de porter ses fameux Puma des années ‘80 – y’avait mis la main s’un lot de copies cheapettes chinoises en plastique, pis là y’avait des souliers pour la vie. Pis la fameuse moumoutte! Des fois, a l’était un peu de travers, pis les enfants dans rue aimaient ben ça essayer d’la faire sauter.
Pour lui, manger, c’tait du gaspillage. Fait qu’y se nourrissait principalement de Paris Pâté avec du pain passé date chez Maxi. Des fois, y s’aventurait dans l’container en arrière du magasin pour mettre la main su son pain tranché. Ça y’arrivait de se colletailler avec des Zéro déchet pis des itinérants. Des fois, la moumoutte arvolait, mais y s’entêtait à y retourner.
Pauvre Carol pareil.
Pauvre, mais juste pauvre moralement. Parce que Carol, ça y sortait par les oreilles.
Carol, dans’vie, y faisait des prêts sur salaire; tsé, la sorte de prêt à court terme qui exploite le monde vulnérable avec des taux d’intérêt épouvantables, pis qui est tellement terrible que quand tu cherches « prêt sur salaire » su Google, ça donne juste des pages du gouvernement qui te disent d’éviter ça à tout prix?
Carol, lui, ça l’empêchait pas de dormir pantoute.
Y se sentait ben légitime dans son affaire. Carol, y’avait une dent contre le monde depuis qu’y était p’tit. Chaque cenne d’intérêt qu’y faisait, c’tait un point d’plus de scoré contre « les caves » : « M’as leu montrer, moé, de quoi chus capable », qu’y disait, « leu» incluant son père, qui avait jamais manqué une bonne occasion de l’humilier.
Y’avait son bureau dans une place commerciale louche aux trottoirs de béton égrainés, entre un salon d’manucure vietnamien pis un vape shop.
Son enseigne, avec un coin pété pis l’néon qui allumait pu depuis cinq ans, disait : « Crédit Riendeau – Du cash, pis rien d’autre ».
Le bureau en tant que tel, y faisait sombre là-dedans. Les murs étaient à l’air, aucune décoration, pas l’ombre d’un tit cadre de coucher de soleil quétaine, même pas un calendrier de madames tout nues comme dins garages quand y’était jeune. À terre, y’avait des vieux tapis écornés qu’on s’enfarge dedans, pis ça sentait le renfermé.
Mais surtout, y faisait FRETTE. Carol gardait le thermostat à 16 pis y’avait même mis une barrure dessus pour empêcher Bob, son adjoint, de l’monter quand y’argardait pas. Le pauvre Bob travaillait avec sa froque su’l dos, un cache-cou pis des gants avec le boutte des doigts ouverts.
C’te jour-là, c’tait le 24 décembre, mais on n’aurait pas dit. Y’avait pas des lumières de Noël, pas le moindre ti sapin en aluminium jauni sur un coin d’bureau, surtout pas de père Noël qui part à chanter quand tu bouges ta main en avant.
Tandis que Carol pis Bob étaient su’l bord de fermer pour la journée, Fred, le neveu à Carol, qui restait dans un appart pas loin, arsoudit comme un ch’feu su’a soupe. Y’avait l’grand sourire dans’face.
— Bon, qu’est-cé qu’y a encore? grogna Carol en l’vant l’nez de su ses papiers. — Heille, salut Mononcle! lança Fred, tout joyeux. C’est Noël à soir! — Bah! Viande à chien! fit Carol.
Parce que oui, Carol était un grand fan de Séraphin Poudrier pis y trouvait qu’y avait raison su toute la ligne.
— Viande à chien? Voyons don, Mononcle. C’est l’fun, Noël! On a invité plein de monde pour le réveillon. Pis le sapin y’est beau! Caroline s’est surpassée c’t’année. — C’est des folies, ça, rétorqua Carol. Toute coûte déjà assez cher de même, pourquoi t’ruiner d’même en affaires qui servent à rien? Le sapin, y finit su l’bord du chemin au mois d’janvier anyway. — Ben crère, mais c’pas ça qui compte, répondit Fred. Noël, à mon sens, c’est comme une p’tite lumière chaude dans l’noir pis l’frette de l’hiver. C’est l’temps d’être ensemble, de s’coller su’l divan avec les enfants en r’gardant un film, d’arcevoir les amis pis la famille autour d’une table ben garnie, d’ouvrir son cœur pis sa porte, de mettre un peu d’beau pis d’bon dans l’monde. C’est sûr que ça coûte de quoi, Mononcle, mais ça fait du bien.
À son bureau, Bob, qui écoutait d’une oreille, put pas s’empêcher d’applaudir. Mais quand y vit l’oeil noir que Carol y décocha, y baissa les yeux aussitôt pis s’armit à remplir son fichier Excel.
— Coudonc, Mononcle, arprit Fred, sans laisser à Carol le temps de répliquer. Je voulais vous demander ça, là. Ça vous tenterait pas de venir souper avec nous autres demain? Caroline fait une dinde… — Es-tu tombé su’a tête, toé là? Demain, ch’travaille, pis j’ai pas le temps. Bon! Fais de l’air, ch’t’ai assez vu!
Habitué que son oncle soye pas du monde, Fred s’en alla pas trop dépité. Y s’y attendait ben.
Riendeau s’armit au travail, ben concentré su ses calculs; mais là, y’avait un bruit qui le dérangeait.
« Voyons! Quessé ça? »
En s’artournant, y vit un flo qui chantait « Petit papa Noël » le nez collé dans vitrine crottée avec un grand sourire béat.
« Va-t’en de d’là, maudit morveux! »
Pendant c’temps-là, cinq heures avaient sonné, pis Bob avait commencé à fermer ses affaires. De là à’porte, ça s’rait pas ben long, vu qu’y avait déjà sa froque.
— Les jours fériés, c’tu une perte de temps, un peu! lâcha Carol en boutonnant son pardessus. Si ch’tais pas pogné pour te payer plus cher, ch’te f’rais rentrer demain! Après toute, moé, j’vas être là à huit heures tapantes. — Ah, ben c’pas moé qui décide ça, Monsieur, c’est l’gouvernement, répondit Bob, prudemment. — Ouin, ben ch’compte su toé pour être là le 26 au matin! Les caves vont avoir besoin d’cash pour toute flamber au Boxing Day! — C’est sûr, Monsieur. Joyeux Noël, là! — Ben oui, c’est ça. Bonne soirée, bye!
Carol éteignit les lumières, barra la porte en arrière de lui pis s’en alla chez eux, enfin tu’seul, parsonne pour l’embêter ou y proposer des affaires qui coûtent de l’argent.
Y faisait noir pis frette dans sa vieille maison héritée du paternel, mais Carol, y’aimait ça de même; c’tait plus le compte de l’Hydro qui l’faisait frissonner.
Pour souper, y’avait décidé de se gâter un peu : y’avait 1 000 points su les dîners Swanson à’dinde au Maxi.
Comme d’habitude, y’enfila ses vieilles pantouffes en phentex pis emmena son assiette dans ce qu’y appelait son salon pour manger en avant de la TV.
Sa TV cathodique, c’tait le seul éclairage de la pièce. En avant, y’avait son vieux fauteuil effiloché style espagnol, ben à’mode dins années ‘60, qui avait appartenu à son pére. Y l’avait installé pour être le plus proche possible du calorifère. Su’l mur en préfini brun, à côté d’un châssis minuscule à la vitre embuée, y’avait un cadre du frère André qui datait du temps de sa défunte mère. Y’avait jamais osé l’enlever. En fait, rien avait changé depuis que ses parents avaient levé l’ancre.
Comme d’habitude, y s’installa pour réécouter une énième fois Les belles histoires des pays d’en haut; son épisode préféré, c’tait quand Séraphin surprend l’père Laloge dans’tasserie de foin en train de se bourrer la face dans m’lasse. Avec du pain en plus! Y r’gardait ça su des vieilles cassettes VHS, parce que les DVD, c’tait pour les caves – pis parlez-y pas des TV intelligentes.
Après une couple d’épisodes, y commença à cogner des clous.
Tout d’un coup, y s’mit à entendre des bruits vraiment pas comme d’habitude. C’tait comme des chaînes, pis ça y glaçait l’sang.
« Y fait pas chaud ici dedans, c’est normal », qu’y s’dit.
Mais là, l’bruit continuait, pis ça s’rapprochait. Ça montait l’escalier!
Les bruits de chaîne, ça devenait assourdissant. Riendeau était terrorisé. Pis c’est là qu’une espèce de silhouette blanche, comme une fumée en forme de gars, passa au travers d’la porte d’la cave.
« C’est des folies comme dins histoires, ça là. J’dois être fatigué. Ou peut-être que mon dîner Swanson était passé date? »
La silhouette était rendue entre lui pis le calorifère – mais Carol voyait le calorifère pareil. Y dut ben admettre qu’y avait quequ’un… ou queque chose. Entécas, c’tait transparent. Comme un fantôme. C’est là qu’y armarqua que la chose était habillée bizarre, comme si a venait du temps de Séraphin.
— Euh… T’es qui, toé? T’es… quoi? — Moi, Monsieur, je suis Charles Dickens, ou plutôt son spectre, répondit la fumée en forme de gars, avec une voix caverneuse qui faisait passer des frissons dans le chignon du cou à Riendeau. — Un spectre? T’es-tu un genre de savant? Tu parles don ben bizarre. — C’est tout à fait normal, mon brave. J’ai vécu au 19e siècle. C’est moi qui ai écrit A Christmas Carol, ou Un chant de Noël, si vous préférez. Une distinguée dame autrice de votre époque, qui s’affuble de la pittoresque appellation de Matante Poêle – allez savoir pourquoi – est en train de s’immiscer dans mon conte. Alors moi, je m’immisce dans le sien. Cela m’amuse beaucoup, je dois dire. Dans mon récit, le personnage que je m’apprête à faire voyager dans le temps se nomme Scrooge. Cela vous dit-il quelque chose? — Ch’connais pas ça, les histoires, moé. Les livres, ça coûte trop cher. La seule histoire que mon père me racontait, c’tait Pète pis répète. — Cette histoire ne figure pas dans mon bagage culturel, mais, peu importe. D’emblée, avant que je vous expose le périple que je souhaite vous proposer, je vous prierais de me vouvoyer. Sommes-nous d’accord? — Euh… Wô-oui, pas d’trouble… — Je perçois cela comme un assentiment. Nous pouvons donc discuter. J’y mettrai toute ma bonne volonté pour déchiffrer votre mode d’expression quelque peu, disons… trivial. Mais trêve de considérations futiles. Mon cher Monsieur Riendeau, j’ai une proposition que vous ne pouvez pas refuser.
Ça roulait vite dans’tête à Carol. Y pensait : « Bon, c’est pas assez d’avoir un fantôme dans ma chambre, faut qu’y soye écrivain, qu’y vienne de l’époque de Séraphin, qu’on soye dans un conte pis qu’en plus y m’propose un marché! Pour moé ch’t’après délirer! »
— Mais non, vous n’êtes pas « après délirer », mon pauvre ami, soupira le spectre. — Ahh! Vous êtes dans ma tête! — Eh bien voici, le coupa le fantôme, cette fois avec sa voix d’outre-tombe. Vous avez entendu les chaînes? — Entendu? J’les ai pognées dans’tête comme quand Nuance chante « Vivre dans la nuit »! — Eh bien ces chaînes, je les traîne depuis que j’ai quitté cette terre. Elles représentent tous les malheurs que j’ai pu causer à mes semblables alors que j’étais vivant. Elles m’empêchent de reposer en paix. À voir la vie que vous faites, j’anticipe pour vous une vie dans l’au-delà interminablement pénible, à traîner des chaînes d’ancre de paquebot. — Bon, c’pas vrai toute ça, là! J’vas aller me pitcher de l’eau frette dans’face, pis le fantôme sera pu là maique j’arvienne. — Tut tut tut, mon cher Monsieur Pingre. Écoutez-moi! Je viens vous proposer un marché qui va complètement changer le cours de votre vie. Si vous acceptez, bien sûr. Vous aurez la chance unique de voyager avec l’esprit du passé, celui du présent et celui de l’avenir. Je crois que ces explorations sont dans votre intérêt, si vous voyez ce que je veux dire. — Euh… ok, ça va-tu me coûter ben cher? — Mais non, ça ne coûte rien, l’interrompit l’auteur. Vous êtes un incorrigible grigou, Monsieur! — Euh, ch’sais pas trop ce que ça veut dire, là, mais ouin, ok, essayons ça. J’ai pas le goût de traîner les chaînes du Titanic pour l’éternité. Qu’est-cé qu’y faut que ch’fasse, debord? — Bien! Alors, vous allez vous coucher comme si de rien n’était et durant la nuit, vous allez effectuer ce périple incroyable. Bonne chance, Monsieur Riendeau.
Sur ce, POUF! Le fantôme de Charles Dickens parut s’évaporer au travers des craques du plancher.
Secoué, mais pas d’humeur à s’astiner, surtout pas avec un spectre, Carol s’en alla direct dans sa chambre, mit son pyjama pis tomba comme une masse dans son litte, plongé dans un sommeil sans rêve.
Carol s’réveilla en sursaut, pas sûr d’où y’était pis surtout de quand y’était.
Y faisait noir comme dans l’poêle; la seule chose qui perçait l’obscurité, c’tait les gros chiffres rouges agressants su son vieux radio-réveil fini bois.
« Minuit et quart? Ben voyons don, j’me rappelle qu’y était deux heures passées quand j’ai étampé, ça s’peut pas que j’aille dormi quasiment 24 heures! »
Capotant légèrement, Carol essaya d’argarder par le chassis, mais la vitre était tellement couverte de frimas qu’y voyait rien. Toute était parfaitement silencieux; pas de char qui passait dans’rue, pas d’gars chaud qui parlait fort su’l trottoir, même pas un brin d’vent pour faire craquer la veille cambuse à Carol.
Histoire de s’armettre la tête ensemble, Carol alla s’prendre un verre d’eau frette dans’salle de bains.
« C’est sûr que j’ai halluciné toute ça, qu’y s’dit. Un fantôme qui parle en cul d’poule dans mon salon! J’ai dû m’péter la tête queque part. J’gage que j’ai une poque dans l’front… »
Mais non : dans l’miroir, son front était ben lisse.
Y sortit d’la salle de bains, pis quand y vira l’coin, y’armarqua une lumière qui v’nait du salon.
D’abord fâché d’avoir oublié de farmer la tévé, Carol s’arrêta net dans l’cadre de porte du salon : au milieu d’la pièce, entre lui pis la TV, y’avait une silhouette qui brillait.
C’tait pas comme Dickens, une genre de fumée; non, c’tait une flamme de chandelle qui dansait pis qui changeait d’forme tout l’temps, mais qui, plus souvent qu’autrement, arsemblait à un tit gars qui souriait d’un air avenant.
— C’tu vous, l’esprit qui était censé v’nir me voir? demanda Carol, se sentant aussitôt niaiseux parce que tsé, quel autre esprit ça pouvait ben être? — Oui, c’est bien moi, Monsieur, répondit l’esprit d’une voix douce, cristalline comme celle d’un flot, mais qui parlait comme un adulte. — Pis les deux autres, sont où? Dickens a dit qu’y aurait trois esprits. — Patience, Monsieur Riendeau. Vous rencontrerez chacun d’entre nous à son tour. — Ah, ça aurait été d’adon de clairer ça toute d’un coup, marmonna Carol. Pis, vous êtes qui? — L’esprit des Noël passés. — Passé? Genre l’année passée? J’ai pas fait grand chose l’année passée. Ça valait pas la peine de vous déranger pour ça. — Non, ce soir je vous invite à remonter le temps jusqu’aux Noëls de votre enfance.
En entendant ça, Carol vint les yeux ronds comme des trente sous; y se raidit pis pis fit même un pas en arrière.
— Euh, ch’pas sûr que c’t’une bonne idée… — Ne craignez rien, répondit l’esprit avec son sourire à 1000 lumens. Je conçois que le passé puisse parfois être douloureux, mais il ne faut pas hésiter à le regarder en face pour pouvoir aller de l’avant. Quoi qu’il arrive, rappelez-vous que ma seule besogne, c’est votre bonheur.
Carol eut même pas le temps de répliquer qu’à son âge, une bonne nuitte de sommeil aurait faite pas mal plus son bonheur que des sparages d’esprits su’a corde à linge. Y se fit agripper par l’esprit pis emporter au travers du mur.
« Son comportement par devers sa femme était inexcusable, mais tsé en même temps y’était pas si pire, pis y l’aimait, pour vrai, pis tsé y’était fin, dans l’fond, mais c’est quand même compréhensible qu’a soit partie; sauf que c’est même pas vrai qu’y a garroché son chien d’poche dans l’feu, y l’a juste lancé un ti-peu, pis y’a pas vraiment tiré sa femme dans l’lac pour qu’a s’neye, y l’a juste poussée pour la taquiner pis a s’est mouillé les souliers – pis c’te jour-là y faisait chaud–, pis quand y l’a enfermée avec ses chiens de chasse c’tait juste deux minutes pour rire. »
— Le biographe licheux de John Mytton, Esquire
Imaginez un gros char de riche, genre une McLaren vert pétant toute shinée, qui part sur la trace dans un nuage de boucane, roule à 150 milles à l’heure, fonce dans l’mur deux rues plus loin, pogne en feu pis explose.
Ça serait un bon résumé de la vie de John Mytton, un aristocrate anglais du 19e siècle. C’te gars-là, y’avait toute : un titre de noblesse, un manoir, une famille pis un énorme motton d’argent; mais pourtant, y passa sa vie à courir après la mort, comme si y’avait pas de lendemain, ou comme si y’auditionnait pour l’émission Jackass, 200 ans trop d’bonne heure.
C’est lui, ça, Jack Mytton. Y’a l’air ben tranquille, les pieds su’a bavette du poêle avec ses chiens pis ses livres pis ses peintures de chasse pis de lièvre la tête en bas, mais… fiez-vous pas à ça.
Si on connaît toutes ses exploits en détail, c’est que Mytton a une biographie détaillée, écrite par un de ses grands chums. Sauf que j’vous arcommande pas ça comme tite lecture de chevet : le grand chum en question est un peu licheux pis arrête pas de justifier les pires conneries à Mytton en le comparant à des personnages de l’Antiquité pis à des poètes libertins morts d’la syphilis, pis ça vient fatiquant à la longue.
Toujours est-il que John Mytton, Esquire, naquit le 30 septembre 1796.
Si ça vous intéresse de savoir qu’est-cé ça mange en hiver, un « esquire », m’as vous l’dire, parce que moé’ssi, j’me suis posé la question. Esquire, ça vient de « écuyer » – wô oui, le gars qui traînait les cossins d’un chevalier au Moyen-Âge. C’est le deuxième plus bas titre de noblesse anglais, en haut du gentilhomme, mais en bas du baronet – tsé, René Angélil aurait pu argarder John Mytton de haut.
Mytton perdit son père au tendre âge de deux ans. D’ailleurs, son biographe prend une page et demie, une citation en latin, une métaphore de botanique pis une anecdote de Grèce antique pour illustrer que, si John était devenu un maudit énarvé qui savait pas s’tenir, c’tait parce qu’y avait été élevé par sa mère. Le Doc Mailloux aurait été d’accord, sûrement.
Quand même, on aurait vraiment dit que le p’tit Mytton avait l’yâbe au corps. Y fut expulsé d’la Westminster School pour s’être battu avec un prof, pis d’la Harrow School après trois sessions.
Sa mère engagea des tuteurs privés pour essayer d’y mettre un peu d’plomb dans’tête, mais y partirent toutes un après l’autre parce que John aimait leu jouer des tours – tsé, quand tu t’réveilles un matin pis un ch’fal est après chier su ton tapis de chambre, c’est normal de vouloir crisser ton camp.
Mytton fut admis au Trinity College de Cambridge pis prépara l’terrain en s’faisant livrer 2000 bouteilles de porto su’l campus. Vous d’vez vous demander quelle espèce de party d’cégep pas d’bon sens qu’y préparait là, mais ça couvrait à peine ses besoins d’base : on dit qu’y buvait de quatre à six bouteilles par jour pis qu’y poppait l’bouchon de la première en s’rasant l’matin.
Finalement, y s’pointa jamais à Cambridge pour ses études. À 18 ans, décrétant qu’y en avait assez des bancs d’école, John partit faire une grande tournée des Europes, comme c’tait de coutume pour les aristocrates de c’temps-là.
Après sa tournée, en quête d’un ti-peu d’action, Mytton s’engagea dans l’armée. Sauf qu’à c’te moment-là, les Anglais pis leux alliés v’naient de sacrer une volée à Napoléon; les combats étaient finis, le régiment à Mytton s’artrouva en France dins forces d’occupation, pis c’tait plate à mort.
Pis qu’est-cé tu fais quand t’es un jeune soldat alcoolique fonctionnel avec trop d’bidous qui s’tourne les pouces à l’étranger?
Tu tombes dans l’JEU!
Se disant qu’y allait rembourser ça plus tard, quand y’hériterait officiellement de sa fortune, y’emprunta 3000 £ à un banquier de Saint-Omer.
J’me sus informée, pis 3 000 £ dins années 1810, c’est genre six cent soixante mille piasses en dollars canadiens d’aujourd’hui.
Drette le lendemain, y’en perdit la moitié à’table de roulette. Ben sûr, y blâma la table pis la décrissa en tits morceaux. On aime ça, la maturité.
À sa libération d’l’armée, Mytton rentra au pays pis essaya de faire une vie normale de gentleman respectable.
En 1818, y maria Harriet Emma Jones, avec qui y’eut une fille. Harriet avait la santé fragile, pis a mourut en 1820. L’année d’après, Mytton s’armaria avec Caroline Mallet Giffard, de qui y’eut cinq autres enfants.
Entre-temps, y’essaya d’faire carrière en politique. Six Mytton avant lui avaient été députés de Shrewsbury, pis y se sentait comme obligé d’arprendre la shop familiale.
Y remporta son siège à l’élection partielle de janvier 1819, supposément en donnant un billet de 10 £ à chaque personne qui voulait ben promettre de voter pour lui.
Aussi ben crisser l’argent dans l’poêle.
Ch’pas docteure, mais ça m’a l’air évident que Mytton avait un p’tit déficit d’attention. Si l’école était trop plate pour lui, maginez les débats parlementaires! Y toffa une grosse demi-heure en chambre avant de s’mettre à faire la danse de saint-Guy su’l banc, pis y crissa son camp pour jamais r’venir.
Aux élections générales de 1820, y s’arprésenta même pas, sous prétexte que « ses fonctions parlementaires étaient incompatibles avec ses activités actuelles ».
C’tait quoi, au juste, ses « activités actuelles »? À c’te moment-là, Mytton avait enfin compris qu’y était faite ni pour les études, ni pour la politique, ni pour toute autre affaire plate qu’y faut rester assis pis écouter du blabla.
À place, y’allait être c’qu’on appelait un « sportsman » – c’t-à-dire, su papier, qu’y allait passer son temps à chasser, à élever des chiens de chasse, des ch’faux pis des oiseaux de proie, pis à faire des courses de ch’faux.
Lâché lousse sans aucune contrainte professionnelle, Mytton partit tellement sur une dérape que ses chums commencèrent à l’appeler « Mad Jack ».
Heureusement pour nous autres, la biographie à Mytton nous donne une maudite belle idée de comment toute ça s’est passé grâce à des belles illustrations en couleur, comme celle-là :
Ou bedon comme celle-là :
Le biographe à Mytton raconte qu’y portait jamais de bobettes pis aimait chasser les canards en queue de chemise pis les fesses nu-tête, même en hiver pis au beau milieu de la nuite.
Pis le snoro, y tombait jamais malade!
Parce que Mytton était gâté côté physique, ça a d’l’air. Son biographe, qui passait clairement son temps à l’argarder, le menton dans ses tis poings avec des yeux de merlan frit, dit que « son biceps était plus gros que celui de Jackson, le boxeur célèbre » – heille, on rit pu, hein. Y dit aussi que « les autres parties de son corps étaient tout aussi puissantes pis narfées ». Ahem.
Bref, y’avait beau être une poule pas d’tête avec un problème d’alcool, y’avait une constitution de fer.
Un jour que Mytton venait de se disloquer trois côtes après s’être planté à ch’fal, un de ses chums arsoudit à son manoir en y disant :
« Heille j’viens d’capturer un ti r’nard, je l’ai mis d’une poche, yé full vite pis full énarvé, on va le lâcher dans l’champ pis on va courir après avec les chiens pour le tuer, ça va être malade! »
Mytton, au lieu de dire « Heille s’cusez man, ch’pas mal pété faique m’as passer mon tour c’te fois-là », y’artroussa tu’suite de son fauteuil, s’habilla, monta su son ch’fal le plus roffe, qu’y appelait « le Yâbe » pis passa la journée à galoper dans l’champ jusqu’à c’qu’y pogne la pauvre p’tite bête. À’fin, y’avait tellement mal qu’y voyait pu clair, mais pour lui, y’était pas question d’montrer le moindre signe de faiblesse. En débarquant de son ch’fal, y dit même à son biographe :
« Y’en a pas un crisse qui va m’voir pâmer. »
Mais pour Mytton, prendre des débarques, c’tait quotidien. Y faisait même exprès pour se planter.
Un jour qu’y s’promenait avec un de ses chums dans une p’tite carriole à deux roues, tsé le genre qui verse de rien si tu pognes un croche trop raide, le chum en question trouvait qu’y chauffait pas mal cowboy. Mytton, s’rendant compte que son passager était un ti peu su’és nerfs, y demanda :
— Heille, t’as-tu déjà faite ça, toé, virer su’l top en carriole? — Ah, euh, non, ça m’est jamais arrivé! — Jamais? Cibole, t’es ben lent!
Comme Mytton disait ça, la carriole passait à côté d’une p’tite butte. Par exprès, Mad Jack embarqua une roue su’l flanc d’la butte, pis FLÂWK! La carriole renversa su’l côté, dompant Mytton pis son passager. Mytton pis son passager revolèrent, les quatre fers en l’air.
Pis comme Mytton était mardeux, personne fut blessé, pas même le ch’fal.
Faut dire que Mad Jack, autant y’avait l’coeur su’a main – y donnait du blé de ses récoltes aux pauvres, y tippait généreusement, heille, y cachait des billets d’banque un peu partout dans son manoir pis su son domaine yinque pour que le monde les trouvent – autant y’adorait faire étriver ses amis.
Tsé, dans sa ménagerie ben garnie, Mytton avait 2 000 chiens de chasse pis aussi… une ourse appelée Nell.
À son domaine, un soir de party ben arrosé (j’me demande pourquoi je le précise, parce que les partys à Mytton était TOUJOURS arrosés; c’t’homme-là aurait trouvé l’tour de tinquer pendant une coloscopie), Mytton laissa ses chums dans le salon pis s’éclipsa queques minutes.
À son retour, y’était habillé en kit de chasse complet, le jacket rouge, les bottes à éperons pis toute, pis monté su’l dos d’son ourse. En voyant ça, ses chums grimpèrent partout su’és meubles comme une gang de chats épeurés.
Au début, l’ourse se promenait ben tranquillement dans l’salon, toup toup toup; a l’était habituée. Sauf qu’un m’ment’né, Mytton y’accrocha l’flanc avec l’éperon su sa botte; surprise par la douleur, la pauvre bête prit une grosse mordée dans l’mollet à Mytton, pis les serviteurs durent la ramener dans sa cage pendant que son maître s’faisait soigner.
Une autre fois, par’zempe, y fit ben pire – des affaires pour se faire tuer!
Un bon soir, y’arcevait à souper un pasteur pis un docteur.
À une certaine heure, les invités décidèrent de faire un boutte.
Faique y’embarquèrent su leu ch’fal pis s’en allèrent. Pis pendant qu’y trottaient vers la maison, Mytton, qui aurait dû trotter vers son litte, eut plutôt une de ses idées de sans-dessein : y mit un grand capot de charretier, chargea ses pistolets avec des balles à blanc, monta à ch’fal pis partit bride abattue après ses deux visiteurs.
Déguisé en bandit de grand chemin, y rattrapa le pasteur pis le docteur pis s’mit à tirer su eux autres en criant :
« Haut les mains pis donnez-moé toute votre argent! »
Ben sûr, les deux gars détalèrent comme des lapins vers le village, laissant Mytton crampé raide dans l’noir.
« Astie! J’ai jamais vu deux gars partir aussi vite de ma vie! »
Tu parles d’une bulle au cerveau; maginez-vous c’qui s’rait arrivé si le pasteur pis l’docteur avaient été armés?
Mytton, y pensait jamais vraiment à son affaire.
Son biographe dit qu’un m’ment’né, en arvenant des courses de ch’faux, dans son carrosse, les f’nêtres ouvertes, y comptait une pile de billets d’banque pour plusieurs milliers de livres. Y finit par s’endormir, les billets encore sortis, pis quand y s’réveilla, toute le motton était parti au vent.
Avoir cherché une métaphore pour la façon dont y gérait l’argent dans’vie en général, on aurait jamais trouvé mieux.
Faique vous vous doutez ben qu’à force de boire, de jouer pis de sacrer l’argent par les fenêtres, Mytton se ramassa dans l’trou.
Solide.
Pour payer ses dettes, y’avait pu d’autre choix que d’vendre son domaine ancestral. Son conseiller financier avait une solution pour éviter l’pire :
— Monsieur, si vous limitiez vos dépenses à 6 000 £ par année pendant six ans, vous pourriez payer vos dettes pis éviter d’vendre. — Heille! 6 000 £ par année! Ch’pas un chien, ciboire!
Six mille livres, en dollars canadiens d’à c’t’heure, c’est un million cinq cent mille.
Ch’tiens à dire que c’te pauvre conseiller-là, y’a dû gagner son ciel à travailler avec Mytton. Lui, y’avait juste pas moyen de le conseiller tout court, parce qu’y répondait tout l’temps :
« Pourquoi c’est faire que j’ai une tête, si ch’pour me servir d’la tienne? »
Au travers de ça, sa femme Caroline crissa son camp après dix ans de mariage pis emmena les enfants avec elle. Vous imaginez-vous à quel point fallait qu’une femme soit À BOUTTE pour quitter son mari en 1830?
Tsé, après toute, y’avait garroché son chien dans le feu « juste » un ti-peu pis l’avait poussée « juste » un ti-peu dans le lac pis l’avait enfermée avec ses chiens de chasse deux minutes « juste » pour rire! Mais c’tait pas « juste » ça! D’après ce que je comprends, y v’nait jaloux quand y’était saoul (c’t-à-dire, tout l’temps), pis y l’empêchait de sortir pis d’voir du monde.
Y’a toujours ben des limites.
Finalement, pu d’femme, pu d’enfants, pu rien, Mytton dut s’résoudre à vendre son domaine, mais ses dettes étaient tellement immenses que c’tait même pas assez pour toute payer. Comme dans c’temps-là, tu pouvais aller en prison parce que tu d’vais de l’argent, Mytton se sauva à Calais, en France.
Là-bas, Mytton s’mit à agir encore plus bizarrement qu’avant. Encore une fois, ch’pas docteure, mais on dirait ben qu’y commença à faire d’la démence alcoolique.
Un soir, comme y’était en jaquette, su’l bord de s’coucher, y pogna le hoquet pis y’était juste pas capable de s’en débarrasser.
« Ah, j’en peux pu de c’te maudit hoquet-là! M’as y faire peur, moé! »
Faique y pogna une chandelle pis mit l’feu à sa jaquette. Le p’tit coton d’la jaquette flamba en queques secondes, pis Mytton se transforma en torche humaine.
Heureusement pour lui, son fidèle valet pis un autre gars étaient avec lui; y s’garrochèrent su lui, le sacrèrent à terre comme à’lutte pis lui arrachèrent la jaquette en feu de su l’dos.
Pis pendant que les deux gars finissaient d’éteindre les flammes en pilant d’ssus, Mytton se glissa tout bonnement en d’sour de ses couvertes en soupirant d’soulagement :
« Ah! Fini, l’ciboire de hoquet! »
Le lendemain, quand son biographe arriva pour le visiter, Mytton était flambant nu, pis l’biographe vit tu’suite qu’y s’tait pas manqué, avec sa jaquette en feu : ses épaules pis sa poitrine arsemblaient à du baloney fraîchement sorti d’la poêle :
— Ben voyons, John, pourquoi t’as fait ça? T’aurais pu y passer! — J’voulais t’montrer comment chus bon pour toffer la douleur!
Pis dans la biographie, quand y raconta c’t’épisode-là, le biographe le compara à Néron.
Mytton récupéra jamais vraiment de ses brûlures. Pour calmer la douleur, y s’mit à boire encore plus. Même après que son docteur se fut arrangé pour qu’y puisse pu s’faire livrer d’la boisson, Mytton demanda à son valet d’y apporter des bouteilles d’eau de cologne, pis y buvait ça.
Pis à cause de l’alcool, ses muscles commençaient à faiblir. Y’était dans l’déni su son état pis insistait pour sortir au lieu de s’arposer; y fallait deux gars pour l’empêcher de tomber à terre dans’rue; y s’évanouissait à table au souper.
La nuite, y’était gardé par trois gars pour pas qu’y puisse sortir de chez eux. Y’a toujours été chanceux malgré toute.
Y répétait sans arrêt qu’y allait ravoir sa femme, même si c’tait évident que son chien était mort, raide, frette, dans son trou avec une tite croix croche marquée « Fido ».
Y’engueulait l’monde qui avaient jamais entendu parler d’Euphrates, son ch’fal de course préféré, dont tout l’monde se sacrait, ben sûr.
Un m’ment’né, ça a l’air qu’y parla pendant 18 heures de temps sans s’arrêter, pis rien de c’qu’y disait avait du sens.
Un soir, le valet à Mytton alla trouver son biographe, la voix tremblante d’inquiétude :
« Euh… Monsieur… Faudrait que vous veniez, parce que Monsieur Mytton s’est comme un ti-peu enfermé dans sa chambre avec six couteaux pis chus vraiment pas sûr de c’qu’y fait avec ça… »
Le biographe arsoudit aussitôt chez Mytton pis le trouva dans son lit avec les six couteaux :
– Heeeeille, mon chuuuuum, qu’est-ce tu fais-là don, avec ça? demanda-t-il, doucement, soucieux de pas le brusquer. — Oh, t’es là! Viens icitte, m’as te montrer! répondit Mytton avec le sourire pis une tite lueur fiévreuse dans l’œil. — Je, euh, ch’pense que j’vas rester icitte proche d’la porte, si ça te dérange pas… — M’as nous rendre riches! Tu sais pas c’que je viens de découvrir? Ces couteaux-là, là, y’enlèvent le feu de d’dans la chair… — Euh, ok, ouin…
Heureusement, ça prit pas grand chose pour le convaincre de lâcher les couteaux pis de s’coucher.
Pas longtemps après, même le biographe sait pas trop comment, Mytton fut ramené en Angleterre sous prétexte de signer la vente du dernier boutte de terrain qu’y lui restait.
Mais, dès qu’y mit l’pied en sol anglais, y fut arrêté pis jeté en prison.
À c’te moment-là, y tenait pu pantoute su ses pattes. Pire, y d’vint paralysé des extrémités. Y filait tellement pas que le directeur d’la prison fit venir sa mère à son chevet. Pis un jour, pouf, y s’éteignit comme une chandelle qui s’étouffe dans sa propre cire fondue. Y’avait 38 ans.
C’est pu qu’une vie bizarre, hein? Ch’rais ben curieuse de savoir c’qu’un psychologue dirait de Mytton. Une chose est sûre, entécas, c’est que Mad Jack a vécu comme si y’avait jamais su où était l’brake – même si sa famille, ses amis, ses docteurs, tout l’monde y pointait avec une grosse flèche rouge pis l’implorait de peser d’ssus.
Ah, Betty Crocker. Yinque d’entendre le nom, ch’sens le parfum du gâteau cerisette que ma mère préparait pour ma fête. A faisait un glaçage rose au jus d’fruits McCain avec ça; dans c’temps-là, ch’connaissais rien de meilleur. C’tait une époque plus simple, pareil : j’invitais gros max trois amies, pas la classe au complet comme faut faire à c’t’heure, pis l’monde se sentait pas obligé de donner des p’tits maudits sacs à surprise à toutes les invités. Tu parles d’une mode de parents gonflables pas d’allure.
Waittamenute, t’avais TROIS amies? — Caroline, qui n’avait ni trois amies, ni de glaçage au jus de fruits
Atapeu, t’avais du gâteau? — Mathieu, qui avait une beurrée de m’lasse et une binne su’l bras à sa fête
Entécas. C’est pratique, c’tés mélanges à gâteau-là, hein?
Mets-en! — Mathieu
Super pratique! — Caroline
On a-tu d’la visite, coudonc? Vous êtes qui, vous autres?
Faque c’est ça. On est dans ton texte, maintenant. — Mathieu
T’as juste à faire comme si on n’était pas là. On sera tranquilles promis. — Caroline
Ben tranquilles, ga, je me la ferme drè là. — Mathieu
Bon, ben ok, faites comme chez vous, l’frigidaire est là!
Où-ce que j’en étais, don? Ah oui!
C’est pratique, c’tés mélanges à gâteau-là, hein?
Des fois, t’as juste pas l’temps d’monter tes blancs d’œufs en neige pour ta génoise au chocolat, pis c’est ben correct; Betty s’occupe de toé avec son mélange Super Moist™. Ton flo verra même pas la différence anyway.
Pis c’est ça l’affaire, avec Betty Crocker : est là pour toé. A te facilite la vie. Depuis 1921, a l’offre au monde – surtout aux femmes, là, on s’mentira pas, même si ça a changé un ti-peu aujourd’hui – des recettes, des conseils pis plein de produits qui sauvent du temps. Su son portrait, avec ses yeux intelligents, son sourire doux pis sa mise impeccable, mais quand même relax, elle a la face d’une madame qui te traitera pas d’épaisse si tu mets d’la P’tite Vache dans ta recette au lieu du cornestache : c’pas grave, ma chouette; arcommence, c’est toute.
Mais… C’est qui, hein, Betty Crocker? Ça a-tu déjà été une vraie personne?
Ça s’rait cute si c’tait vraiment une gentille madame dans sa cuisine qui veut yinque aider son prochain, mais non : en arrière de Betty Crocker, y’a une grosse multinationale d’la bouffe transformée qui veut t’vendre des patates pilées en poudre, pis une campagne de marketing réglée au quart de tour par des bonshommes en complet. Une christie d’bonne campagne, à part de t’ça, qui dure depuis plus de 100 ans. Même Monsieur B dins annonces de Bell des années 1990 a pas toffé aussi longtemps.
Personne aurait de cellulaire aujourd’hui pis tout le monde aurait un téléphone à cadran si on voyait encore Benoît Brière déguisé en beubé à la tévé. — Caroline, nostalgique de bavoir et bonnet sur un comédien adulte
Toute a commencé quand la compagnie Washburn Crosby, l’ancêtre de General Mills, a mis une annonce de sa farine Gold Medal dans le Saturday Evening Post de Minneapolis. Dans l’annonce, y’avait des morceaux de casse-tête à découper pis une invitation : « Envoyez-nous le casse-tête assemblé, pis gagnez une SU-PER pelote à épingles en forme de sac de farine Gold Medal! »
Faut crère qu’en 1921, une pelote d’épingles, c’tait crissement sexy : pas longtemps après, Washburn Crosby avait r’çu 30 000 casse-têtes assemblés.
Pis pas yinque ça!
Les cravates de Washburn Crosby étaient ben surprises d’arcevoir aussi des lettres de madames qui demandaient des conseils :
« Pendant combien d’temps faut pétrir la pâte à pain? »
« Avez-vous ça, vous autres, une bonne recette de tarte aux pommes? »
« Mes gâteaux sortent toujours plates comme des vesses-de-loup effoirées. Qu’est-cé que ch’fais de pas correct? »
Amour, amour où est la clé? Pourquoi toujours les yeux mouillés? Combien de rêves avant l’aurore? Où sont allés les dinosaures? — Michel Rivard, curieux, mais aussi pas mal proche de se faire barrer par le staff de Betty Crocker
Fallait ben répondre à toute ça, hein?
En temps normal, quand Washburn Crosby arcevait une couple de questions une fois de temps en temps, c’est la gang de cravates du département de marketing pis leu directeur Samuel Gale qui s’en occupaient. Mais, ben sûr, y’étaient rien sans l’expertise pis l’savoir-faire des femmes du service d’économie familiale, qui leu disaient quoi dire.
Chaque fois qu’y signait une lettre, Samuel se sentait un peu mal à l’aise de mettre son nom parce, tsé, y’était un homme, pis les clientes devaient jamais l’prendre au sérieux. Qu’est-cé ça savait faire dans’cuisine, un homme, à part être dins jambes?
Ça peut aussi être dans le ch’min! — Caroline, excellente à La guerre des clans
Sam, pauvre ti pit, s’artrouvait tout d’un coup dans l’même bateau que toutes les femmes dans l’histoire de l’humanité qui avaient déjà signé leux œuvres sous un pseudonyme de gars pour qu’on les prenne au sérieux.
C’est ben ben choquant, ça. — Mathieu (Caroline)
C’tait justement ça, la solution : se cacher en arrière d’un pseudonyme de madame pour répondre aux questions des clientes!
Mais QUEL pseudonyme? Fallait choisir comme faut, avoir la bonne vibe. Germaine Laterreur, ça aurait pas été vendeur. Faique Sam pis les autres cadres d’la compagnie s’armuèrent les méninges pour trouver le nom parfait.
Pour le nom de famille, y s’entendirent su « Crocker » en l’honneur de William G. Crocker, un ancien cadre de Washburn Crosby qui v’nait de prendre sa retraite pis que tout l’monde aimait.
Pour le prénom, c’tait plus difficile, mais Samuel pis sa gang finirent par choisir « Betty » : ça sonnait cute, rond, gentil, un ti peu rural… Tsé, une Betty, ça va pas mettre de l’eau de javel dans tes plates-bandes pendant qu’t’argardes pas; ça va pas bavasser à tout l’village que t’étends pas ton linge su’a corde par ordre de grandeur. Ben non. Une Betty, comme j’disais, c’est là pour toé. Ça t’accueille à bras ouverts pis ça t’sert une pointe de tarte.
Histoire de rendre ça encore plus authentique, Samuel lança un concours entre les employées de Washburn Crosby pour trouver la meilleure signature pour Betty. C’est la secrétaire Florence Lindeberg qui gagna, pis c’est encore sa signature, à quelques p’tits détails près, qu’on voit su toutes les produits d’la compagnie :
Toutes ceuzécelles qui répondaient aux lettres des clients durent apprendre à imiter la signature.
Pis voilà : Betty Crocker était née. Une lettre à’fois, a d’vint un genre de confessionnal d’la cuisine, où c’que tu pouvais poser toutes les questions qu’tu voulais sans t’faire traiter d’tarte.
Dis-moi pourquoi les pneus qui brûlent! Dis-moi combien de soldats fous! Y a-t-il une trêve avant la mort? — Michel Rivard, qui pousse vraiment sa luck auprès de Betty
Quand même, faut pas crère que c’te service-là était offert aux p’tites madames par pure bonté d’âme. Les conseils que Betty Crocker donnait étaient vraiment bons pis utiles, mais c’tait un ch’fal de Troie pour le vrai but d’la patente : vendre d’la farine Gold Medal.
Pensez-y : en tant que déesses du domicile, les femmes géraient de 80 à 85 % des dépenses de consommation. C’tait pas l’bonhomme qui allait téter su’a sorte de farine qu’y avait dans l’garde-manger. L’rôle à Betty, c’tait de montrer aux maîtresses de maison des façons concrètes d’utiliser l’produit – pis d’leu z’en faire acheter plus.
Les lettres, c’tait un bon début, mais c’qui a vraiment lancé Betty Crocker, c’est la radio.
En 1924, à une époque où c’que de plus en plus d’monde avaient une radio à’maison, mais que les annonceurs savaient pas trop encore quoi faire avec c’te bébelle-là, Washburn Crosby prit une chance, acheta la station WLAG de Minneapolis pis l’arnomma la « Gold Medal Station ».
Le 2 octobre de c’t’année-là, Betty Crocker, avec la voix pis les textes d’la spécialiste en économie familiale Blanche Ingersoll, lança sa première émission hebdomadaire, L’école des ondes de Betty Crocker.
Heille là, en termes de portée, Betty v’nait de passer d’la pelle à’souffleuse. Dans c’temps-là, une annonce dans, mettons, le Ladies’ Home Journal pouvait atteindre autour de 2 500 000 personnes; le poste de radio, lui, pouvait en arjoindre 30 millions.
Blanche Ingersoll, en s’faisant passer pour Betty Crocker, parlait pas yinque de gâteaux flattes pis de fonds de tarte mouilleux : a faisait des recommandations su’a tenue d’maison en général, la gestion du temps, les amours, les relations avec la famille, alouette. Pis, époque oblige, su l’devoir d’la madame de préparer des bons repas nutritifs :
« Si tu bourres ton homme de vieux chou détrempé pis d’patates graisseuses, on peut-tu s’étonner qu’y aye le goût d’aller s’battre ou bedon d’commettre un crime? Nourri d’même, y pourrait faire ben pire qu’avoir un air de bœuf. »
L’émission pogna tellement qu’un an plus tard, y’en avait trois par semaine au lieu d’une. Après, les émissions commencèrent à être diffusées à Buffalo, New York, Chicago, Boston, Philadelphie, St. Louis…
Pis ben vite, c’est Betty Crocker qui animait le retour à la maison avec Les grandes gueules, et l’émission du matin où on fait la circulation aux deux minutes pour te dire que c’est encore bouché ben raide partout, et l’émission du midi, une ligne ouverte où tu pouvais appeler pour traiter Justin Trudeau de dictateur. — Mathieu, historien de la radio
Dans l’temps de l’dire, Betty Crocker était rendue à la radio nationale. Comme ça s’faisait pas, dans c’temps-là, enregistrer des émissions d’avance, Betty était jouée par plusieurs actrices qui lisaient le script en direct pis qui devaient EN AUCUN CAS bavasser que Betty existait pas vraiment. Washburn Crosby avait toute à gagner en maintenant l’illusion : des madames qui croyaient que Betty était vraie, c’tait des madames loyales à leu marque de farine.
Quand même, là, y’avait pas de grosse conspiration d’la mort pour tromper l’monde pis leu faire accroire des affaires.
C’était quand même un meilleur plan marketing que d’organiser une pandémie mondiale pis de partir un trend sur TikTok de faire son propre pain. — Caroline, qui a un chapeau de chef en papier d’aluminum
La compagnie avait créé l’personnage, mais a l’avait jamais dit que c’tait une vraie personne : c’tait l’monde qui croyaient ça. Disons qu’a faisait comme mes parents avec le Père Noël quand ch’tais p’tite, pour pas péter ma balloune. Y cultivaient pas l’mythe – jamais qu’Pépère Poêle aurait mis l’kit rouge avec la barbe pis la tuque, ho ho ho pis toute –, mais y faisaient pas exprès pour dire que c’tait pas vrai, non plus.
Parce que c’est clair que quand tu découvres à 7 ans que le père Noël, pardon, Betty Crocker, c’est ton mononcle que tu surprends en bobettes avec juste le haut du costume pis la fausse barbe en train de s’allumer une clope dans le sous-sol, ça te traumatise une enfance sur un moyen temps. — Caroline, encore en thérapie à 40 ans
En 1927, une nouvelle face arriva dans’place : Marjorie Child Husted.
Marjorie, avait un diplôme en économie familiale pis un autre en éducation de l’Université du Minnesota. Engagée par Washburn Crosby en 1924, a s’ramassa cheffe du service d’économie familiale pis devint la nouvelle Betty Crocker.
Marjorie Child Husted, boss madame.
C’qu’a l’aimait ben faire, c’est laisser l’public décider de quoi a l’allait parler dans son émission.
« Laissez-moi pas faire toute mon programme toute seule », qu’a disait.
A lisait le courrier des auditrices en ondes pis a répondait. Son émission devint un espace où c’que les madames pouvaient jaser des affaires qui les intéressaient sans s’faire dénigrer pis briser leu z’isolement de femmes au foyer.
Une des grosses préoccupations qui arsortaient des messages des auditrices, c’tait : comment séduire un homme pis l’garder par après? Ça a l’air niaiseux, mais quand t’es pognée à la maison, c’est ben stressant de dépendre d’un pourvoyeur avec une tête de girouette mal vissée.
Marjorie trouva qu’y avait un maudit bon filon là : après toute, on dit ben que pour gagner l’cœur d’un homme, faut passer par le ventre.
Moé, quand ch’fais une assiette deux œufs-bacon-tites patates à Mononc’Poêle le dimanche matin, c’est pas parce que j’me sens obligée – y pourrait ben manger des All Bran, ça s’rait yinque bon pour son transit –, c’est parce que j’veux dire « Je t’aime ». La bouffe pis l’amour, ça va ensemble.
Pis ça fait vendre! La réponse de Marjorie aux angoisses amoureuses, c’tait ben sûr le gâteau, préparé avec la farine Gold Medal pis la recette à Betty Crocker. Si ton gâteau est assez bon, Madame, ton mari ira pas voir ailleurs.
Gâteau double chocolat pour éviter que votre mari aille se tremper le roulé suisse chez ta voisine (le meilleur) — Ricardo Crocker
Marjorie était tellement convaincante qu’un jour, a l’arçut un message un peu paniqué :
« Moi, ch’fais pas votre recette de gâteau au fudge parce que j’aime mieux le gâteau blanc, mais ma voisine, elle, a l’fait votre gâteau au fudge. Ça s’pourrait-tu qu’a m’vole mon mari? »
Dis-moi pourquoi le sens unique? Donne-moi le nom d’un homme heureux? Quelle est la vraie couleur de l’or? — Michel Rivard, curieux impénitent
OK, là, ça va faire! — Betty Crocker, rouleau à pâte à la main
Bref, Marjorie avait l’tour en simonac pour dire à son public c’qu’y voulait entendre tout en faisant faire d’l’argent à son employeur.
15 façons de gagner le cœur d’un homme : 1. Du gawtô. 2. Du gawtô. 3. Du gawtô. 4. Du gawtô. 5. Du gawtô. 6. Du gawtô. 7….
La Betty à Marjorie était un peu comme les influenceuses d’à c’t’heure, avec leu sourire pis leu maison en ordre pis leux repas cinq services, qui ont l’air de flotter au-dessus de toute sans jamais montrer l’derrière du décor; mais, même avec son aura un ti peu mystérieuse, a l’était accessible pis pleine de compassion. Loin d’être décourageante, a disait à ses auditrices : « T’es capable, pis j’vas t’aider. »
Betty l’avait, l’affaire. Faique tsé, vous devriez pas tomber en bas d’votre chaise si j’vous disais qu’a l’arcevait cinq ou six demandes en mariage par semaine :
« Êtes-vous Mademoiselle ou bedon Madame Crocker? »
« Si vous êtes intéressée, faites-moé don un p’tit signe pendant votre émission? »
A devait aussi recevoir des dessins de zouiz au fusain, la pauvre. — Caroline
Avant d’arriver chez Washburn Crosby – devenue General Mills en 1928 – Marjorie avait travaillé pour la Société de protection de l’enfance de Minneapolis, pis pour la Croix-Rouge pendant la Première Guerre mondiale.
C’est pendant c’temps-là qu’a l’avait rencontré des femmes dans l’besoin qui devaient faire des miracles à tou’és jours avec quasiment rien. Ça l’avait ben marquée. Grâce à c’t’expérience-là, plus ses études, a fit une carrière de répondre aux besoins des femmes aux foyer, d’les écouter pis d’les valoriser dans un rôle qui, on va l’dire, était souvent ben ingrat.
Pis ça, ça devint encore plus important pendant les deux grandes crises que Marjorie traversa en tant que Betty Crocker.
Pendant la Grande Dépression, le revenu moyen des familles américaines baissa de 40 pour cent – mais l’appétit du monde, lui, baissa pas de 40 pour cent. Betty Crocker commença à r’cevoir des milliers de lettres de madames qui avaient de plus en plus de misère à joindre les deux bouttes :
« Ben sûr, Betty, toi tu l’sais pas c’est quoi quand ton bas d’laine est quasiment vide pis t’es su’l bord de perdre ta maison, mais faut quand même rester jojo pis préparer un bon souper pour que ton mari lâche pas la patate! Mais, j’me disais que p’t-être tu pourrais nous suggérer des menus qui r’viennent pas cher, mais qui sont nourrissants pareil? »
Marjorie pis le service d’économie familiale de General Mills répondirent avec un p’tit livret gratisse intitulé « La planification des repas selon un budget limité ou réduit ».
Pis tsé, quand l’garde-manger est pas mal vide, t’as pas trop le luxe de crisser ton pâté aux vidanges parce que t’as mis trop d’eau dans ta pâte pis là, est toute ratatinée. Faique, pour le bénéfice de ses auditrices, Marjorie fit des expériences dans le laboratoire de cuisine de General Mills pour trouver toutes les façons possibles de scrapper une recette – trop cuire, pas assez cuire, oublier un ingrédient, pas prendre le bon plat, se tromper de température, etc.
Essayer de la faire sans gluten, y mettre du kale, changer les oignons pour des échalotes sans aller demander avant si ça se fait dans les commentaires à Ricardo, pas allumer le four, gratiner en pitchant le plat directement dans le soleil, etc. — Mathieu, qui connaît plus d’une méthode pour rater un plat
À part de ça, le service d’économie familiale se fit d’mander de préparer des brochures avec des menus bon marché pis de donner des cours de nutrition pis des démonstrations de cuisine par la National Recovery Administration, créée par le gouvernement américain pour aider l’pays à s’arlever de la Grande Dépression.
Ça faisait 8 mois que les États-Unis passaient leur journée à regarder la chaîne Télé-Achats en sweatpants sales sur le divan pis à pleurer dans la douche. — Caroline, historienne de la déprime
Aussi, Marjorie continuait d’animer son émission pis de donner aux madames c’qui avait de plus important dans une période de même : l’espoir.
En plus, toute c’t’altruisme-là, c’tait payant pour General Mills : la compagnie fut l’une des rares à verser des dividendes à ses actionnaires à tou’és ans pendant la Dépression.
Pour moé, c’tait pas une coïncidence.
La Deuxième Guerre mondiale, c’tait une autre paire de manches. Là, Betty Crocker devint une espèce de générale du front domestique.
Avec le rationnement, la rareté pis la flambée des prix, c’tait plus difficile que jamais de nourrir le monde. Pis fallait pas yinque nourrir, hein; fallait nourrir comme faut : une nation qui mange yinque d’la tite soupe au chou clairote, c’pas une nation qui pète des gueules.
C’est une nation qui pète tout court, par contre. — Mathieu
Betty Crocker savait comment faire, pis l’monde l’écoutaient; y’avait personne de mieux placé pour donner c’t’information-là.
À la radio, dins journaux, dins magazines de femmes, dins brochures pis dans’malle, Betty était partout avec ses conseils pour étirer le lait pis l’sucre, utiliser l’gras d’poulet dins pâtisseries à la place du beurre, sauver su’a viande en utilisant d’autres sortes de protéines, comme les bines pis les céréales – les céréales Generals Mills, de préférence –, manger plus de légumes verts pis éviter l’gaspillage.
Marjorie trouvait que la contribution des femmes à l’effort de guerre était pas assez valorisée pis que les madames étaient toutes seules chacune de leu bord à s’fendre en 4 sans que personne leu dise merci. Faique en 1944, a créa l’American Home Legion pour leu donner un peu de reconnaissance.
De la reconnaissance comme dans j’r’connais que ça équivalait à sweet fuckall comme paye pareil. — Caroline ben prime, qui va se sentir visée dans trois paragraphes mais qui le sait pas encore
Les madames pouvaient s’inscrire comme légionnaires du foyer pis arcevoir une médaille pour services distingués. Y’avait un credo officiel qui disait que l’travail domestique, c’tait important pis essentiel, que ça prenait d’la jarnigoine, du talent pis du cœur pour créer un foyer heureux, pis qu’un foyer heureux, c’tait l’début d’un monde meilleur.
« C’est la charge mentale, ça! » qu’vous m’direz. « Pis c’est pas yinque aux femmes de faire ça, les hommes aussi, occupez-vous d’vos enfants pis ramassez vos poils de poche, ciboire! »
Pis vous aurez ben raison. Mais en 1944, la reconnaissance, c’tait déjà ça.
Ga, tu vois ben! — Mathieu, qui pointe Caroline qui se sent visée comme prédit
En 1948, Marjorie arçut le prix de la Madame de l’année du Women’s National Press Club; en 1949, le prix de la Madame publicitaire de l’année de l’Advertising Federation of America.
En 1948, Marjorie arçut le prix de la Madame de l’année du Women’s National Press Club; en 1949, le prix de la Madame publicitaire de l’année de l’Advertising Federation of America.
En 1950, a prit sa retraite de General Mills pour partir son cabinet d’experts-conseils, Marjorie Child Husted and Associates.
Dins années d’après, plein d’autres femmes arprirent le flambeau de Betty Crocker, en ondes comme dans le labo de cuisine. Mais, c’tait Marjorie qui en avait fait le personnage adoré pis la machine de marketing qu’a l’était devenue depuis ses débuts en 1921.
Pour vous donner une idée, en 1945, le magazine Fortune avait fait un sondage pis déclaré que Betty Crocker était la deuxième femme la plus connue des États-Unis, après Eleanor Roosevelt. Du même coup, le magazine bavassa que Betty existait pas pour vrai. Ça aurait pu être la fin du monde pour General Mills, mais au contraire, ça passa comme du beurre dans’poêle. A dégageait tellement de sincérité pis d’bienveillance, les femmes s’en sacraient ben que ça soit yinque un personnage!
Pis moi, quand je dis que je sors avec Sailor Moon, on se fout de ma gueule. — Mathieu
Y’a une affaire qui est plate, par’zempe, pis ça vous surprendra pas. Marjorie eut beau avoir une carrière hyper impressionnante pour son époque, a fut jamais vraiment arconnue à sa juste valeur par son employeur. Un jour, des cadres de General Mills y dirent :
« Entécas, Marge, t’as faite plus pour les ventes d’la compagnie que n’importe qui d’autre icitte! »
Mais, vous savez quoi? A l’était payée le quart du salaire du meilleur vendeur du département de marketing. LE QUART.
Le quart!? — Mathieu, flippant une table
LE FUCKING QUART? — Caro, affûtant sa guillotine, encore prime de taleur
Faique ouin.
Prendriez-vous un peu d’gâteau, quequ’un?
Ça tombe ben, on t’a fait un cerisette! Viens-t’en souper cheu nous, amène ton appétit, on fournit le gâteau pis l’verre de lait, c’est sur notre Substack que ça s’passe! — Caroline et Mathieu, qui invitent pas subtilement pantoute le lectorat de Matante Poêle à poursuivre par là cette épique collaboration digne de David Bowie et Queen oubedon de PFK et Kraft Dinner
Merci à Christine Labrecque pour son interprétation d’une vague scélérate
Comme vous le savez, ça fait des mois qu’chus dins bateaux pis la navigation pis les catastrophes maritimes. Pis pendant mes recherches, chus tombée s’un phénomène ben intéressant pis ben épeurant : les VAGUES SCÉLÉRATES.
D’abord, prenons deux-trois secondes pour apprécier que ça s’appelle de même, une vague scélérate : du latin sceleratus, « souillé d’un crime ». Clairement, c’t’une vague qui porte un ti bandeau de bandit. Concrètement, c’t’une vague géante, deux fois plus haute que les autres autour, qui est imprévisible, qui a l’air de sortir de nulle part, qui fesse comme un mur d’eau pis qui peut détruire un navire aussi facilement qu’une maquette en bâtons de popsicle.
Ça fait des siècles que les marins savent que ça existe. Mais quand y’arvenaient à terre pis qu’y contaient ça au monde normal – parce qu’y faut clairement être un ti-peu craqué pour aller su’a mer, pis je dis ça avec ben d’l’affection pis d’l’admiration –, personne les croyait. C’tait yinque une légende.
M’as vous donner un exemple de quoi ça peut avoir l’air. En 1916, par une nuitte de tempête, l’explorateur Ernest Shackleton s’promenait s’un ti voilier dans l’Atlantique Sud, quand soudain, y vit une éclaircie à l’horizon. « Cool », qu’y s’dit. Sauf que là, c’qu’y pensait être une ligne de nuages blancs au-dessus d’un ciel noir ben dégagé était en faite la crête d’une ÉNORME vague. Y’eut à peine le temps de crier « aaaaa » que la vague ramassa son bateau de plein fouette pis faillit l’engloutir complètement. C’t’un miracle qu’y aille pas coulé, mais y’était pas au boutte de ses peines, le Shackleton. Faudrait ben que j’vous conte ses aventures un jour.
Autre exemple plus épeurant : le cargo allemand München, équipé de toute c’qu’y avait de plus moderne en 1978, s’en allait pour traverser l’Atlantique Nord pis disparut dans une tempête, pis on l’arvit jamais – ses dernières paroles furent une chaloupe de sauvetage avec son nom dessus qui flottait tu’seule su l’océan, artrouvée plusieurs mois plus tard.
C’est lui, ça, le München. On s’entend que c’pas une coquille de noix.
Le monde qui tchéquèrent la chaloupe étaient ben mêlés : su’l bateau, a devait être accrochée un bon 20 mètres au-dessus de l’eau, mais pourtant, c’tait clair qu’a l’avait été arrachée, comme un boutte de jouet Fisher-Price qui est pas censé s’enlever, mais qu’un flo brise-fer avait fini par péter. Qu’est-cé qui aurait ben pu faire ça? Une vague géante? Ça s’pouvait pas, voyons donc. La Commission d’enquête des accidents maritimes de l’Allemagne conclut que le naufrage du München était « inexplicable ».
En faite, c’est pas avant 1995 que les vagues scélérates sont passées de folies de vieux loup d’mer, comme le Kraken pis le Léviathan, à’réalité scientifique. Le 1er janvier de c’t’année-là, une grosse maudite vague fessa la plateforme pétrolière Draupner, dans’mer du Nord; le laser installé su la plateforme mesura que la vague faisait 26 mètres, au travers d’autres vagues de 11-12 mètres. Ça se pouvait, finalement!
« BEN QUINS! » dirent les marins de partout su’a terre.
Encore aujourd’hui, on est pas trop sûrs de comment ça marche, les vagues scélérates. Y’en a qui pensent que qu’y se forment quand deux vagues se foncent dedans drette d’la bonne façon pis forment une plus grosse vague, mais ça pourrait être autre chose aussi. Mais bon, ch’pas une experte, faique j’me mouillerai pas en essayant d’vous donner une explication scientifique.
C’que je peux faire par exemple, c’est vous donner d’autres exemples épeurants de vagues scélérates!
Le 10 novembre 1975, l’Edmund Fitzgerald, un vraquier des Grands Lacs (c’t’-à-dire un gros bateau qui transporte du vrac… su’és Grands Lacs) s’atrouva pogné, vous l’aurez d’viné, dans une tempête su’l lac Supérieur. Y’en arrachait un peu : y prenait l’eau pis y commençait à verser su’l côté, mais y t’nait bon.
Tandis qui s’en allait vers la baie Whitefish dans l’espoir de s’protéger un peu, y’envoya un dernier message à un autre bateau qui s’trouvait pas loin : « On va passer au travers ». Dix menutes après, pu rien. Même pas un mayday. C’tait comme si la main du Bon Dieu avait sacré une claque dessus pis l’avait englouti. Les 29 membres d’équipage furent perdus, pis le navire fut atrouvé en deux morceaux au fond du lac.
Y’eut ben d’l’astinage su la cause du naufrage de l’Edmund Fitzgerald, mais au jour d’à c’t’heure, le suspect numéro 1 est un phénomène qui s’produit yinque dans le lac Supérieur qu’on appelle « les trois sœurs » – un trio de vagues scélérates qui frappent une après l’autre, comme un tour du chapeau de Marie-Philip Poulin. Étant donné que l’Edmund Fitzgerald avait déjà d’la misère, y’aurait eu aucune chance contre ça.
Heille, même su’a terre, on est pas à l’abri des vagues scélérates. Pendant une tempête en 1900, trois gardiens disparurent du phare des îles Flannan, en Écosse. Y’avait aucune trace d’eux autres. POUF. Les journalistes de l’époque partirent en peur avec l’histoire : un dit qu’un serpent de mer avait emporté les trois gars; un autre qu’y s’taient arrangés pour pogner un lift avec quequ’un pour commencer une nouvelle vie; pis un autre encore dit qu’y avaient été enlevés par un bateau fantôme.
Le phare des îles Flannan
Le seul indice su’l sort des gardiens, c’tait que le débarcadère du côté ouest de l’île était magané : les garde-corps étaient toutes crochis, un coffre à 33 mètres au-dessus d’la mer avait été défoncé pis c’qu’y avait dedans avait été répandu partout, une roche de plus d’une tonne avait bougé, pis une bande de turf de 10 mètres avait été arrachée du bord d’la falaise. La seule explication plausible : une vague géante avait balayé l’île pis emporté les trois gars.
Dernier exemple : une vague scélérate qui aurait pu changer l’histoire. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, le Queen Mary, méga paquebot de luxe, servait de navire de transport des troupes pour l’armée américaine. Le 11 décembre 1942, y’avait à bord, tenez-vous ben, 10 389 soldats pis 950 membres d’équipage cordés comme des sardines. Ça fait du monde en viarge, ça.
Le Queen Mary
Le Queen Mary approchait de l’Irlande quand y fut pogné dans une tempête. Ça brassait en tabarouette – le navire montait pis tombait l’équivalent de plusieurs étages à chaque grosse vague qu’y rencontrait. Pour ben des gars à bord, c’tait leu premier voyage su l’océan, faique ben vite, l’odeur du vomi s’répandit dans toutes les cabines pis les passages.
Pis un m’ment’né, FLÂWK! Un vague scélérate fessa le côté du Queen Mary à tribord.Une vague, ça se pogne ben de face, mais su’l flanc, c’est moins drôle. Des hublots pétèrent pis l’eau entra dans les cabines. Le paquebot pencha de 10 degrés, puis 15, 30, 40… jusqu’à 52 degrés, tellement bas que les chaloupes de sauvetage à bâbord lichaient pratiquement la surface de l’océan. Vous imaginez-vous comment ça devait être épeurant? Y’eut même des gars qui étaient convaincus que le navire avait mangé une torpille.
Le Queen Mary passe proche de chavirer, peinture de Pierre Mion
Pendant une éternité, le navire resta penché d’même su l’eau. Pis lentement, comme un pépère qui s’arlève en grognant après avoir pris une débarque, le Queen Mary s’armit drette, continua son chemin pis finit par mener sa cargaison humaine à bon port.
Les ingénieurs qui tchéquèrent le Queen Mary au port calculèrent que si y’avait penché yinque 3 degrés de plus, y’aurait coulé sans que personne à bord ait l’temps de se sauver. Ça aurait fait 11 339 morts! Le Titanic aurait eu l’air de d’la p’tite bière à côté.
Si le Queen Mary avait coulé à c’te moment-là, ça aurait pu changer l’histoire : pendant la guerre, y’a transporté environ 800 000 soldats au total, des tonnes d’équipement, pis même Winston Churchill, un moment donné. Y s’rait arrivé quoi, pu de Queen Mary? La question s’pose.
Faique, heille, une p’tite croisière, ça vous tente?
Justement, malgré toute, les passagers d’la chaloupe 6 arrivaient toujours pas à croire que l’Titanic allait couler. C’tait trop surréaliste. Marcel Béliveau allait sortir d’en arrière d’un iceberg avec une couple de caméras pis dire surprise sur prise.
Sauf que là, la réalité était su’l bord d’leu rentrer dedans s’un moyen temps.
Les lumières du navire étaient encore allumées. De loin, Maggie put voir du monde – beaucoup d’monde – sortir su’l pont tout d’un coup. C’tait les passagers de la troisième classe qui avaient attendu tranquillement en dedans qu’on leu dise quoi faire pis qui venaient de comprendre, enfin, qu’y étaient abandonnés à leu sort. Maggie entendit du criage, du braillage d’enfants pis même des coups de fusil.
« Ben voyons, qu’est-cé qui se passe? Comment ça qu’y a encore des enfants à bord? se demanda Maggie avec une boule dans l’estomac. Y reste pu de chaloupes de sauvetage, coudonc? Y tirent pas su’l monde, toujours? »
Le Titanic avait l’air de plus en plus loin. Au début, les chaloupes de sauvetage étaient proches les unes des autres, mais fallait qu’y zigzaguent entre les bouttes d’icebergs qui flottaient un peu partout, pis là y s’perdaient d’vue dans l’noir. Chacune était devenue une p’tite île de vie dans l’néant.
Tout d’un coup, l’major Peuchen arrêta de ramer.
— Qu’est-cé qui se passe? demanda Maggie. — Le navire, répondit Peuchen. Argardez.
Maggie arrêta de ramer aussi. Son bel habit en velours était déjà ben trempe, ses gants étaient mouillés bord en bord. Ses cheveux pis ses cils étaient pleins de frimas.
Le Titanic avait l’nez complètement en d’sour de l’eau pis l’derrière levé vers le ciel, les hélices à l’air.
Les centaines de personnes qui restaient à bord couraient su’l pont, le plus loin de l’eau possible, essayant d’artarder l’inévitable.
Tout d’un coup, les câbles qui artenaient les cheminées géantes lâchèrent; une première cheminée tomba su’l monde, suivie d’une deuxième une minute après.
Pis là, y’eut un grondement épouvantable.
« Les chaudières! C’est les chaudières qui pètent! J’vous l’avais dit! » cria Hichens.
Maggie se l’va d’boutte dans’chaloupe, les yeux fixés su’l Titanic, pas capable d’argarder ailleurs :
« Mon Doux Seigneur. »
Le son qui suivit fut ben pire. Pas décrivable. Des tonnes de fer qui déchiraient tandis que le devant du navire coulait toujours plus creux pis le derrière montait toujours plus haut.
CRRRRRAC! Le Titanic cassa en deux.
Le derrière artomba lentement pis fit un flat gigantesque su’a surface de l’eau. Toutes les lumières s’éteignirent; y restait pu yinque les étoiles. L’orchestre jouait pu. À’place, y’avait juste une chorale de cris de terreur.
À c’te moment-là, le derrière du navire s’arleva dins airs une dernière fois au milieu des flots comme pour faire un dernier salut.
Du point d’vue à Maggie, le Titanic avait l’air d’une grosse masse noire dressée en avant du firmament – genre le monolithe dans 2001, l’Odyssée de l’espace. L’océan s’mit à bouillonner, pis on aurait dit que des grands bras d’écume agrippaient l’navire pis l’tiraient vers le fond. En queques minutes, y resta pu rien à part des débris pis des centaines d’humains épouvantés, fragiles, abandonnés.
Tout l’monde dans la chaloupe s’tait levé de son siège pour argarder. Personne parlait. Pis là, chacune des passagères réalisa la même affaire en même temps : les hommes qu’a l’avait laissés su’l pont avant de monter à bord d’la chaloupe venaient toutes de couler avec le navire.
Ch’tais pas là, mais ch’fais yinque m’imaginer de perdre Mononc’Poêle de même pis ça m’coupe le souffle; le genre de choc qui t’rentre dans l’estomac pis qui s’répand dans tes veines.
Plusieurs avaient perdu leu mari; d’autres, leu père ou leu frère ou toute ça en même temps. Mme de Villiers criait le nom de son beau joueur de hockey; Maggie pensait aux amis qu’a s’tait faite pendant la traversée.
—Faut qu’on artourne! dit Helen Candee. — Ben oui! Faut r’virer d’bord, insista Miss Martin. Y reste plein de places dans la chaloupe, on peut sauver du monde! — Non! cria Hichens, la face ben rouge. On sauve not’peau pis qu’y s’arrangent avec leux troubles. Si on artourne, avec toute le monde qu’y a dans l’eau, y vont nous faire chavirer! — On peut pas les laisser, voyons don! s’essaya Maggie, mais Hichens voulut rien savoir. — Y’a pu rien pour nous autres là-bas à part d’la soupe aux macchabées. Là, aweille, ramez, maudit ciboire! Pis j’veux pu vous entendre!
Résignés, les passagers d’la chaloupe se rassirent pis s’armirent à ramer. Pendant deux heures, y ramèrent en chantant pis en s’encourageant. Maggie finit par donner chacune de ses sept paires de bas, sauf une, à d’autres madames pour les aider à s’tenir au chaud. A sentait quasiment pu sa face ni ses mains à cause du frette, mais à l’était tout trempe en nage de sueur; a savait que si a l’arrêtait de ramer, a mourrait gelée dans l’temps de l’dire.
Pendant c’temps-là, Hichens continuait son sermon de curé d’l’apocalypse :
« Pour moé on va dériver des jours de temps sans qu’personne vienne nous sauver. On a pas d’eau à boire, pas d’pain, pas d’boussole, pas d’carte. Si mettons y’avait une tempête qui se l’vait, on f’rait quoi? On s’rait faites à l’os. Moé j’dis, soit qu’on s’neille, soit qu’on meurt de faim. Ça peut pas finir autrement. »
À c’te moment-là, tout l’monde en avait plein son casse de l’entendre. Même Miss Martin, qui avait l’air d’une jeune femme polie pis ben élevée, échappa un p’tit sacre discret.
— Farme don ta yeule, explosa Maggie. Si c’est d’même que tu penses, garde donc ça pour toé! Fais don un homme de toé, simonac! Que ch’sache, pour là, la mer est calme pis on n’est pas encore morts! — On sait même pas dans quelle direction qu’on rame, répliqua Hichens. — On rame vers le nord, Monsieur, répondit Helen Candee, la p’tite bollée d’la chaloupe, en pointant la Grande Ourse.
Hichens eut la décence de prendre son trou.
Une des passagères, Leila Meyer, sortit une tite flasque de brandy pis la passa à sa voisine de rame.
— Heille, ch’peux-tu n’avoir, de t’ça, moé? demanda Hichens. Chus gelé! — Tu peux ben être gelé, tu rames même pas, marmonna Peuchen. — Vous avez pas besoin de t’ça, répondit Leila en r’mettant la flasque dans son manteau. J’ai ben peur que vous la vidiez toute au complet!
Quand même, a pris la couverte qu’a l’avait pis la mit autour des épaules du quartier-maître. Une autre madame fit pareil.
— Quins, là vous avez plus de couvertes que nous autres. — Si tu ramais, t’aurais ben moins frette, dit Peuchen. — Pis toé, si tu ramais pas comme un piochon qui sait pas c’qui fait, la chaloupe irait plus vite, répliqua Hichens.
Le temps continuait d’passer. Malgré l’immensité autour de Maggie, son univers était ben p’tit : rame, rame pis rame. Peuchen disait l’heure une fois de temps en temps, mais y s’fit dire d’arrêter; c’tait mieux de pas savoir. Un m’ment’né, une madame perdit connaissance pis personne fut capable d’la ranimer.
Là, une mince ligne grise apparut à l’horizon. L’aube.
Une autre chaloupe de sauvetage, la numéro 16, apparut pas loin, pis celle-là était pas mal pleine.
D’autre monde en vie! Ça faisait du bien à voir en sapristi!
« Heille! On va s’attacher ensemble, ok? cria Hichens à l’autre chaloupe. Lancez-nous une corde! »
Y’avait un monsieur assis à’proue d’la numéro 16. Y portrait yinque un pyjama blanc pis ses ch’feux étaient couverts de frimas. On aurait pu l’prendre pour une statue d’glace si y’avait pas été après claquer des dents comme si y’envoyait un message en code morse.
Voyant l’état du monsieur, Maggie lui cria :
« Allez, mettez-vous à ramer! Ça va vous faire circuler l’sang! »
Hichens était pas content que quequ’un parle par-dessus lui :
« Toé, ferme-la pis laisse-moé travailler! Vous autres! Lancez-moé une corde! »
Une corde atterrit aux pieds du quartier-maître, qui attacha rapidement les deux chaloupes ensemble.
« Bon, à c’t’heure lâchez vos rames, on s’arpose. »
Personne se fit prier.
Maggie argarda les faces blêmes dans la chaloupe 16. Tout l’monde était abattu, brûlé raide.
Dans la lumière falote de l’aube, l’horreur d’la situation était encore plus évidente : y’étaient carrément dans un champ d’icebergs. Y’en avait dans toutes les directions, à perte de vue, des pointus pis des plates, des gros comme des chars pis des immenses comme des navires.
Qui viendrait les chercher dans une place de même? C’tait ben que trop dangereux.
Tout d’un coup, une bourrasque de vent frette cogna les deux chaloupes ensemble.
— Si j’reste assis icitte une minute de plus, m’as mourir de frette, lança Helen Candee. — Ouais, faut qu’on rame, c’est notre seule chance de pas geler dur, dit une autre madame. — C’est moé qui décide quand est-ce qu’on rame, pas vous autres, rétorqua Hichens.
Pis là, y dit :
« On va pas vite vite, on a pas d’hommes qui rament dans not’chaloupe, pis vous autres, vous n’avez plein. »
Faique y demanda au monsieur en pyjama d’y envoyer un homme. Un gars tout graissé de suie – c’tait un de ceux qui chauffaient la chaudière à bord du Titanic – passa d’une chaloupe à l’autre. Y’était greyé pour faire sa job à’chaleur, les mollets à l’air, pas pour passer des heures au frette. Quand y s’assit pour ramer, Maggie y’enroula son étole en hermine autour des jambes.
— Bon, là, détachez-nous, demanda Maggie au bonhomme en pyjama. — C’est MOÉ qui décide quand est-ce qu’on s’détache, c’tu clair? cracha Hichens en plein power trip. Si on fait ça, j’risque de passer par-dessus bord! — M’as te crisser à l’eau moi-même, gronda Maggie en se l’vant d’boutte, menaçante comme une maman ours.
Hichens arcula, pas sûr que les chances étaient d’son bord dans c’te combat-là.
Miss Martin mit une main su l’épaule à Maggie :
— Faites pas ça, pour moé juste l’approcher y va tomber tout seul. — Veux-tu ben t’assire! geignit Hichens; sa voix sonnait fragile pis clairette, comme une corde ben tendue su’l bord de péter. Si la chaloupe brasse, on risque de toutes crisser l’camp à l’eau! Laisse-moé don faire ma job pis prend don ton trou, maudite marde! — Heille! s’indigna le chauffeur de chaudière à qui Maggie avait donné son étole. On parle pas d’même à une madame! — C’est moé qui commande icitte, pis j’y parlerai ben comme j’voudrai, à elle!
Le monsieur gelé en pyjama s’crissait ben de qui commandait la chaloupe 6. Y détacha les embarcations, qui s’mirent à s’éloigner l’une de l’autre.
Maggie se rassit pis r’pogna sa rame. C’qui avait de bon à être pompée d’même, c’est que ça faisait oublier l’frette.
« Bon, là, ramez! Ramez, sinon on va toutes geler! »
Tout l’monde s’armit à l’ouvrage, mais y’avait une limite à c’que les tites chansons d’encouragement pis les « let’s go les filles » pouvaient faire. Si l’aide arrivait pas au plus maudit, les passagers d’la chaloupe allaient figer pour de bon.
Pis là, Miss Martin s’exclama :
— Argardez là-bas! On dirait un éclair! — C’est yinque une étoile filante, c’est rien, répondit Hichens, le boute-en-train de l’Atlantique nord. — C’est l’soleil qui s’arflète s’un boutte de glace, proposa une autre madame. — Non, c’t’un bateau! cria une autre.
Pis, ben oui! Une autre lumière apparut, pis une autre, trop ben alignées pour que ça soye naturel. C’tait l’pont d’un gros navire transatlantique qui s’dessinait à l’horizon!
« Pour moé c’est l’Carpathia, dit Fred Fleet, la vigie. C’tait lui qui était l’plus proche de nous autres. »
Maggie fit l’saut : le jeune homme avait pas parlé pantoute depuis qu’y était embarqué dans’chaloupe.
— Est-ce qu’y va venir nous chercher? demanda Miss Martin. — Ohhhh non ma p’tite madame, répondit Hichens, qui s’rait jamais élu président du club Optimiste. Yé pas là pour nous sauver; yé là pour ramasser les cadavres. — Ben non! dit le chauffeur. C’t’un bon bateau! Y va nous aider, c’est sûr!
Rendu là, pu personne écoutait c’te vieille corneille défaitiste de Hichens. Plus crinqués que jamais, les rameurs ardoublèrent d’ardeur pour arjoindre le Carpathia.
C’tait pas gagné, parzempe. La houle allait en empirant, pis Maggie s’dit que ça prendrait yinque une vague un peu forte pour les renverser.
Les autres chaloupes aussi s’dirigeaient tant ben qu’mal vers leu meilleure – leu z’unique! – chance de survie.
« Sont quasiment vides, pensa Maggie. Sont toutes tellement vides! »
La chaloupe 6 essaya d’accoster l’Carpathia, mais par trois fois a l’arbondit, bonk! d’mandant encore un ti effort de plus aux braves madames pis au chauffeur. Finalement, la chaloupe réussit à s’glisser le long d’la coque du gros navire.
Maggie l’va les yeux : su’l pont, a voyait les têtes des membres d’équipage pis des passagers ouéreux.
Les marins du Carphathia firent descendre des cordes pour faire une espèce de siège de balancine qui allait servir à faire monter les gens un par un. Hichens passa en dernier.
À bord, les queque 700 rescapés furent accueillis avec des couvertes de laine pis du café chaud – ahh, ça dut les toucher drette dans l’âme, c’te tasse de brun-là! On se s’rait p’t-être attendu à c’qu’y sautent pis qu’y pleurent de joie, que l’party pogne su’l pont, mais non. Y régnait un drôle de silence, un genre de calme irréel dans l’quel les miraculés flottaient comme des fantômes, sans avoir l’énergie pour s’réjouir d’être en vie. Y pouvaient juste argarder autour d’eux autres dans l’mince espoir de trouver une face qui leu disait d’quoi.
Maggie était aussi à boutte que les autres, mais vous l’savez ben : c’te femme-là était pas capable de rester assise deux minutes. Fallait qu’a s’occupe, fallait qu’a l’aide. Faique a mit tout de suite ses talents d’organisatrice à l’ouvrage.
A l’alla chercher des brosses à dents, des peignes pis d’autres produits de toilette chez le barbier du Carpathia pis ramassa du linge donné par les passagers, pis distribua tout ça aux rescapés.
Là, c’tait un ti peu l’chaos social : les survivants de toutes les classes sociales étaient tous mélangés ensemble, horreur! Quand Maggie voulut aller réconforter des femmes d’la deuxième classe, le docteur du navire essaya de l’arrêter :
— Ah, vous êtes vraiment pas obligée de faire ça! Y’ont des couvertes, là, sont correctes! — Pfff! Ça prend plus que des couvertes pour soigner les âmes en peine! répliqua Maggie.
Surtout que, tsé, Maggie avait pas oublié d’où qu’a venait.
Au-delà des besoins immédiats, Maggie pensa à une autre affaire : l’monde des deuxième pis troisième classes, là, y’avaient carrément toute perdu. Y’en avait une bonne gang là-dedans qui étaient des immigrants qui s’en venaient en Amérique pour se bâtir une nouvelle vie en emportant toute leu stock, pis là, y’avaient pu rien. En plus, si y pouvaient pas prouver qu’y avaient les moyens de s’établir aux États-Unis, l’immigration risquait de les renvoyer dans leu pays.
Faique, comme a savait si bien l’faire, a forma un comité de madames de la première classe, avec une couple de monsieurs aussi, pour aider ces gens-là. Quand l’Carpathia arriva au port de New York, le comité avait ramassé 15 000 piasses – quasiment 486 000 en dollars d’aujourd’hui.
Y’avait aussi les femmes pis les enfants qui se ramassaient tu’seuls, sans savoir comment trouver le mononcle, la matante, le cousin ou l’amie qui les attendaient su’l quai. Pour eux autres, Maggie fit une liste de noms pis la donna aux autorités. A s’assura aussi qu’y soyent escortés en sortant du bateau pour pas qu’y s’artrouvent vulnérables comme des tites souris dans la Grosse Pomme.
Après avoir débarqué du bateau, averti sa famille qu’a l’allait ben, s’être informée de l’état d’santé d’son p’tit fils – c’est pour lui qu’a l’avait traversé l’Atlantique, j’vous rappelle – pis s’être installée au Ritz Carlton, Maggie continua de ramasser les dons qui arrivaient des quatre coins des États-Unis pis des autres pays.
Un mois et demi plus tard, Maggie participa à une cérémonie pis armit des médailles à toutes les membres d’équipage du Carpathia.
Maggie avec le capitaine du Carpathia, Arthur Henry Rostron
Pis la vie à Maggie, après l’Titanic? J’veux pas que c’t’histoire-là s’transforme en liste comme su Wikipédia, faique j’dirai pas toute. Entécas, au moins une affaire : en 1914, a s’porta candidate pour devenir sénatrice du Colorado, mais a l’arrêta sa campagne à cause d’la Première Guerre mondiale pis d’dvint directrice du Comité américain pour les régions dévastées de France. Ça résume ben la femme qu’a l’était, ch’pense.
Faique pour en r’venir à la jeune fille dont j’vous parlais au début, qui a r’gardé l’film Titanic, qui a accroché ben raide su’l personnage à Molly Brown, pis sans qui on s’rait pas icitte à en parler… Si j’étais sa maman, là, ch’srais fière en maudit.
Source : Iversen, Kristen, Molly Brown: Unraveling the Myth, 3e édition. 2018. Johnson Books.
Maggie était ben pressée d’arriver aux États. A l’avait décidé d’arvenir en catastrophe parce son p’tit-fils, le bébé à son garçon Lawrence, était malade.
Le soir du 14 avril 1912, au quatrième jour d’la traversée, Maggie lisait tranquillement dans sa cabine. Pis là, y’eut un genre de coup su’l navire, assez fort pour la faire tomber à terre.
Maggie n’avait vu d’autres, on s’entend. Des bateaux, a n’avait pris en masse pis a l’avait déjà essuyé ben des tempêtes. C’te brassage-là, ça la stressait pas ben ben. Quand même, après s’être arlevée, a décida d’aller sentir dans l’passage.
C’tait plein d’monsieurs en pyjama pis d’madames en robe de chambre qui se d’mandaient c’tait quoi, c’te coup-là, mais personne paniquait. Ça faisait des tites blagues :
« Heille Melville, ça nage-tu ben, en pantoufes, tu penses? »
Comme toute avait l’air beau, Maggie se réinstalla pour lire. A remarqua quand même que les moteurs tournaient pu.
L’autre bord du mur, a l’entendit quequ’un dire :
« M’as aller su’l pont voir c’qui s’passe. »
Pas longtemps après, a vit que quequ’un faisait bouger le tit rideau en avant d’la vitre de sa porte. Pis là, a vit la face d’un monsieur toute pâle, les yeux sortis d’la tête, comme si y’arvenait du party chez Rose Latulippe. D’une voix étranglée, y lâcha :
« Mettez votre gilet de sauvetage… »
Bon. Clairement, toute était pas beau.
Encore ben calme, Maggie se l’va pis posa son livre : c’tait le temps de se préparer à sortir su’l pont.
A mit c’qu’a l’avait de plus chaud – un costume tailleur deux pièces en velours noir. Pis en d’sour, a l’enfila sept paires de bas d’laine une par-dessus l’autre. A s’enroula une étole en hermine autour du cou pis finit son look avec un capot en soie.
Là, a l’eut une pensée pour toutes ses choses préférées qu’a perdrait si l’bateau coulait – toute son linge, ses livres… Ah, pis d’la marde. A ramassa 500 piasses dans son coffre-fort, mit son gilet de sauvetage, prit la couverte de laine su son lit pis sortit dans l’passage.
A tomba sur un steward qui y dit ben poliment :
— Bonsoir, Madame Brown. Chus ben désolé du désagrément, mais l’capitaine demande à tout l’monde d’aller su’l pont. — Chus prête.
Dehors, la nuitte était fraîche pis paisible. L’océan était calme. Les étoiles brillaient. Mais y’a d’quoi qui scrappait l’ambiance pas mal : comme les moteurs étaient arrêtés, la vapeur qui s’accumulait dins chaudières sortait par les soupapes de sûreté en menant un train d’enfer.
« Cibole, on s’entend même pas parler », pensa Maggie.
Là, faut qu’on s’dise une affaire. Quand on pense au naufrage du Titanic, on imagine le bordel total, la glace qui r’vole, l’eau qui monte, les chaises qui flottent dins corridors, les officiers qui tirent du fusil pour arpousser l’monde en panique, les passagers de la troisième classe pognés dans l’fond du navire en arrière des portes barrées…
Mais c’tait pas vraiment ça, entécas pas au début. Personne croyait vraiment que l’navire allait couler.
Pis les passagers de troisième classe, on va régler c’te question-là, y’étaient pas « embarrés » par exprès dans l’fond du bateau par des officiers qui riaient comme des méchants dins vues de Disney en s’tortillant l’boutte d’la moustache. Oui, y’étaient séparés des autres classes à cause des lois su l’immigration, mais y’avaient accès au dehors. Y pouvaient sortir su’l pont. C’est juste que su leu section du pont… Y’avait pas de chaloupes de sauvetage. Oupelaï.
Maggie argardait les matelots fucker l’chien après les câbles pour faire descendre les chaloupes de sauvetage – on leu z’avait laissé l’temps de s’pratiquer avec ça. À les voir aller, c’tait évident que l’heure était pas aux potins pis aux croissants Pillsbury. Le bruit avait même commencé à courir que l’navire s’tait faite rentrer dedans par un iceberg. Mais les officiers continuaient de dire que les chaloupes, c’tait yinque une précaution, qu’y avait pas lieu de capoter.
Les passagers, y’en avait des ben relaxes, pis d’autres qui bougonnaient parce qu’y s’taient faite sortir du litte. Les monsieurs expliquaient aux madames qu’avec ses fameux compartiments étanches, c’tait impossible que le Titanic coule, voyons, ma chère!
Maggie entendit Thomas McCawley, l’instructeur de culture physique du Titanic, lâcher :
« Ah non. Moé, j’mets pas de gilet de sauvetage. Ça va yinque me ralentir pour nager. »
Ch’sais pas où c’qu’y pensait aller, lui-là, dans l’eau à -2 degrés; y’a pas survécu au naufrage, en passant.
Maggie le savait pas, mais entre-temps, l’architecte du Titanic, Thomas Andrews, était descendu dans l’fond du bateau pour voir l’état des lieux. En armontant, y’était tellement blême qu’y avait l’air de s’être passé la face à l’eau de Javel. Queques minutes après, l’ordre d’évacuer les femmes pis les enfants était donné.
Charles Lightoller, deuxième officier du Titanic, commençait à faire embarquer l’monde dins chaloupes du côté bâbord, mais y n’arrachait. Y’avait beau crier, faire tou’és temps, y s’faisait enterrer par le PSHHHHHHHHHH d’la vapeur. À force de sparages, y réussit à faire monter queques madames à bord d’la chaloupe 4, mais y’arrivait pas à la remplir : personne avait l’air de prendre la situation au sérieux.
« Yinque les femmes pis les enfants! Icitte! Tu’suite! »
Mais les femmes arfusaient de s’avancer parce qu’y voulaient pas se séparer d’leu mari. Pis je les comprends. Ça, c’est mon grain de sel de Matante, mais m’semble que séparer les familles, c’est cave pis cruel.
Maggie elle-même était pas pressée d’embarquer dans une chaloupe de sauvetage. A r’gardait aller les affaires comme on ouère les ambulanciers qui ramassent quequ’un su’l coin d’la rue, sans se sentir trop concernée.
C’est là qu’arsoudit Mme de Villiers. Elle, c’tait une chanteuse de cabaret belge qui était tombée en amour avec un joueur de hockey des Shamrocks de Montréal. En faite, a s’appelait Berthe Mayné, mais a suivait son homme au Canada sous un faux nom pour pas que sa mère à lui – qui était à bord aussi! – s’aperçoive qu’y traînait sa maîtresse dans ses bagages. Croustillant.
Maggie la connaissait un peu, vu qu’a l’avait jasé avec elle dins salons de première classe. A la vit arriver avec un air d’autruche égarée, en jaquette courte pis en pantoufles, les pattes à l’air, avec un long manteau ouvert – pas pantoute greyée pour le frette.
Berthe Mayné, alias Mme de Villiers.
« AWEILLE DANS’CHALOUPE! » beugla Lightoller, drette comme la vapeur arrêtait de sortir des soupapes de sûreté. Là, y’avait pu d’misère à s’faire entendre.
— Non! brailla Mme De Villiers. Faut que j’artourne dans ma cabine! — Embarquez dans’chaloupe, Madame, fit Maggie en y pognant l’bras. Faites c’que l’officier vous dit. — Mais! Mon argent pis mes bijoux? J’ai même pas barré ma porte! — Votre steward va la barrer, votre porte. C’est yinque une précaution. Vous allez pouvoir arvenir su’l bateau dans pas long. — Non! cria la madame tandis que Maggie la tirait vers Lightoller. — Toute va être beau, ma belle! Aweille, viens-t’en… — DANS’CHALOUPE, J’AI DIT! grogna Lightoller en pointant la chaloupe 6, qui avait été descendue tout croche, quatre pieds plus bas que le pont.
Mme de Villiers finit par monter à bord en chignant, manquant de s’enfarger pis d’enfiler cul par-dessus tête dans l’fond d’la chaloupe. Maggie la suivit pas; a se sentait plus en sécurité su’l bateau. Tsé, l’orchestre du navire s’tait mis à jouer su’l pont! Ça devait pas aller tant mal que ça?
Pas longtemps après, la première fusée de détresse fut lancée dans l’ciel étoilé, pis une autre cinq minutes plus tard.
Là, les choses commencèrent à s’corser.
Une gang de gars toutes graissés de suie arsoudirent su’l pont. Des gars qui v’naient clairement du fond du navire pis qui savaient c’qui était en train de se passer. Y’étaient une bonne centaine pis y dégageaient tellement de chaleur qu’y faisaient d’la boucane dans l’air glacial.
« Les hommes qui s’occupent des chaudières à vapeur, pour moé », se dit Maggie.
Y s’avancèrent pour embarquer dans les chaloupes de sauvetage, mais un officier leu cria :
« HEILLE! ARTOURNEZ EN BAS! SCRAM! »
Y’arvirèrent toutes de bord pis rentrèrent dans l’bateau ensemble, synchronisés comme des soldats.
« Y’ont sûrement des chaloupes de sauvetage exprès pour eux autres », supposa Maggie.
Mais non, y’en avait pas. À peine le quart de ces gars-là allaient survivre au naufrage.
Lightoller avait fini de niaiser. Y’en était rendu à pogner des madames sans leu demander leu z’avis pis à les garrocher dans la chaloupe 6.
Y fit ça entre autres à Helen Churchill Candee, autrice de plusieurs livres, dont le ben choquant pour l’époque Comment les femmes peuvent gagner leu vie. Lightoller la ramassa pis a tomba drette su les longues rames dans l’fond d’la chaloupe. A s’cassa une cheville, mais a dit pas un mot de t’ça à personne.
Helen Churchill Candee
Pis là, deux gars pognèrent Maggie à bras-le-corps pis l’envoyèrent arvoler dans’chaloupe 6 qui commençait à descendre vers l’incertitude humide pis l’frette de l’océan.
« Toé’ssi, tu y vas! »
La chaloupe brassait tandis que Maggie essayait de s’installer comme a pouvait. Y’avait d’la place pour 65 personnes, mais y’en avait juste 23 à bord, toutes des femmes sauf quatre : Robert Hichens, quartier-maître, le responsable d’la chaloupe; Fred Fleet, la vigie qui avait aperçu l’iceberg pis donné l’alerte; le major Arthur Peuchen, que Lightoller avait laissé embarquer à cause de ses compétences de marin; pis Fahim al-Za’inni, un passager de troisième classe qui avait réussi à sauter à bord pendant que Lightoller argardait pas pis qui s’cachait en d’sour d’un banc.
« ON PENCHE! » cria Helen Candee.
Le devant de la chaloupe était vraiment plus bas que l’derrière, pis Maggie s’cramponna, convaincue qu’a l’allait tomber dans l’eau glacée.
Les matelots en haut gossèrent après les cordes qui artenaient la chaloupe, pis là, flâwk, c’tait le derrière qui était plus haut que le devant.
« L’AUTRE BORD! L’AUTRE BORD! » fit Helen.
À force de taponner, les matelots finirent par ramener la chaloupe drette, mais a l’était rendue vis-à-vis d’un hublot d’où l’eau sortait comme d’une borne-fontaine, menaçant de remplir la chaloupe avant même qu’a touche la surface.
Maggie ramassa une rame pis essaya de pousser avec contre la coque du navire pour écarter la chaloupe.
Pis PLOUF, la chaloupe tomba à l’eau. A passa proche de chavirer, mais a finit par s’armettre drette. Pis tout d’un coup, toute était noir pis calme. Y’avait juste les lumières du navire, le criage sur les ponts pis la musique de l’orchestre, loin, loin en haut.
— On n’a pas d’temps à pardre, cria Hichens. C’te bateau-là va couler! — Not’bateau? lâcha une madame, épeurée. — Ben non, le GROS bateau, ciboire!
Hichens s’installa à la barre. Maggie voyait yinque sa silhouette, mais ça paraissait qu’y tremblait comme une feuille.
Robert Hichens
Y gueula :
« Là, faut ramer! Ramez l’plus fort que vous pouvez! Faut s’éloigner au plus crisse, pour pas que l’navire nous emmène avec lui! »
Maggie pis les autres pognèrent des rames pis les installèrent, s’assirent su leu banc, s’accotèrent les pieds dans l’fond d’la chaloupe pis s’mirent à tirer de toutes leux forces.
La chaloupe commença à bouger.
— Ramez, ramez, ramez! » cria Maggie. — Plus fort, aweille, plus fort! fit Hichens. Sinon on y’arrivera pas! L’bateau est tellement gros que quand y va couler, y va toute entraîner avec lui su des milles! »
Des milles, c’tait un peu exagéré. Mais c’tait quand même une excellente idée de décrisser de d’là.
« Allez, ma fille, rame comme un galérien au boutte du fouette! » dit Maggie pour encourager une p’tite demoiselle feluette qui était déjà tout essoufflée à côté d’elle.
Toutes les madames dans la chaloupe ramaient comme des diablesses. Maggie arsentit une bouffée d’espoir : y’allaient s’en sortir!
« Plus vite, simonac, plus vite! continua Hichens. Si on enfile pas avec le bateau, quand les chaudières vont avoir coulé, y vont exploser pis déchiqueter l’fond d’la mer, les icebergs vont arvoler en morceaux pis on va toutes mourir! »
Un vrai rayon d’soleil, c’te Hichens-là.
Soudain, y’eut un coup d’sifflet venant du Titanic.
— STOP! ordonna Hichens. C’tait un appel d’officier. Messemble que j’ai entendu l’capitaine dire d’arvenir au bateau. — J’ai rien entendu, moé, dit la voisine de banc à Maggie, une certaine Miss Martin. — CHUT!
Hichens écouta queques instants.
— Faut qu’on artourne, dit l’quartier-maître. On arvire de bord! — J’ai entendu l’capitaine avant d’partir : ses ordres, c’tait de s’éloigner du navire pis de garder les chaloupes ensemble le plus possible, répondit Helen Candee su’l ton égal pis purement rationnel d’une maman qui explique à son flo de deux ans en crise que non, y peut pas manger une batterie deux A pour déjeuner.
Ç’a eut l’air de boucher un coin à Hichens; y s’tint en silence une minute, rongé bord en bord par l’indécision.
Maggie avait des envies de meurtre :
« Aweille, aweille, maudit crisse, pensa-t-elle. Branche-toé, maudit branleux! Ch’peux pas crère que ma vie dépend de c’te taouin-là! »
Pis enfin, l’quartier-maître se brancha :
« Ouin. Non. Ok. On va ramer pis on va s’éloigner. »
Dès que les rames eurent arplongé dans l’eau, Hichens s’mit à gueuler avec l’intensité d’un curé dans sa chaire qui essaye de motiver ses ouailles à coups d’visions de l’enfer (pour ça, on va l’dire, y manquait pas de talent) :
— Plus vite, plus vite, plus vite! Si vous ramez pas plus vite, on va toutes couler à notre mort! — Ça irait pas mieux, demanda l’major Peuchen – le monsieur qui avait des compétences de marin – si vous preniez une rame pis que vous laissiez une des femmes s’occuper d’la barre? Ça serait pas trop difficile, la mer est ben calme. — Toé, tu rames, pis moé ch’commande la chaloupe, c’tu clair? rétorqua Hichens. J’veux que tout l’monde icitte rame de toutes ses forces!
Une dernière fusée de détresse fut lancée, pis Maggie put voir que le Titanic commençait à s’enfoncer pas mal; la proue allait être submergée ben vite.
« Quequ’un va v’nir sous chercher, c’est sûr, dit quequ’un à bord d’la chaloupe. Y’a un autre bateau qui va arriver pour nous sauver, ch’peux pas crère! »
Moé, ch’connais une jeune fille allumée qui aime ben lire mes écrivaillages.
Pis l’autre jour, c’te jeune fille-là a découvert la vue Titanic, qui est sortie ben avant qu’a naisse.
Comme ben d’autres, a l’aurait pu accrocher su’l beau jeune Léonardo, qui à c’t’époque-là pouvait pas encore avoir une blonde de la moitié de son âge, comme y fait à c’t’heure, sans enfreindre le Code criminel.
A l’aurait pu s’mettre à la place de Rose pis pousser des gros soupirs en s’imaginant dans une histoire d’amour impossible avec des belles robes.
Mais non, vous autres.
A l’a accroché su quequ’un d’autre complètement : Molly Brown, le personnage joué par Kathy Bates – qui, en passant, a rien à voir avec la méchante dans Misery. Pis vous savez quoi? Ça m’donne espoir en l’humanité.
Molly Brown, c’tait une riche Américaine qui a vraiment existé pis qui a hérité du surnom « l’Insubmersible » après avoir survécu au naufrage du Titanic.
Dans l’film, on la voit prendre Jack en d’sour de son aile pis le préparer à souper avec les péteux d’première classe. Ça, c’t’inventé, ben sûr.
Mais c’qu’on voit après, parzempe, c’est vrai : pendant l’naufrage, a tient tête à c’t’insignifiant de quartier-maître Robert Hichens, le commandant de sa chaloupe de sauvetage; au lieu d’aider à ramer pis d’artourner chercher d’autres survivants, même si la chaloupe est à moitié vide, y fait yinque lirer pis décourager tout l’monde.
Ch’comprends que c’est pas le film à Molly, faique y passent pas trop de temps là-dessus. Mais c’est tellement plus intéressant, comment ça s’est passé en vrai!
Pis on va y r’venir.
Avant, j’veux vous conter l’histoire de Molly Brown depuis l’début, pour ben vous expliquer de quel bois qu’a l’était faite, c’te femme-là. En cèdre ou en pin, un bois qui flotte ben, clairement. Entécas, vous allez comprendre pourquoi chus si contente que la jeune fille ait autant accroché su elle.
La vraie Molly (Maggie) Brown.
Molly est née en 1867, pis son vrai nom, c’tait Margaret, alias Maggie. C’est ben après sa mort, quand son histoire a été romancée dans des livres pis des vues, qu’a s’est faite arbaptiser Molly. Parce que ça sonnait mieux Molly Brown que Maggie Brown? Fouillez-moé. Entécas, pour la suite, on va l’appeler Maggie.
A l’était la fille à John Tobin pis Johanna Collins, des immigrants irlandais qui s’taient installés à Hannibal, au Missouri.
John était journalier, pis fallait qu’y fasse des grosses journées pour faire vivre sa femme pis ses six enfants. Le budget était serré en titi à’fin du mois. Autrement dit, Maggie était pas une floune de riche qui a eu toute tout cuit dans le bec avec une cuiller d’argent.
Y’a une affaire, par’zempe : à une époque où l’école était pas encore obligatoire, Johanna avait ben gros insisté pour que ses enfants aient l’instruction qu’a l’avait jamais eue. Faique Maggie pis ses frères et sœurs, au lieu d’aller travailler ben jeunes pour ramener d’l’argent à’maison, purent toutes aller à l’école jusqu’à l’âge de 13 ans.
Méchant luxe. Dire qu’à c’t’heure, ça fait l’bacon parce que t’as changé l’code du Wi-Fi.
Si l’éducation avait été un plat d’fromage cottage, Maggie l’aurait vidé jusqu’à la dernière tite crotte dans l’fond pis s’rait allée chez Metro s’en racheter un autre pis un autre, parce que l’éducation, ça finit jamais. C’tait une fille affamée de savoir, qui lisait toute c’qui y tombait sou’a main, pis si ses parents avaient eu les moyens, a l’aurait ben continué l’école jusqu’à l’université.
Malheureusement, fallait ben faire vivre la famille, faique a l’eut pas le choix de commencer à travailler dans une usine de tabac, à préparer les feuilles. C’tait une des seules jobs que les jeunes filles pouvaient faire dans l’boutte d’Hannibal, pour même pas une piasse et demie par jour. En plus, c’tait plate pis toffe – le genre de job qui te ratatine la cervelle pis t’effoire les espoirs.
Faique vous vous imaginez ben que, quand a l’eut l’occasion de suivre sa sœur plus vieille qui déménageait au Colorado avec son mari flambant neu, a s’fit pas prier pantoute.
À 18 ans, Maggie s’ramassa donc à Leadville, une ville minière à l’ambiance de Far-West qui poussait comme un vrai champignon. C’tait une place où les fortunes se faisaient du jour au lendemain.
A l’alla travailler chez Daniels, Fischer & Smith, un genre de Fabricville de l’époque, dans l’département des tapis pis des rideaux.
Pis pendant c’temps-là, a gardait l’œil ouvert.
Voyez-vous, Maggie avait un rêve. A l’avait vu son père faire des journées d’beu à’job pis arriver à’maison l’soir tellement brûlé qu’y pouvait même pas profiter d’la vie : y soupait pis y tombait dans son litte comme une roche yinque pour se réveiller le lendemain pis toute arcommencer, jour après jour. C’qu’a voulait, c’tait devenir assez riche pour que son père aye pu besoin de travailler, enfin. Pis pour ça, ça y prenait un mari avec les poches pleines.
Vous pouvez ben penser c’que vous voulez de t’ça, traiter Maggie d’profiteuse, de croqueuse de diamants pis toute le kit, mais rappelez-vous que, dans l’temps, les femmes étaient pas mal obligées de s’marier pour avancer dans’vie. On les laissait pas faire autre chose, simonac!
Alors, Maggie était ben décidée à pêcher l’plus gros poisson possible.
Sauf que, c’est ben maudit, hein! De quoi de ben malcommode allait s’mettre au travers de ses beaux plans : le torpinouche d’amour.
Un bon dimanche, à un pique-nique organisé par l’Église catholique, Maggie rencontra James Joseph Brown, alias J.J.
Enfant d’immigrants irlandais comme Maggie, J.J. avait 13 ans de plus qu’elle pis y’était chef de quart à’mine Maid and Henriette – une job stable, même si le salaire était pas à s’tirer dins murs.
Y cochait pas la case la plus importante pour Maggie, mais tsé! Y’était tellement charmant! Un beau grand gars avenant qui avait plein d’amis pis une réputation Spic-and-Span, le genre que tu pouvais présenter à tes parents en sachant que l’curé y donnerait l’Bon Dieu sans confession. Y’avait l’œil clair pis une bonne tête su’és épaules. Comme Maggie, y’aimait aller au théâtre pis danser.
Faique Maggie craqua : quand y l’invita à sortir, a dit oui.
A s’laissa désirer un ti-peu, par’zempe : selon la légende, quand y s’pointa chez elle dans une vieille carriole poquée avec yinque un ch’fal, y s’fit arvirer d’bord : pas question que Maggie embarque dans sa réguine. Quand y’arvint le lendemain dans une belle voiture à deux ch’faux flambette, là, Maggie accepta d’embarquer avec. Madame avait des standards, quand même.
Après queques mois de fréquentations, Maggie était déchirée : a rêvait encore de voir son père tchiller dans sa chaise berçante au bord de l’âtre, les pantouffes aux pieds, à l’abri d’la misère; mais à c’t’heure, a l’avait J.J. dans’peau, pis y’avait pu moyen de l’enlever de d’là.
Faique en 1886, à 19 ans, Maggie maria J.J. pis devint Madame Margaret Brown. A l’alla vivre avec lui dans sa tite cabane de deux chambres, ben loin du manoir qu’a l’avait imaginé.
Mais, c’pas grave. Maggie dira plus tard que ses premières années avec J.J., quand leux deux enfants Lawrence pis Helen sont nés, avaient été les plus belles de sa vie.
Ce dont a s’doutait pas, c’est qu’en misant su J.J., a l’avait quand même décroché le gros lot d’la 6/49. A perdait rien pour attendre.
Maggie, J.J. et leux enfants, Lawrence et Helen
Tsé, l’rêve américain? Dans l’temps que c’tait encore possible, là – avant qu’les revenus d’la classe moyenne s’mettent à stagner pis qu’la vie vienne pu achetable. J.J., lui, y’était ben décidé à l’pogner par le collette, à y faire la prise du tit paquet pis à l’mettre dans sa poche d’en arrière.
À une époque où y’avait pas d’bacc en génie minier, l’mari à Maggie passait ses soirées, après ses journées de job, à lire su la géologie, les gisements de minerai pis les techniques d’extraction. Avant longtemps, y d’vint ferré en simonac : un oracle du roc; un magicien des métaux bruts; un sorcier du sous-sol.
Grâce à son nouveau savoir, J.J. finit pu d’gravir les échelons: dins deux années après ses noces, y passa de chef de quart à contremaître à surintendant d’la mine Maid and Henriette.
Après ça, y fut engagé comme surintendant de toutes les mines d’la compagnie Ibex. C’est là qu’y frappa l’or – littéralement.
En 1893, la demande pour l’argent baissa tout d’un coup, flâwk! Pis comme la majorité des mines autour de Leadville étaient des mines d’argent, ben, c’tait pas d’adon pantoute. Quatre-vingt-dix pour cent des gars d’la place pardirent leu job du jour au lendemain.
Molly, qui s’occupait déjà d’la soupe populaire en ville depuis que son mari avait été nommé surintendant, ardoubla d’efforts pour aider encore plus les familles des chômeurs.
Pendant c’temps-là, J.J., lui, était sur une autre track : y’avait un plan pour rouvrir la mine d’argent Little Johnny.
Le propriétaire de la mine, John Campion, savait que si y creusait plus creux, y trouverait probablement de l’or.
Le problème, c’est qu’en creusant plus creux, justement, les mineurs tombaient su d’la dolomie, une roche friable qui s’défaisait toute en sable. C’tait impossible de creuser des tunnels pis d’faire le soutènement avec des poteaux en bois : toute effoirait en deux secondes.
Campion était su’l bord de jeter l’éponge pis d’aller brailler dans sa chambre, mais J.J. y dit :
« Tapeu, m’as t’arranger ça. »
Sa solution, c’tait pas d’utiliser de l’équipement full fancy du futur qui coûtait la peau des fesses. Au contraire, c’tait yinque une question de bonne vieille jarnigoine : pour artenir le sable, y couvrit toute l’intérieur des tunnels avec des bottes de foin pis les fit t’nir avec une charpente en bois. Fallait y penser, pareil!
Pis pouf! Pas longtemps après, la mine Little Johnny produisait 135 tonnes de minerai d’or par jour.
Leadville pis ses mineurs étaient sauvés. Les journaux finissaient pu d’s’ébaubir devant c’te folle réussite. Pis J.J., lui, était rendu un homme riche : ses boss l’avaient récompensé en y donnant des parts dans’compagnie pis une place au conseil d’administration.
La vie de Molly venait de changer boutte pour boutte.
J.J. pis elle devinrent des vraies célébrités. Y’achetèrent une grosse maison à Denver pis même un chalet en dehors d’la ville. Y pouvaient voyager. Mettre du beau linge pis s’entourer de belles affaires. Y coudoyaient la crème d’la crème d’la haute société de Denver. Leux enfants pouvaient aller dins meilleures écoles. Les parents à Maggie auraient pu jamais besoin de travailler.
Enfin, Maggie pouvait s’permettre toute le fromage cottage qu’a voulait, c’t’à dire qu’a l’avait le temps pis les moyens de s’instruire à son goût. Faique, a l’étudia les langues – le français, l’allemand pis le russe –, la littérature pis l’théâtre, d’abord à Denver, pis après au Carnegie Institute de New York. Pas pire pour une p’tite Irlandaise qui avait yinque l’équivalent d’un secondaire 2!
Mais c’pas toute : Maggie avait aussi ben à cœur le changement social.
À une époque où la somme de c’que les femmes avaient l’droit de dire pis d’faire aurait pu t’nir dans une boîte en carton ondulé de 4 pouces par 4 pouces par 6 pouces, Maggie s’trouvait pas mal à l’étroit. Sans pouvoir politique pis sans entrée dins salons où les monsieurs en habit décidaient de toute entre eux autres en fumant des cigares, c’tait ben dur de changer grand chose.
Mais les madames riches avec des contacts pis du temps libre, elles, avaient quand même leu z’arme secrète : les club sociaux.
Avec d’autres comme elle, Maggie partit le Club des femmes de Denver, qui s’tait donné comme mission d’améliorer la condition des femmes grâce à l’éducation pour améliorer la société au complet.
Y’a un enseignant ghanéen, James Emman Aggrey, qui a dit un jour : « Éduquer un homme, c’est éduquer yinque une personne. Éduquer une femme, c’est éduquer toute une nation. » Ça, Maggie l’avait ben compris.
Madame Brown d’vint une espèce de force irrésistible : a l’était partout, le nez fourré dans toutes les causes, pis on aurait dit qu’a l’avait assez d’énergie pour déplacer les montagnes du Colorado.
A l’organisait des activités culturelles pour les filles pauvres. A ramassait d’l’argent pour garnir les bibliothèques des écoles publiques. Ses bazars pis ses galas de charité permirent de construire une église pis d’agrandir un hôpital. A milita assez fort pour convaincre le gouvernement de passer des lois su’l travail des enfants pis s’associa avec un juge pour créer le premier tribunal pour adolescents au pays – parce que tsé, avant, y’étaient jugés comme des adultes pis allaient suivre leu cours de crapule 101 en prison avec des criminels endurcis.
Ch’pourrais passer une couple d’heures à énumérer toute c’que Molly a faite de 1894 à 1912, mais on s’rait encore là demain matin.
Mais bref, quand a l’embarqua su’l Titanic à Cherbourg après un voyage de plusieurs semaines en Europe pis en Afrique, Maggie était une femme solide, confiante, hyper cultivée pis engagée qui avait déjà fait bouger assez d’affaires dans l’bon sens pour mériter un hôpital ou une école à son nom. Une plaque en bronze, minimum.
À suivre dans la partie II – bientôt!
Source : Iversen, Kristen, Molly Brown: Unraveling the Myth, 3e édition. 2018. Johnson Books.