Les vagues scélérates

Merci à Christine Labrecque pour son interprétation d’une vague scélérate

Comme vous le savez, ça fait des mois qu’chus dins bateaux pis la navigation pis les catastrophes maritimes. Pis pendant mes recherches, chus tombée s’un phénomène ben intéressant pis ben épeurant : les VAGUES SCÉLÉRATES.

D’abord, prenons deux-trois secondes pour apprécier que ça s’appelle de même, une vague scélérate : du latin sceleratus, « souillé d’un crime ». Clairement, c’t’une vague qui porte un ti bandeau de bandit. Concrètement, c’t’une vague géante, deux fois plus haute que les autres autour, qui est imprévisible, qui a l’air de sortir de nulle part, qui fesse comme un mur d’eau pis qui peut détruire un navire aussi facilement qu’une maquette en bâtons de popsicle.

Ça fait des siècles que les marins savent que ça existe. Mais quand y’arvenaient à terre pis qu’y contaient ça au monde normal – parce qu’y faut clairement être un ti-peu craqué pour aller su’a mer, pis je dis ça avec ben d’l’affection pis d’l’admiration –, personne les croyait. C’tait yinque une légende.

M’as vous donner un exemple de quoi ça peut avoir l’air. En 1916, par une nuitte de tempête, l’explorateur Ernest Shackleton s’promenait s’un ti voilier dans l’Atlantique Sud, quand soudain, y vit une éclaircie à l’horizon. « Cool », qu’y s’dit. Sauf que là, c’qu’y pensait être une ligne de nuages blancs au-dessus d’un ciel noir ben dégagé était en faite la crête d’une ÉNORME vague. Y’eut à peine le temps de crier « aaaaa » que la vague ramassa son bateau de plein fouette pis faillit l’engloutir complètement. C’t’un miracle qu’y aille pas coulé, mais y’était pas au boutte de ses peines, le Shackleton. Faudrait ben que j’vous conte ses aventures un jour. 

Autre exemple plus épeurant : le cargo allemand München, équipé de toute c’qu’y avait de plus moderne en 1978, s’en allait pour traverser l’Atlantique Nord pis disparut dans une tempête, pis on l’arvit jamais – ses dernières paroles furent une chaloupe de sauvetage avec son nom dessus qui flottait tu’seule su l’océan, artrouvée plusieurs mois plus tard. 

C’est lui, ça, le München. On s’entend que c’pas une coquille de noix.

Le monde qui tchéquèrent la chaloupe étaient ben mêlés : su’l bateau, a devait être accrochée un bon 20 mètres au-dessus de l’eau, mais pourtant, c’tait clair qu’a l’avait été arrachée, comme un boutte de jouet Fisher-Price qui est pas censé s’enlever, mais qu’un flo brise-fer avait fini par péter. Qu’est-cé qui aurait ben pu faire ça? Une vague géante? Ça s’pouvait pas, voyons donc. La Commission d’enquête des accidents maritimes de l’Allemagne conclut que le naufrage du München était « inexplicable ». 

En faite, c’est pas avant 1995 que les vagues scélérates sont passées de folies de vieux loup d’mer, comme le Kraken pis le Léviathan, à’réalité scientifique. Le 1er janvier de c’t’année-là, une grosse maudite vague fessa la plateforme pétrolière Draupner, dans’mer du Nord; le laser installé su la plateforme mesura que la vague faisait 26 mètres, au travers d’autres vagues de 11-12 mètres. Ça se pouvait, finalement! 

 « BEN QUINS! » dirent les marins de partout su’a terre.

Encore aujourd’hui, on est pas trop sûrs de comment ça marche, les vagues scélérates. Y’en a qui pensent que qu’y se forment quand deux vagues se foncent dedans drette d’la bonne façon pis forment une plus grosse vague, mais ça pourrait être autre chose aussi. Mais bon, ch’pas une experte, faique j’me mouillerai pas en essayant d’vous donner une explication scientifique. 

C’que je peux faire par exemple, c’est vous donner d’autres exemples épeurants de vagues scélérates! 

Le 10 novembre 1975, l’Edmund Fitzgerald, un vraquier des Grands Lacs (c’t’-à-dire un gros bateau qui transporte du vrac… su’és Grands Lacs) s’atrouva pogné, vous l’aurez d’viné, dans une tempête su’l lac Supérieur. Y’en arrachait un peu : y prenait l’eau pis y commençait à verser su’l côté, mais y t’nait bon. 

Tandis qui s’en allait vers la baie Whitefish dans l’espoir de s’protéger un peu, y’envoya un dernier message à un autre bateau qui s’trouvait pas loin :  « On va passer au travers ». Dix menutes après, pu rien. Même pas un mayday. C’tait comme si la main du Bon Dieu avait sacré une claque dessus pis l’avait englouti. Les 29 membres d’équipage furent perdus, pis le navire fut atrouvé en deux morceaux au fond du lac. 

Y’eut ben d’l’astinage su la cause du naufrage de l’Edmund Fitzgerald, mais au jour d’à c’t’heure, le suspect numéro 1 est un phénomène qui s’produit yinque dans le lac Supérieur qu’on appelle « les trois sœurs » – un trio de vagues scélérates qui frappent une après l’autre, comme un tour du chapeau de Marie-Philip Poulin. Étant donné que l’Edmund Fitzgerald avait déjà d’la misère, y’aurait eu aucune chance contre ça. 

Heille, même su’a terre, on est pas à l’abri des vagues scélérates. Pendant une tempête en 1900, trois gardiens disparurent du phare des îles Flannan, en Écosse. Y’avait aucune trace d’eux autres. POUF. Les journalistes de l’époque partirent en peur avec l’histoire : un dit qu’un serpent de mer avait emporté les trois gars; un autre qu’y s’taient arrangés pour pogner un lift avec quequ’un pour commencer une nouvelle vie; pis un autre encore dit qu’y avaient été enlevés par un bateau fantôme. 

Le phare des îles Flannan

Le seul indice su’l sort des gardiens, c’tait que le débarcadère du côté ouest de l’île était magané : les garde-corps étaient toutes crochis, un coffre à 33 mètres au-dessus d’la mer avait été défoncé pis c’qu’y avait dedans avait été répandu partout, une roche de plus d’une tonne avait bougé, pis une bande de turf de 10 mètres avait été arrachée du bord d’la falaise. La seule explication plausible : une vague géante avait balayé l’île pis emporté les trois gars. 

Dernier exemple : une vague scélérate qui aurait pu changer l’histoire. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, le Queen Mary, méga paquebot de luxe, servait de navire de transport des troupes pour l’armée américaine. Le 11 décembre 1942, y’avait à bord, tenez-vous ben, 10 389 soldats pis 950 membres d’équipage cordés comme des sardines. Ça fait du monde en viarge, ça. 

Le Queen Mary

Le Queen Mary approchait de l’Irlande quand y fut pogné dans une tempête. Ça brassait en tabarouette – le navire montait pis tombait l’équivalent de plusieurs étages à chaque grosse vague qu’y rencontrait. Pour ben des gars à bord, c’tait leu premier voyage su l’océan, faique ben vite, l’odeur du vomi s’répandit dans toutes les cabines pis les passages. 

Pis un m’ment’né, FLÂWK! Un vague scélérate fessa le côté du Queen Mary à tribord. Une vague, ça se pogne ben de face, mais su’l flanc, c’est moins drôle. Des hublots pétèrent pis l’eau entra dans les cabines. Le paquebot pencha de 10 degrés, puis 15, 30, 40… jusqu’à 52 degrés, tellement bas que les chaloupes de sauvetage à bâbord lichaient pratiquement la surface de l’océan. Vous imaginez-vous comment ça devait être épeurant? Y’eut même des gars qui étaient convaincus que le navire avait mangé une torpille.

Le Queen Mary passe proche de chavirer, peinture de Pierre Mion

Pendant une éternité, le navire resta penché d’même su l’eau. Pis lentement, comme un pépère qui s’arlève en grognant après avoir pris une débarque, le Queen Mary s’armit drette, continua son chemin pis finit par mener sa cargaison humaine à bon port. 

Les ingénieurs qui tchéquèrent le Queen Mary au port calculèrent que si y’avait penché yinque 3 degrés de plus, y’aurait coulé sans que personne à bord ait l’temps de se sauver. Ça aurait fait 11 339 morts! Le Titanic aurait eu l’air de d’la p’tite bière à côté. 

Si le Queen Mary avait coulé à c’te moment-là, ça aurait pu changer l’histoire : pendant la guerre, y’a transporté environ 800 000 soldats au total, des tonnes d’équipement, pis même Winston Churchill, un moment donné. Y s’rait arrivé quoi, pu de Queen Mary? La question s’pose. 

Faique, heille, une p’tite croisière, ça vous tente?

Molly l’Insubmersible – partie III

Partie I
Partie II

Justement, malgré toute, les passagers d’la chaloupe 6 arrivaient toujours pas à croire que l’Titanic allait couler. C’tait trop surréaliste. Marcel Béliveau allait sortir d’en arrière d’un iceberg avec une couple de caméras pis dire surprise sur prise.

Sauf que là, la réalité était su’l bord d’leu rentrer dedans s’un moyen temps.

Les lumières du navire étaient encore allumées. De loin, Maggie put voir du monde – beaucoup d’monde – sortir su’l pont tout d’un coup. C’tait les passagers de la troisième classe qui avaient attendu tranquillement en dedans qu’on leu dise quoi faire pis qui venaient de comprendre, enfin, qu’y étaient abandonnés à leu sort. Maggie entendit du criage, du braillage d’enfants pis même des coups de fusil. 

« Ben voyons, qu’est-cé qui se passe? Comment ça qu’y a encore des enfants à bord? se demanda Maggie avec une boule dans l’estomac. Y reste pu de chaloupes de sauvetage, coudonc? Y tirent pas su’l monde, toujours? »

Le Titanic avait l’air de plus en plus loin. Au début, les chaloupes de sauvetage étaient proches les unes des autres, mais fallait qu’y zigzaguent entre les bouttes d’icebergs qui flottaient un peu partout, pis là y s’perdaient d’vue dans l’noir. Chacune était devenue une p’tite île de vie dans l’néant. 

Tout d’un coup, l’major Peuchen arrêta de ramer. 

— Qu’est-cé qui se passe? demanda Maggie.
— Le navire, répondit Peuchen. Argardez.

Maggie arrêta de ramer aussi. Son bel habit en velours était déjà ben trempe, ses gants étaient mouillés bord en bord. Ses cheveux pis ses cils étaient pleins de frimas. 

Le Titanic avait l’nez complètement en d’sour de l’eau pis l’derrière levé vers le ciel, les hélices à l’air. 

Les centaines de personnes qui restaient à bord couraient su’l pont, le plus loin de l’eau possible, essayant d’artarder l’inévitable. 

Tout d’un coup, les câbles qui artenaient les cheminées géantes lâchèrent; une première cheminée tomba su’l monde, suivie d’une deuxième une minute après. 

Pis là, y’eut un grondement épouvantable. 

« Les chaudières! C’est les chaudières qui pètent! J’vous l’avais dit! » cria Hichens. 

Maggie se l’va d’boutte dans’chaloupe, les yeux fixés su’l Titanic, pas capable d’argarder ailleurs : 

« Mon Doux Seigneur. »

Le son qui suivit fut ben pire. Pas décrivable. Des tonnes de fer qui déchiraient tandis que le devant du navire coulait toujours plus creux pis le derrière montait toujours plus haut. 

CRRRRRAC! Le Titanic cassa en deux. 

Le derrière artomba lentement pis fit un flat gigantesque su’a surface de l’eau. Toutes les lumières s’éteignirent; y restait pu yinque les étoiles. L’orchestre jouait pu. À’place, y’avait juste une chorale de cris de terreur.

À c’te moment-là, le derrière du navire s’arleva dins airs une dernière fois au milieu des flots comme pour faire un dernier salut. 

Du point d’vue à Maggie, le Titanic avait l’air d’une grosse masse noire dressée en avant du firmament – genre le monolithe dans 2001, l’Odyssée de l’espace. L’océan s’mit à bouillonner, pis on aurait dit que des grands bras d’écume agrippaient l’navire pis l’tiraient vers le fond. En queques minutes, y resta pu rien à part des débris pis des centaines d’humains épouvantés, fragiles, abandonnés. 

Tout l’monde dans la chaloupe s’tait levé de son siège pour argarder. Personne parlait. Pis là, chacune des passagères réalisa la même affaire en même temps : les hommes qu’a l’avait laissés su’l pont avant de monter à bord d’la chaloupe venaient toutes de couler avec le navire. 

Ch’tais pas là, mais ch’fais yinque m’imaginer de perdre Mononc’Poêle de même pis ça m’coupe le souffle; le genre de choc qui t’rentre dans l’estomac pis qui s’répand dans tes veines.

Plusieurs avaient perdu leu mari; d’autres, leu père ou leu frère ou toute ça en même temps. Mme de Villiers criait le nom de son beau joueur de hockey; Maggie pensait aux amis qu’a s’tait faite pendant la traversée. 

—Faut qu’on artourne! dit Helen Candee.
— Ben oui! Faut r’virer d’bord, insista Miss Martin. Y reste plein de places dans la chaloupe, on peut sauver du monde!
— Non! cria Hichens, la face ben rouge. On sauve not’peau pis qu’y s’arrangent avec leux troubles. Si on artourne, avec toute le monde qu’y a dans l’eau, y vont nous faire chavirer! 
— On peut pas les laisser, voyons don! s’essaya Maggie, mais Hichens voulut rien savoir.
— Y’a pu rien pour nous autres là-bas à part d’la soupe aux macchabées. Là, aweille, ramez, maudit ciboire! Pis j’veux pu vous entendre!

Résignés, les passagers d’la chaloupe se rassirent pis s’armirent à ramer. Pendant deux heures, y ramèrent en chantant pis en s’encourageant. Maggie finit par donner chacune de ses sept paires de bas, sauf une, à d’autres madames pour les aider à s’tenir au chaud. A sentait quasiment pu sa face ni ses mains à cause du frette, mais à l’était tout trempe en nage de sueur; a savait que si a l’arrêtait de ramer, a mourrait gelée dans l’temps de l’dire. 

Pendant c’temps-là, Hichens continuait son sermon de curé d’l’apocalypse : 

« Pour moé on va dériver des jours de temps sans qu’personne vienne nous sauver. On a pas d’eau à boire, pas d’pain, pas d’boussole, pas d’carte. Si mettons y’avait une tempête qui se l’vait, on f’rait quoi? On s’rait faites à l’os. Moé j’dis, soit qu’on s’neille, soit qu’on meurt de faim. Ça peut pas finir autrement. »

À c’te moment-là, tout l’monde en avait plein son casse de l’entendre. Même Miss Martin, qui avait l’air d’une jeune femme polie pis ben élevée, échappa un p’tit sacre discret. 

— Farme don ta yeule, explosa Maggie. Si c’est d’même que tu penses, garde donc ça pour toé! Fais don un homme de toé, simonac! Que ch’sache, pour là, la mer est calme pis on n’est pas encore morts!
— On sait même pas dans quelle direction qu’on rame, répliqua Hichens. 
— On rame vers le nord, Monsieur, répondit Helen Candee, la p’tite bollée d’la chaloupe, en pointant la Grande Ourse. 

Hichens eut la décence de prendre son trou.

Une des passagères, Leila Meyer, sortit une tite flasque de brandy pis la passa à sa voisine de rame. 

— Heille, ch’peux-tu n’avoir, de t’ça, moé? demanda Hichens. Chus gelé! 
— Tu peux ben être gelé, tu rames même pas, marmonna Peuchen.
— Vous avez pas besoin de t’ça, répondit Leila en r’mettant la flasque dans son manteau. J’ai ben peur que vous la vidiez toute au complet!

Quand même, a pris la couverte qu’a l’avait pis la mit autour des épaules du quartier-maître. Une autre madame fit pareil. 

— Quins, là vous avez plus de couvertes que nous autres.
— Si tu ramais, t’aurais ben moins frette, dit Peuchen.
— Pis toé, si tu ramais pas comme un piochon qui sait pas c’qui fait, la chaloupe irait plus vite, répliqua Hichens. 

Le temps continuait d’passer. Malgré l’immensité autour de Maggie, son univers était ben p’tit : rame, rame pis rame. Peuchen disait l’heure une fois de temps en temps, mais y s’fit dire d’arrêter; c’tait mieux de pas savoir. Un m’ment’né, une madame perdit connaissance pis personne fut capable d’la ranimer.

Là, une mince ligne grise apparut à l’horizon. L’aube. 

Une autre chaloupe de sauvetage, la numéro 16, apparut pas loin, pis celle-là était pas mal pleine. 

D’autre monde en vie! Ça faisait du bien à voir en sapristi! 

« Heille! On va s’attacher ensemble, ok? cria Hichens à l’autre chaloupe. Lancez-nous une corde! »

Y’avait un monsieur assis à’proue d’la numéro 16. Y portrait yinque un pyjama blanc pis ses ch’feux étaient couverts de frimas. On aurait pu l’prendre pour une statue d’glace si y’avait pas été après claquer des dents comme si y’envoyait un message en code morse. 

Voyant l’état du monsieur, Maggie lui cria : 

« Allez, mettez-vous à ramer! Ça va vous faire circuler l’sang! »

Hichens était pas content que quequ’un parle par-dessus lui :

« Toé, ferme-la pis laisse-moé travailler! Vous autres! Lancez-moé une corde! »

Une corde atterrit aux pieds du quartier-maître, qui attacha rapidement les deux chaloupes ensemble. 

« Bon, à c’t’heure lâchez vos rames, on s’arpose. »

Personne se fit prier. 

Maggie argarda les faces blêmes dans la chaloupe 16. Tout l’monde était abattu, brûlé raide. 

Dans la lumière falote de l’aube, l’horreur d’la situation était encore plus évidente : y’étaient carrément dans un champ d’icebergs. Y’en avait dans toutes les directions, à perte de vue, des pointus pis des plates, des gros comme des chars pis des immenses comme des navires.

Qui viendrait les chercher dans une place de même? C’tait ben que trop dangereux.

Tout d’un coup, une bourrasque de vent frette cogna les deux chaloupes ensemble. 

— Si j’reste assis icitte une minute de plus, m’as mourir de frette, lança Helen Candee. 
— Ouais, faut qu’on rame, c’est notre seule chance de pas geler dur, dit une autre madame.
— C’est moé qui décide quand est-ce qu’on rame, pas vous autres, rétorqua Hichens. 

Pis là, y dit : 

« On va pas vite vite, on a pas d’hommes qui rament dans not’chaloupe, pis vous autres, vous n’avez plein. »

Faique y demanda au monsieur en pyjama d’y envoyer un homme. Un gars tout graissé de suie – c’tait un de ceux qui chauffaient la chaudière à bord du Titanic – passa d’une chaloupe à l’autre. Y’était greyé pour faire sa job à’chaleur, les mollets à l’air, pas pour passer des heures au frette. Quand y s’assit pour ramer, Maggie y’enroula son étole en hermine autour des jambes.

— Bon, là, détachez-nous, demanda Maggie au bonhomme en pyjama.
— C’est MOÉ qui décide quand est-ce qu’on s’détache, c’tu clair? cracha Hichens en plein power trip. Si on fait ça, j’risque de passer par-dessus bord!
— M’as te crisser à l’eau moi-même, gronda Maggie en se l’vant d’boutte, menaçante comme une maman ours.

Hichens arcula, pas sûr que les chances étaient d’son bord dans c’te combat-là. 

Miss Martin mit une main su l’épaule à Maggie : 

— Faites pas ça, pour moé juste l’approcher y va tomber tout seul. 
— Veux-tu ben t’assire! geignit Hichens; sa voix sonnait fragile pis clairette, comme une corde ben tendue su’l bord de péter. Si la chaloupe brasse, on risque de toutes crisser l’camp à l’eau! Laisse-moé don faire ma job pis prend don ton trou, maudite marde!
— Heille! s’indigna le chauffeur de chaudière à qui Maggie avait donné son étole. On parle pas d’même à une madame! 
— C’est moé qui commande icitte, pis j’y parlerai ben comme j’voudrai, à elle! 

Le monsieur gelé en pyjama s’crissait ben de qui commandait la chaloupe 6. Y détacha les embarcations, qui s’mirent à s’éloigner l’une de l’autre. 

Maggie se rassit pis r’pogna sa rame. C’qui avait de bon à être pompée d’même, c’est que ça faisait oublier l’frette. 

« Bon, là, ramez! Ramez, sinon on va toutes geler! »

Tout l’monde s’armit à l’ouvrage, mais y’avait une limite à c’que les tites chansons d’encouragement pis les « let’s go les filles » pouvaient faire. Si l’aide arrivait pas au plus maudit, les passagers d’la chaloupe allaient figer pour de bon.

Pis là, Miss Martin s’exclama : 

— Argardez là-bas! On dirait un éclair!
— C’est yinque une étoile filante, c’est rien, répondit Hichens, le boute-en-train de l’Atlantique nord.
— C’est l’soleil qui s’arflète s’un boutte de glace, proposa une autre madame. 
— Non, c’t’un bateau! cria une autre. 

Pis, ben oui! Une autre lumière apparut, pis une autre, trop ben alignées pour que ça soye naturel. C’tait l’pont d’un gros navire transatlantique qui s’dessinait à l’horizon! 

« Pour moé c’est l’Carpathia, dit Fred Fleet, la vigie. C’tait lui qui était l’plus proche de nous autres. »

Maggie fit l’saut : le jeune homme avait pas parlé pantoute depuis qu’y était embarqué dans’chaloupe.

— Est-ce qu’y va venir nous chercher? demanda Miss Martin. 
— Ohhhh non ma p’tite madame, répondit Hichens, qui s’rait jamais élu président du club Optimiste. Yé pas là pour nous sauver; yé là pour ramasser les cadavres. 
— Ben non! dit le chauffeur. C’t’un bon bateau! Y va nous aider, c’est sûr! 

Rendu là, pu personne écoutait c’te vieille corneille défaitiste de Hichens. Plus crinqués que jamais, les rameurs ardoublèrent d’ardeur pour arjoindre le Carpathia

C’tait pas gagné, parzempe. La houle allait en empirant, pis Maggie s’dit que ça prendrait yinque une vague un peu forte pour les renverser. 

Les autres chaloupes aussi s’dirigeaient tant ben qu’mal vers leu meilleure – leu z’unique! – chance de survie.

« Sont quasiment vides, pensa Maggie. Sont toutes tellement vides! »

La chaloupe 6 essaya d’accoster l’Carpathia, mais par trois fois a l’arbondit, bonk! d’mandant encore un ti effort de plus aux braves madames pis au chauffeur. Finalement, la chaloupe réussit à s’glisser le long d’la coque du gros navire. 

Maggie l’va les yeux : su’l pont, a voyait les têtes des membres d’équipage pis des passagers ouéreux. 

Les marins du Carphathia firent descendre des cordes pour faire une espèce de siège de balancine qui allait servir à faire monter les gens un par un. Hichens passa en dernier. 

À bord, les queque 700 rescapés furent accueillis avec des couvertes de laine pis du café chaud – ahh, ça dut les toucher drette dans l’âme, c’te tasse de brun-là! On se s’rait p’t-être attendu à c’qu’y sautent pis qu’y pleurent de joie, que l’party pogne su’l pont, mais non. Y régnait un drôle de silence, un genre de calme irréel dans l’quel les miraculés flottaient comme des fantômes, sans avoir l’énergie pour s’réjouir d’être en vie. Y pouvaient juste argarder autour d’eux autres dans l’mince espoir de trouver une face qui leu disait d’quoi. 

Maggie était aussi à boutte que les autres, mais vous l’savez ben : c’te femme-là était pas capable de rester assise deux minutes. Fallait qu’a s’occupe, fallait qu’a l’aide. Faique a mit tout de suite ses talents d’organisatrice à l’ouvrage. 

A l’alla chercher des brosses à dents, des peignes pis d’autres produits de toilette chez le barbier du Carpathia pis ramassa du linge donné par les passagers, pis distribua tout ça aux rescapés. 

Là, c’tait un ti peu l’chaos social : les survivants de toutes les classes sociales étaient tous mélangés ensemble, horreur! Quand Maggie voulut aller réconforter des femmes d’la deuxième classe, le docteur du navire essaya de l’arrêter : 

— Ah, vous êtes vraiment pas obligée de faire ça! Y’ont des couvertes, là, sont correctes! 
— Pfff! Ça prend plus que des couvertes pour soigner les âmes en peine! répliqua Maggie.

Surtout que, tsé, Maggie avait pas oublié d’où qu’a venait. 

Au-delà des besoins immédiats, Maggie pensa à une autre affaire : l’monde des deuxième pis troisième classes, là, y’avaient carrément toute perdu. Y’en avait une bonne gang là-dedans qui étaient des immigrants qui s’en venaient en Amérique pour se bâtir une nouvelle vie en emportant toute leu stock, pis là, y’avaient pu rien. En plus, si y pouvaient pas prouver qu’y avaient les moyens de s’établir aux États-Unis, l’immigration risquait de les renvoyer dans leu pays. 

Faique, comme a savait si bien l’faire, a forma un comité de madames de la première classe, avec une couple de monsieurs aussi, pour aider ces gens-là. Quand l’Carpathia arriva au port de New York, le comité avait ramassé 15 000 piasses – quasiment 486 000 en dollars d’aujourd’hui.  

Y’avait aussi les femmes pis les enfants qui se ramassaient tu’seuls, sans savoir comment trouver le mononcle, la matante, le cousin ou l’amie qui les attendaient su’l quai. Pour eux autres, Maggie fit une liste de noms pis la donna aux autorités. A s’assura aussi qu’y soyent escortés en sortant du bateau pour pas qu’y s’artrouvent vulnérables comme des tites souris dans la Grosse Pomme.

Après avoir débarqué du bateau, averti sa famille qu’a l’allait ben, s’être informée de l’état d’santé d’son p’tit fils – c’est pour lui qu’a l’avait traversé l’Atlantique, j’vous rappelle – pis s’être installée au Ritz Carlton, Maggie continua de ramasser les dons qui arrivaient des quatre coins des États-Unis pis des autres pays.

Un mois et demi plus tard, Maggie participa à une cérémonie pis armit des médailles à toutes les membres d’équipage du Carpathia.

Maggie avec le capitaine du Carpathia, Arthur Henry Rostron

Pis la vie à Maggie, après l’Titanic? J’veux pas que c’t’histoire-là s’transforme en liste comme su Wikipédia, faique j’dirai pas toute. Entécas, au moins une affaire : en 1914, a s’porta candidate pour devenir sénatrice du Colorado, mais a l’arrêta sa campagne à cause d’la Première Guerre mondiale pis d’dvint directrice du Comité américain pour les régions dévastées de France. Ça résume ben la femme qu’a l’était, ch’pense.

Faique pour en r’venir à la jeune fille dont j’vous parlais au début, qui a r’gardé l’film Titanic, qui a accroché ben raide su’l personnage à Molly Brown, pis sans qui on s’rait pas icitte à en parler… Si j’étais sa maman, là, ch’srais fière en maudit. 


Source : Iversen, Kristen, Molly Brown: Unraveling the Myth, 3e édition. 2018. Johnson Books.

Molly l’Insubmersible – partie II

Partie I

Maggie était ben pressée d’arriver aux États. A l’avait décidé d’arvenir en catastrophe parce son p’tit-fils, le bébé à son garçon Lawrence, était malade.

Le soir du 14 avril 1912, au quatrième jour d’la traversée, Maggie lisait tranquillement dans sa cabine. Pis là, y’eut un genre de coup su’l navire, assez fort pour la faire tomber à terre. 

Maggie n’avait vu d’autres, on s’entend. Des bateaux, a n’avait pris en masse pis a l’avait déjà essuyé ben des tempêtes. C’te brassage-là, ça la stressait pas ben ben. Quand même, après s’être arlevée, a décida d’aller sentir dans l’passage.

C’tait plein d’monsieurs en pyjama pis d’madames en robe de chambre qui se d’mandaient c’tait quoi, c’te coup-là, mais personne paniquait. Ça faisait des tites blagues :

« Heille Melville, ça nage-tu ben, en pantoufes, tu penses? »

Comme toute avait l’air beau, Maggie se réinstalla pour lire. A remarqua quand même que les moteurs tournaient pu.

L’autre bord du mur, a l’entendit quequ’un dire : 

« M’as aller su’l pont voir c’qui s’passe. » 

Pas longtemps après, a vit que quequ’un faisait bouger le tit rideau en avant d’la vitre de sa porte. Pis là, a vit la face d’un monsieur toute pâle, les yeux sortis d’la tête, comme si y’arvenait du party chez Rose Latulippe. D’une voix étranglée, y lâcha :

« Mettez votre gilet de sauvetage… » 

Bon. Clairement, toute était pas beau. 

Encore ben calme, Maggie se l’va pis posa son livre : c’tait le temps de se préparer à sortir su’l pont. 

A mit c’qu’a l’avait de plus chaud – un costume tailleur deux pièces en velours noir. Pis en d’sour, a l’enfila sept paires de bas d’laine une par-dessus l’autre. A s’enroula une étole en hermine autour du cou pis finit son look avec un capot en soie. 

Là, a l’eut une pensée pour toutes ses choses préférées qu’a perdrait si l’bateau coulait – toute son linge, ses livres… Ah, pis d’la marde. A ramassa 500 piasses dans son coffre-fort, mit son gilet de sauvetage, prit la couverte de laine su son lit pis sortit dans l’passage. 

A tomba sur un steward qui y dit ben poliment : 

— Bonsoir, Madame Brown. Chus ben désolé du désagrément, mais l’capitaine demande à tout l’monde d’aller su’l pont.
— Chus prête. 

Dehors, la nuitte était fraîche pis paisible. L’océan était calme. Les étoiles brillaient. Mais y’a d’quoi qui scrappait l’ambiance pas mal : comme les moteurs étaient arrêtés, la vapeur qui s’accumulait dins chaudières sortait par les soupapes de sûreté en menant un train d’enfer. 

« Cibole, on s’entend même pas parler », pensa Maggie. 

Là, faut qu’on s’dise une affaire. Quand on pense au naufrage du Titanic, on imagine le bordel total, la glace qui r’vole, l’eau qui monte, les chaises qui flottent dins corridors, les officiers qui tirent du fusil pour arpousser l’monde en panique, les passagers de la troisième classe pognés dans l’fond du navire en arrière des portes barrées… 

Mais c’tait pas vraiment ça, entécas pas au début. Personne croyait vraiment que l’navire allait couler. 

Pis les passagers de troisième classe, on va régler c’te question-là, y’étaient pas « embarrés » par exprès dans l’fond du bateau par des officiers qui riaient comme des méchants dins vues de Disney en s’tortillant l’boutte d’la moustache. Oui, y’étaient séparés des autres classes à cause des lois su l’immigration, mais y’avaient accès au dehors. Y pouvaient sortir su’l pont. C’est juste que su leu section du pont… Y’avait pas de chaloupes de sauvetage. Oupelaï.

Maggie argardait les matelots fucker l’chien après les câbles pour faire descendre les chaloupes de sauvetage – on leu z’avait laissé l’temps de s’pratiquer avec ça. À les voir aller, c’tait évident que l’heure était pas aux potins pis aux croissants Pillsbury. Le bruit avait même commencé à courir que l’navire s’tait faite rentrer dedans par un iceberg. Mais les officiers continuaient de dire que les chaloupes, c’tait yinque une précaution, qu’y avait pas lieu de capoter. 

Les passagers, y’en avait des ben relaxes, pis d’autres qui bougonnaient parce qu’y s’taient faite sortir du litte. Les monsieurs expliquaient aux madames qu’avec ses fameux compartiments étanches, c’tait impossible que le Titanic coule, voyons, ma chère! 

Maggie entendit Thomas McCawley, l’instructeur de culture physique du Titanic, lâcher : 

« Ah non. Moé, j’mets pas de gilet de sauvetage. Ça va yinque me ralentir pour nager. »

Ch’sais pas où c’qu’y pensait aller, lui-là, dans l’eau à -2 degrés; y’a pas survécu au naufrage, en passant. 

Maggie le savait pas, mais entre-temps, l’architecte du Titanic, Thomas Andrews, était descendu dans l’fond du bateau pour voir l’état des lieux. En armontant, y’était tellement blême qu’y avait l’air de s’être passé la face à l’eau de Javel. Queques minutes après, l’ordre d’évacuer les femmes pis les enfants était donné. 

Charles Lightoller, deuxième officier du Titanic, commençait à faire embarquer l’monde dins chaloupes du côté bâbord, mais y n’arrachait. Y’avait beau crier, faire tou’és temps, y s’faisait enterrer par le PSHHHHHHHHHH d’la vapeur. À force de sparages, y réussit à faire monter queques madames à bord d’la chaloupe 4, mais y’arrivait pas à la remplir : personne avait l’air de prendre la situation au sérieux. 

« Yinque les femmes pis les enfants! Icitte! Tu’suite! »

Mais les femmes arfusaient de s’avancer parce qu’y voulaient pas se séparer d’leu mari. Pis je les comprends. Ça, c’est mon grain de sel de Matante, mais m’semble que séparer les familles, c’est cave pis cruel.

Maggie elle-même était pas pressée d’embarquer dans une chaloupe de sauvetage. A r’gardait aller les affaires comme on ouère les ambulanciers qui ramassent quequ’un su’l coin d’la rue, sans se sentir trop concernée. 

C’est là qu’arsoudit Mme de Villiers. Elle, c’tait une chanteuse de cabaret belge qui était tombée en amour avec un joueur de hockey des Shamrocks de Montréal. En faite, a s’appelait Berthe Mayné, mais a suivait son homme au Canada sous un faux nom pour pas que sa mère à lui – qui était à bord aussi! – s’aperçoive qu’y traînait sa maîtresse dans ses bagages. Croustillant.

Maggie la connaissait un peu, vu qu’a l’avait jasé avec elle dins salons de première classe. A la vit arriver avec un air d’autruche égarée, en jaquette courte pis en pantoufles, les pattes à l’air, avec un long manteau ouvert – pas pantoute greyée pour le frette. 

Berthe Mayné, alias Mme de Villiers.

« AWEILLE DANS’CHALOUPE! » beugla Lightoller, drette comme la vapeur arrêtait de sortir des soupapes de sûreté. Là, y’avait pu d’misère à s’faire entendre. 

— Non! brailla Mme De Villiers. Faut que j’artourne dans ma cabine!
— Embarquez dans’chaloupe, Madame, fit Maggie en y pognant l’bras. Faites c’que l’officier vous dit. 
— Mais! Mon argent pis mes bijoux? J’ai même pas barré ma porte!
— Votre steward va la barrer, votre porte. C’est yinque une précaution. Vous allez pouvoir arvenir su’l bateau dans pas long. 
— Non! cria la madame tandis que Maggie la tirait vers Lightoller. 
— Toute va être beau, ma belle! Aweille, viens-t’en…
— DANS’CHALOUPE, J’AI DIT! grogna Lightoller en pointant la chaloupe 6, qui avait été descendue tout croche, quatre pieds plus bas que le pont.

Mme de Villiers finit par monter à bord en chignant, manquant de s’enfarger pis d’enfiler cul par-dessus tête dans l’fond d’la chaloupe. Maggie la suivit pas; a se sentait plus en sécurité su’l bateau. Tsé, l’orchestre du navire s’tait mis à jouer su’l pont! Ça devait pas aller tant mal que ça?

Pas longtemps après, la première fusée de détresse fut lancée dans l’ciel étoilé, pis une autre cinq minutes plus tard. 

Là, les choses commencèrent à s’corser. 

Une gang de gars toutes graissés de suie arsoudirent su’l pont. Des gars qui v’naient clairement du fond du navire pis qui savaient c’qui était en train de se passer. Y’étaient une bonne centaine pis y dégageaient tellement de chaleur qu’y faisaient d’la boucane dans l’air glacial. 

« Les hommes qui s’occupent des chaudières à vapeur, pour moé », se dit Maggie. 

Y s’avancèrent pour embarquer dans les chaloupes de sauvetage, mais un officier leu cria : 

« HEILLE! ARTOURNEZ EN BAS! SCRAM! » 

Y’arvirèrent toutes de bord pis rentrèrent dans l’bateau ensemble, synchronisés comme des soldats. 

« Y’ont sûrement des chaloupes de sauvetage exprès pour eux autres », supposa Maggie. 

Mais non, y’en avait pas. À peine le quart de ces gars-là allaient survivre au naufrage. 

Lightoller avait fini de niaiser. Y’en était rendu à pogner des madames sans leu demander leu z’avis pis à les garrocher dans la chaloupe 6. 

Y fit ça entre autres à Helen Churchill Candee, autrice de plusieurs livres, dont le ben choquant pour l’époque Comment les femmes peuvent gagner leu vie. Lightoller la ramassa pis a tomba drette su les longues rames dans l’fond d’la chaloupe. A s’cassa une cheville, mais a dit pas un mot de t’ça à personne. 

Helen Churchill Candee

Pis là, deux gars pognèrent Maggie à bras-le-corps pis l’envoyèrent arvoler dans’chaloupe 6 qui commençait à descendre vers l’incertitude humide pis l’frette de l’océan. 

« Toé’ssi, tu y vas! »

La chaloupe brassait tandis que Maggie essayait de s’installer comme a pouvait. Y’avait d’la place pour 65 personnes, mais y’en avait juste 23 à bord, toutes des femmes sauf quatre : Robert Hichens, quartier-maître, le responsable d’la chaloupe; Fred Fleet, la vigie qui avait aperçu l’iceberg pis donné l’alerte; le major Arthur Peuchen, que Lightoller avait laissé embarquer à cause de ses compétences de marin; pis Fahim al-Za’inni, un passager de troisième classe qui avait réussi à sauter à bord pendant que Lightoller argardait pas pis qui s’cachait en d’sour d’un banc.

« ON PENCHE! » cria Helen Candee. 

Le devant de la chaloupe était vraiment plus bas que l’derrière, pis Maggie s’cramponna, convaincue qu’a l’allait tomber dans l’eau glacée. 

Les matelots en haut gossèrent après les cordes qui artenaient la chaloupe, pis là, flâwk, c’tait le derrière qui était plus haut que le devant. 

« L’AUTRE BORD! L’AUTRE BORD! » fit Helen.

À force de taponner, les matelots finirent par ramener la chaloupe drette, mais a l’était rendue vis-à-vis d’un hublot d’où l’eau sortait comme d’une borne-fontaine, menaçant de remplir la chaloupe avant même qu’a touche la surface. 

Maggie ramassa une rame pis essaya de pousser avec contre la coque du navire pour écarter la chaloupe. 

Pis PLOUF, la chaloupe tomba à l’eau. A passa proche de chavirer, mais a finit par s’armettre drette. Pis tout d’un coup, toute était noir pis calme. Y’avait juste les lumières du navire, le criage sur les ponts pis la musique de l’orchestre, loin, loin en haut.

— On n’a pas d’temps à pardre, cria Hichens. C’te bateau-là va couler! 
— Not’bateau? lâcha une madame, épeurée.
— Ben non, le GROS bateau, ciboire! 

Hichens s’installa à la barre. Maggie voyait yinque sa silhouette, mais ça paraissait qu’y tremblait comme une feuille.  

Robert Hichens

Y gueula : 

« Là, faut ramer! Ramez l’plus fort que vous pouvez! Faut s’éloigner au plus crisse, pour pas que l’navire nous emmène avec lui! »

Maggie pis les autres pognèrent des rames pis les installèrent, s’assirent su leu banc, s’accotèrent les pieds dans l’fond d’la chaloupe pis s’mirent à tirer de toutes leux forces. 

La chaloupe commença à bouger. 

— Ramez, ramez, ramez! »  cria Maggie.  
— Plus fort, aweille, plus fort! fit Hichens. Sinon on y’arrivera pas! L’bateau est tellement gros que quand y va couler, y va toute entraîner avec lui su des milles! »

Des milles, c’tait un peu exagéré. Mais c’tait quand même une excellente idée de décrisser de d’là. 

« Allez, ma fille, rame comme un galérien au boutte du fouette! » dit Maggie pour encourager une p’tite demoiselle feluette qui était déjà tout essoufflée à côté d’elle. 

Toutes les madames dans la chaloupe ramaient comme des diablesses. Maggie arsentit une bouffée d’espoir : y’allaient s’en sortir! 

« Plus vite, simonac, plus vite! continua Hichens. Si on enfile pas avec le bateau, quand les chaudières vont avoir coulé, y vont exploser pis déchiqueter l’fond d’la mer, les icebergs vont arvoler en morceaux pis on va toutes mourir! »

Un vrai rayon d’soleil, c’te Hichens-là. 

Soudain, y’eut un coup d’sifflet venant du Titanic

— STOP! ordonna Hichens. C’tait un appel d’officier. Messemble que j’ai entendu l’capitaine dire d’arvenir au bateau.
— J’ai rien entendu, moé, dit la voisine de banc à Maggie, une certaine Miss Martin. 
— CHUT! 

Hichens écouta queques instants. 

— Faut qu’on artourne, dit l’quartier-maître. On arvire de bord!
— J’ai entendu l’capitaine avant d’partir : ses ordres, c’tait de s’éloigner du navire pis de garder les chaloupes ensemble le plus possible, répondit Helen Candee su’l ton égal pis purement rationnel d’une maman qui explique à son flo de deux ans en crise que non, y peut pas manger une batterie deux A pour déjeuner. 

Ç’a eut l’air de boucher un coin à Hichens; y s’tint en silence une minute, rongé bord en bord par l’indécision. 

Maggie avait des envies de meurtre : 

« Aweille, aweille, maudit crisse, pensa-t-elle. Branche-toé, maudit branleux! Ch’peux pas crère que ma vie dépend de c’te taouin-là! »

Pis enfin, l’quartier-maître se brancha :

« Ouin. Non. Ok. On va ramer pis on va s’éloigner. »

Dès que les rames eurent arplongé dans l’eau, Hichens s’mit à gueuler avec l’intensité d’un curé dans sa chaire qui essaye de motiver ses ouailles à coups d’visions de l’enfer (pour ça, on va l’dire, y manquait pas de talent) : 

— Plus vite, plus vite, plus vite! Si vous ramez pas plus vite, on va toutes couler à notre mort!
— Ça irait pas mieux, demanda l’major Peuchen – le monsieur qui avait des compétences de marin – si vous preniez une rame pis que vous laissiez une des femmes s’occuper d’la barre? Ça serait pas trop difficile, la mer est ben calme. 
— Toé, tu rames, pis moé ch’commande la chaloupe, c’tu clair? rétorqua Hichens. J’veux que tout l’monde icitte rame de toutes ses forces! 

Une dernière fusée de détresse fut lancée, pis Maggie put voir que le Titanic commençait à s’enfoncer pas mal; la proue allait être submergée ben vite. 

« Quequ’un va v’nir sous chercher, c’est sûr, dit quequ’un à bord d’la chaloupe. Y’a un autre bateau qui va arriver pour nous sauver, ch’peux pas crère! »

Partie III


Source : Iversen, Kristen, Molly Brown: Unraveling the Myth, 3e édition. 2018. Johnson Books.

Molly l’Insubmersible – partie I

Moé, ch’connais une jeune fille allumée qui aime ben lire mes écrivaillages. 

Pis l’autre jour, c’te jeune fille-là a découvert la vue Titanic, qui est sortie ben avant qu’a naisse. 

Comme ben d’autres, a l’aurait pu accrocher su’l beau jeune Léonardo, qui à c’t’époque-là pouvait pas encore avoir une blonde de la moitié de son âge, comme y fait à c’t’heure, sans enfreindre le Code criminel

A l’aurait pu s’mettre à la place de Rose pis pousser des gros soupirs en s’imaginant dans une histoire d’amour impossible avec des belles robes.

Mais non, vous autres. 

A l’a accroché su quequ’un d’autre complètement : Molly Brown, le personnage joué par Kathy Bates – qui, en passant, a rien à voir avec la méchante dans Misery. Pis vous savez quoi? Ça m’donne espoir en l’humanité.

Molly Brown, c’tait une riche Américaine qui a vraiment existé pis qui a hérité du surnom « l’Insubmersible » après avoir survécu au naufrage du Titanic.  

Dans l’film, on la voit prendre Jack en d’sour de son aile pis le préparer à souper avec les péteux d’première classe. Ça, c’t’inventé, ben sûr. 

Mais c’qu’on voit après, parzempe, c’est vrai : pendant l’naufrage, a tient tête à c’t’insignifiant de quartier-maître Robert Hichens, le commandant de sa chaloupe de sauvetage; au lieu d’aider à ramer pis d’artourner chercher d’autres survivants, même si la chaloupe est à moitié vide, y fait yinque lirer pis décourager tout l’monde. 

Ch’comprends que c’est pas le film à Molly, faique y passent pas trop de temps là-dessus. Mais c’est tellement plus intéressant, comment ça s’est passé en vrai!

Pis on va y r’venir. 

Avant, j’veux vous conter l’histoire de Molly Brown depuis l’début, pour ben vous expliquer de quel bois qu’a l’était faite, c’te femme-là. En cèdre ou en pin, un bois qui flotte ben, clairement. Entécas, vous allez comprendre pourquoi chus si contente que la jeune fille ait autant accroché su elle. 

La vraie Molly (Maggie) Brown.

Molly est née en 1867, pis son vrai nom, c’tait Margaret, alias Maggie. C’est ben après sa mort, quand son histoire a été romancée dans des livres pis des vues, qu’a s’est faite arbaptiser Molly. Parce que ça sonnait mieux Molly Brown que Maggie Brown? Fouillez-moé. Entécas, pour la suite, on va l’appeler Maggie. 

A l’était la fille à John Tobin pis Johanna Collins, des immigrants irlandais qui s’taient installés à Hannibal, au Missouri. 

John était journalier, pis fallait qu’y fasse des grosses journées pour faire vivre sa femme pis ses six enfants. Le budget était serré en titi à’fin du mois. Autrement dit, Maggie était pas une floune de riche qui a eu toute tout cuit dans le bec avec une cuiller d’argent.

Y’a une affaire, par’zempe : à une époque où l’école était pas encore obligatoire, Johanna avait ben gros insisté pour que ses enfants aient l’instruction qu’a l’avait jamais eue. Faique Maggie pis ses frères et sœurs, au lieu d’aller travailler ben jeunes pour ramener d’l’argent à’maison, purent toutes aller à l’école jusqu’à l’âge de 13 ans. 

Méchant luxe. Dire qu’à c’t’heure, ça fait l’bacon parce que t’as changé l’code du Wi-Fi.

Si l’éducation avait été un plat d’fromage cottage, Maggie l’aurait vidé jusqu’à la dernière tite crotte dans l’fond pis s’rait allée chez Metro s’en racheter un autre pis un autre, parce que l’éducation, ça finit jamais. C’tait une fille affamée de savoir, qui lisait toute c’qui y tombait sou’a main, pis si ses parents avaient eu les moyens, a l’aurait ben continué l’école jusqu’à l’université. 

Malheureusement, fallait ben faire vivre la famille, faique a l’eut pas le choix de commencer à travailler dans une usine de tabac, à préparer les feuilles. C’tait une des seules jobs que les jeunes filles pouvaient faire dans l’boutte d’Hannibal, pour même pas une piasse et demie par jour. En plus, c’tait plate pis toffe – le genre de job qui te ratatine la cervelle pis t’effoire les espoirs. 

Faique vous vous imaginez ben que, quand a l’eut l’occasion de suivre sa sœur plus vieille qui déménageait au Colorado avec son mari flambant neu, a s’fit pas prier pantoute. 

À 18 ans, Maggie s’ramassa donc à Leadville, une ville minière à l’ambiance de Far-West qui poussait comme un vrai champignon. C’tait une place où les fortunes se faisaient du jour au lendemain. 

A l’alla travailler chez Daniels, Fischer & Smith, un genre de Fabricville de l’époque, dans l’département des tapis pis des rideaux. 

Pis pendant c’temps-là, a gardait l’œil ouvert. 

Voyez-vous, Maggie avait un rêve. A l’avait vu son père faire des journées d’beu à’job pis arriver à’maison l’soir tellement brûlé qu’y pouvait même pas profiter d’la vie : y soupait pis y tombait dans son litte comme une roche yinque pour se réveiller le lendemain pis toute arcommencer, jour après jour. C’qu’a voulait, c’tait devenir assez riche pour que son père aye pu besoin de travailler, enfin. Pis pour ça, ça y prenait un mari avec les poches pleines. 

Vous pouvez ben penser c’que vous voulez de t’ça, traiter Maggie d’profiteuse, de croqueuse de diamants pis toute le kit, mais rappelez-vous que, dans l’temps, les femmes étaient pas mal obligées de s’marier pour avancer dans’vie. On les laissait pas faire autre chose, simonac! 

Alors, Maggie était ben décidée à pêcher l’plus gros poisson possible. 

Sauf que, c’est ben maudit, hein! De quoi de ben malcommode allait s’mettre au travers de ses beaux plans : le torpinouche d’amour. 

Un bon dimanche, à un pique-nique organisé par l’Église catholique, Maggie rencontra James Joseph Brown, alias J.J.

Enfant d’immigrants irlandais comme Maggie, J.J. avait 13 ans de plus qu’elle pis y’était chef de quart à’mine Maid and Henriette – une job stable, même si le salaire était pas à s’tirer dins murs.

Y cochait pas la case la plus importante pour Maggie, mais tsé! Y’était tellement charmant! Un beau grand gars avenant qui avait plein d’amis pis une réputation Spic-and-Span, le genre que tu pouvais présenter à tes parents en sachant que l’curé y donnerait l’Bon Dieu sans confession. Y’avait l’œil clair pis une bonne tête su’és épaules. Comme Maggie, y’aimait aller au théâtre pis danser. 

Faique Maggie craqua : quand y l’invita à sortir, a dit oui. 

A s’laissa désirer un ti-peu, par’zempe : selon la légende, quand y s’pointa chez elle dans une vieille carriole poquée avec yinque un ch’fal, y s’fit arvirer d’bord : pas question que Maggie embarque dans sa réguine. Quand y’arvint le lendemain dans une belle voiture à deux ch’faux flambette, là, Maggie accepta d’embarquer avec. Madame avait des standards, quand même.

Après queques mois de fréquentations, Maggie était déchirée : a rêvait encore de voir son père tchiller dans sa chaise berçante au bord de l’âtre, les pantouffes aux pieds, à l’abri d’la misère; mais à c’t’heure, a l’avait J.J. dans’peau, pis y’avait pu moyen de l’enlever de d’là. 

Faique en 1886, à 19 ans, Maggie maria J.J. pis devint Madame Margaret Brown. A l’alla vivre avec lui dans sa tite cabane de deux chambres, ben loin du manoir qu’a l’avait imaginé. 

Mais, c’pas grave. Maggie dira plus tard que ses premières années avec J.J., quand leux deux enfants Lawrence pis Helen sont nés, avaient été les plus belles de sa vie. 

Ce dont a s’doutait pas, c’est qu’en misant su J.J., a l’avait quand même décroché le gros lot d’la 6/49. A perdait rien pour attendre.

Maggie, J.J. et leux enfants, Lawrence et Helen

Tsé, l’rêve américain? Dans l’temps que c’tait encore possible, là – avant qu’les revenus d’la classe moyenne s’mettent à stagner pis qu’la vie vienne pu achetable. J.J., lui, y’était ben décidé à l’pogner par le collette, à y faire la prise du tit paquet pis à l’mettre dans sa poche d’en arrière.

À une époque où y’avait pas d’bacc en génie minier, l’mari à Maggie passait ses soirées, après ses journées de job, à lire su la géologie, les gisements de minerai pis les techniques d’extraction. Avant longtemps, y d’vint ferré en simonac : un oracle du roc; un magicien des métaux bruts; un sorcier du sous-sol.

Grâce à son nouveau savoir, J.J. finit pu d’gravir les échelons: dins deux années après ses noces, y passa de chef de quart à contremaître à surintendant d’la mine Maid and Henriette.

Après ça, y fut engagé comme surintendant de toutes les mines d’la compagnie Ibex. C’est là qu’y frappa l’or – littéralement. 

En 1893, la demande pour l’argent baissa tout d’un coup, flâwk! Pis comme la majorité des mines autour de Leadville étaient des mines d’argent, ben, c’tait pas d’adon pantoute. Quatre-vingt-dix pour cent des gars d’la place pardirent leu job du jour au lendemain. 

Molly, qui s’occupait déjà d’la soupe populaire en ville depuis que son mari avait été nommé surintendant, ardoubla d’efforts pour aider encore plus les familles des chômeurs.

Pendant c’temps-là, J.J., lui, était sur une autre track : y’avait un plan pour rouvrir la mine d’argent Little Johnny. 

Le propriétaire de la mine, John Campion, savait que si y creusait plus creux, y trouverait probablement de l’or. 

Le problème, c’est qu’en creusant plus creux, justement, les mineurs tombaient su d’la dolomie, une roche friable qui s’défaisait toute en sable. C’tait impossible de creuser des tunnels pis d’faire le soutènement avec des poteaux en bois : toute effoirait en deux secondes. 

Campion était su’l bord de jeter l’éponge pis d’aller brailler dans sa chambre, mais J.J. y dit : 

« Tapeu, m’as t’arranger ça. » 

Sa solution, c’tait pas d’utiliser de l’équipement full fancy du futur qui coûtait la peau des fesses. Au contraire, c’tait yinque une question de bonne vieille jarnigoine : pour artenir le sable, y couvrit toute l’intérieur des tunnels avec des bottes de foin pis les fit t’nir avec une charpente en bois. Fallait y penser, pareil! 

Pis pouf! Pas longtemps après, la mine Little Johnny produisait 135 tonnes de minerai d’or par jour. 

Leadville pis ses mineurs étaient sauvés. Les journaux finissaient pu d’s’ébaubir devant c’te folle réussite. Pis J.J., lui, était rendu un homme riche : ses boss l’avaient récompensé en y donnant des parts dans’compagnie pis une place au conseil d’administration. 

La vie de Molly venait de changer boutte pour boutte.

J.J. pis elle devinrent des vraies célébrités. Y’achetèrent une grosse maison à Denver pis même un chalet en dehors d’la ville. Y pouvaient voyager. Mettre du beau linge pis s’entourer de belles affaires. Y coudoyaient la crème d’la crème d’la haute société de Denver. Leux enfants pouvaient aller dins meilleures écoles. Les parents à Maggie auraient pu jamais besoin de travailler.

Enfin, Maggie pouvait s’permettre toute le fromage cottage qu’a voulait, c’t’à dire qu’a l’avait le temps pis les moyens de s’instruire à son goût. Faique, a l’étudia les langues – le français, l’allemand pis le russe –, la littérature pis l’théâtre, d’abord à Denver, pis après au Carnegie Institute de New York. Pas pire pour une p’tite Irlandaise qui avait yinque l’équivalent d’un secondaire 2! 

Mais c’pas toute : Maggie avait aussi ben à cœur le changement social.

À une époque où la somme de c’que les femmes avaient l’droit de dire pis d’faire aurait pu t’nir dans une boîte en carton ondulé de 4 pouces par 4 pouces par 6 pouces, Maggie s’trouvait pas mal à l’étroit. Sans pouvoir politique pis sans entrée dins salons où les monsieurs en habit décidaient de toute entre eux autres en fumant des cigares, c’tait ben dur de changer grand chose.

Mais les madames riches avec des contacts pis du temps libre, elles, avaient quand même leu z’arme secrète : les club sociaux.

Avec d’autres comme elle, Maggie partit le Club des femmes de Denver, qui s’tait donné comme mission d’améliorer la condition des femmes grâce à l’éducation pour améliorer la société au complet. 

Y’a un enseignant ghanéen, James Emman Aggrey, qui a dit un jour : « Éduquer un homme, c’est éduquer yinque une personne. Éduquer une femme, c’est éduquer toute une nation. » Ça, Maggie l’avait ben compris.

Madame Brown d’vint une espèce de force irrésistible : a l’était partout, le nez fourré dans toutes les causes, pis on aurait dit qu’a l’avait assez d’énergie pour déplacer les montagnes du Colorado. 

A l’organisait des activités culturelles pour les filles pauvres. A ramassait d’l’argent pour garnir les bibliothèques des écoles publiques. Ses bazars pis ses galas de charité permirent de construire une église pis d’agrandir un hôpital. A milita assez fort pour convaincre le gouvernement de passer des lois su’l travail des enfants pis s’associa avec un juge pour créer le premier tribunal pour adolescents au pays – parce que tsé, avant, y’étaient jugés comme des adultes pis allaient suivre leu cours de crapule 101 en prison avec des criminels endurcis.

Ch’pourrais passer une couple d’heures à énumérer toute c’que Molly a faite de 1894 à 1912, mais on s’rait encore là demain matin. 

Mais bref, quand a l’embarqua su’l Titanic à Cherbourg après un voyage de plusieurs semaines en Europe pis en Afrique, Maggie était une femme solide, confiante, hyper cultivée pis engagée qui avait déjà fait bouger assez d’affaires dans l’bon sens pour mériter un hôpital ou une école à son nom. Une plaque en bronze, minimum.

À suivre dans la partie II – bientôt!


Source : Iversen, Kristen, Molly Brown: Unraveling the Myth, 3e édition. 2018. Johnson Books.

Le Noël ukrainien

C’est quoi le lien entre Noël, le Carnegie Hall, une hirondelle, une séduisante créâture slave aux sourcils noirs, François Pérusse pis l’combat des Ukrainiens pour leu z’identité nationale pis leu liberté?

Une toune : Carol of the Bells, que queques’uns appellent « Le chant des cloches » en français.

Bon. Si ch’tais en face de vous autres, j’vous régalerais les oreilles en vous chantant un ti-boutte d’la mélodie, pour être sûre que tout l’monde sache de quoi ch’parle.

Mais, ch’pas là, faique m’a d’mander à YouTube à’place. Allez écouter ça icitte, m’as vous attendre.

Ché pas pour vous autres, mais c’te toune-là me fait brailler. A l’a quelque chose de touchant. Pas les paroles en tant que tel – les cloches sonnent, youhou c’est Noël on a du fun, c’est rien de ben spécial.

C’est la mélodie qui vient me chercher. A l’a queque’chose… d’ancien? Comme si les quatre notes qui s’répètent tout le long d’la toune, ding dong ding dong, c’tait comme un restant d’un passé tellement vieux, tellement loin, qui s’perd dins limbes fatiquées d’notre mémoire collective.

Entécas, j’avais jamais réussi à mettre le doigt su pourquoi c’te musique-là me faisait filer d’même; après toute, c’tait yinque une autre toune de Noël américaine qu’on entend dans Maman, j’ai raté l’avion.

Jusqu’au jour où j’ai parlé de t’ça avec une de mes grandes chums qui est dans une chorale depuis des années. J’y ai fredonné les fameuses quatre notes, pis a l’a dit :

« Ah, le Noël ukrainien? »

Heille, là, ça m’a mis s’une piste! Pis les affaires que j’ai découvertes, vous avez pas idée.

Y s’avère que Carol of the Bells, c’pas une toune américaine pantoute!

Son vrai nom, c’est Chtchedryk.

Le compositeur Mykola Leontovych a dû l’entendre quand y’était p’tit dins années 1880, en Podolie, une région de l’Ukraine. À c’t’époque-là, l’pays faisait partie de l’empire russe.

Mykola Leontovych

Leontovych, son père était curé pis sa mère était chanteuse. Y’avait commencé par étudier pour faire comme son père, mais finalement, faut crère qu’y artenait plus de sa mère, parce qu’y est devenu prof de musique, compositeur pis chef d’orchestre.

Une affaire qui l’intéressait ben gros, c’tait de prendre des vieilles chansons folkloriques que tout l’monde connaissait pis d’les arranger pour qu’y puissent être chantées par une chorale. Pour vous situer, si y’avait été Québécois, y’aurait travaillé su des tounes comme À la claire fontaine ou bedon V’là l’bon vent, v’là l’joli vent.

Une des chansons qu’y a arrangées d’même, c’tait justement Chtchedryk.

Pis Chtchedryk, c’pas n’importe quelle p’tite ritournelle : c’t’une chanson hyper ancienne – vous voyez, ch’pas si folle! – qui date d’avant même que l’Europe, de gré par bouttes pis d’force par d’autres, pogne la fièvre du Bébé Jésus.

Faique, vous d’vez vous en douter, c’est même pas une chanson d’Noël : c’t’une chanson rituelle qu’on chantait au Nouvel An, c’t-à-dire au printemps, pour attirer l’abondance pis la prospérité.

V’là les paroles – entécas, celles dans la version à Leontovych :  

Chtchedryk chtchedryk, chtchedrivotchka,
Prýletila lástivotchka,
Stála sobí chtchébetaty,
Hóspodarya výklykaty:
«Vyïdy, vyïdy, hospodaryou,
Podyvysya na kocharou,
Tam ovetchky pokotylysʹ,
A yahnytchky narodylysʹ.
V tebe tovar vesʹ khorochyï,
Boudechʹ maty mirku hrocheï,
Khotch ne hrochy, to polova,
V tebe jinka tchornobrova.»
Chtchedryk chtchedryk, chtchedrivotchka,
Pryletila lastivotchka.
Chtchedryk chtchedryk, chtchedrivotchka Une petite hirondelle s’est posée sur le toit
Elle s’est mise à gazouiller
À appeler le maître de la maison :
« Sors, maître, sors,
Va voir dans l’étable :
Les brebis ont mis bas des agneaux,
Ton bétail est très beau.
Tu vas avoir beaucoup d’argent
Mais l’argent n’est rien
Tu as une belle femme
Aux sourcils noirs. »
Chtchedryk chtchedryk, chtchedrivotchka
Il est arrivé une petite hirondelle.

Pis avant l’époque chrétienne, on la chantait pas yinque pour le fun : on t’nait pas nécessairement pour acquis que l’printemps allait r’venir, faique on prenait pas d’chances. C’tait vraiment une question de demander – aux dieux, aux esprits – d’apporter l’beau temps, une belle récolte, des beaux agneaux, pis euh… une belle créâture aux sourcils noirs, ça a d’l’air.

Dessin de ma chum Christine Labrecque. Quand j’y ai demandé de faire ça, a vachait su son divan. Une heure après, c’tait faite.
(L’affaire des sourcils, j’ai fouillé, pis on dirait que c’tait vraiment un critère de beauté slave à un moment donné – y’a une chanson d’amour traditionnelle ukrainienne qui s’appelle carrément Sourcils noirs et yeux bruns, où-ce que les sourcils sont comparés à des rubans d’soie! Si y’a des lecteurs qui pouvaient m’éclairer là-dessus, ch’rais ben contente!)

Entécas, Léontovych était un méchant perfectionniste. Maginez vous donc qu’après qu’un de ses recueils de chansons a été publié, y’a décidé tout d’un coup que c’tait d’la marde, faique y’a acheté les 300 copies pis y les a crissées dans l’feu.

Faique vous devriez pas tomber en bas de votre chaise en apprenant qu’y a travaillé des années de temps su sa version de Chtchedryk, que vous pouvez écouter icitte, même si a dure même pas une menute et d’mie.

Mais, toute c’te travail-là a valu la peine : quand la chanson a finalement été chantée en public, en 1916, ça a été un hit.

Pis c’est là que l’Histoire avec un grand H a ramassé Chtchedryk à bras-le-corps pis est partie à’course avec.

C’est qu’en 1918, dans toute le brassage qui a entouré la révolution russe, l’Ukraine a déclaré son indépendance.

J’rentrerai pas dins détails, mais pendant le p’tit boutte chaotique où-ce que la République populaire d’Ukraine a existé avant d’être écrasée par les bolchéviks – ceux qui sont devenus boss d’la Russie après avoir faite la passe au tsar pis à sa famille –, ses dirigeants ont essayé ben ben fort d’la faire arconnaître par les autres pays.

Une des façons de faire ça, c’tait de montrer que l’Ukraine avait sa culture à elle, différente de celle d’la Russie. Faique quand Symon Petlioura, chef du nouvel État ukrainien, a entendu les arrangements choraux à Léontovych, y’a eu une illumination :

« ASTIE JE L’AI : la diplomatie par l’art! M’as former une chorale qui chante nos chansons traditionnelles pis m’as l’envoyer partout dans l’monde! »

C’est d’même que 30 des meilleurs choristes ukrainiens sont partis en tournée, mais su’a peau des dents : y’ont quitté Kiev le 4 février 1919, jusse une journée avant que les bolchéviks prennent la ville de Kyïv.

La chorale.

Après avoir mis la patte su l’Ukraine, les bolchéviks se sont mis à éliminer systématiquement toutes les intellectuels qui pourraient leu faire du trouble ou titiller l’moindrement le sentiment nationaliste des ukrainiens.

Sentant la soupe chaude dans’capitale, Leontovych s’était sauvé chez sa famille à’campagne. Dans’nuite du 22 au 23 janvier 1921, tandis qu’y était en visite chez ses parents, y’a été assassiné par un agent secret des bolchéviks à l’âge de seulement 44 ans.

Mais, grâce à la chorale, telle la p’tite hirondelle dans Chtchedryk, l’œuvre à Leontovych s’tait déjà envolée pis était après prendre des proportions auxquelles y’aurait jamais osé penser.

Les choristes du Chœur national ukrainien ont commencé leu tournée en Tchécoslovaquie (un pays qui existe pu), pis sont allés en Autriche, pis en Suisse par après. Partout où c’qu’y passaient, l’monde grimpaient quasiment un par-dessus l’autre pour les voir, pis Chtchedryk était LE gros succès du spectacle. Y finissaient pu d’le chanter en rappel.

Quand y’ont fini par arriver en France, y’ont passé par Nice, Toulouse, Bordeaux, Marseille, Lyon pis Paris. Leu but ultime, c’tait que Georges Clémenceau, le top ministre de France, aille les voir pis trippe assez pour décider d’arconnaître l’État ukrainien. Malheureusement, y s’est jamais dérangé pour ça.

En 1922, après avoir faite la Belgique, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne, la Pologne, l’Allemagne pis l’Espagne sans réussir grand-chose à part brûler les planches pis faire salle comble soir après soir, les choristes se sont ben rendus compte que parsonne mordait à leu z’hameçon diplomatique. En plus, rendu là, le rêve d’un État ukrainien était pu yinque un tas d’cendres avec d’la tite fumée.

Mais, un coup parti, aussi ben continuer. La chorale s’est pogné un impresario professionnel, Max Rabinof, pis est partie à’conquête des États-Unis.

Le 5 octobre, le Chœur national ukrainien a faite son premier spectacle en sol américain au super prestigieux Carnegie Hall. Encore c’te fois-là, Chtchedryk a faite un tabac pis les choristes l’on r’chantée pendant le rappel.

D’ailleurs, j’ai artrouvé des coupures de journaux du temps pis laissez-moé vous dire, ça fait dur pas mal :

Ch’traduis :

« 50 hommes et femmes habillés comme la chienne à Jacques chantent des airs paysans primitifs. »

Cré z’Amaricains.

(Bon. Ça se peut que « motley » veuille juste dire « ben coloré ». Mais comme ce mot-là sert aussi à décrire les costumes de bouffons, pis que l’reste du texte est hyper condescendant, ch’pense pas que mon interprétation est abusive.)

En plus, les journalistes arrêtaient pas de mélanger l’Ukraine pis la Russie, pis les choristes passaient leu temps à essayer d’leu faire comprendre que c’tait pas pareil pantoute. Vu la raison pour laquelle y’étaient partis en tournée au départ, ça d’vait être enrageant en sivouplaît.

Malgré les bitcheries pis la cabochonnerie d’la presse, la chorale a eu un succès bœuf. Pendant les deux premiers mois de tournée, a l’a faite plus de 60 concerts dans 40 villes. Après ça, est’allée en Amérique du Sud pis au Canada, pis a l’a même endisqué ses chansons!

Mais là, qu’vous vous dites, comment est devenue une toune de Noël en anglais?

Vous pouvez arrêter d’artenir vot’souffle, parce que j’y arrive, là.

Un bon soir pendant la tournée aux États-Unis, Peter Wilhousky, un chef d’orchestre d’origine ukrainienne, était dans’salle, pis y’a ca-po-té su Chtchedryk.

Y dirigeait une chorale dans une école à New York, pis y cherchait d’quoi de nouveau pis d’excitant pour passer à l’émission « Music Appreciation Hour » à’radio d’la NBC.

Comme y’était pas question que ses flos d’école chantent en Ukrainien, y’a décidé de composer des nouvelles paroles. M’as le laisser expliquer lui-même son processus créatif :

« J’ai flushé les paroles ukrainiennes qui parlaient d’volaille de basse-cour, pis j’me suis concentré su le ding-dong joyeux des cloches que j’entendais dans’musique. »

Ouin.

Toujours est-il que sa nouvelle version, avec son nouveau nom pis ses nouvelles paroles su’a joie du temps des Fêtes, a pogné sans bon sens.

Dès l’début des années 1940, Carol of the Bells était devenue un classique des concerts de Noël. Ben vite, les orchestres de jazz pis les orchestres symphoniques faisaient leu propres versions, pis ça a pas été long non plus qu’on s’est mis à l’entendre dins annonces, dins émissions pis dins vues.

Faique c’est d’même que la p’tite chanson rituelle d’une religion de cultivateurs des steppes d’avant l’an 1 000 est devenue un produit 100 % américain.

Pareil, Chtchedryk telle que Leontovych l’a arrangée reste ben chère aux Ukrainiens. C’est ben pour dire, hein, mais sont tellement fiers de leu toune que le ministère des Affaires étrangères de l’Ukraine s’est même donné la peine de faire un beau site Internet super fancy exprès pour raconter son histoire!

Pis doutez pas que c’t’année, dans le p’tit peu de Noël qu’y vont réussir à s’rapailler tandis que Poutine leu garroche des bombes par la tête, les Ukrainiens vont chanter Chtchedryk, pis ça va leu donner l’goût de se battre encore plus fort.

Joyeuses Fêtes, là!

Ouin, pis c’tait quoi le rapport avec François Pérusse?

Si vous êtes un fan, vous l’savez déjà. Mais pour les autres, sachez que notre trésor national du fatalatapouète a faite une version ben à lui de Chtchedryk :

On est allés au centre d’achats
Pour acheter des tortues ninjas
Y’en restait pu faique on est r’venus
Avec une couple de vraies tortues
Quand notre ti gars ya ouvert ça
Y’a vu qu’y a pas d’bandeau ces tortues-là
Où est-qué le bandeau de ces tortues
Sont pas pareilles que celles que j’avais vues
Faique découpe découpe un petit bandeau
Essaye essaye d’leu mettre comme il faut
Les tortues sont ben restées bêtes
Quand on essayait d’leu mettre un bandeau s’a tête
Y’ont fermé les yeux y bougeaient pu
Ch’pense qu’y sont fenies nos tites tortues

Opération minou acoustique

Un chat, c’pas comme un chien, tsé, C’est fin pis c’est doux pis c’t’affectueux, un chat – j’adore c’tes p’tites bêtes-là! Mais au final, ça f’ra pas du rouli-roulant d’boutte su’é pattes d’en arrière en jonglant avec des ballounes pour te faire plaisir. Un chat, ça fait c’que ça veut, quand ça veut.

C’t’évident pour n’importe qui qui a passé plus que cinq menutes avec un minou. Mais pas pour les agents d’la CIA dins années 1960, ça d’l’air.

Faut dire que dans c’temps-là, c’tait pas mal wild. On était en pleine guerre froide, pis pour les États-uniens, y’avait rien de trop broche à foin ou de trop tiré par les ch’feux pour prendre le dessus su’é communisses.

L’nerf d’la guerre, ben sûr, c’tait le renseignement. Tout l’monde était toujours après écouter tout l’monde.

L’écoute téléphonique, ça marchait pas pire. Mais comme y’a pas yinque c’qui s’disait su’é lignes qui était intéressant, les agents d’la CIA ont commencé à s’essayer avec des micros cachés.

Le problème, c’est que les micros de l’époque étaient pas vargeux : y pognaient toutes les sons dans une pièce. Mettons que t’en plaçais un d’une salle à manger pis que l’monde que t’espionnais s’faisaient une bonne bouffe, t’entendais quasiment plus les bruits d’vaisselle que c’qui se disait autour d’la table.

Une fois, la CIA a caché un micro dans une craque de divan dans l’appart d’un diplomate chinois en France. Sauf que dès que quequ’un s’assisait, les agents d’surveillance dans leu panel l’autre bord du ch’min entendaient pu yinque des grincements d’arssorts. Pire encore, le diplomate en question aimait ben s’ramener des p’tites pitounes françaises chez eux pis, de toute évidence, trouvait que l’divan faisait mieux qu’le litte pour ses activités de… « sensibilisation culturelle ».

Ouin. Pis vous-autres, votre job?

Fallait donc améliorer les micros pour qu’y soyent capables de mieux filtrer les sons. Mais tandis que les ingénieurs s’creusaient le ciboulot, fallait ben que les agents d’surveillance fassent de quoi.

Un jour, pendant qu’un gars qu’y surveillaient jasait stratégie avec ses adjoints, les agents armarquèrent que des chats rentraient pis sortaient d’la place sans que parsonne s’en occupe vraiment.

Faique y’a un agent qui eut une idée :

« Mettons qu’on mettait un micro DANS un chat pis qu’on le dressait pour qu’y écoute la voix du monde? »

C’est d’même qu’est née « l’Opération minou acoustique »!

En gros, le plan, c’tait de dresser l’chat, de l’ouvrir, d’y mettre une batterie dans l’chest, un implant dans l’oreille pis un émetteur dans l’chignon du cou, d’y passer un fil dans l’poil pis une antenne dans’queue, pis voilà! Un minou cyborg espion à’fine pointe d’la technologie.

Incroyablement, l’idée passa au conseil – comme j’vous ai dit, c’tait wild, dans c’tes années-là.

Faique aussitôt, y s’ramassèrent un matou qui, sans l’savoir, allait devenir « Le chat de 6 millions », comme à’tévé.

Y dressèrent donc le chat pour qu’y s’assise tranquillement pis écoute le monde jaser. Après, y l’endormirent pour y poser toutes les gréements électroniques pis commencèrent à faire des tests.

Mais c’qui d’vait arriver arriva : minou était ben entraîné, mais dès qu’y spottait un moineau, de quoi qui avait une senteur intéressante ou bedon une minoune qu’y trouvait de son goût, toute prenait l’bord pis les agents pardaient l’contrôle. 

Tsé, c’t’un CHAT. Entre vous-autres pis moé, y s’attendaient à quoi?

Faique y l’rouvrirent pis y lui posèrent d’autres fils qui étaient censés y couper les envies pis l’empêcher de lâcher la job. Comment ça marchait, fouillez-moé.

Là, vous d’vez vous dire que c’est cruel, c’t’affaire-là, pis vous avez ben raison. Si PETA avait existé dans c’temps-là, y se s’raient ben toutes mis tout nus en avant d’la bâtisse d’la CIA. Mais ça a d’l’air qu’à part le faite de, tsé, avoir été opéré, le chat avait pas mal pis était pas dérangé par toute son bataclan. Les agents avaient faite ben attention, mais pas tant pour le bien-être du chat que pour s’assurer qu’y s’mettrait pas à s’griffer pis à s’mordre pour s’enlever ça pis qu’y endommagerait pas le matériel.

C’est don fin.

Toujours est-il qu’après des mois de dressage pis de tests, les agents d’surveillance décidèrent que c’tait l’temps pour la première mission du chat. Faique y l’embarquèrent dans leu panel avec toute le matériel pis s’en allèrent à côté d’un parc, où des espions soviétiques étaient après s’passer des valises.

Y parquèrent le panel, ouvrirent la porte, lâchèrent le chat, pis…

SPLAT. Effoiré par un taxi drette en débarquant.

Notre matou cyborg fut l’seul de sa sorte, parce que la CIA décida de farmer le projet en 1967. Toute ça pour ça.

Si on est au courant de c’t’histoire-là, c’est qu’en 2001, une trâlée de documents d’la CIA ont été déclassifiés, dont une note de service intitulée « Opinions sur les chats dressés ».

Y’a des gros bouttes de textes qui avaient été enlevés, mais à la fin, ça dit en gros que « c’est possible d’entraîner un chat à aller à des places à courte distance, mais à cause de l’environnement pis des conditions de sécurité dans une situation réelle à l’étranger, ça serait juste pas pratique ».

BEN QUINS!

Avant de s’mettre en frais pis de martyriser un pauvre matou qui avait rien faite au Bon Dieu, y’auraient pu d’mander à moé, à elle, à la Mère Michel : yinque à voir, on voit ben qu’un chat, ça f’ra toujours yinque à sa tête.


Sources :
Jeffrey T. Richelson, The Wizards of Langley : Inside the CIA’s Directorate of Science and Technology, 2008.
Tom Vanderbilt, « The CIA’s Most Highly-Trained Spies Weren’t Even Human », Smithsonian Magazine, octobre 2013.


Un GROS merci à ceux qui m’encouragent sur Patreon : Christine L., David P., Chrestien L., Herve L., Valérie C., Eve Lyne M., Serge O., Alice et Tomasz, et Mélanie L.

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Une chaise roulante su l’autoroute pis un empereur s’un chevreuil

Heille, aujourd’hui j’ai un p’tit 2 pour 1 à vous conter. Une première affaire, pis une autre affaire à laquelle la première affaire m’a faite penser.

J’ai vu ça l’autre jour : c’est l’histoire d’un gars qui s’appelait Ben Carpenter. Un m’ment’né, y traversait la rue en chaise roulante. En même temps, y’a une grosse van qui est sortie d’la cour d’un poste de gaz. Quand la lumière est virée verte, Ben avait pas fini de traverser l’chemin. Sauf que l’chauffeur d’la van savait pas qu’y était là parce qu’y était trop proche pis trop bas pour qu’y l’voye. Faique, comme on fait d’habitude quand la lumière est verte, y’a pesé su’a pédale à gaz. 

Ben aurait pu finir effoiré drette là! Mais la van est partie lentement, pis au lieu de passer su’a chaise, a l’a juste poussée pis faite tourner jusqu’à c’que Ben soye complètement dos à la van. Là, les poignées d’la chaise sont restées prises dans’grille d’la van… Pis c’tait le début d’une cristie d’raille. 

Tu’suite après avoir passé la lumière, la van est embarquée su l’autoroute. 

Ben, lui, était encore en avant d’la van comme une figure de proue après un bateau! Y flyait à 60 milles à l’heure, lui-là, pas d’winshire, sûrement une couple de mouches entre les dents, à capoter sa vie. Une chance qu’y avait une ceinture de sécurité! 

L’monde dins chars ont vu ça aller, faique y’ont appelé la police. Au début, au 911, y pensaient que c’tait une joke, mais quand ça a faite 38 appels qui disaient la même affaire, y’ont décidé de prendre ça au sérieux. 

Finalement, deux polices ont réussi à rattraper le chauffeur d’la van pis y’ont dit : 

« Heille! Arrête! Y’a un gars en chaise roulante pogné dans’grille de ta van! »

Le chauffeur creyait pas à ça pantoute, mais quand y’est allé voir, ben ça parle au maudit, y’avait vraiment un gars en chaise roulante pogné dans’grille de sa van!

La preuve que j’vous conte pas de menteries!

Ben était en un seul boutte – un vrai miracle. Les tires de sa chaise roulante était finis raides, par’zempe. Pis quand les polices y’ont d’mandé si y’était correct, y’a yinque répondu, avec un ti filet d’voix : 

« J’ai renvarsé ma liqueur. » 

Toute est bien qui finit bien. Mais c’t’affaire-là, ça m’a faite penser à une autre raille d’enfer qui a pas eu une aussi bonne fin : celle à Basile 1er, empereur byzantin. 

Lui, c’tait un paysan né en Macédoine pis, à ce qu’on dit, une belle pièce d’homme aussi. Ça a d’l’air qu’y était grand pis large de poitrine pis d’épaules, avec des grands yeux, un monosourcil pis « un air un peu débiné ». Messemble d’y voir la face. 

Entécas, Basile avait l’tour de s’mettre chummy avec du monde de plus en plus puissant, pis c’est d’même qu’y a fini par se ramasser su’l trône de l’empire byzantin en l’an 867. En assassinant Michel, l’empereur qui était là avant. Qui était aussi son ami. Pis p’t’être son amant, on n’est pas sûrs. Pis fort probablement l’pére de ses garçons Léon pis Étienne, parce que la femme à Basile, Eudocie, était la maîtresse à Michel depuis des années, pis quand est tombée enceinte, Michel voulait pas que le flo soye un bâtard, faique y’a marié Eudocie à Basile en tassant la femme que Basile avait déjà. 

(Pis après, Michel a continué à coucher avec Eudocie, pis y’a dit à Basile : « Quins mon homme, pour ton p’tit service, v’là ma sœur, je l’ai sortie drette du monastère pour qu’a t’serve de maîtresse. »)

Ouf. 

Les Feux de l’amour pis l’Trône de fer ont rien inventé.

Entécas, peu importe comment Basile avait abouti avec la couronne impériale su’a tête, y paraît qu’y’a faite un bon empereur, pis y’a régné pendant 20 ans. 

Une bonne fois, quand y’était rendu vieux, Basile est allé chasser l’chevreuil pour se changer les idées. 

Un m’ment’né, y’a cru n’avoir tué un, faique y’est allé voir de proche. Sauf que là, la bête a r’troussé comme un yâble! Fouillez-moé comment, mais les bois du chevreuil ont pogné dans la ceinture à Basile, pis l’chevreuil est parti à’course en l’traînant comme une catin en guénille. SU 20 KILOMÈTRES.

J’vous fais des beaux ti dessins, hein?

Hier, j’ai conté ça à Mononc’Poêle, pis y cré pas à ça, lui, un chevreuil qui traîne un gars loin d’même. Un buck argnal peut-être; pas un chevreuil. Mais tsé, c’t’une histoire de chasse, pis quand on y pense, c’tes affaires-là ont tendance à enfler au fur à mesure qu’on les conte pis qu’on les arconte. 

Toujours est-il que l’pauvre Basile battait encore après l’flanc du chevreuil comme une vieille sacoche accrochée par la ganse quand un de ses serviteurs est arrivé pis a réussi à couper sa ceinture.  

L’empereur était sauvé – poqué, mais vivant. 

Faut savoir que vers la fin de sa vie, Basile était rendu pas mal parano : y’était sûr que son fils-pas-fils Léon voulait l’assassiner pour venger son pére-pas-pére Michel. Faique au lieu de couvrir son sauveur de pièces d’or, y l’a faite exécuter pour tentative de meurtre su sa personne. Quins! Ça y’apprendra, au serviteur, à être loyal pis courageux. 

L’empereur a été ramené au palais pis là, ses blessures ont commencé à s’infecter. Y’est mort de fièvre queques jours après – une fin flyée pour une vie complètement pétée. 

Le Balloonfest’86 : quand l’enfer est pavé… de ballounes

Y’a-tu quequ’un qui aime pas les ballounes? C’est comme des belles cerises en plastique de toutes sortes de couleurs, toutes rondes pis toutes joyeuses; y peuvent exploser, pis quand y dessoufflent vite, y font des sons de pet pis y volent tout croche dins airs comme un papillon avec une fusée dans l’derrière. Heille, j’ai déjà gardé une gang de flos occupés pendant un après-midi de temps yinque en jouant avec ça. C’est l’fun de même, des ballounes.

Y’a rien d’méchant dans une balloune. Ça peut pas faire de mal. Mais si vous pensez ça, c’est clair que vous avez jamais entendu parler du Balloonfest’86 à Cleveland, en Ohio.

C’tait parti d’une bonne intention : pour se faire de la publicité pis ramasser de l’argent, Centraide du Grand Cleveland voulait battre le record du monde du plus grand nombre de ballounes gonflées à l’hélium pis r’lâchées en même temps.

En plus, dans c’te temps-là, Cleveland avait la réputation d’être un trou. Tsé : dins années 1970, ça allait tellement mal financièrement que la Ville avait fait défaut su ses paiements, la rivière Cuyahoga qui la traversait était tellement polluée qu’a l’avait pogné en feu, pis ses équipes de sport arrêtaient pas de perdre comme des pas bonnes – quoique, du côté d’la NFL, ch’pas sûre que ça c’est tant ramieuté. C’tait rendu au point où c’que Cleveland avait été surnommée « Mistake on the Lake » – l’erreur su l’lac, en français, parce qu’a l’était située su’l bord du lac Érié.

Bref, Cleveland avait d’quoi à prouver  :

« On est pas des jambons pis des ti-clins! Nous-autres aussi on peut faire des belles pis des grandes affaires, bon! »

Faique tout l’monde était hyper motivé. Ça a pris six mois pour organiser la patente; les flos d’école vendaient les ballounes à deux pour une piasse, pis une armée de bénévoles ont aidé à toute préparer. La veille, y se sont occupés de gonfler les ballounes, travaillant quasiment toute la nuite avec des bouttes de tape collés autour des doigts pour pas se faire des ampoules.

Le jour du lancement, y’avait 1,4 million de ballounes dans une espèce de filet au beau milieu de la ville, soit ben en masse pour battre le record; on aurait dit qu’une piscine à boules pour enfants s’tait mise à fortiller tout d’un coup comme un gros blob monstrueux pis allait bouffer Cleveland.

Comme y’arrivait de l’orage, les organisateurs ont décidé de lancer les ballounes plus vite que prévu. Faique le 27 septembre à 1 h 50 de l’après-midi, le filet a été détaché pis les ballounes se sont envolées.

C’tait ben impressionnant. Selon le point de vue, ça avait l’air d’une envolée de bonbons, de youptidou pis d’amour universel… Ou bedon d’la 11e plaie d’Égypte. Argardez ça :

Tout l’monde étaient fous comme des balais, pis ça criait :

« GO CLEVELAND! RECORD DU MONDE! WOUHOUUUU! »

Sauf que l’bonheur était pas pour durer.

Normalement, les ballounes gonflées à l’hélium montent pis montent pis montent, des fois jusqu’à 10 000 pieds d’altitude, où l’atmosphère est pas mal moins dense. Comme l’air du dehors pèse moins s’a balloune, tandis que la pression en-dedans de la balloune reste la même, la balloune gonfle. En plus, haut de même, y fait vraiment frette, faique la balloune gèle pis devient fragile. Résultat : la balloune pète en plein de tis bouttes qui ardescendent lentement su’a terre.

Entécas, c’est ça que les organisateurs pensaient qu’y allait se passer.

Mais là, avec l’orage qui s’en venait, les ballounes ont pas eu le temps de se rendre assez haut. En s’en allant vers le nord, par-dessus le lac Érié, y’ont frappé un front froid qui les a r’poussées vers la ville, pis la grosse pluie les a fait artomber pendant qu’y étaient encore gonflées.

Pis là, le bordel a pogné.

D’abord, plein de ballounes se sont ramassées au beau milieu d’la piste de décollage de l’aéroport Cleveland Burke Lakefront, qui a dû arrêter toute le trafic aérien pendant une grosse demi-heure.

À part de t’ça, les ballounes ont envahi les rues pis les autoroutes. Le monde qui chauffaient leu char voyaient c’te nuée psychédélique aux allures de mousse trois couleurs du lave-auto pis se disaient « Qu’est-cé ça câlisse? ». Soit y donnaient des coups d’volant pour éviter les ballounes dans l’chemin, soit y’étaient juste distraits par le spectacle, pis y’accrochaient les garde-fous ou les autres chars. Les accidents sont multipliés partout dans’ville.

Les ballons aboutirent à plein de places : su l’lac Érié, dins rivières, dins forêts, en Ontario, pis ailleurs en Ohio.

Y’a une madame qui élevait des chevaux arabes pur-sang qui coûtaient les yeux d’la tête su sa ferme au sud de Cleveland. A l’a poursuivi Centraide pour 100 000 piasses parce que des ballounes avaient atterri dans son champ pis avaient faite tellement peur à ses chevaux qu’y en a un qui avait pogné le mors aux dents, était parti à courir, avait foncé drette dans une clôture pis s’tait pété la fiole tellement fort qu’y avait pu rien à faire avec.

Pis pire encore, les ambitions ballouniennes de Cleveland ont p’t-être coûté la vie à deux gars.

L’affaire, c’est que quand les ballounes ont été lâchées, la garde côtière charchait déjà deux pêcheurs, Raymond pis Bernard. La veille, y’avaient été portés disparus su l’lac Érié, pis leu bateau avait été artrouvé vide le matin du 27.

Mais là, essaye, toé, d’artrouver deux gars au beau milieu d’une orgie de ballounes! À voir la surface du lac, on aurait dit que quequ’un avait échappé une chaudière complète de tites billes en sucre qui vont su’é gâteaux d’fête.

En entrevue à’tévé, un gars qui participait aux recherches en bateau a dit :

« C’est comme essayer d’trouver une aiguille d’une botte de foin! Tsé, on charche une tête ou bedon un gilet de sauvetage orange, mais là avec toutes c’te marde-là pleine de couleurs qui grouille su’l lac, comment c’tu veux qu’on les voye, les deux gars? »

C’tait pas plus vargeux du côté des recherches en hélicoptère :

« Ben là, on peut même pu décoller. Dins airs, c’est comme un champ d’astéroïdes en plein trip d’acide, viarge! »

Finalement, la garde côtière a dû abandonner les recherches, pis Raymond pis Bernard ont été artrouvés morts deux jours plus tard. Y’auraient-tu pu être sauvés si Centraide du Grand Cleveland avait pas répandu du vomi d’licorne partout su l’lac Érié? On l’saura jamais.

Quand même, Centraide pis la Ville de Cleveland avaient gagné leu pari : leu record s’est artrouvé dans l’édition 1988 du livre Guinness. Mais la catégorie du plus grand nombre de ballons r’lâchés en même temps a été abolie pas longtemps après parce que tsé… C’tait cave pis dangereux, pis polluant à part de t’ça.

Une chose est sûre, c’est que c’tait pas c’te fois-là que Cleveland allait ardorer son image. C’est ça qui arrive quand on part s’une balloune…


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La Sainte Couronne de Hongrie : quequ’un comme toé pis moé (ou presque) – partie II

Partie I

Bon. J’vous le promets, là : à soir, vous allez savoir pourquoi la croix su’l dessus d’la Sainte Couronne est croche. Ou entécas, comment on pense qu’est v’nue croche.

Faique quand Charles-Robert mourut, son fils Louis y succéda.

Y’avait yinque un problème : Louis avait jusse des filles, pis son frére André, qui aurait pu y succéder, avait été assassiné – étranglé avec un cordon pis crissé par la fenêtre les culottes baissées avec une corde attachée autour des gosses –, supposément sur les ordres de sa femme, Jeanne de Naples.

Bref, ça r’gardait mal pour la succession.

Parce que comme on l’a vu tantôt, en Hongrie, les rois étaient comme semi-élus par les grands seigneurs du royaume, pis eux-autres, y juraient yinque par le zouiz.

Louis fit promettre aux seigneurs d’accepter sa fille Marie comme reine. Mais, ben crère : y’était à peine frette dans sa tombe, pis Marie v’nait à peine de se mettre la Sainte Couronne su’a tête, que déjà, ça se mit à brasser d’la marde pour mettre un homme à sa place.

À ce moment-là, Marie avait yinque 11 ans, pis c’est sa mére qui se battit comme une démone pour défendre son droit. Dans les années de bordel total qui suivirent, les deux se firent pogner par leux ennemis, pis la reine-mére fut étranglée drette en avant de sa fille. Finalement, les nobles battes furent satisfaits quand Marie se maria avec Sigismond de Luxembourg, empereur du Saint-Empire, pis qu’y fut couronné officiellement comme co-souverain.

Malheureusement, queques annéesaprès, Marie, enceinte, eut une bulle au cerveau pis partit tu’seule pour aller chasser. Dans l’fond du bois, son ch’fal s’enfargea, Marie prit l’bord, son ch’fal y tomba d’ssus pis a mourut.

Faique Sigismond, qui arsemble à mon mononcle Jocelyn avec un glorieux casse de poil, resta comme seul roi de Hongrie.

Impossible que ce gars-là ait pas de skidoo ni de terre à bois.

Y s’armaria avec une madame appelée Barbe, pis y’eut yinque une fille, Élizabeth. Toute allait arcommencer.

Sauf qu’Élizabeth réussit à éviter l’pire en se mariant avec Albert du Saint-Empire, alias Tête-de-Gland, pis en le faisant aussi couronner comme co-souverain.

Tête-de-Gland.

Mais là, en 1439, Tête-de-Gland trépassa, laissant dans le deuil sa femme pis deux filles. Pas encore!

Mais pas si vite : Élizabeth était enceinte. D’un coup ça soye un gars?

Comme d’habitude, y’eut une élection. Dans c’temps-là, les Turcs commençaient à faire du trouble aux frontières, faique l’assemblée des nobles battes décida que ça prenait un homme viril qui s’mettrait la flamberge au vent pis qui s’érigerait en défenseur du royaume. Vous voyez ce que je veux dire.

Faique, y’élirent Vladislas III, roi de Pologne – un flo de 16 ans, c’est-tu assez insultant! – comme roi de Hongrie.

Élizabeth fit mine d’être d’adon, mais pas longtemps après, a partit en douce de la capitale avec sa bedaine pis ses partisans. Pis la veille, a l’alla voir Hélène Kottaner, une de ses dames de compagnie :

« Chus sûre que j’vas avoir un gars, pis j’veux l’faire couronner avant que l’autre Polonais s’pointe la face icitte. Tu volerais-tu la Sainte Couronne pour moé? T’es la seule à qui ch’peux faire confiance! »

Heille, c’tait une méchante faveur, ça! C’tait pas comme prêter une perceuse ou aller charcher les p’tits à’garderie : si Hélène se faisait pogner, sa tête risquait de rouler dans’garnotte sur un moyen temps, pis ses flos s’artrouveraient orphelins.

Mais à c’qu’on dit, le vrai courage, c’est de faire c’qui faut même si on shake dans ses pichous. Pis c’est c’qu’Hélène fit. A s’en alla au château de Visegrád, y’où ce qu’y gardaient la Sainte Couronne, sous prétexte qu’a l’allait arjoindre les autres dames de compagnie d’Élizabeth.

Quand tout l’monde fut ben canté, Hélène se l’va pis, avec deux gars qui s’taient offerts pour l’aider, rentra dans l’corridor qui m’nait à’salle des joyaux d’la couronne. Pis là, dans un suspense digne des meilleures vues d’bandits, Hélène guetta l’boutte du passage pendant que ses deux complices limaient les serrures des autres portes.

Par deux fois, Hélène eut l’impression que ça menait du train l’autre bord du mur, comme si une gang de gars armés s’en venaient les pogner. Finalement, parsonne se montra la face, pis Hélène était tellement contente qu’a promit au Seigneur de faire un pèlerinage nu-pieds au sanctuaire d’la Sainte Vierge.

Les gars finirent par arsortir avec la Sainte Couronne. Y remplacèrent les serrures qu’y avaient limées pis arbarrèrent toute comme avant. Hélène cacha la couronne dans un coussin, au travers d’la bourrure.

Le lendemain matin, sûrement ben maganée de sa nuite, Hélène embarqua dans son traîneau (c’tait l’hiver) avec le coussin pis partit trouver sa maîtresse avec les autres dames de compagnie. Su’l gros nerf, a l’arrêtait pas d’argarder en arrière pour voir si a l’était suivie.

Y’eut ben un ti moment de terreur quand un des traîneaux rempli de madames passa au travers des glaces du fleuve Danube, mais heureusement, parsonne tomba à l’eau. Autrement, Hélène réussit à s’rendre sans problème jusqu’à Élizabeth pour y donner la Sainte Couronnne queques heures à peine avant qu’a l’accouche d’un p’tit gars.

C’tu là que la croix aurait été crochie? Y’en a qui pensent que oui. Mais Hélène, ça m’a l’air de quequ’un d’fiable, pis a dit dans ses mémoires qu’elle a fait hyper attention de pas s’asseoir su’l mauvais coussin pis d’effoirer la couronne avec son popotin.

Y’a une autre affaire, aussi : là, on est au 15e siècle, pis la croix commence à être croche su les dessins à partir du 17e. Y’a une autre théorie – on en reparle dans deux siècles.

Entécas, Élizabeth fit couronner son fils, qu’a l’avait appelé Ladislas. La Sainte Couronne était tellement grosse que le p’tit aurait pu s’assire dedans, faique pendant la cérémonie, un cousin à Élizabeth fut obligé de la tenir au-dessus du p’tit qui braillait toutes les larmes de son ti corps. Y dut trouver l’temps long en maudit.

Quand Vlad III de Pologne se pointa en Hongrie, y se fit couronner lui avec, mais avec une couronne pognée dans la tombe de saint Étienne.

Élizabeth était ben décidée à tasser Vlad pour mettre son p’tit Ladislas su’l trône, mais a mourut deux ans après, probablement assassinée. Faique Ladislas alla rester chez Frédérick III, empereur du Saint-Empire, un cousin à son pére.

Deux ans plus tard, arbondissement : Vlad III de Pologne mourut décapité par les Turcs à la bataille de Varna, pis son corps fut jamais artrouvé. Les Turcs, ben contents d’leu coup, immortalisèrent l’étêtage dans c’te peinture-là :

Faique le temps qu’y soye déclaré mort pis que les seigneurs finissent de se chicaner, c’est yinque en 1452 que Ladislas put s’assire sur le trône qui y’arvenait de droit.

Rendu là, y’avait l’air d’une annonce de Pantene avec un pinch mou :

Pis ça a l’air qu’y trippait ben gros sur Harmonium.

Malheureusement, après toute c’te trouble-là, prince Boucle-d’or mourut à 17 ans – y’en a qui disent de la peste, d’autres de la leucémie.

Faique après une autre guerre civile – parce que ça en prenait absolument une – c’est Matthias Corvinus, un jeune noble hongrois, qui fut élu roi.

À c’te moment-là, c’tait encore Frédérick III, le tuteur à Ladislas, qui avait la Sainte Couronne. Faique en échange, y d’manda 80 000 florins d’or, ou 14,5 M$ d’à c’t’heure. Se sachant tenu par les gosses, Matthias accepta de payer, pis la Sainte Couronne artourna enfin chez elle en 1464, après 24 ans au yâble au vert.

Là, on saute jusqu’au 16e siècle. Les Turcs se faisaient de plus en plus dangereux, pis c’est un homme, Louis II, qui était roi. Mais son hommitude y sarvit pas à grand-chose à la bataille de Mohács : toute son armée fut effoirée en deux heures, pis lui, y se sauva la queue entre les jambes. En essayant de monter une côte trop à pic su son ch’fal, y tomba su’l dos dans un ruisseau pis mourut nèyé parce que son armure était tellement pesante qu’y a pu été capable de s’arlever.

Ça, c’est quand y’a été artrouvé :

À partir de là, les Turcs se mirent à gruger de plus en plus le territoire hongrois. D’leu bord, les nobles battes élirent DEUX rois différents en dedans d’un an, pis les deux furent couronnés avec la Sainte Couronne. C’tait une période mêlante.

Entécas, au 17e siècle, même si les Turcs occupaient la capitale, c’tait Ferdinand III de Habsbourg qui régnait su la Hongrie, quand y’avait le temps au travers de ses 15 000 autres jobs, comme roi d’Allemagne, archiduc d’Autriche, empereur du Saint-Empire, roi de Bohême – la liste est tellement longue que même Wikipédia s’écœure avant la fin pis écrit « etc. etc. »

Sa première femme était sa cousine, Marie-Anne d’Espagne.

(Marier sa cousine : mal vu quand t’es un Tremblay du Lac-Saint-Jean, pis parfaitement correct quand t’es un roi avec plus de titres qu’un catalogue de maison d’édition.)

Entécas, quand Marie-Anne se maria avec Ferdinand, y fallut qu’a fasse la run de lait, c’est-à-dire être couronnée reine de toutes les affaires que son mari était roi de. Faique on la comprend d’avoir l’air légèrement à boutte :

Le 14 février 1638, c’tait le jour de son couronnement comme reine de Hongrie. Les reines étaient couronnées avec la première couronne du bord, mais ça prenait la Sainte Couronne quand même : la coutume, c’tait de donner une tite bine su l’épaule d’la reine, comme pour dire, heille, toé’ssi t’as d’affaire dans l’régnage!

Dans ces temps-là, la Sainte Couronne était gardée à Vienne, la ville principale des Habsbourg, pis le couronnement avait lieu à Bratislava, vu que la capitale hongroise était occupée.

Faique toute était prêt : l’archevêque était là, la reine était là, la noblesse était là, les enfants d’chœur chantaient pis toute le kit. Y manquait yinque une affaire : la Sainte Couronne.

M’aginez-vous que le noble viennois qui s’en occupait avait apporté l’coffre avec la couronne dedans, mais qu’y’avait pas apporté la bonne clé! Le palatin (j’vous rappelle, ça c’est le plus haut fonctionnaire du royaume) était en tabarnak :

— Maudit gnochon, c’pas vrai, là?
— Ben, j’m’excuse! Y’a tellement de clés après c’te trousseau-là, ch’tais sûr que j’avais la bonne!
— Astie, qu’est-cé qu’on fait? On est pas pour dire à tout l’monde d’arvenir demain!

Faique y’appelèrent un serrurier.

— Heh boy! Y’a combien de straps en fer après c’te coffre-là?
— Quatorze.
— Simonac! C’est ben d’valeur, Vos Altitudes, mais si ça presse tant qu’ça, moé là, j’ai pas l’temps d’mettre des gants blancs. Va falloir que ch’fesse.
— N’importe quoi, tant que tu nous sors la couronne de d’là au plus crisse.
— Bon ben, advienne que pourra, d’abord!
*PONG*
*PING*
*PING*
Mon torrieux, veux-tu ben ouvrir!
*PROK*
*KROK*
Heille, mon astie d’enfant d’ch…
*SPLONK*
Bon!

Le serrurier ardonna l’coffre au palatin. En dedans, y’avait un autre coffre plus p’tit en cuivre, pis y’était bossé comme une aile de char après un accrochage. Ça r’gardait mal, mais le fonctionnaire se laissa pas décourager :

« Donnez-moé un couteau, m’as la sortir par en d’sour. »

Y découpa l’fond d’la boîte en cuivre, pis ploc, la Sainte Couronne y tomba dins mains, fort probablement avec son air d’à c’t’heure, avec la croix cantée pis les deux arches tout teur. 

Après… y’essayèrent-tu d’la réparer? Mystère. C’qu’on sait, c’est que la Sainte Couronne resta sortie pas mal plus longtemps que d’habitude avant d’artourner à Vienne, au moins parce qu’y fallut y’argosser un autre coffre. C’qui est sûr, c’est qu’après, tout l’monde fit comme si la croix avait toujours été d’même.

Dins siècles qui suivirent, la Sainte Couronne resta tout l’temps dans la famille des Habsbourg, en passant entre autres par – Jésus Marie Joseph! – une créâture, l’impératrice Marie-Thérèse. Les nobles battes durent s’étouffer su leu chique.

Son successeur, Joseph II, voulut rien savoir de se faire couronner, faique les Hongrois le surnommèrent « le roi au chapeau » pis, essentiellement, se torchèrent avec ses édits pis ses décrets. Quand même, c’est à la fin de son règne, en 1790, que la Sainte Couronne arvint enfin en terre hongroise. Les Hongrois étaient tellement contents qu’y firent le party dins rues, accrochèrent des guirlandes partout pis composèrent des tounes en son honneur.

La couronne était quand même pas au boutte de ses aventures.

En 1848, y’eut la Révolution hongroise.

L’empereur Ferdinand 1eravait adopté des lois pour transformer la Hongrie en monarchie constitutionnelle, avec un parlement pis toute; mais son successeur, François Joseph (le beau Franz à Sissi avec le cou raide, dans les films) avait décidé de mettre la hache là-dedans sans raison.

En crisse, les Hongrois se révoltèrent. Y’eut une guerre. Les Hongrois pardirent.

Pour échapper à l’empereur, le premier ministre se poussa en Turquie, non sans faire une dernière vacherie : y pogna la Sainte Couronne pis le reste des cossins sacrés du couronnement pis enterra toute ça dans une swompe à la frontière. Les autorités impériales durent charcher dans’bouette pendant quatre ans avant des artrouver.

Charles, le successeur à François Joseph, fut le darnier à porter la Sainte Couronne. C’tait comme écrit dans l’ciel — argardez comme y’avait l’air tata avec sa couronne trop grande :

Charles à son couronnement avec sa femme, Zita de Bourbon-Parme, pis son garçon, Otto.

Après la Première Guerre mondiale, la monarchie fut abolie. Pis à mesure qu’on s’approchait du monde d’à c’t’heure, la Sainte Couronne devint plusse un symbole qu’autre chose, mais quand même un symbole national super important pour les Hongrois.

La Sainte Couronne s’épivarda une darnière fois pendant la Deuxième Guerre mondiale, pis c’te fois-là, a l’alla pas mal loin.

Le gars qui dirigeait la Hongrie, l’amiral Miklós Horthy, avait tellement la chienne du communisme qu’y préféra s’allier avec Hitler plutôt que de risquer une invasion par les Russes.

Mais quand l’Armée rouge commença à avancer sans que parsonne puisse l’arrêter, Horthy enterra la Sainte Couronne et ses cossins queque’part en Allemagne.

C’est les Américains qui la ramassèrent, pis a passa un bon boutte d’la guerre froide dans un coffre-fort à Fort Knox , aux États-Unis.

Finalement, en 1978, le secrétaire d’État des États-Unis ardonna la Sainte Couronne à la Hongrie, pis a bougea pu jamais du Parlement hongrois après ça.

Faique c’est ça! Un casse en or qui a eu une vie plus excitante et arbondissante que la majorité de nous-autres.

Quand l’astie d’pandémie va être finie, on s’organise-tu un voyage en gang pour aller la voir… en parsonne?


Source : László Péter, « The Holy Crown of Hungary, Visible and Invisible », The Slavonic and East European Review, 2003.
Hélène Kottaner, Les mémoires d’Hélène Kottaner, 1440.
Géza Pálffy, A Szent Korona és a koronaláda balesete 1638-ban, 2007.

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« Tassez-vous que ch’passe! » — L’histoire du RMS Olympic, la grande sœur du Titanic, dans ses propres mots

  Heille salut! Moé c’est Olympic, pis j’étais un navire. Pis toute un, à part de t’ça. 

Bon, ok. Ça se peut que vous ayez jamais entendu parler d’moé. J’vous en veux pas pour ça. Tout l’monde en a yinque pour ma p’tite sœur, Titanic. 

Quand même, ça m’écoeure un peu, tsé : moé, j’ai eu une longue et ÉPIQUE carrière, pis elle, a s’crisse d’un iceberg comme une épaisse à son premier voyage, pis a l’a droit à toutes les honneurs, avec un film, Céline Dion, tou-dou-dou-douuuu, ti-delou-dou-dou-dwiiiiiii pis toute le kit. 

(Ch’t’aime pareil, la sœur.)

Mais là, à soir, c’est moé qui raconte. Pis vous allez capoter. 

Quand chus née, le 20 octobre 1910, au chantier maritime Harland & Wolff de Belfast, j’étais le plusse gros pis le plusse luxueux paquebot océanique au monde. Côté grandeur, je torchais complètement ma plus proche rivale, le Mauretania, pis je bouffais quasiment la moitié moins de charbon. J’étais bourrée d’installations super fancys : en plus des restaurants, des salons pis des salles de lecture, j’avais un gym, une piscine, un terrain de squash, pis même des bains turcs! La grosse vie sale. Checkez-moé l’escalier!  

Contrairement à quequ’un qu’on connaît, j’ai faite mes quatre premiers voyages à New York sans problème. Partout où c’que j’passais, les quais étaient paquetés d’monde qui étaient là pour me voir!  

Mais là, à mon cinquième voyage… Quand chus partie, faisait beau, toute allait ben, pis là, y’a un épais qui m’a foncé dedans. 

J’essayais de sortir du Solent, un passage pas super large entre l’Angleterre pis l’île de Wight. C’est du trouble, passer là : y’a un maudit banc d’sable qui bloque le ch’min, pis faut virailler pour pas s’échouer dessus. 

C’est là qu’est arrivé le HMS Hawke, un croiseur d’l’armée britannique. Y s’en allait dans’même direction qu’moé, mais pour moé y’a pas allumé que j’virais pas s’un dix cennes. Ch’tais l’plus gros navire du monde, tsé! 

Pour faire une histoire courte, y s’est pas assez tassé pis BANG! Y m’a rentré dans l’côté à tribord. 

J’vous rassure tu’suite : parsonne a coulé pis parsonne est mort. 

Mais quand j’ai été armorquée au port, les autres bateaux étaient là : « Cibole, Olympic, qu’est-cé qui t’est arrivé là? »

Pis moé j’répondais : « Ha! Attends de voir l’autre gars! »

Ça, c’est des images de moé pis du Hawke après l’accident.   

Comme vous voyez, moé ch’tais pas si pire. Mais astie, le Hawke, y’avez-vous vu la face? Y’avait l’nez toute effoiré! Ch’tais crampée. 

Ouin, je l’sais que c’est pas fin d’rire du malheur des autres, mais tsé! C’tait un croiseur faite pour détruire les autres bateaux en leux fonçant d’dans! Y m’a yinque faite un p’tit trou pis lui y’était rendu tout plate! 

J’ai passé un p’tit boutte en cale sèche, mais deux mois plus tard, ch’tais arpartie. Pour me réparer, y’ont dû prendre des matériaux pis du monde qui devaient aller au Titanic, faique ça l’a artardé son premier voyage de trois semaines.

Vous connaissez l’histoire : le 15 avril 1912, ma p’tite soeur a coulé comme une roche dans l’océan Atlantique en emmenant 1 500 passagers avec elle par le fond. Ça s’rait-tu arrivé quand même si le Hawke m’avait jamais rentré d’dans? On l’saura jamais. 

Entécas, moé, ch’t’étais pas super loin de d’là, pis mon capitaine – le capitaine Haddock, sans joke – m’a proposée pour embarquer des rescapés, mais y m’ont dit non : ça a d’l’air que ça les aurait traumatisés de s’faire ramasser par un navire pareil comme lui qui v’nait juste de couler. Franchement. Quand tu viens d’avoir la chienne de ta vie dans l’eau frette, tu te sacres ben de quel bateau qui te ramasse. Messemble, entécas. 

Faique j’ai continué tout drette. 

Après la tragédie, mes propriétaires m’ont toute arrangée pour pas que la même affaire m’arrive – y m’ont ajouté des canots de sauvetage, entre autres. Y’ont aussi changé les plans de mon autre p’tite sœur, le Britannic, qui était après être bâtie.

Là, j’ai arpris la mer pis j’ai faite ma job ben peinarde pendant un boutte, mais ça a pas duré longtemps – la Première Guerre mondiale a commencé.  

Y m’ont peinturée en gris laitte pour que ch’soye plus dure à voir, pis pendant une couple de mois, j’ai surtout sarvi à faire travarser des Américains pognés en Europe.

Mais là, les asties d’sous-marins U-Boots allemands ont commencé à faire pas mal de marde. Les bateaux coulaient de tous bords tous côtés. C’tait rendu ben que trop dangereux pour les voyages commerciaux, faique mon boss m’a dit de faire un darnier aller-retour – j’allais être au chômage pour le temps d’la guerre. 

Donc ch’tais là, au quai, à m’pogner les bouées depuis au moins six mois quand j’me suis faite câller par l’armée britannique. Ouais monsieur! Y’avaient besoin d’moé pour transporter des soldats. 

Y’ont défaite mes beaux salons pour péteux d’broue pis y’ont toute changé ça en dortoirs pour les soldats pis en cabines pour les officiers. Avec ça, ch’tais bonne pour transporter 6 000 hommes! Ma bibliothèque est devenue un hôpital de 100 littes. Pis y m’ont mis des CANONS! Yaaaahhh! Heille là on jasait! 

Comme ma p’tite soeur, Britannic, était pas encore finie de construire, ben elle, y l’ont changée en navire-hôpital. A l’était-tu belle, un peu, dans son beau kit blanc de docteur! Ch’tais ben fière d’elle. 

Elle pis moé, on a été envoyées en Méditerranée. Mais là, c’est pas parce que ch’faisais yinque transporter des troupes que ça allait être pépère! 

Drette à mon premier voyage, dans’mer Égée, mon capitaine pis moé on a spotté des survivants d’un bateau français qui v’nait d’être coulé par un U-Boot. On s’est argardés, pis ça a été clair tu’suite : pas question d’passer tout drette sans les ramasser. 

Faique on s’est arrêtés. D’une zone bourrée d’sous-marins allemands. Pis tsé, à ma grosseur, on va l’dire, ch’tais pas toute à faite discrète. Mais au yâble le danger. 

Yinque comme on v’nait d’embarquer toutes les survivants à bord pis d’ardécoller full pine, j’ai vu un astie d’périscope. Mon capitaine m’a dit d’virer ben sec. L’sous-marin m’a tiré une torpille, pis a l’est passée dans l’beurre. Après ça, c’est moé qui a tiré du canon d’ssus; ch’sais pas si je l’ai pogné, mais entécas, on l’a pu arvu du voyage. 

Quand on est arvenus en Angleterre, l’Amirauté était pas contente, pis mon capitaine s’est faite chicaner. C’est clair que si l’sous-marin s’tait pointé juste un ti peu plusse de bonne heure pis m’avait pognée pendant que ch’tais arrêtée, y’aurait pu m’couler avec 6 000 hommes à bord. C’te coup-là, j’ai été pas mal mardeuse.  

Pis la France a donné la médaille d’honneur pour acte de courage et de dévouement à mon capitaine. Faique, dans leux dents. 

Ch’t’artournée plusieurs fois dans’Méditerranée, jusqu’à ce que les Alliés se rendent compte que le front des Dardanelles contre les Turcs était un astie d’chiard qui m’nait nulle part pis évacuent tout l’monde. 

Mais ça m’a pas pris grand temps pour me trouver une autre job. 

À ce moment-là, le Canada a embarqué dans’guerre. Faique, de 1916 à 1919, j’ai charroyé des soldats canadiens jusqu’en Europe, pis à partir de 1917, des soldats américains aussi.

Là, heille, ch’trippais : y m’ont mis encore plusse de canons, pis y m’ont donné une belle nouvelle couche de peinture super fâsheune. Checkez ça!   

Y’appelaient ça le « dazzle » – ça veut dire « éblouissant » en français. Pis ben quins, que ch’tais éblouissante! Astie, si ça avait été yinque de moé, ch’rais restée d’même toute le long de ma carrière. Les lignes pis les couleurs bizarres, c’était pour fourrer les sous-marins ennemis, pour qu’y sachent pas exactement où c’que chus pis où c’que j’m’en vas. 

Au début, l’Canada voulait absolument que ch’soye escortée par un convoi militaire. Mais moé, ch’tais là : Ben voyons donc! J’vas à 22 nœuds, pis leux bateaux vont juste à 12 nœuds. Ma meilleure chance pour éviter les U-Boots, c’tait de clancher le plus vite que ch’pouvais pis au yâble l’escorte. Finalement, j’ai pu faire mes voyages tu’seule. Pas l’temps d’niaiser!

Ch’faisais une travarsée aux trois s’maines, ch’tais toujours en temps, pis j’ai jamais eu d’avarie. Tellement qu’y ont fini par m’appeler « Old Reliable » – autrement dit, l’bon vieux bateau fiab’. Mais ma p’tite sœur, Britannic, a pas été aussi luckée que moé : le 2 novembre 1916, la pauvre chouette a passé s’une mine dans’mer Égée pis a l’a coulé. Des trois sœurs, y restait pu yinque moé.

Le matin du 12 mai 1918, ch’tais dans’Manche – pas la manche de ch’mise, là, mais l’bras d’mer entre la France pis l’Angleterre – quand j’ai spotté d’quoi quand même assez proche à ma proue tribord. Câlisse : c’tait un U-Boot, pis y’était assez proche pour me tirer une torpille!

Mon capitaine a pas pogné les nerfs pantoute. Ben calme, y m’a juste dit : « Olympic! Tourne… C’est beau… »

Là, le p’tit crisse de vlimeux d’sous-marin a essayé de m’passer en d’sour du nez en s’en allant en dedans d’mon virage! Faique mon captaine a dit : « BÂBORD TOUTE! »

J’ai tu’suite compris c’qu’y avait en arrière d’la tête. Faique j’ai viré comme j’ai jamais viré, mis l’gaz au boutte, pis BANG! J’y ai crissé ça dedans! 

Quins mon estie! Y’a même pas eu l’temps d’plonger : j’l’ai harponné, y’a glissé en d’sour de moé, pis mon hélice l’a ouvert comme une canne de bines Clark à midi tapant.  

Pis c’te fois-là, j’me suis pas arrêtée pour ramasser des survivants. 

(Faites-vous en pas, quand même : y’a un destroyer américain qui a r’pêché 31 Allemands qui avaient réussi à sortir d’leu maudit suppositoire des mers.)

Pas longtemps après, la guerre a fini. Après ça, ma job, ça a été de ramener les soldats chez eux. 

Heille, si vous aviez vu l’accueil, vous-autres! Toutes les autres bateaux dans l’port d’Halifax avaient leux drapeaux dins airs pis faisaient crier leu criard, les quais étaient paquetés d’monde qui criaient eux-autres avec; y’avait des orchestres qui jouaient, pis y’avait une grosse bannière écrit : « Bienvenue, Old Reliable ». 

Astie, scusez, là, j’viens les hublots trempes yinque de m’en rappeler! 

Faique là, j’allais être artransformée en paquebot pour péteux d’broue. Comme la guerre m’avais pas mal maganée, ça allait prendre pas mal d’huile de coude. 

Ah heille, pis vous savez pas quoi? Quand y m’ont mis en cale sèche, y se sont rendu compte que j’avais un trou dans mes bas – autrement dit, j’avais mangé une torpille sans m’en aparcevoir. Elle avait pas explosé pis j’l’avais même pas sentie! Allez savoir depuis combien de temps que j’me promenais d’même. 

J’vous l’avais-tu dit que ch’tais mardeuse?

Pour la décennie d’après, ch’t’artournée à mes moutons.  Ça a été des belles années. Ch’tais pas mal populaire : vu que j’étais pareille comme le Titanic – sauf que tsé, c’tait plutôt elle qui était pareille comme moé – l’monde étaient là : « Wouhou, c’est comme être su’l Titanic, mais sans l’mourrage! » 

Heille, pis ch’t’ai eu toutes que des passagers : Marie Curie, Charlie Chaplin, les acteurs Marie Pickford pis Douglas Fairbanks, pis même l’prince de Galles, tsé lui qui a abdiqué pour marier une Américaine divorcée à l’air bête pis qui a fricoté avec Hitler?

Y’a juste en 1924, là, j’arculais en sortant du port de New York pis y’a le Fort St. George, un autre navire de passagers pas mal plus p’tit qu’moé, qui s’en v’nait en malade sans r’garder, pis y m’a foncé dedans, BONG! Y’était tout scrap, pis moé j’ai pu faire ma travarsée comme si de rien n’était. Stie d’sans-génie! 

Après ça, y’a eu la Grande Dépression, pis l’monde se sont mis à voyager pas mal moins. J’avais la moitié d’mes passagers d’avant. En plus, ma compagnie, la White Star, a fusionné avec sa grosse rivale, la Cunard. La Cunard était ben pressée de lancer son nouveau paquebot, le Queen Mary. Faique y m’ont tassée. J’vois pas d’autre raison.

Je v’nais yinque d’être rénovée pis mes moteurs viraient mieux qu’jamais. Pourtant, après un dernier aller-r’tour en avril 1935, y m’ont mis à’retraite, pis y m’ont vendue pour le fer au premier du bord. Mon beau foyer en marbre pis mes meubles, mes portes pis mes boiseries ont été mis aux enchères. 

Juste de même, j’existais pu. 

Dans ma carrière, j’avais fait 257 aller-retours su l’Atlantique, transporté 430 000 passagers, voyagé 1,8 millions d’milles, faite la guerre pis foncé dans plein d’affaires, itou. J’argrette arien. Pis là, j’espère qu’après aujourd’hui, m’as être jusse un ti peu moins oubliée. 


Source : Mark Chirnside, RMS Olympic, Titanic’s Sister, 2nd Edition, 2015.

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