Molly l’Insubmersible – partie III

Partie I
Partie II

Justement, malgré toute, les passagers d’la chaloupe 6 arrivaient toujours pas à croire que l’Titanic allait couler. C’tait trop surréaliste. Marcel Béliveau allait sortir d’en arrière d’un iceberg avec une couple de caméras pis dire surprise sur prise.

Sauf que là, la réalité était su’l bord d’leu rentrer dedans s’un moyen temps.

Les lumières du navire étaient encore allumées. De loin, Maggie put voir du monde – beaucoup d’monde – sortir su’l pont tout d’un coup. C’tait les passagers de la troisième classe qui avaient attendu tranquillement en dedans qu’on leu dise quoi faire pis qui venaient de comprendre, enfin, qu’y étaient abandonnés à leu sort. Maggie entendit du criage, du braillage d’enfants pis même des coups de fusil. 

« Ben voyons, qu’est-cé qui se passe? Comment ça qu’y a encore des enfants à bord? se demanda Maggie avec une boule dans l’estomac. Y reste pu de chaloupes de sauvetage, coudonc? Y tirent pas su’l monde, toujours? »

Le Titanic avait l’air de plus en plus loin. Au début, les chaloupes de sauvetage étaient proches les unes des autres, mais fallait qu’y zigzaguent entre les bouttes d’icebergs qui flottaient un peu partout, pis là y s’perdaient d’vue dans l’noir. Chacune était devenue une p’tite île de vie dans l’néant. 

Tout d’un coup, l’major Peuchen arrêta de ramer. 

— Qu’est-cé qui se passe? demanda Maggie.
— Le navire, répondit Peuchen. Argardez.

Maggie arrêta de ramer aussi. Son bel habit en velours était déjà ben trempe, ses gants étaient mouillés bord en bord. Ses cheveux pis ses cils étaient pleins de frimas. 

Le Titanic avait l’nez complètement en d’sour de l’eau pis l’derrière levé vers le ciel, les hélices à l’air. 

Les centaines de personnes qui restaient à bord couraient su’l pont, le plus loin de l’eau possible, essayant d’artarder l’inévitable. 

Tout d’un coup, les câbles qui artenaient les cheminées géantes lâchèrent; une première cheminée tomba su’l monde, suivie d’une deuxième une minute après. 

Pis là, y’eut un grondement épouvantable. 

« Les chaudières! C’est les chaudières qui pètent! J’vous l’avais dit! » cria Hichens. 

Maggie se l’va d’boutte dans’chaloupe, les yeux fixés su’l Titanic, pas capable d’argarder ailleurs : 

« Mon Doux Seigneur. »

Le son qui suivit fut ben pire. Pas décrivable. Des tonnes de fer qui déchiraient tandis que le devant du navire coulait toujours plus creux pis le derrière montait toujours plus haut. 

CRRRRRAC! Le Titanic cassa en deux. 

Le derrière artomba lentement pis fit un flat gigantesque su’a surface de l’eau. Toutes les lumières s’éteignirent; y restait pu yinque les étoiles. L’orchestre jouait pu. À’place, y’avait juste une chorale de cris de terreur.

À c’te moment-là, le derrière du navire s’arleva dins airs une dernière fois au milieu des flots comme pour faire un dernier salut. 

Du point d’vue à Maggie, le Titanic avait l’air d’une grosse masse noire dressée en avant du firmament – genre le monolithe dans 2001, l’Odyssée de l’espace. L’océan s’mit à bouillonner, pis on aurait dit que des grands bras d’écume agrippaient l’navire pis l’tiraient vers le fond. En queques minutes, y resta pu rien à part des débris pis des centaines d’humains épouvantés, fragiles, abandonnés. 

Tout l’monde dans la chaloupe s’tait levé de son siège pour argarder. Personne parlait. Pis là, chacune des passagères réalisa la même affaire en même temps : les hommes qu’a l’avait laissés su’l pont avant de monter à bord d’la chaloupe venaient toutes de couler avec le navire. 

Ch’tais pas là, mais ch’fais yinque m’imaginer de perdre Mononc’Poêle de même pis ça m’coupe le souffle; le genre de choc qui t’rentre dans l’estomac pis qui s’répand dans tes veines.

Plusieurs avaient perdu leu mari; d’autres, leu père ou leu frère ou toute ça en même temps. Mme de Villiers criait le nom de son beau joueur de hockey; Maggie pensait aux amis qu’a s’tait faite pendant la traversée. 

—Faut qu’on artourne! dit Helen Candee.
— Ben oui! Faut r’virer d’bord, insista Miss Martin. Y reste plein de places dans la chaloupe, on peut sauver du monde!
— Non! cria Hichens, la face ben rouge. On sauve not’peau pis qu’y s’arrangent avec leux troubles. Si on artourne, avec toute le monde qu’y a dans l’eau, y vont nous faire chavirer! 
— On peut pas les laisser, voyons don! s’essaya Maggie, mais Hichens voulut rien savoir.
— Y’a pu rien pour nous autres là-bas à part d’la soupe aux macchabées. Là, aweille, ramez, maudit ciboire! Pis j’veux pu vous entendre!

Résignés, les passagers d’la chaloupe se rassirent pis s’armirent à ramer. Pendant deux heures, y ramèrent en chantant pis en s’encourageant. Maggie finit par donner chacune de ses sept paires de bas, sauf une, à d’autres madames pour les aider à s’tenir au chaud. A sentait quasiment pu sa face ni ses mains à cause du frette, mais à l’était tout trempe en nage de sueur; a savait que si a l’arrêtait de ramer, a mourrait gelée dans l’temps de l’dire. 

Pendant c’temps-là, Hichens continuait son sermon de curé d’l’apocalypse : 

« Pour moé on va dériver des jours de temps sans qu’personne vienne nous sauver. On a pas d’eau à boire, pas d’pain, pas d’boussole, pas d’carte. Si mettons y’avait une tempête qui se l’vait, on f’rait quoi? On s’rait faites à l’os. Moé j’dis, soit qu’on s’neille, soit qu’on meurt de faim. Ça peut pas finir autrement. »

À c’te moment-là, tout l’monde en avait plein son casse de l’entendre. Même Miss Martin, qui avait l’air d’une jeune femme polie pis ben élevée, échappa un p’tit sacre discret. 

— Farme don ta yeule, explosa Maggie. Si c’est d’même que tu penses, garde donc ça pour toé! Fais don un homme de toé, simonac! Que ch’sache, pour là, la mer est calme pis on n’est pas encore morts!
— On sait même pas dans quelle direction qu’on rame, répliqua Hichens. 
— On rame vers le nord, Monsieur, répondit Helen Candee, la p’tite bollée d’la chaloupe, en pointant la Grande Ourse. 

Hichens eut la décence de prendre son trou.

Une des passagères, Leila Meyer, sortit une tite flasque de brandy pis la passa à sa voisine de rame. 

— Heille, ch’peux-tu n’avoir, de t’ça, moé? demanda Hichens. Chus gelé! 
— Tu peux ben être gelé, tu rames même pas, marmonna Peuchen.
— Vous avez pas besoin de t’ça, répondit Leila en r’mettant la flasque dans son manteau. J’ai ben peur que vous la vidiez toute au complet!

Quand même, a pris la couverte qu’a l’avait pis la mit autour des épaules du quartier-maître. Une autre madame fit pareil. 

— Quins, là vous avez plus de couvertes que nous autres.
— Si tu ramais, t’aurais ben moins frette, dit Peuchen.
— Pis toé, si tu ramais pas comme un piochon qui sait pas c’qui fait, la chaloupe irait plus vite, répliqua Hichens. 

Le temps continuait d’passer. Malgré l’immensité autour de Maggie, son univers était ben p’tit : rame, rame pis rame. Peuchen disait l’heure une fois de temps en temps, mais y s’fit dire d’arrêter; c’tait mieux de pas savoir. Un m’ment’né, une madame perdit connaissance pis personne fut capable d’la ranimer.

Là, une mince ligne grise apparut à l’horizon. L’aube. 

Une autre chaloupe de sauvetage, la numéro 16, apparut pas loin, pis celle-là était pas mal pleine. 

D’autre monde en vie! Ça faisait du bien à voir en sapristi! 

« Heille! On va s’attacher ensemble, ok? cria Hichens à l’autre chaloupe. Lancez-nous une corde! »

Y’avait un monsieur assis à’proue d’la numéro 16. Y portrait yinque un pyjama blanc pis ses ch’feux étaient couverts de frimas. On aurait pu l’prendre pour une statue d’glace si y’avait pas été après claquer des dents comme si y’envoyait un message en code morse. 

Voyant l’état du monsieur, Maggie lui cria : 

« Allez, mettez-vous à ramer! Ça va vous faire circuler l’sang! »

Hichens était pas content que quequ’un parle par-dessus lui :

« Toé, ferme-la pis laisse-moé travailler! Vous autres! Lancez-moé une corde! »

Une corde atterrit aux pieds du quartier-maître, qui attacha rapidement les deux chaloupes ensemble. 

« Bon, à c’t’heure lâchez vos rames, on s’arpose. »

Personne se fit prier. 

Maggie argarda les faces blêmes dans la chaloupe 16. Tout l’monde était abattu, brûlé raide. 

Dans la lumière falote de l’aube, l’horreur d’la situation était encore plus évidente : y’étaient carrément dans un champ d’icebergs. Y’en avait dans toutes les directions, à perte de vue, des pointus pis des plates, des gros comme des chars pis des immenses comme des navires.

Qui viendrait les chercher dans une place de même? C’tait ben que trop dangereux.

Tout d’un coup, une bourrasque de vent frette cogna les deux chaloupes ensemble. 

— Si j’reste assis icitte une minute de plus, m’as mourir de frette, lança Helen Candee. 
— Ouais, faut qu’on rame, c’est notre seule chance de pas geler dur, dit une autre madame.
— C’est moé qui décide quand est-ce qu’on rame, pas vous autres, rétorqua Hichens. 

Pis là, y dit : 

« On va pas vite vite, on a pas d’hommes qui rament dans not’chaloupe, pis vous autres, vous n’avez plein. »

Faique y demanda au monsieur en pyjama d’y envoyer un homme. Un gars tout graissé de suie – c’tait un de ceux qui chauffaient la chaudière à bord du Titanic – passa d’une chaloupe à l’autre. Y’était greyé pour faire sa job à’chaleur, les mollets à l’air, pas pour passer des heures au frette. Quand y s’assit pour ramer, Maggie y’enroula son étole en hermine autour des jambes.

— Bon, là, détachez-nous, demanda Maggie au bonhomme en pyjama.
— C’est MOÉ qui décide quand est-ce qu’on s’détache, c’tu clair? cracha Hichens en plein power trip. Si on fait ça, j’risque de passer par-dessus bord!
— M’as te crisser à l’eau moi-même, gronda Maggie en se l’vant d’boutte, menaçante comme une maman ours.

Hichens arcula, pas sûr que les chances étaient d’son bord dans c’te combat-là. 

Miss Martin mit une main su l’épaule à Maggie : 

— Faites pas ça, pour moé juste l’approcher y va tomber tout seul. 
— Veux-tu ben t’assire! geignit Hichens; sa voix sonnait fragile pis clairette, comme une corde ben tendue su’l bord de péter. Si la chaloupe brasse, on risque de toutes crisser l’camp à l’eau! Laisse-moé don faire ma job pis prend don ton trou, maudite marde!
— Heille! s’indigna le chauffeur de chaudière à qui Maggie avait donné son étole. On parle pas d’même à une madame! 
— C’est moé qui commande icitte, pis j’y parlerai ben comme j’voudrai, à elle! 

Le monsieur gelé en pyjama s’crissait ben de qui commandait la chaloupe 6. Y détacha les embarcations, qui s’mirent à s’éloigner l’une de l’autre. 

Maggie se rassit pis r’pogna sa rame. C’qui avait de bon à être pompée d’même, c’est que ça faisait oublier l’frette. 

« Bon, là, ramez! Ramez, sinon on va toutes geler! »

Tout l’monde s’armit à l’ouvrage, mais y’avait une limite à c’que les tites chansons d’encouragement pis les « let’s go les filles » pouvaient faire. Si l’aide arrivait pas au plus maudit, les passagers d’la chaloupe allaient figer pour de bon.

Pis là, Miss Martin s’exclama : 

— Argardez là-bas! On dirait un éclair!
— C’est yinque une étoile filante, c’est rien, répondit Hichens, le boute-en-train de l’Atlantique nord.
— C’est l’soleil qui s’arflète s’un boutte de glace, proposa une autre madame. 
— Non, c’t’un bateau! cria une autre. 

Pis, ben oui! Une autre lumière apparut, pis une autre, trop ben alignées pour que ça soye naturel. C’tait l’pont d’un gros navire transatlantique qui s’dessinait à l’horizon! 

« Pour moé c’est l’Carpathia, dit Fred Fleet, la vigie. C’tait lui qui était l’plus proche de nous autres. »

Maggie fit l’saut : le jeune homme avait pas parlé pantoute depuis qu’y était embarqué dans’chaloupe.

— Est-ce qu’y va venir nous chercher? demanda Miss Martin. 
— Ohhhh non ma p’tite madame, répondit Hichens, qui s’rait jamais élu président du club Optimiste. Yé pas là pour nous sauver; yé là pour ramasser les cadavres. 
— Ben non! dit le chauffeur. C’t’un bon bateau! Y va nous aider, c’est sûr! 

Rendu là, pu personne écoutait c’te vieille corneille défaitiste de Hichens. Plus crinqués que jamais, les rameurs ardoublèrent d’ardeur pour arjoindre le Carpathia

C’tait pas gagné, parzempe. La houle allait en empirant, pis Maggie s’dit que ça prendrait yinque une vague un peu forte pour les renverser. 

Les autres chaloupes aussi s’dirigeaient tant ben qu’mal vers leu meilleure – leu z’unique! – chance de survie.

« Sont quasiment vides, pensa Maggie. Sont toutes tellement vides! »

La chaloupe 6 essaya d’accoster l’Carpathia, mais par trois fois a l’arbondit, bonk! d’mandant encore un ti effort de plus aux braves madames pis au chauffeur. Finalement, la chaloupe réussit à s’glisser le long d’la coque du gros navire. 

Maggie l’va les yeux : su’l pont, a voyait les têtes des membres d’équipage pis des passagers ouéreux. 

Les marins du Carphathia firent descendre des cordes pour faire une espèce de siège de balancine qui allait servir à faire monter les gens un par un. Hichens passa en dernier. 

À bord, les queque 700 rescapés furent accueillis avec des couvertes de laine pis du café chaud – ahh, ça dut les toucher drette dans l’âme, c’te tasse de brun-là! On se s’rait p’t-être attendu à c’qu’y sautent pis qu’y pleurent de joie, que l’party pogne su’l pont, mais non. Y régnait un drôle de silence, un genre de calme irréel dans l’quel les miraculés flottaient comme des fantômes, sans avoir l’énergie pour s’réjouir d’être en vie. Y pouvaient juste argarder autour d’eux autres dans l’mince espoir de trouver une face qui leu disait d’quoi. 

Maggie était aussi à boutte que les autres, mais vous l’savez ben : c’te femme-là était pas capable de rester assise deux minutes. Fallait qu’a s’occupe, fallait qu’a l’aide. Faique a mit tout de suite ses talents d’organisatrice à l’ouvrage. 

A l’alla chercher des brosses à dents, des peignes pis d’autres produits de toilette chez le barbier du Carpathia pis ramassa du linge donné par les passagers, pis distribua tout ça aux rescapés. 

Là, c’tait un ti peu l’chaos social : les survivants de toutes les classes sociales étaient tous mélangés ensemble, horreur! Quand Maggie voulut aller réconforter des femmes d’la deuxième classe, le docteur du navire essaya de l’arrêter : 

— Ah, vous êtes vraiment pas obligée de faire ça! Y’ont des couvertes, là, sont correctes! 
— Pfff! Ça prend plus que des couvertes pour soigner les âmes en peine! répliqua Maggie.

Surtout que, tsé, Maggie avait pas oublié d’où qu’a venait. 

Au-delà des besoins immédiats, Maggie pensa à une autre affaire : l’monde des deuxième pis troisième classes, là, y’avaient carrément toute perdu. Y’en avait une bonne gang là-dedans qui étaient des immigrants qui s’en venaient en Amérique pour se bâtir une nouvelle vie en emportant toute leu stock, pis là, y’avaient pu rien. En plus, si y pouvaient pas prouver qu’y avaient les moyens de s’établir aux États-Unis, l’immigration risquait de les renvoyer dans leu pays. 

Faique, comme a savait si bien l’faire, a forma un comité de madames de la première classe, avec une couple de monsieurs aussi, pour aider ces gens-là. Quand l’Carpathia arriva au port de New York, le comité avait ramassé 15 000 piasses – quasiment 486 000 en dollars d’aujourd’hui.  

Y’avait aussi les femmes pis les enfants qui se ramassaient tu’seuls, sans savoir comment trouver le mononcle, la matante, le cousin ou l’amie qui les attendaient su’l quai. Pour eux autres, Maggie fit une liste de noms pis la donna aux autorités. A s’assura aussi qu’y soyent escortés en sortant du bateau pour pas qu’y s’artrouvent vulnérables comme des tites souris dans la Grosse Pomme.

Après avoir débarqué du bateau, averti sa famille qu’a l’allait ben, s’être informée de l’état d’santé d’son p’tit fils – c’est pour lui qu’a l’avait traversé l’Atlantique, j’vous rappelle – pis s’être installée au Ritz Carlton, Maggie continua de ramasser les dons qui arrivaient des quatre coins des États-Unis pis des autres pays.

Un mois et demi plus tard, Maggie participa à une cérémonie pis armit des médailles à toutes les membres d’équipage du Carpathia.

Maggie avec le capitaine du Carpathia, Arthur Henry Rostron

Pis la vie à Maggie, après l’Titanic? J’veux pas que c’t’histoire-là s’transforme en liste comme su Wikipédia, faique j’dirai pas toute. Entécas, au moins une affaire : en 1914, a s’porta candidate pour devenir sénatrice du Colorado, mais a l’arrêta sa campagne à cause d’la Première Guerre mondiale pis d’dvint directrice du Comité américain pour les régions dévastées de France. Ça résume ben la femme qu’a l’était, ch’pense.

Faique pour en r’venir à la jeune fille dont j’vous parlais au début, qui a r’gardé l’film Titanic, qui a accroché ben raide su’l personnage à Molly Brown, pis sans qui on s’rait pas icitte à en parler… Si j’étais sa maman, là, ch’srais fière en maudit. 


Source : Iversen, Kristen, Molly Brown: Unraveling the Myth, 3e édition. 2018. Johnson Books.

Molly l’Insubmersible – partie II

Partie I

Maggie était ben pressée d’arriver aux États. A l’avait décidé d’arvenir en catastrophe parce son p’tit-fils, le bébé à son garçon Lawrence, était malade.

Le soir du 14 avril 1912, au quatrième jour d’la traversée, Maggie lisait tranquillement dans sa cabine. Pis là, y’eut un genre de coup su’l navire, assez fort pour la faire tomber à terre. 

Maggie n’avait vu d’autres, on s’entend. Des bateaux, a n’avait pris en masse pis a l’avait déjà essuyé ben des tempêtes. C’te brassage-là, ça la stressait pas ben ben. Quand même, après s’être arlevée, a décida d’aller sentir dans l’passage.

C’tait plein d’monsieurs en pyjama pis d’madames en robe de chambre qui se d’mandaient c’tait quoi, c’te coup-là, mais personne paniquait. Ça faisait des tites blagues :

« Heille Melville, ça nage-tu ben, en pantoufes, tu penses? »

Comme toute avait l’air beau, Maggie se réinstalla pour lire. A remarqua quand même que les moteurs tournaient pu.

L’autre bord du mur, a l’entendit quequ’un dire : 

« M’as aller su’l pont voir c’qui s’passe. » 

Pas longtemps après, a vit que quequ’un faisait bouger le tit rideau en avant d’la vitre de sa porte. Pis là, a vit la face d’un monsieur toute pâle, les yeux sortis d’la tête, comme si y’arvenait du party chez Rose Latulippe. D’une voix étranglée, y lâcha :

« Mettez votre gilet de sauvetage… » 

Bon. Clairement, toute était pas beau. 

Encore ben calme, Maggie se l’va pis posa son livre : c’tait le temps de se préparer à sortir su’l pont. 

A mit c’qu’a l’avait de plus chaud – un costume tailleur deux pièces en velours noir. Pis en d’sour, a l’enfila sept paires de bas d’laine une par-dessus l’autre. A s’enroula une étole en hermine autour du cou pis finit son look avec un capot en soie. 

Là, a l’eut une pensée pour toutes ses choses préférées qu’a perdrait si l’bateau coulait – toute son linge, ses livres… Ah, pis d’la marde. A ramassa 500 piasses dans son coffre-fort, mit son gilet de sauvetage, prit la couverte de laine su son lit pis sortit dans l’passage. 

A tomba sur un steward qui y dit ben poliment : 

— Bonsoir, Madame Brown. Chus ben désolé du désagrément, mais l’capitaine demande à tout l’monde d’aller su’l pont.
— Chus prête. 

Dehors, la nuitte était fraîche pis paisible. L’océan était calme. Les étoiles brillaient. Mais y’a d’quoi qui scrappait l’ambiance pas mal : comme les moteurs étaient arrêtés, la vapeur qui s’accumulait dins chaudières sortait par les soupapes de sûreté en menant un train d’enfer. 

« Cibole, on s’entend même pas parler », pensa Maggie. 

Là, faut qu’on s’dise une affaire. Quand on pense au naufrage du Titanic, on imagine le bordel total, la glace qui r’vole, l’eau qui monte, les chaises qui flottent dins corridors, les officiers qui tirent du fusil pour arpousser l’monde en panique, les passagers de la troisième classe pognés dans l’fond du navire en arrière des portes barrées… 

Mais c’tait pas vraiment ça, entécas pas au début. Personne croyait vraiment que l’navire allait couler. 

Pis les passagers de troisième classe, on va régler c’te question-là, y’étaient pas « embarrés » par exprès dans l’fond du bateau par des officiers qui riaient comme des méchants dins vues de Disney en s’tortillant l’boutte d’la moustache. Oui, y’étaient séparés des autres classes à cause des lois su l’immigration, mais y’avaient accès au dehors. Y pouvaient sortir su’l pont. C’est juste que su leu section du pont… Y’avait pas de chaloupes de sauvetage. Oupelaï.

Maggie argardait les matelots fucker l’chien après les câbles pour faire descendre les chaloupes de sauvetage – on leu z’avait laissé l’temps de s’pratiquer avec ça. À les voir aller, c’tait évident que l’heure était pas aux potins pis aux croissants Pillsbury. Le bruit avait même commencé à courir que l’navire s’tait faite rentrer dedans par un iceberg. Mais les officiers continuaient de dire que les chaloupes, c’tait yinque une précaution, qu’y avait pas lieu de capoter. 

Les passagers, y’en avait des ben relaxes, pis d’autres qui bougonnaient parce qu’y s’taient faite sortir du litte. Les monsieurs expliquaient aux madames qu’avec ses fameux compartiments étanches, c’tait impossible que le Titanic coule, voyons, ma chère! 

Maggie entendit Thomas McCawley, l’instructeur de culture physique du Titanic, lâcher : 

« Ah non. Moé, j’mets pas de gilet de sauvetage. Ça va yinque me ralentir pour nager. »

Ch’sais pas où c’qu’y pensait aller, lui-là, dans l’eau à -2 degrés; y’a pas survécu au naufrage, en passant. 

Maggie le savait pas, mais entre-temps, l’architecte du Titanic, Thomas Andrews, était descendu dans l’fond du bateau pour voir l’état des lieux. En armontant, y’était tellement blême qu’y avait l’air de s’être passé la face à l’eau de Javel. Queques minutes après, l’ordre d’évacuer les femmes pis les enfants était donné. 

Charles Lightoller, deuxième officier du Titanic, commençait à faire embarquer l’monde dins chaloupes du côté bâbord, mais y n’arrachait. Y’avait beau crier, faire tou’és temps, y s’faisait enterrer par le PSHHHHHHHHHH d’la vapeur. À force de sparages, y réussit à faire monter queques madames à bord d’la chaloupe 4, mais y’arrivait pas à la remplir : personne avait l’air de prendre la situation au sérieux. 

« Yinque les femmes pis les enfants! Icitte! Tu’suite! »

Mais les femmes arfusaient de s’avancer parce qu’y voulaient pas se séparer d’leu mari. Pis je les comprends. Ça, c’est mon grain de sel de Matante, mais m’semble que séparer les familles, c’est cave pis cruel.

Maggie elle-même était pas pressée d’embarquer dans une chaloupe de sauvetage. A r’gardait aller les affaires comme on ouère les ambulanciers qui ramassent quequ’un su’l coin d’la rue, sans se sentir trop concernée. 

C’est là qu’arsoudit Mme de Villiers. Elle, c’tait une chanteuse de cabaret belge qui était tombée en amour avec un joueur de hockey des Shamrocks de Montréal. En faite, a s’appelait Berthe Mayné, mais a suivait son homme au Canada sous un faux nom pour pas que sa mère à lui – qui était à bord aussi! – s’aperçoive qu’y traînait sa maîtresse dans ses bagages. Croustillant.

Maggie la connaissait un peu, vu qu’a l’avait jasé avec elle dins salons de première classe. A la vit arriver avec un air d’autruche égarée, en jaquette courte pis en pantoufles, les pattes à l’air, avec un long manteau ouvert – pas pantoute greyée pour le frette. 

Berthe Mayné, alias Mme de Villiers.

« AWEILLE DANS’CHALOUPE! » beugla Lightoller, drette comme la vapeur arrêtait de sortir des soupapes de sûreté. Là, y’avait pu d’misère à s’faire entendre. 

— Non! brailla Mme De Villiers. Faut que j’artourne dans ma cabine!
— Embarquez dans’chaloupe, Madame, fit Maggie en y pognant l’bras. Faites c’que l’officier vous dit. 
— Mais! Mon argent pis mes bijoux? J’ai même pas barré ma porte!
— Votre steward va la barrer, votre porte. C’est yinque une précaution. Vous allez pouvoir arvenir su’l bateau dans pas long. 
— Non! cria la madame tandis que Maggie la tirait vers Lightoller. 
— Toute va être beau, ma belle! Aweille, viens-t’en…
— DANS’CHALOUPE, J’AI DIT! grogna Lightoller en pointant la chaloupe 6, qui avait été descendue tout croche, quatre pieds plus bas que le pont.

Mme de Villiers finit par monter à bord en chignant, manquant de s’enfarger pis d’enfiler cul par-dessus tête dans l’fond d’la chaloupe. Maggie la suivit pas; a se sentait plus en sécurité su’l bateau. Tsé, l’orchestre du navire s’tait mis à jouer su’l pont! Ça devait pas aller tant mal que ça?

Pas longtemps après, la première fusée de détresse fut lancée dans l’ciel étoilé, pis une autre cinq minutes plus tard. 

Là, les choses commencèrent à s’corser. 

Une gang de gars toutes graissés de suie arsoudirent su’l pont. Des gars qui v’naient clairement du fond du navire pis qui savaient c’qui était en train de se passer. Y’étaient une bonne centaine pis y dégageaient tellement de chaleur qu’y faisaient d’la boucane dans l’air glacial. 

« Les hommes qui s’occupent des chaudières à vapeur, pour moé », se dit Maggie. 

Y s’avancèrent pour embarquer dans les chaloupes de sauvetage, mais un officier leu cria : 

« HEILLE! ARTOURNEZ EN BAS! SCRAM! » 

Y’arvirèrent toutes de bord pis rentrèrent dans l’bateau ensemble, synchronisés comme des soldats. 

« Y’ont sûrement des chaloupes de sauvetage exprès pour eux autres », supposa Maggie. 

Mais non, y’en avait pas. À peine le quart de ces gars-là allaient survivre au naufrage. 

Lightoller avait fini de niaiser. Y’en était rendu à pogner des madames sans leu demander leu z’avis pis à les garrocher dans la chaloupe 6. 

Y fit ça entre autres à Helen Churchill Candee, autrice de plusieurs livres, dont le ben choquant pour l’époque Comment les femmes peuvent gagner leu vie. Lightoller la ramassa pis a tomba drette su les longues rames dans l’fond d’la chaloupe. A s’cassa une cheville, mais a dit pas un mot de t’ça à personne. 

Helen Churchill Candee

Pis là, deux gars pognèrent Maggie à bras-le-corps pis l’envoyèrent arvoler dans’chaloupe 6 qui commençait à descendre vers l’incertitude humide pis l’frette de l’océan. 

« Toé’ssi, tu y vas! »

La chaloupe brassait tandis que Maggie essayait de s’installer comme a pouvait. Y’avait d’la place pour 65 personnes, mais y’en avait juste 23 à bord, toutes des femmes sauf quatre : Robert Hichens, quartier-maître, le responsable d’la chaloupe; Fred Fleet, la vigie qui avait aperçu l’iceberg pis donné l’alerte; le major Arthur Peuchen, que Lightoller avait laissé embarquer à cause de ses compétences de marin; pis Fahim al-Za’inni, un passager de troisième classe qui avait réussi à sauter à bord pendant que Lightoller argardait pas pis qui s’cachait en d’sour d’un banc.

« ON PENCHE! » cria Helen Candee. 

Le devant de la chaloupe était vraiment plus bas que l’derrière, pis Maggie s’cramponna, convaincue qu’a l’allait tomber dans l’eau glacée. 

Les matelots en haut gossèrent après les cordes qui artenaient la chaloupe, pis là, flâwk, c’tait le derrière qui était plus haut que le devant. 

« L’AUTRE BORD! L’AUTRE BORD! » fit Helen.

À force de taponner, les matelots finirent par ramener la chaloupe drette, mais a l’était rendue vis-à-vis d’un hublot d’où l’eau sortait comme d’une borne-fontaine, menaçant de remplir la chaloupe avant même qu’a touche la surface. 

Maggie ramassa une rame pis essaya de pousser avec contre la coque du navire pour écarter la chaloupe. 

Pis PLOUF, la chaloupe tomba à l’eau. A passa proche de chavirer, mais a finit par s’armettre drette. Pis tout d’un coup, toute était noir pis calme. Y’avait juste les lumières du navire, le criage sur les ponts pis la musique de l’orchestre, loin, loin en haut.

— On n’a pas d’temps à pardre, cria Hichens. C’te bateau-là va couler! 
— Not’bateau? lâcha une madame, épeurée.
— Ben non, le GROS bateau, ciboire! 

Hichens s’installa à la barre. Maggie voyait yinque sa silhouette, mais ça paraissait qu’y tremblait comme une feuille.  

Robert Hichens

Y gueula : 

« Là, faut ramer! Ramez l’plus fort que vous pouvez! Faut s’éloigner au plus crisse, pour pas que l’navire nous emmène avec lui! »

Maggie pis les autres pognèrent des rames pis les installèrent, s’assirent su leu banc, s’accotèrent les pieds dans l’fond d’la chaloupe pis s’mirent à tirer de toutes leux forces. 

La chaloupe commença à bouger. 

— Ramez, ramez, ramez! »  cria Maggie.  
— Plus fort, aweille, plus fort! fit Hichens. Sinon on y’arrivera pas! L’bateau est tellement gros que quand y va couler, y va toute entraîner avec lui su des milles! »

Des milles, c’tait un peu exagéré. Mais c’tait quand même une excellente idée de décrisser de d’là. 

« Allez, ma fille, rame comme un galérien au boutte du fouette! » dit Maggie pour encourager une p’tite demoiselle feluette qui était déjà tout essoufflée à côté d’elle. 

Toutes les madames dans la chaloupe ramaient comme des diablesses. Maggie arsentit une bouffée d’espoir : y’allaient s’en sortir! 

« Plus vite, simonac, plus vite! continua Hichens. Si on enfile pas avec le bateau, quand les chaudières vont avoir coulé, y vont exploser pis déchiqueter l’fond d’la mer, les icebergs vont arvoler en morceaux pis on va toutes mourir! »

Un vrai rayon d’soleil, c’te Hichens-là. 

Soudain, y’eut un coup d’sifflet venant du Titanic

— STOP! ordonna Hichens. C’tait un appel d’officier. Messemble que j’ai entendu l’capitaine dire d’arvenir au bateau.
— J’ai rien entendu, moé, dit la voisine de banc à Maggie, une certaine Miss Martin. 
— CHUT! 

Hichens écouta queques instants. 

— Faut qu’on artourne, dit l’quartier-maître. On arvire de bord!
— J’ai entendu l’capitaine avant d’partir : ses ordres, c’tait de s’éloigner du navire pis de garder les chaloupes ensemble le plus possible, répondit Helen Candee su’l ton égal pis purement rationnel d’une maman qui explique à son flo de deux ans en crise que non, y peut pas manger une batterie deux A pour déjeuner. 

Ç’a eut l’air de boucher un coin à Hichens; y s’tint en silence une minute, rongé bord en bord par l’indécision. 

Maggie avait des envies de meurtre : 

« Aweille, aweille, maudit crisse, pensa-t-elle. Branche-toé, maudit branleux! Ch’peux pas crère que ma vie dépend de c’te taouin-là! »

Pis enfin, l’quartier-maître se brancha :

« Ouin. Non. Ok. On va ramer pis on va s’éloigner. »

Dès que les rames eurent arplongé dans l’eau, Hichens s’mit à gueuler avec l’intensité d’un curé dans sa chaire qui essaye de motiver ses ouailles à coups d’visions de l’enfer (pour ça, on va l’dire, y manquait pas de talent) : 

— Plus vite, plus vite, plus vite! Si vous ramez pas plus vite, on va toutes couler à notre mort!
— Ça irait pas mieux, demanda l’major Peuchen – le monsieur qui avait des compétences de marin – si vous preniez une rame pis que vous laissiez une des femmes s’occuper d’la barre? Ça serait pas trop difficile, la mer est ben calme. 
— Toé, tu rames, pis moé ch’commande la chaloupe, c’tu clair? rétorqua Hichens. J’veux que tout l’monde icitte rame de toutes ses forces! 

Une dernière fusée de détresse fut lancée, pis Maggie put voir que le Titanic commençait à s’enfoncer pas mal; la proue allait être submergée ben vite. 

« Quequ’un va v’nir sous chercher, c’est sûr, dit quequ’un à bord d’la chaloupe. Y’a un autre bateau qui va arriver pour nous sauver, ch’peux pas crère! »

Partie III


Source : Iversen, Kristen, Molly Brown: Unraveling the Myth, 3e édition. 2018. Johnson Books.

Molly l’Insubmersible – partie I

Moé, ch’connais une jeune fille allumée qui aime ben lire mes écrivaillages. 

Pis l’autre jour, c’te jeune fille-là a découvert la vue Titanic, qui est sortie ben avant qu’a naisse. 

Comme ben d’autres, a l’aurait pu accrocher su’l beau jeune Léonardo, qui à c’t’époque-là pouvait pas encore avoir une blonde de la moitié de son âge, comme y fait à c’t’heure, sans enfreindre le Code criminel

A l’aurait pu s’mettre à la place de Rose pis pousser des gros soupirs en s’imaginant dans une histoire d’amour impossible avec des belles robes.

Mais non, vous autres. 

A l’a accroché su quequ’un d’autre complètement : Molly Brown, le personnage joué par Kathy Bates – qui, en passant, a rien à voir avec la méchante dans Misery. Pis vous savez quoi? Ça m’donne espoir en l’humanité.

Molly Brown, c’tait une riche Américaine qui a vraiment existé pis qui a hérité du surnom « l’Insubmersible » après avoir survécu au naufrage du Titanic.  

Dans l’film, on la voit prendre Jack en d’sour de son aile pis le préparer à souper avec les péteux d’première classe. Ça, c’t’inventé, ben sûr. 

Mais c’qu’on voit après, parzempe, c’est vrai : pendant l’naufrage, a tient tête à c’t’insignifiant de quartier-maître Robert Hichens, le commandant de sa chaloupe de sauvetage; au lieu d’aider à ramer pis d’artourner chercher d’autres survivants, même si la chaloupe est à moitié vide, y fait yinque lirer pis décourager tout l’monde. 

Ch’comprends que c’est pas le film à Molly, faique y passent pas trop de temps là-dessus. Mais c’est tellement plus intéressant, comment ça s’est passé en vrai!

Pis on va y r’venir. 

Avant, j’veux vous conter l’histoire de Molly Brown depuis l’début, pour ben vous expliquer de quel bois qu’a l’était faite, c’te femme-là. En cèdre ou en pin, un bois qui flotte ben, clairement. Entécas, vous allez comprendre pourquoi chus si contente que la jeune fille ait autant accroché su elle. 

La vraie Molly (Maggie) Brown.

Molly est née en 1867, pis son vrai nom, c’tait Margaret, alias Maggie. C’est ben après sa mort, quand son histoire a été romancée dans des livres pis des vues, qu’a s’est faite arbaptiser Molly. Parce que ça sonnait mieux Molly Brown que Maggie Brown? Fouillez-moé. Entécas, pour la suite, on va l’appeler Maggie. 

A l’était la fille à John Tobin pis Johanna Collins, des immigrants irlandais qui s’taient installés à Hannibal, au Missouri. 

John était journalier, pis fallait qu’y fasse des grosses journées pour faire vivre sa femme pis ses six enfants. Le budget était serré en titi à’fin du mois. Autrement dit, Maggie était pas une floune de riche qui a eu toute tout cuit dans le bec avec une cuiller d’argent.

Y’a une affaire, par’zempe : à une époque où l’école était pas encore obligatoire, Johanna avait ben gros insisté pour que ses enfants aient l’instruction qu’a l’avait jamais eue. Faique Maggie pis ses frères et sœurs, au lieu d’aller travailler ben jeunes pour ramener d’l’argent à’maison, purent toutes aller à l’école jusqu’à l’âge de 13 ans. 

Méchant luxe. Dire qu’à c’t’heure, ça fait l’bacon parce que t’as changé l’code du Wi-Fi.

Si l’éducation avait été un plat d’fromage cottage, Maggie l’aurait vidé jusqu’à la dernière tite crotte dans l’fond pis s’rait allée chez Metro s’en racheter un autre pis un autre, parce que l’éducation, ça finit jamais. C’tait une fille affamée de savoir, qui lisait toute c’qui y tombait sou’a main, pis si ses parents avaient eu les moyens, a l’aurait ben continué l’école jusqu’à l’université. 

Malheureusement, fallait ben faire vivre la famille, faique a l’eut pas le choix de commencer à travailler dans une usine de tabac, à préparer les feuilles. C’tait une des seules jobs que les jeunes filles pouvaient faire dans l’boutte d’Hannibal, pour même pas une piasse et demie par jour. En plus, c’tait plate pis toffe – le genre de job qui te ratatine la cervelle pis t’effoire les espoirs. 

Faique vous vous imaginez ben que, quand a l’eut l’occasion de suivre sa sœur plus vieille qui déménageait au Colorado avec son mari flambant neu, a s’fit pas prier pantoute. 

À 18 ans, Maggie s’ramassa donc à Leadville, une ville minière à l’ambiance de Far-West qui poussait comme un vrai champignon. C’tait une place où les fortunes se faisaient du jour au lendemain. 

A l’alla travailler chez Daniels, Fischer & Smith, un genre de Fabricville de l’époque, dans l’département des tapis pis des rideaux. 

Pis pendant c’temps-là, a gardait l’œil ouvert. 

Voyez-vous, Maggie avait un rêve. A l’avait vu son père faire des journées d’beu à’job pis arriver à’maison l’soir tellement brûlé qu’y pouvait même pas profiter d’la vie : y soupait pis y tombait dans son litte comme une roche yinque pour se réveiller le lendemain pis toute arcommencer, jour après jour. C’qu’a voulait, c’tait devenir assez riche pour que son père aye pu besoin de travailler, enfin. Pis pour ça, ça y prenait un mari avec les poches pleines. 

Vous pouvez ben penser c’que vous voulez de t’ça, traiter Maggie d’profiteuse, de croqueuse de diamants pis toute le kit, mais rappelez-vous que, dans l’temps, les femmes étaient pas mal obligées de s’marier pour avancer dans’vie. On les laissait pas faire autre chose, simonac! 

Alors, Maggie était ben décidée à pêcher l’plus gros poisson possible. 

Sauf que, c’est ben maudit, hein! De quoi de ben malcommode allait s’mettre au travers de ses beaux plans : le torpinouche d’amour. 

Un bon dimanche, à un pique-nique organisé par l’Église catholique, Maggie rencontra James Joseph Brown, alias J.J.

Enfant d’immigrants irlandais comme Maggie, J.J. avait 13 ans de plus qu’elle pis y’était chef de quart à’mine Maid and Henriette – une job stable, même si le salaire était pas à s’tirer dins murs.

Y cochait pas la case la plus importante pour Maggie, mais tsé! Y’était tellement charmant! Un beau grand gars avenant qui avait plein d’amis pis une réputation Spic-and-Span, le genre que tu pouvais présenter à tes parents en sachant que l’curé y donnerait l’Bon Dieu sans confession. Y’avait l’œil clair pis une bonne tête su’és épaules. Comme Maggie, y’aimait aller au théâtre pis danser. 

Faique Maggie craqua : quand y l’invita à sortir, a dit oui. 

A s’laissa désirer un ti-peu, par’zempe : selon la légende, quand y s’pointa chez elle dans une vieille carriole poquée avec yinque un ch’fal, y s’fit arvirer d’bord : pas question que Maggie embarque dans sa réguine. Quand y’arvint le lendemain dans une belle voiture à deux ch’faux flambette, là, Maggie accepta d’embarquer avec. Madame avait des standards, quand même.

Après queques mois de fréquentations, Maggie était déchirée : a rêvait encore de voir son père tchiller dans sa chaise berçante au bord de l’âtre, les pantouffes aux pieds, à l’abri d’la misère; mais à c’t’heure, a l’avait J.J. dans’peau, pis y’avait pu moyen de l’enlever de d’là. 

Faique en 1886, à 19 ans, Maggie maria J.J. pis devint Madame Margaret Brown. A l’alla vivre avec lui dans sa tite cabane de deux chambres, ben loin du manoir qu’a l’avait imaginé. 

Mais, c’pas grave. Maggie dira plus tard que ses premières années avec J.J., quand leux deux enfants Lawrence pis Helen sont nés, avaient été les plus belles de sa vie. 

Ce dont a s’doutait pas, c’est qu’en misant su J.J., a l’avait quand même décroché le gros lot d’la 6/49. A perdait rien pour attendre.

Maggie, J.J. et leux enfants, Lawrence et Helen

Tsé, l’rêve américain? Dans l’temps que c’tait encore possible, là – avant qu’les revenus d’la classe moyenne s’mettent à stagner pis qu’la vie vienne pu achetable. J.J., lui, y’était ben décidé à l’pogner par le collette, à y faire la prise du tit paquet pis à l’mettre dans sa poche d’en arrière.

À une époque où y’avait pas d’bacc en génie minier, l’mari à Maggie passait ses soirées, après ses journées de job, à lire su la géologie, les gisements de minerai pis les techniques d’extraction. Avant longtemps, y d’vint ferré en simonac : un oracle du roc; un magicien des métaux bruts; un sorcier du sous-sol.

Grâce à son nouveau savoir, J.J. finit pu d’gravir les échelons: dins deux années après ses noces, y passa de chef de quart à contremaître à surintendant d’la mine Maid and Henriette.

Après ça, y fut engagé comme surintendant de toutes les mines d’la compagnie Ibex. C’est là qu’y frappa l’or – littéralement. 

En 1893, la demande pour l’argent baissa tout d’un coup, flâwk! Pis comme la majorité des mines autour de Leadville étaient des mines d’argent, ben, c’tait pas d’adon pantoute. Quatre-vingt-dix pour cent des gars d’la place pardirent leu job du jour au lendemain. 

Molly, qui s’occupait déjà d’la soupe populaire en ville depuis que son mari avait été nommé surintendant, ardoubla d’efforts pour aider encore plus les familles des chômeurs.

Pendant c’temps-là, J.J., lui, était sur une autre track : y’avait un plan pour rouvrir la mine d’argent Little Johnny. 

Le propriétaire de la mine, John Campion, savait que si y creusait plus creux, y trouverait probablement de l’or. 

Le problème, c’est qu’en creusant plus creux, justement, les mineurs tombaient su d’la dolomie, une roche friable qui s’défaisait toute en sable. C’tait impossible de creuser des tunnels pis d’faire le soutènement avec des poteaux en bois : toute effoirait en deux secondes. 

Campion était su’l bord de jeter l’éponge pis d’aller brailler dans sa chambre, mais J.J. y dit : 

« Tapeu, m’as t’arranger ça. » 

Sa solution, c’tait pas d’utiliser de l’équipement full fancy du futur qui coûtait la peau des fesses. Au contraire, c’tait yinque une question de bonne vieille jarnigoine : pour artenir le sable, y couvrit toute l’intérieur des tunnels avec des bottes de foin pis les fit t’nir avec une charpente en bois. Fallait y penser, pareil! 

Pis pouf! Pas longtemps après, la mine Little Johnny produisait 135 tonnes de minerai d’or par jour. 

Leadville pis ses mineurs étaient sauvés. Les journaux finissaient pu d’s’ébaubir devant c’te folle réussite. Pis J.J., lui, était rendu un homme riche : ses boss l’avaient récompensé en y donnant des parts dans’compagnie pis une place au conseil d’administration. 

La vie de Molly venait de changer boutte pour boutte.

J.J. pis elle devinrent des vraies célébrités. Y’achetèrent une grosse maison à Denver pis même un chalet en dehors d’la ville. Y pouvaient voyager. Mettre du beau linge pis s’entourer de belles affaires. Y coudoyaient la crème d’la crème d’la haute société de Denver. Leux enfants pouvaient aller dins meilleures écoles. Les parents à Maggie auraient pu jamais besoin de travailler.

Enfin, Maggie pouvait s’permettre toute le fromage cottage qu’a voulait, c’t’à dire qu’a l’avait le temps pis les moyens de s’instruire à son goût. Faique, a l’étudia les langues – le français, l’allemand pis le russe –, la littérature pis l’théâtre, d’abord à Denver, pis après au Carnegie Institute de New York. Pas pire pour une p’tite Irlandaise qui avait yinque l’équivalent d’un secondaire 2! 

Mais c’pas toute : Maggie avait aussi ben à cœur le changement social.

À une époque où la somme de c’que les femmes avaient l’droit de dire pis d’faire aurait pu t’nir dans une boîte en carton ondulé de 4 pouces par 4 pouces par 6 pouces, Maggie s’trouvait pas mal à l’étroit. Sans pouvoir politique pis sans entrée dins salons où les monsieurs en habit décidaient de toute entre eux autres en fumant des cigares, c’tait ben dur de changer grand chose.

Mais les madames riches avec des contacts pis du temps libre, elles, avaient quand même leu z’arme secrète : les club sociaux.

Avec d’autres comme elle, Maggie partit le Club des femmes de Denver, qui s’tait donné comme mission d’améliorer la condition des femmes grâce à l’éducation pour améliorer la société au complet. 

Y’a un enseignant ghanéen, James Emman Aggrey, qui a dit un jour : « Éduquer un homme, c’est éduquer yinque une personne. Éduquer une femme, c’est éduquer toute une nation. » Ça, Maggie l’avait ben compris.

Madame Brown d’vint une espèce de force irrésistible : a l’était partout, le nez fourré dans toutes les causes, pis on aurait dit qu’a l’avait assez d’énergie pour déplacer les montagnes du Colorado. 

A l’organisait des activités culturelles pour les filles pauvres. A ramassait d’l’argent pour garnir les bibliothèques des écoles publiques. Ses bazars pis ses galas de charité permirent de construire une église pis d’agrandir un hôpital. A milita assez fort pour convaincre le gouvernement de passer des lois su’l travail des enfants pis s’associa avec un juge pour créer le premier tribunal pour adolescents au pays – parce que tsé, avant, y’étaient jugés comme des adultes pis allaient suivre leu cours de crapule 101 en prison avec des criminels endurcis.

Ch’pourrais passer une couple d’heures à énumérer toute c’que Molly a faite de 1894 à 1912, mais on s’rait encore là demain matin. 

Mais bref, quand a l’embarqua su’l Titanic à Cherbourg après un voyage de plusieurs semaines en Europe pis en Afrique, Maggie était une femme solide, confiante, hyper cultivée pis engagée qui avait déjà fait bouger assez d’affaires dans l’bon sens pour mériter un hôpital ou une école à son nom. Une plaque en bronze, minimum.

À suivre dans la partie II – bientôt!


Source : Iversen, Kristen, Molly Brown: Unraveling the Myth, 3e édition. 2018. Johnson Books.

La Légende de sainte Marguerite d’Antioche

Au 4e siècle, dans l’temps que les chrétiens s’faisaient tuer parce qu’y étaient chrétiens, pis ben avant qu’y s’mettent à tuer les autres parce qu’y étaient pas chrétiens (ou pas la bonne sorte de chrétiens), y’avait un beau brin d’fille qui s’appelait Marguerite.

Marguerite était la fille d’un prêtre païen d’Antioche, dans la Turquie d’à c’t’heure, mais a l’avait un secret : a s’tait faite baptiser en cachette.

Un jour qu’a gardait les moutons ben tranquille sans rien d’mander à parsonne, v’là-ti pas qu’artontit l’astie d’Olibrius.

« Capitaine Haddock, sors de ce corps! » vous allez m’dire. 

Ben non. 

Le gars, c’tait le gouverneur d’la province d’Antioche, pis y s’appelait Olibrius. C’tait SON NOM. Pis c’t’à cause de lui que l’mot est une insulte. 

Ça commence ben, hein?

Toujours est-il qu’Olibrius, en passant au bord du champ avec ses hommes pis ses serviteurs, spotta Marguerite pis sentit la sève y monter dans l’érable : 

« Watatow, c’est qui, elle? Amenez-moé ça icitte tu’suite! Si c’t’une femme libre, a va être ma femme; si c’t’une esclave, ben a s’ra ma concubine. »

Ch’précise, juste de même, que Marguerite avait yinque quinze ans. 

Quand a fut en avant de lui, l’gouverneur y demanda : 

« C’est quoi ton nom, ton pays pis ta religion? »

(Pour ceux qui ont connu l’aube des Internets pis les tréfonds obscurs de mIRC, j’imagine que ça devait être l’équivalent de « ASV » au quatrième siècle.)

Marguerite répondit : 

« J’m’appelle Marguerite, chus de race noble, pis chus chrétienne. »

Olibrius fut ben étonné d’entendre ça : 

— Ben voyons, comment’ce qu’une belle pitoune comme toé peut vénérer un dieu de niflette qui a fini broché s’une couple de deux par quatre? 
— Comment tu sais ça? 
— Comment que ch’sais quoi?
— Que Jésus a été crucifié. 
— Ben, j’ai lu les livres des chrétiens. Tsé, pour la science.
— Si t’as lu nos livres pis t’as vu que Notre Sauveur avait été crucifié, t’as aussi vu qu’y avait été ressuscité pis qu’y avait la vie éternelle! T’as vu sa gloire pis sa puissance! Faique pourquoi tu mets ça de côté pis tu gardes juste c’qui fait ton affaire? 

Olibrius, dont l’afflux sanguin était pas tellement à la bonne place pour l’aider à livrer un débat théologique, pogna les nerfs : 

« Ah, tu m’énarves! J’tez-la en prison pis on va voir comment qu’a va filer demain matin! »

Marguerite passa donc la nuite au cachot pis, le lendemain, fut emmenée en avant d’Olibrius. 

— Bon, t’as-tu assez réfléchi? Enwèye don, Marguerite, adore nos dieux! Eux-autres y vont apprécier ta beauté! Pas ton dieu d’braillards!
— Mon dieu fait trembler toutes les créâtures d’la Terre, tu sauras!
— Maudite tête dure! Si tu continues d’même, m’as t’faire torturer pis tu vas te lamenter, ma fille!
— Jésus est mort pour moé, faique moé, ça m’frait plaisir de mourir pour lui! 

C’est là que l’histoire vire pas mal « death metal ». Ça va être intense. Vous êtes avertis.

Olibrius fit attacher Marguerite su’l chevalet. Ça, c’t’une patente qui sert à t’étirer lentement les bras pis les jambes jusqu’à ce que mes muscles pis l’filage autour des os déchirent. 

Après ça, y la fit fesser à coups d’bâtons pis couper avec des ongles en fer, une autre belle patente de torture des siècles anciens. Marguerite pissait l’sang, mais a lâchait pas. Après un boutte, a s’ramassa tellement maganée que même Olibrius se cachait la face avec sa manche de toge pour pas voir ça. 

— Pis, tu vas-tu vénérer nos dieux, là? Ch’pu capable!
— Toé mon maudit chien, tu peux ben avoir mon corps, mais c’est Jésus-Christ qui va avoir mon âme! Plus ch’souffre icitte, plus j’gagne mon salut en haut!

À boutte, Olibrius ordonna qu’on ramène Marguerite dans son cachot. Pis dès qu’la porte fut farmée, une grosse lumière éclata autour d’la fille, tellement brillante qu’on aurait dit qu’l’élément de poêle venait de sauter. 

Pis là, par miracle, Marguerite fut guérie de toutes ses plaies.  

N’importe qui qui aurait eu une grosse journée d’même se s’rait couché dans l’coin pis aurait été dins vapes jusqu’au matin. Mais Marguerite en avait pas eu assez : a pria le Tout-Puissant d’y montrer l’ennemi qu’a l’avait à combattre. Pis tout d’un coup, POUF! Un dragon apparut en avant d’elle pis l’avala d’une bouchée.

Ça aurait pu être la fin de l’histoire. Mais, dans’bedaine du dragon, Marguerite, pas encore digérée, fit le signe de la croix : 

Pis PÂWF! Le dragon péta comme une balloune remplie d’lumière, pis Marguerite en sortit toute propre pis toute d’un morceau comme si de rien n’était! 

Bon, là on va s’arrêter une tite menute. On est-tu rendus dans Donjons et Dragons, coudonc?

L’histoire à Marguerite, on la r’trouve dans La Légende dorée, une espèce de compendium d’la sainteté écrit au 13e siècle par Jacques de Voragine, moine dominicain pis archevêque de Gênes. 

Dans c’te méga best-seller du Moyen Âge, Jacques raconte la vie de 150 saints, pis j’vous dis que par bouttes, ça vient spécial en sivouplaît : y’a des guérisons, des résurrections, des attaques de démons, des cadavres qui suintent le sent-bon, une couple de saints décapités qui se promènent ben relax avec la tête en d’sour du bras…

Toute ça, là, ça passe. 

Mais quand y’arrive au dragon à sainte Marguerite d’Antioche, Jacques écrit : 

« Mais ce récit-là est regardé comme vain et mal fondé. »

Autrement dit :

Pousse, mais pousse égal. Jacques avait pas d’poignée dans l’dos. 

Entécas, les épreuves à Marguerite étaient loin d’être finies : après ça, c’est l’yâble en parsonne qui se pointa dans son cachot! 

Ça aurait mérité des applaudissements pis des rires en canne, comme à’ tévé.

Y’était déguisé en gars ordinaire, mais Marguerite l’arconnut tu’suite; a tomba à genoux pis a s’mit à prier de toutes ses forces. 

Le yâble y prit les mains pis y dit : 

« Ah, mon pauvre p’tit pet de sœur! T’as ben assez souffert, tu peux arrêter, là! » 

Le prince des démons l’savait pas, mais y’avait fait une erreur fatale en s’approchant trop proche de Marguerite : a le pogna par la tête pis le câlissa à terre avec une technique d’amené au sol digne de Georges Saint-Pierre.  

Après ça, a mit son pied su sa tête pis dit : 

— Quins toé! Tu t’sens moins fin, là, hein, en d’sour des pieds d’une créâture?
— Heille, ça se peut-tu? répondit l’yâble, tout débiné. Battu par une floune! 
—Pourquoi t’es venu icitte? Parle! 
— J’voulais t’convaincre d’obéir au gouverneur pour que tu soyes damnée. Moé, tsé, ch’t’un ange déchu pis ça m’écœure TELLEMENT, les p’tits parfaits comme toé qui vont s’en aller au ciel tandis que moé, ch’peux même pu y’aller! 

Quand y’eut fini de s’lamenter Marguerite leva son pied pis dit :

« T’es vraiment une marde. Enweille, décâlisse. » 

Le lendemain matin, Marguerite voulut toujours pas faire de sacrifice aux dieux des païens, faique les tortures arcommencèrent. 

Marguerite fut brûlée avec des torches, encore pis encore pis encore. La foule en revenait juste pas de voir une p’tite jeune fille de même toffer toute ça sans dire un mot. 

Faique le gouverneur la fit jeter dans un bassin d’eau. Mais, tout d’un coup, la terre s’mit à trembler, pis Marguerite sortit de d’là toute guérie. 

En voyant c’te miracle-là, 5 000 hommes – ça fait BEAUCOUP de woireux – se mirent subitement à croire au Tout-Puissant. 

Là, le gouverneur se dit : 

« Heille wô, ça a pas de bon sens, ça là! Si on continue d’même, a va convertir toute la ville! C’t’assez. Qu’on la décapite! »

Marguerite demanda une p’tite menute pour prier avant d’mourir, pis l’gouverneur accepta. A dit : 

« Ch’prie pour toutes mes persécuteurs. J’leu pardonne pis j’leu souhaite de trouver la lumière du Très-Haut. Pis aussi, j’voudrais que les femmes enceintes, si y m’invoquent, y puissent accoucher sans danger. » 

Pis là, toujours selon La Légende dorée, une voix venue du ciel y répondit : 

« Tiguidou, ma brebis! »

Faique Marguerite se tourna vers le bourreau pis dit : 

« Prends ton épée pis vas-y. Fesse. » 

SHLAK. 

C’est d’même que mourut Marguerite d’Antioche, martyre, tête de cochon, championne d’arts martiaux mixtes pis paladin niveau 20 à Donjons et Dragons. 

J’sais pas pour vous autres, mais moé, j’ai une nouvelle sainte préférée. 

Marie Iowa Dorion — partie V

Partie I
Partie II
Partie III
Partie IV

Marie sentait comme un gouffre atroce en dedans d’elle, sombre pis plein d’vent qui hurle, qui lui creusait les entrailles pis qui l’aspirait en même temps. Les jambes y manquaient. La tête y tournait. A l’avait l’goût d’vomir. A l’était tellement découragée, brûlée pis accablée d’peine qu’a put yinque se rouler en boule avec les flos en d’sour d’la peau de bison, sans parler, sans manger, sans même faire un feu.

A ferma pas l’œil d’la nuite tandis que ses pensées viraient en rond sans arrêt :

« Pierre est mort. Pis Reed pis Robinson pis Le Clerc pis les autres… Ah, c’tes pauvres hommes! Seigneur, tu parles d’une fin épouvantable! Y méritaient tellement pas ça! Pis nous-autres, si on reste icitte, on va mourir de faim ou ben s’faire pogner par les asties d’Flancs d’chien. Y fait frette à fendre, y’a ben que trop épais d’neige, on a rien dans l’ventre. Ah, Jésus-Christ, si seulement y’avait quequ’un pour v’nir nous sauver! Mais y’a pu parsonne. Y’a yinque moé. Pierre est mort… »

Si ça avait été yinque d’elle, Marie aurait clanché drette là vers l’ouest, en pleine nuite, pis couru pis couru jusqu’à temps qu’a l’aye pu d’jus, peu importe le danger. C’est ça que ça y criait d’faire au plus profond d’elle-même.

Mais a l’avait ses p’tits avec elle. A l’entendait leu ti respir tandis qu’y dormaient collés su elle. Y’étaient déjà faibles de faim – jamais qu’y tofferaient la run. Peu importe c’qu’a choisissait d’faire, fallait qu’a commence par leu trouver d’quoi à manger.

Y’avait toujours ben ça de clair.

C’est là que Marie pensa à d’quoi :

« Y’est censé avoir une réserve de poisson séché dans’cabane. Faique, à moins que les tueurs soyent partis avec, ça doit être encore là… »

Marie se l’va aux aurores. Avant d’aller à’cabane, fallait qu’a soye sûre qu’y aye pas de Flancs d’chien dans l’coin. Faique a l’emballa Paul pis Jean-Baptiste ben comme faut dans la peau d’bison pis leu dit :

« Faut que Maman aille voir de quoi. Ch’s’rai pas partie longtemps, ok? Restez ben tranquilles, j’vas r’venir, j’vous promets. »

A r’tourna su’a colline qui donnait vue su’a cabane pis observa un tit boutte : encore là, pas un chat.

« Ch’prendrai pas d’chance, m’as y aller c’te nuite. »

Quand à r’trouva ses p’tits gars, y’avaient les lèvres toutes bleues, les dents leu claquaient pis y bougeaient quasiment pu. A voulait pas faire de feu de peur que la fumée les fasse arpérer, mais rendu là, c’tait ça ou bedon les flos mouraient gelés.

Faique a fit une attisée pis l’éteignit dès que ses p’tits cœurs furent réchauffés ben comme faut. Pis une fois la noirceur tombée, a se dirigea vers la cabane : 

« Ah! Merci, merci, merci Seigneur Jésus-Christ, le poisson est encore là! »

Pis y’en avait pas mal, à part de t’ça; Marie put yinque en emporter la moitié pour tu’suite.

Juste avant l’aube, a r’fit le chemin vers son p’tit campement d’fortune. Y’était temps qu’a l’arrive avec de quoi à manger, parce que ses pauvres cocos avaient la p’tite lumière de batterie qui clignotait rouge.  

Marie fit un feu pis, enfin, donna aux flos du poisson séché. Y t’mangèrent ça s’un moyen temps, en grondant, les yeux fiévreux, comme si y’existait pu yinque ça dans l’univers.

Le lendemain, Marie arfit la même affaire pis ramena l’autre moitié du poisson séché. C’te job-là de faite, elle pis les p’tits étaient pu autant proches d’la perdition. Y’étaient quand même dans’marde en saint sifflette, mais… moins. Juste assez pour que Marie baisse un peu sa garde, c’te soir-là… Pis que le gouffre noir en dedans d’elle arcommence à la ronger :

« Pis là… Ch’fais quoi? Y’a rien à faire. Pierre est pu là. Y m’reste pu rien. Quand ben même que j’artournerais à’Willamette, ça donnerait quoi? Pu d’mari, j’vivrais dans’misère pis c’est toute… »

A passa quasiment une éternité presque sans bouger, effoirée par le désespoir; toute était trop grand, trop loin, trop frette, trop dangereux, trop impossible.

« Mourir gelés icitte ou bedon d’un banc d’neige à une semaine de route… Autant s’éviter du trouble pis rester proche des autres le temps que ça finisse… »

Mais au boutte de trois jours, Marie artrouva un semblant de force :

« C’pas vrai que j’ai pu rien. »

A se l’va enfin, paqueta littéralement ses petits, mis toute su le ch’fal pis prit la direction de l’Ouest.

Pendant neuf jours qu’a marcha, dans’grosse neige aux genoux en tirant le ch’fal par la bride, à monter pis à descendre des côtes pis en manquant s’tuer en tombant dins précipices ou bedon dans’bonne vieille rivière Snake. Pis c’tait pas comme dins parcs d’la SÉPAQ, là, que même si t’arrives à 6 h du matin un lendemain de tempête, y’a toujours un crinqué qui a déjà tapé l’sentier. Je l’sais pas si Marie avait des raquettes, mais j’y souhaite en astie.

En plus, pour faire du mal, a d’vait être dans l’même coin où c’qu’a l’avait accouché pis pardu son bebé deux ans avant – rien pour alléger l’atmosphère, mettons.

Pis là, le ch’fal arriva au boutte de ses forces. Y’était sec comme un coton pis c’tait clair qu’y frait pu un pas de plus.

« Bon, ben, advienne que pourra, c’est icitte qu’on va camper pour le reste de l’hiver. »

Marie trouva un spot caché, à l’abri du vent, au pied d’un précipice pardu au beau milieu des montagnes Bleues. Là, a fit boucherie avec la pauvr’bête. A l’accrocha la viande après un arbre pour qu’a gèle pis pour pas que la varmine tombe dedans; ça allait pas mal être la seule affaire qu’elle pis les p’tits auraient à manger jusqu’à ce que l’pire de l’hiver soye passé pis qu’y puissent espérer de s’rendre l’autre bord des montagnes.

Après ça, fallait qu’a pense à s’faire un abri. Comme matériaux, a l’avait des branches de sapin, du foin, d’la mousse pis d’la neige, pis c’tait toute. En plus, c’tait pas comme si y’avait déjà un beau p’tit tas d’branches coupées toute égal qui l’attendait – comme a l’avait pas de hache pis encore moins de sciotte, y fallut qu’a gosse toute à’mitaine avec son ti canif de rien! 

Mais, à force de savant taponnage, Marie finit par construire une p’tite hutte avec juste assez de place pour qu’a puisse rentrer dedans avec les deux flos. Fallait pas que ça soye ben ben plus grand que ça : l’idée, c’tait que l’abri se chauffe avec yinque la chaleur du des corps qu’y avait d’dans. Autrement dit, on était à des milles du shack en bois rond de luxe avec foyer, écran plat pis spa su’a galerie d’en arrière.

Moé, depuis l’début, y’a deux choses qui m’épatent sans bon sens : le courage à Marie, ben crère, mais aussi, la résilience des flos.

Tsé, de nos jours, tu pars juste pour une fin de semaine de vélotourisme dans Bellechasse avec les enfants pis t’es obligé de r’virer d’bord après deux heures parce que c’est plate, fait frette, est où ma tablette, veux des glosettes, perdu ma casquette, alouette, pis quand t’argardes su’l p’tit siège en arrière tu vois yinque une grand’bouche qui braille avec des larmes autour.

Mais Paul pis Jean-Baptiste, eux-autres, y’ont toute toffé comme des champions malgré la faim pis l’inconfort.

Quand Marie décida de l’ver le camp, au milieu du mois d’mars, ça faisait CINQUANTE-TROIS JOURS qu’y étaient là. Les flos d’vaient-tu faire la queue d’veau, un peu, vers la fin? Un bonhomme de neige, ça commence à être moins l’fun quand t’es rendu à ton 42e de suite, pis c’t’un peu poche de jouer à’cachette l’hiver.

Entécas, le temps s’tait assez adouci pour qu’y essayent de travarser les montagnes. Mais surtout, y leu restait pu de viande de ch’fal pis y’étaient passés au travers de leu réserve de poisson séché. C’tait l’temps qu’y partent. Sauf qu’y marchaient même pas depuis deux jours qu’y frappèrent un mur :

« Ahh, bonne Sainte Anne, mes yeux! Ça brûle! J’vois pu rien! »

Quand le soleil fesse su’a neige, sa lumière est réfléchie pis a t’arvient dins yeux; ça brûle, ça picote, ça larmoie pis tu peux même perdre la vue. C’pas pour rien que les Inuits ont toujours des espèces de lunettes avec une fente dedans!

Faique en s’promenant dins champs de neige en d’sour du gros soleil du printemps, Marie s’tait brûlé les yeux. Normalement, ça finit par guérir tu’seul, mais pour tu’suite, Marie était ben mal prise :

« Non, non, non! Ça s’peut pas! C’pas vrai! On peut pu avancer, sinon on risque de virer en rond ou de sacrer l’camp dans une crevasse. »

Une journée passa, pis une autre, pis une autre; Marie voyait toujours rien.

« Voyons, ça va-tu arvenir? D’un coup que ça r’vient jamais? Ben non, calme-toé, Marie, tu l’sais que ça r’vient. Mais c’est ben long! J’en peux pu! »

A stressait ben raide, sachant qu’y avaient pu d’reste de provisions pis chaque jour qu’y pardaient les mettait encore plus en danger de mourir de faim.

Finalement, le matin d’la quatrième journée, Marie s’réveilla en voyant assez pour être capable de s’orienter, faique a décida d’arprendre la route.

Elle pis les p’tits finirent par sortir des montagnes 15 jours après être partis d’leu camp d’hiver, pis y’arrivèrent dans une grande plaine. Sauf qu’y’étaient loin d’être sauvés : y’avait pas âme qui vive dins environs, pis ça faisait deux jours entiers qu’y avaient absolument rien mangé. Les enfants étaient rendus trop faibles pour marcher, faique Marie d’vait les porter.  

Marie avait besoin d’un miracle. Pis là :

« Hein! C’est-tu c’que ch’pense, ou ch’t’après halluciner? »

Au loin dans’plaine, y’avait un tout p’tit filet de fumée, le genre qui vient d’un feu d’camp.

« J’m’en sacre si y faut que j’me traîne avec les dents, mais j’vas me rendre là-bas. »

Sachant qu’a y’arriverait jamais avec Paul pis Jean-Baptiste dins bras, a prit une décision ben difficile :

« Mes cocos, Maman va aller chercher d’l’aide. J’vas r’venir, promis juré. Vous allez voir, dans pas long, on va manger des bonnes choses pis faire dodo près du feu pis on va être sauvés. »

A les emballa dans la peau d’bison, les cacha ben comme faut au travers des grosses roches puis, l’cœur qui savait pu si y d’vait s’gonfler d’espoir ou s’fendre en mille miettes, a partit en direction du filet d’fumée.

Au début, Marie avait pensé être capable de s’rendre au campement avant la noirceur, mais au coucher du soleil, a faisait pu yinque ramper. A pensa aux flos qui d’vaient capoter de passer la nuite tu’seuls pis de pas la voir arvenir, mais a l’était tellement écrasée de fatigue qu’a s’endormit dins fardoches.

A s’armit en ch’min dès qu’a l’ouvrit l’œil, mais a faisait chaque pas comme si a l’avait des boules de quilles dins bottines. Ben vite, a dut s’mettre à genoux. Vers la fin de l’avant-midi, chaque pied, chaque pouce qu’a l’avançait y prenait toute l’amour qu’a l’avait pour ses gars. Pis là, a pardit connaissance.

« Madame? Madame! Êtes-vous correcte? »

Heureusement pour elle, Marie avait pâmé assez proche du camp pour que quequ’un la voye, pis du monde vinrent tu’suite la ramasser. Y’étaient d’la nation des Walla Wallas, pis y furent super fins avec elle. A leur expliqua où c’qu’a l’avait laissé Paul pis Jean‑Baptiste. Une gang partit drette là les charcher pis les ramena le soir même, ben vivants.

L’horreur était finie pour de vrai.

On s’entend qu’après une aventure de même, Marie était ben écœurée de crapahuter pis de s’donner d’la misère; a décida donc de rester un boutte avec les Walla Wallas. Quand la Compagnie du Nord-Ouest construisit un poste de traite pas loin, a rencontra un autre voyageur du nom de Louis Vanier pis a se maria avec. A l’eut une fille avec lui, mais comme Pierre, y fut tué par des Autochtones. Ben coudonc.

Après, a s’armaria avec Jean-Baptiste Toupin, un employé d’la Compagnie d’la Baie d’Hudson. Y’eurent deux enfants ensemble, pis y’allèrent s’installer dans la belle vallée d’la Willamette, où quasiment tout l’monde parlait français. Super croyante pis hyper respectée, a d’vint un pilier de sa paroisse. À sa mort, a fut même enterrée en d’sour du parvis d’l’église, c’est ben pour dire.

Moé, entécas, j’me d’mande qu’est-cé qu’y attendent pour faire une vue ou un programme de tévé su sa vie. Après toute, y’ont ben faite un film su Léonardo DiCaprio qui arvient en ville tout crotté pis habillé en poil; mais lui, on sait ben, y’avait pas la charge mentale d’une femme qui est pognée pour survivre en s’occupant de deux flos en bas âge!  


Source : Larry E. Morris, The perilous West : seven amazing explorers and the founding of the Oregon Trail, 2013.

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La légende de Marie de Montpellier

Je l’dirai jamais assez souvent : au Moyen-Âge, pour la noblesse, y’avait rien de plus important qu’un héritier. Déjà que ça prend pas grand-chose de nos jours pour que ça vire en échauffourée chez l’notaire, dans l’ancien temps, on était toujours à une chaise vide d’la guerre civile. Mais c’qui m’énarve, dans toute ça, c’est la maudite obsession pour le zouiz.

Ben oui!

Quand ça leu z’était pas carrément interdit de succéder (ch’t’argarde, la France, avec ta loi salique niaiseuse), les femmes devaient toujours se battre pour leux droits, parce qu’y avait toujours une gang de bonshommes pour dire : « On peut pas laisser une créâture hériter, ça fait du trouble ».

C’que c’te gang de jambons ont jamais eu l’air de réaliser, c’est que ça fait du trouble parce que c’est EUX-AUTRES MÊMES qui le font, le trouble!

Parlez-en à Marie, seigneuresse de Montpellier pis reine d’Aragon, née en 1142 pis morte en 1213. Le contrat de mariage à ses parents disait noir su blanc qu’a d’vait hériter d’la seigneurie à son pére, mais malgré ça, les hommes de sa vie ont pas arrêté d’y mettre des bâtons dins roues : son pére lui-même l’a mariée à un bonhomme de quatre fois son âge pour s’en débarrasser, son demi-frére a profité d’la lenteur d’la bureaucratie papale pour la déposséder, pis son troisième mari a essayé d’la contrôler, y’a vu que ça marchait pas, faique y’a fini par arfuser complètement d’la voir – c’qui l’a forcée à prendre des moyens pas trop catholiques pour concevoir un héritier.

Mais avant de s’étendre su’és légendes de couchette, commençons par le commencement. Le pére à Marie, c’tait Guilhem, seigneur de Montpellier. Sa mére, c’tait Eudoxie Comnène, la petite-nièce de l’empereur byzantin Manuel Comnène, qui s’tait en venue de Constantinople pour marier Raymond Bérenger, comte de Provence.

Sauf que dans c’temps-là, y’avait un gros frette entre Manuel, empereur romain d’Orient, pis Frédéric Barberousse, empereur romain d’Occident – le suzerain à Raymond. Faique quand Barberousse fut mis au courant des fiançailles, y décida de mettre la hache là-dedans tu’suite :

« Wôôô, toé-là! Pas question qu’tu marises la p’tite byzantine. Comnène me fait assez chier d’même sans que j’le laisse fricoter avec mes vassaux sans rien dire. »

Ayant eu vent de t’ça, Guilhem de Montpellier se s’rait pointé au port de Lattes, qui faisait partie de sa seigneurie, pour accueillir Eudoxie pis y’aurait dit :

« Bien l’bonjour, Bebé! Heille, j’ai une bonne pis une mauvaise nouvelle pour toé. La mauvaise, y’a pas 36 façons de le dire, mais t’es dompée. La bonne, ben… C’est que moé, chus célibataire! »

Pour sauver la face pis pour pas s’artrouver tu’seule sans amis en terre étrangère, Eudoxie eut pas ben ben l’choix d’marier Guilhem. Pis c’t’union-là stressait pas vraiment l’empereur Barberousse, vu que Guilhem était un joueur de ligue mineure comparé à Raymond de Provence.

Dans le contrat d’mariage, c’tait ben écrit que leu premier-né, gars ou fille, hériterait d’la seigneurie de Montpellier. C’tait quand même une grosse condition, pour l’époque! Qu’est-ce qui put ben pousser Guilhem à accepter ça? Premièrement, les troubadours du temps appelaient Eudoxie « le chameau doré à l’empereur Manuel », pis y parlaient pas de sa face : y parlaient de la christie de grosse dot qui v’nait avec. Pis, deuxièmement, Guilhem, en bon macho, avait aucun doute qu’y pouvait pas engendrer autre chose qu’une trâlée de p’tits gars vigoureux.

Faique quand Eudoxie accoucha d’la p’tite Marie, ça fit pas son affaire pantoute! Y’espéra qu’a y donne un bébé garçon par-après, c’qui y’aurait donné les moyens de moyenner; mais, cinq ans plus tard, ça avait pas l’air de s’enligner comme ça. Faique y prétexta qu’Eudoxie avait turluté d’manière inappropriée avec un troubadour – certainement pas un qui l’avait traitée de chameau! – pour l’envoyer végéter dans un monastère pis s’accoter avec une autre qui, elle, allait pouvoir y donner le zouiz tant espéré.

Agnès de Castille, la nouvelle blonde à Guilhem, donna son 110 % dans sa nouvelle job : non seulement a l’eut un garçon, appelé Guilhem comme son père, drette du premier coup, mais a l’eut huit autres enfants par après.

Là, la pauvre Marie s’artrouvait pour ainsi dire dins jambes de tout le monde : son pére voulait que son petit zouiz flambant neuf y succède, pis Agnès voulait se débarrasser d’elle pour assurer son avenir pis celui à son fils.

La solution, c’tait d’la marier au premier du bord – un bonhomme de 40 ans, le vicomte Barral de Marseille – pis de glisser dans le contrat de mariage une clause comme de quoi Marie arnonçait à la seigneurie de Montpellier.

À dix ans, Marie était complètement vulnérable pis y’avait rien de t’ça qui était d’sa faute, mais ça devrait vous faire réfléchir pareil : faut toujours lire les modalités de service écrites tout petit qui finissent pu avec une case à cocher à’fin. On sait jamais! Vidéotron pourrait aussi ben arsoudre pour ramasser votre chien pis votre laveuse!

« Heureusement » pour Marie, Barral péta au frette même pas un an après le mariage, pis a put artourner chez son pére pis sa belle-mère. Pis là, comme la clause de renonciation à la seigneurie faisait partie du contrat de mariage pis qu’y avait pu de mariage, Marie ardevenait l’héritière.

Son pére pis sa belle-mére étaient en maudit :

« A l’arvient, la p’tite torrieuse! Vite, ça y prend un autre époux! »

Faique en 1197, à l’âge de 15 ans, Marie épousa le comte Bernard de Comminges, un répudiateur en série qui v’nait yinque de domper sa troisième femme. Pis comme la dernière fois, Marie dut arnoncer sur papier à la seigneurie de Montpellier.

Guilhem pis Agnès se pensaient enfin débarrassés, mais y’avaient été un peu naïfs. Un an après les noces, Marie accoucha d’une p’tite fille, pis Bernard artomba tu’suite dans ses vieilles habitudes : déjà, y voulait répudier Marie.

Mais vu que l’évêque de Comminges répondit à Bernard que pour une fois, y’allait d’voir s’endurer pis garder la même femme plus que trois secondes, y décida de faire étriver Marie jusqu’à ce qu’a s’en aille d’elle‑même.

Guilhem pis Agnès capotèrent ben raide en la voyant artontir :

« Voyons! Encore elle! Agnès, passe-moé la tapette à mouches, du pouche-pouche, quequ’chose! »

Y pédalèrent donc en maudit pour que Bernard arprenne Marie. Guilhem porta même plainte au pape contre son gendre pour non-respect du contrat de mariage, dans l’idée d’obtenir une injonction pour forcer sa fille à r’tourner chez son mari agresseur.

Ahh, le bon vieux temps.

Entécas, un an plus tard, Marie artourna à Comminges, pis pas longtemps après, a l’eut une deuxième fille.

Mais la relation entre Marie pis Bernard était irrémédiablement scrappe; le pape eut beau menacer Bernard d’excommunication, y se séparèrent quand même en 1202.

Vu que Marie était divorcée, son contrat de mariage était pu valide, faique c’est en tant qu’héritière légitime qu’a l’arvint à Montpellier.

Sauf que son pére, mourant, avait toute faite en son pouvoir pour l’empêcher d’y succéder. Y’avait envoyé deux émissaires au pape pour y demander de faire de Guilhem fils son héritier légitime, ce à quoi l’pontife avait répondu :

« Ouin, mais c’est pas simple de même. Faudrait que ch’commence par voir si ton mariage avec Eudoxie était légitime ou pas… »

Pas satisfait, Guilhem pére envoya un autre émissaire pour inciter l’successeur de saint Pierre à s’ôter les mains d’su l’beigne, mais la décision était toujours pas prise quand y trépassa.

Qu’à cela n’tienne : y’avait fait un testament désignant le jeune zouiz comme héritier, pis au yâble le pape. Guilhem fils, 12 ans, devint donc le nouveau seigneur de Montpellier, sous prétexte que Marie avait jamais officiellement divorcé de Bernard, faique le contrat de mariage continuait de s’appliquer.

Marie était encore dépossédée! Mais, pas longtemps après, toute vira mystérieusement boutte pour boutte. J’dis mystérieusement parce qu’on sait pas pantoute c’qui s’est passé, à part que :

  1. au printemps 1204, Guilhem fils se fit crisser dehors de Montpellier avec sa mére pour pu jamais arvenir;
  2. queques temps plus tard, Marie devint officiellement seigneuresse de Montpellier;
  3. le 15 juin 1204, Marie épousa le roi Pierre d’Aragon, apportant au mariage la seigneurie de Montpellier, pis devint reine d’Aragon.

Pour vrai, c’est toute. On sait pas si y’a eu de la violence, on sait pas si Marie a décidé de prendre les choses en main, si elle a eu de l’aide, rien. L’historien Henri Vidal, lui, y dit que c’est le roi Pierre d’Aragon qui avait toute manigancé pour mettre la patte su Montpellier :

« C’pas compliqué : ch’tasse le flo, j’mets la greluche à sa place, pis une fois qu’est ben installée comme seigneuresse, ben j’l’épouse pis j’ramasse le beurre pis l’argent du beurre! »

C’qui a l’air de donner raison à Vidal, c’est que quand Pierre pis Marie eurent une fille, Sancha, Pierre attendit même pas que la p’tite commence à faire ses dents pour la fiancer au comte de Barcelone… avec une belle p’tite clause dans le contrat :

— Pierre…? J’viens d’apprendre de quoi, mais avant de pogner les nerfs, j’voudrais l’entendre de ta bouche à toé.
— Quoi, don?
— T’as-tu fiancé la p’tite pis tu y’as-tu donné ma seigneurie comme dot sans m’en parler?
— Bah oué.
— Piiiis, qu’est-cé qui t’a faite penser que tu pouvais m’jouer dans l’dos d’même?
— J’ai l’doua. On est mariés, pis c’qui est à toé est à moé.
— Ben non! Montpellier est à MOÉ. C’est MA seigneurie. T’as pas d’affaire à prendre des décisions d’même comme si ch’tais déjà morte!
— Y’a d’quoi que t’as pas compris, toé. T’es ma feume pis tu fais c’que j’dis. D’ailleurs, faut que tu signes le papier, là. Aweille, fais pas ta germaine, ok?
— Va chier, Pierre! J’signerai jamais ça, pis tu peux pas m’forcer!
— Argarde ben, là : si tu signes pas l’contrat, tu vas t’enrtourner chez vous pis t’arranger avec tes troubles, parce que moé, une seigneurie ou une créâture que ch’peux pas faire c’que j’veux avec, ben j’veux rien savoir.

Indignée ben raide, Marie alla voir ses conseillers, qui eurent pas des bonnes nouvelles à y donner :

« Ouin, ça m’fait d’la peine de vous dire ça, Madame, mais vot’mari a raison : à c’t’heure que vous êtes mariés, y peut faire c’qu’y veut avec vous pis avec vos affaires. »

Marie avait le bras ben tordu, faique a décida de signer, mais a mit ça clair pour tout l’monde qu’a faisait pas ça de son plein gré :

« C’te contrat-là par rapport aux fiançailles à ma fille a comme effet d’me lessiver complètement, pis si je l’signe aujourd’hui, c’est yinque parce que j’ai été contrainte pis forcée par les menaces dégueulasses du roi mon mari; aussi ben dire que j’ai été crucifiée! »

Finalement, toute c’te conflit-là eut pu d’raison d’être parce que la p’tite Sancha mourut avant ses deux ans. C’tait tragique, mais ça permit à Marie de récupérer Montpellier.

Le roi pis la reine d’Aragon étaient pas réconciliés pour autant, par’zempe : Marie pardonnait pas à Pierre, pis Pierre, voyant qu’y avait pas marié une p’tite créâture docile qui le laissait faire comme y voulait, y commença des démarches pour faire annuler l’mariage au motif que Marie avait jamais vraiment divorcé de Bernard de Comminges. Y’était tellement décidé à flusher Marie qu’y était déjà après envoyer des émissaires à Marie de Montferrat, l’héritière du royaume de Jérusalem, pour voir si ça y tenterait pas de devenir la nouvelle Madame Pierre.

À partir de là, Marie pis Pierre vécurent séparés : Pierre campé à la frontière de Montpellier en attendant la décision du pape, pis Marie à son château de Mireval.

Pis là, ben… Y s’passa d’quoi : une nuite, queque’part, Pierre pis Marie couchèrent ensemble, Marie tomba enceinte, pis a l’eut un p’tit gars qu’a l’appela Jacques.

Là, j’vous arrête tu’suite : le bebé à Marie était bien celui à Pierre. À sa naissance, ça faisait déjà deux ans que le roi pis la reine d’Aragon vivaient séparés, pis Pierre l’arconnut comme le sien; si y’avait pas couché avec Marie dans c’te temps-là pis que les dates avaient pas fitté, ben sûr qu’y aurait dit que le p’tit était pas à lui.

Faique COMMENT un homme pis une femme qui pouvaient pu s’voir en peinture pis qui faisaient pu vie commune depuis un boutte purent en v’nir à passer une nuite torride en pleine procédure d’annulation de mariage? Ça enflamme l’imagination, pis chus sûre que vous avez déjà la calotte qui chauffe.

L’explication la plus plate est que les deux se sont bouché l’nez pis ont faite leu d’voir, mais ça a pas empêché les historiens du temps de s’en donner à cœur joie avec leux hypothèses. On s’artrouva donc avec plusieurs versions de l’histoire, mais y’en a une en particulier qui est restée, pis c’est ça qui a donné « la légende de Marie de Montpellier ».

Avec la chicane entre Marie pis Pierre, y s’concevait pas de p’tit prince, pis ça commençait à presser.

Faique quequ’un – y’en a qui disent les consuls de Montpellier, y’en a qui disent Marie elle-même – décida de prendre les choses en main. Comme y’avait aucune chance que Pierre embarque volontairement dans le litte de sa germaine de femme, y fallait y’en passer une p’tite vite.

Pierre courtisait une belle p’tite pitoune, une certaine Béatrice (ou Catherine, ça dépend de la version). À c’te moment-là, Béatrice avait pas encore cédé à ses avances. Faique les consuls convainquirent un des chevaliers du roi d’y apporter un faux message de la part de la fille :

« Dans une semaine, Vot’Majesté, j’vas v’nir vous trouver dans votre chambre. Mais chus ben gênée pour ma vertu, faique va falloir qu’on fasse ça dans l’noir dans dire un mot pour pas qu’le Seigneur s’en rende compte. »

L’idée, c’tait que Marie se fasse passer pour Béatrice pour coucher avec Pierre sans qu’y s’en aperçoive. Ça, en passant, ça s’appelle un viol. Mais, mettons que l’idée de consentement était pas hyper développée au 13e siècle.

Entécas, Pierre était tellement pressé d’avoir son nanane qu’y se méfia pas; le rendez-vous était pris.

Les Montpelliérains avaient yinque UNE CHANCE d’avoir un héritier qui les empêcherait de s’artrouver en mains étrangères après la mort de Marie. Faique y mirent le paquet : toute la semaine avant, y prièrent; la veille, y jeûnèrent; pis pendant, on leu z’avait dit d’aller à l’église, où-ce que les clercs allaient dire des messes pour la réussite du royal coït.

Pas de pression pantoute, hein?

Le soir de, la reine enfila une cape de madame mystérieuse et alla discrètement trouver le roi. En faite, oubliez ça, la discrétion, parce qu’a l’était accompagnée par 12 consuls, 12 chevaliers et notables, 12 dames, 12 demoiselles, deux notaires, le représentant de l’évêque, deux chanoines pis quatre religieux! Y’avait tellement d’monde en avant d’la porte à Pierre qu’on se s’rait cru en pleine visite guidée au fort de Chambly organisée par le club de l’âge d’or de Repentigny.

Mais, faut crère que toute c’te monde-là étaient ben, ben discrets, pas grippés pis avaient mis des pantouffes en phentex, parce qu’y passèrent la nuite dans l’corridor sans un maudit bruit, un ciarge dins mains, pendant que Marie pis Pierre faisaient leu z’affaire. Sûrement qu’y s’étaient apporté du popcorn aussi.

À l’aube, la délégation au complet rentra dans’chambre. Pierre fit un méchant step!

« Saint simonac, qu’est-cé ça! Vous êtes-qui, vous autres? Marie?!? Qu’est-cé tu crisses là? Est où, Béatrice? Voyons donc! »

Tandis que Pierre faisait la danse de Saint-Guy en essayant de mettre ses culottes à la va-vite, les deux notaires rédigeaient ben frettement un acte de toute c’qui s’était passé. C’qu’y est sûr, c’est qu’y manquaient pas de témoins!

« Ah, pis mangez don toutes de l’astie d’marde! » cria le roi en sacrant son camp pour de bon.

Entécas, soit Marie avait un timing impeccable, soit les prières pis les ciarges avaient fait leu job, parce que neuf mois plus tard, la seigneuresse de Montpellier accoucha en 1208 d’un p’tit gars qu’a l’appela Jacques.

Malheureusement, a l’avait pas fini d’se battre : quand y’arconnut le bebé comme le sien, Pierre l’enleva à sa mère pour le faire éduquer ailleurs pis le fiancer avec la fille d’un de ses alliés – en leu donnant la seigneurie de Montpellier en cadeau d’noces, yinque pour faire chier Marie.

À boutte, Marie se rendit à Rome pour que le pape ordonne à Pierre d’arrêter ses niaiseries pis la confirme une fois pour toutes comme seigneuresse de Montpellier. En janvier 1213, le pontife rendit un jugement qui y donnait raison su toute la ligne : le mariage à ses parents était valide, faique son demi‑frére était illégitime; son mariage avec Bernard de Comminges avait jamais été valide parce qu’y avait jamais divorcé de ses autres femmes, donc son mariage à Pierre était légitime; a l’était l’unique seigneur de Montpellier, pis son fils Jacques était l’héritier de Montpellier pis de l’Aragon.

Mais, avant même qu’a puisse artourner chez elle pour profiter de sa victoire, Marie rendit l’âme à l’âge de 30 ans. C’tait tellement vite après le jugement du pape en sa faveur qu’y en a beaucoup qui dirent que Pierre l’avait faite empoisonner.

Peu importe : Pierre II d’Aragon mourut su’l champ de bataille pas longtemps après, pis de toute façon, Marie de Montpellier avait gagné le combat de sa vie, malgré toutes les bâtons qu’on y’avait mis dins roues. A lâcha jamais le morceau, envers et contre toute, alors que ça aurait été tellement facile de juste farmer sa yeule pis se contenter d’être la femme d’un roi. A l’était peut-être pas douée de zouiz, mais a l’avait une volonté de fer! 


Source : Christian Nique, « Les deux visages de Marie de Montpellier », Académie des Sciences et Lettres de Montpellier, 2013.

Marie Iowa Dorion — partie IV

Partie I
Partie II
Partie III

Après avoir mangé autant de misère, Pierre, Marie et leux flos décidèrent de s’installer pour de bon dans une belle vallée de l’Oregon où c’qu’y fait beau à l’année, à cultiver d’la graine de lin pis à tisser des paniers d’chanvre…

Ha! Pas pantoute.

On sait pas trop c’qui s’est passé avec eux-autres dans l’année qui a suivi, parce que c’pas écrit nulle part. Mais à l’été 1813, Pierre s’mit à faire la queue de veau pis décida de partir en expédition de trappage avec John Reed, un collègue de l’expédition Hunt, pis deux autres gars. Marie pis les deux p’tits eurent pas le choix de suivre.

Faique les v’là qui étaient arpartis vers l’est, pis avant longtemps, la gang était déjà armontée jusqu’aux rives d’la rivière Snake – que les Canadiens français étaient rendus à appeler « la maudite rivière enragée ».

Plus haut, par’zempe, la rivière pas du monde filait pas mal plus doux; a d’venait pas mal plus large pis lente, faique y’avait pas d’problème pour s’promener dessus pis puiser d’l’eau à boire.  Pis là où la rivière Boisé v’nait se jeter dedans, c’tait bourré de castors. Y’avait aussi d’la truite, des oies, des canards, des lieuvres pis des faisans à manger.

En plus, la tribu de Shoshones qui restaient pas loin étaient super fins pis généreux. À une époque où tu risquais pas mal plus qu’une poursuite au civil en cas de chicane avec les voisins, c’tait pas à négliger.

Pierre pis John trouvèrent que c’tait ben d’adon, faique y choisirent c’te spot-là comme camp de base pis construisirent une cabane.

Pour Marie, c’tait comme déménager en banlieue avec un IGA pis un parc pas loin, la piscine hors terre en arrière pis la boîte d’Hello Fresh qui rentre à toués jours, pis le couple d’à côté est toujours après t’inviter à faire un feu sans sa cour pis à t’offrir des bettes à carde de son potager en permaculture.

Autrement dit, Marie était ben. A restait à la cabane avec les flos pis a tannait les peaux quand les gars arvenaient avec leux prises. La vie coulait doucement.

Dans l’courant de l’été, trois Canadiens français – Landry, Lachapelle pis Turcotte – se rajoutèrent à la gang. Pis au mois de septembre, y’arsoudit trois Anglais – Reznor, Hoback pis Robinson – qui avaient toute pardu après s’être faite attaquer par des Autochtones – pas les Shoshones d’la place, mais des « étranges ». Qui c’était, c’tes étranges-là, c’est pas tant un mystère; c’est juste que Marie, par qui on a su c’te boutte-là de l’histoire, avait aucune idée d’où c’qui t’sortaient.

À partir de là, ça commença à moins ben aller.

Landry s’péta la gueule à ch’fal pis mourut de ses blessures.

Turcotte se ramassa avec les écrouelles, une sorte de tuberculose qui pogne dans’gorge, pis péta au frette lui avec.

Un bon jour, Delaunay, un trappeur d’la gang du début, disparut; Pierre dit à Marie qu’y s’était sûrement faite tuer, parce qu’y avait vu un scalp de sa couleur de ch’feux dans un camp des Autochtones « étranges ».

Les étranges commencèrent à écœurer Pierre, John Reed pis les cinq autres trappeurs qui restaient. Jour après jour, y’arvenaient à la cabane pour se téter des affaires :

— Aweille donc, l’Blanc, t’as pas besoin de toutes c’tes munitions-là! Donne-nous en don!
— Heille, vous êtes ben gossants, vous-autres! Nos munitions, on n’a besoin! Arrangez-vous avec vos troubles!

Voyant qu’y arrivaient à rien avec les belles façons pis les belles chansons, les étranges se mirent carrément à faire du trouble : y volèrent une belle cape à capuchon qui appartenait à Lachapelle, pis y blessèrent un des ch’faux avec une flèche.

C’tait quoi l’idée d’attaquer gratuitement une pauvr’bête? Ch’peux pas croire qu’a leu z’avait faite des faces ou de quoi d’même.

Toujours est-il que Pierre pis John commençaient à sentir la soupe chaude, faique y décidèrent d’abandonner la première cabane pis d’en construire une autre un peu plus haut en armontant la rivière Boisé.

À c’te place-là, la gang put passer un excellent automne à trapper. Les belles peaux de castors tannées par les bons soins à Marie s’empilaient dans l’campe pis promettaient de rapporter un maudit bon motton au r’tour en ville.

Jusqu’au soir du 10 janvier 1814.

Les flos étaient couchés, Marie était su’l bord de faire pareil. Avec elle au campe, y’avait John Reed; Hoback pis Robinson étaient queque part pas loin tandis que Pierre, Lachapelle, Reznor  pis Le Clerc, un autre ancien d’l’expédition Hunt qui avait artonti pendant l’automne, étaient partis pour une de leux virées de trappe qui duraient plusieurs jours.

C’est là qu’artontit un des gentils voisins shoshones, épeuré pis toute essoufflé :

« Y’a une bande de Flancs-de-chien qui ont brûlé votre autre cabane pis qui s’en viennent drette vers vous-autres à ch’fal en poussant des cris de guerre! Y veulent votre peau! Sauvez-vous, sinon vous êtes faites! »

Si vous vous demandez c’est quoi l’affaire des Flancs-de-chien, c’t’une nation autochtone qui s’est nommée d’même par rapport à son mythe de création du monde.

Entécas, quand Marie entendit ça, a l’artroussa comme une toast quand tu forces la clanche du toaster :

« M’as prendre un ch’fal pis m’as aller avertir Pierre pis les deux autres! »

Faique tandis que Reed sortait les fusils pis s’apprêtait à aller charcher Hoback pis Robinson, Marie paqueta ses deux p’tits toutes collés de sommeil, les embarqua su’une jument pis prit le bois en pleine nuitte frette comme la mort pis noire comme le cul d’un our.

Justement, faisait tellement noir que Marie pardit son ch’min. Quand la tempête pogna, a l’eut pas le choix de s’cacher dins fardoches avec Paul pis Jean-Baptiste jusqu’à ce que ça passe, respirant à peine de peur de s’faire pogner par les Flancs-de-chien.

Quand enfin le temps se calma, pas moins qu’un jour plus tard, Marie arprit son chemin. Sauf que là, a vit d’la fumée dans la direction où c’qu’a pensait qu’étaient Pierre et compagnie :

« Peu importe c’est quoi, ça peut pas être des bonnes nouvelles. On va attendre encore. »

Faique Marie pis les deux p’tits passèrent encore une autre journée cachés. Comment c’qu’a persuadait les flos d’pas grouiller, je l’sais pas, mais c’t’un exploit.

La soirée du troisième jour, y’arrivèrent enfin à la petite hutte qui sarvait d’abri aux trappeurs. C’tait ben tranquille pis y’avait l’air d’avoir parsonne.

Toute d’un coup, quequ’un sortit d’entre les arbres pis s’dirigea vers elle en marchant tout croche : c’tait Le Clerc, blessé pis toute graissé de sang, su’l bord de tomber sans connaissance.

Marie se garrocha à sa rencontre :

— Wô! Monsieur Le Clerc! Voyons donc, vous êtes ben magané! Assisez-vous, là. Qu’est-cé qui vous est arrivé?
— Ah! Calvaire. On était après vérifier nos trappes à matin, pis là les Flancs-de-chien sont sortis d’nulle part pis nous sont tombés d’ssus! Chus ben désolé, M’dame, mais Lachapelle, Reznor pis vot’mari y’ont toute passé… Y reste juste moé…

Une nouvelle de même, c’est comme si le plancher tombait d’en d’sour de toé. Ça t’coupe le souffle. Ça change ta vie pour toujours.

Mais Marie avait pas l’temps de mettre le genou à terre. Sans pardre une seconde, a jouqua Le Clerc pis le plus jeune des flos su son ch’fal pis a r’prit l’bois direct.

A l’avait yinque une idée dans’tête : sauver Le Clerc pis avartir les autres. Sauf que Le Clerc était quasiment vidé de son sang pis y’arrêtait pas de pâmer; par deux fois, y tomba de ch’fal pis Marie dut l’armettre en selle.

À un moment donné, Marie dut s’résoudre à arrêter pis à essayer de l’mettre confortable autant que possible; c’tait clair qu’y passerait pas la nuitte.

Le Clerc prit ses darnières forces pour expliquer à Marie comment c’qu’a pourrait faire pour s’échapper avec ses flos sans s’faire pogner par les Flancs-de-chien. Pis, queque part avant l’aube, y’arrêta d’respirer pour de bon.

Au matin, Marie couvrit l’corps de fardoches pis d’neige; a l’avait ni l’temps, ni la force d’y creuser une tombe. A mit Paul pis Jean-Baptiste su le ch’fal pis arprit le ch’min d’la cabane à Reed.

J’me d’mande ben c’qui s’passait dans la tête des p’tits à c’te moment-là.

Le plus p’tit avait quatre ans; y d’vait pas vraiment réaliser que son pére était mort pis qu’y arviendrait pu jamais. Mais y d’vait ben sentir qu’y avait d’quoi qui allait pas. Sa mère était sué nerfs, c’tait évident, pis c’tait vraiment bizarre qu’a s’cache des Autochtones.

Le plus vieux, à six ans, avait dû comprendre le gros de c’que Le Clerc avait dit; assez pour être triste, assez pour avoir peur, assez pour pardre le sommeil pendant les nuites qui finissaient pu d’finir, collé après sa mére pis son p’tit frére en d’sour d’une grosse peau de bison tandis que le vent forçait pour rentrer par toutes les craques.

Pauvres p’tits cœurs.

Le quatrième jour, Marie spotta une gang de Flancs-de-chien qui clanchaient vers l’est. Tu’suite, a débarqua les flos du ch’fal, s’cacha avec eux-autres dans l’foin pis artint son souffle.

Heureusement, les Flancs-de-chien argardèrent jamais vers eux-autres pis y passèrent leu ch’min.

Fiou.

Le soir, Marie arriva enfin su l’dessus d’une colline qui donnait vue s’a cabane à Reed. J’vous dis que ça avait l’air tranquille là-dedans pis autour! Y’avait rien qui grouillait pis y’avait pas un son.

Quand même, Marie voulait absolument savoir si y’avait encore quequ’un de vivant là. Par contre, a l’était pas pour emmener les p’tits pis le ch’fal avec elle – c’tait ben que trop dangereux! Faique a les emmena dans un p’tit bois :

« Là, j’vas aller à’cabane pour voir si Monsieur Reed est encore là. Vous-autres, restez icitte pis grouillez pas! Pas un mot tant que je s’rai pas arvenue. »

Ça aussi, c’tait un risque : y’a rien qui disait à Marie qu’y aurait pas quequ’un pour arriver par en arrière pis partir avec la bête pis les p’tits gars. Mais a pouvait pas s’résoudre à partir sans savoir c’qui était arrivé aux hommes.

Faique a ramassa un gros couteau dans son sac pis partit vers la cabane en marchant ben doucement. Pis là, quand a fut assez proche, a se figea d’horreur : partout autour d’la bâtisse, la neige était couverte de sang. On aurait dit que Matante Rita avait renvarsé la bouteille de merlot s’a nappe en lin blanc à Matante Monique pis que les deux s’étaient sauté à’gorge.

Une brique dans l’estomac pis pu d’sang dins bouttes, Marie continua d’avancer pareil.

« Monsieur Reed? Monsieur Robinson? Monsieur Hoback? C’est moé, Marie! Youhou! Y’a-tu quequ’un? »

Mais y’avait yinque le vent. C’tait clair qu’y restait pu parsonne.

En tournant l’coin d’la cabane, c’est là qu’a les vit : Reed, Hoback pis Robinson – ou c’qui en restait. Mettons que ça aurait été de trop de tchéquer leu pouls : y’étaient poignardés, scalpés, défaites en bouttes. Y’avait eu d’l’archarnement.

D’après leu z’état, y’étaient probablement morts pas longtemps après que Marie soye partie avertir Pierre pis les autres. Pis eux-autres, y’étaient morts deux jours après, jusse avant que Marie arrive. C’est plate à dire, mais c’tes deux rendez-vous manqués-là avaient sauvé sa vie pis celle des flos.

Si Marie avait eu d’quoi dans l’ventre à c’te moment-là, pour moé a l’aurait restitué drette là; mais, a l’avait pas mangé depuis deux jours. A s’détourna d’la boucherie pis partit à course pour artrouver les garçons dans l’bois.

Pis là, a comprit d’quoi; ben sûr qu’a y’avait pensé avant, mais là, c’tait aussi terriblement clair qu’un boutte de vitre planté dans’chair : elle, Paul pis Jean-Baptiste étaient seuls au monde, entourés d’ennemis, en plein hiver, avec pu rien à manger.

Partie V


Source : Larry E. Morris, The perilous West : seven amazing explorers and the founding of the Oregon Trail, 2013.

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Pour faire comme eux-autres et lire les articles avant tout le monde, c’est par ici!

Combat de peintures! Judith et Holopherne

Y’a des bouttes de l’histoire, d’la mythologie ou bedon d’la Bible qu’on pourrait appeler des Greatest Hits – tout l’monde les connaît, un peu comme « Non, (Luc,) je suis ton père » dans’Guerre des étoiles. Pis c’tes bouttes-là, y’inspirent ben gros les artisses.

Faique pour le même boutte, y va y’avoir plusieurs peintures, sculptures, dessins, poèmes, chansons… Pis c’qu’y est ben intéressant, c’est de comparer les différentes versions.

Aujourd’hui, j’me suis dit qu’on pourrait faire ça avec six peintures qui arprésentent la même scène : Judith après décapiter Holopherne.

Selon la Bible, Judith, c’tait une jeune veuve juive ben belle pis ben courageuse. A vivait à l’époque où c’que le roi assyrien Nabuchodonosor avait envoyé son général Holopherne à’tête d’une grosse armée pour conquérir Israël.

C’te jour-là, Holopherne s’tait parqué en avant d’la ville de Béthulie pour l’assiéger. Après une secousse, les défenseurs d’la ville étaient brûlés raide, affamés pis découragés, quasiment su’l bord d’ouvrir les portes à l’ennemi.

Voyant ça, Judith les bourrassa un peu :

« Heille, gang de pissous! Vous manquez don ben d’foi! Creyez don que Dieu va nous sauver! »

A disait ça, mais a l’avait pas l’intention d’attendre là bouche ouvarte qu’y s’passe de quoi : a l’allait prendre les choses en main.

Rendu au soir, Judith ramassa une de ses servantes pis partit en direction du camp assyrien. Quand on y d’manda c’qu’a faisait là, a répondit qu’a l’avait des affaires secrètes à dire su les Juifs qui pourraient intéresser Holopherne.

J’vous avais dit que Judith était pétard. Faique quand Holopherne la vit, y d’vint instantanément serré d’la fourche. Y l’invita donc à un banquet pis toute, probablement dans l’espoir de, tsé veut dire, mais Judith l’encouragea à boire toute la soirée jusqu’à ce qu’y tombe quasiment saoul mort.

Quand y fut su’l dos ben étampé la bouche ouvarte, Judith pogna une épée pis, avec l’aide de sa servante, DÉCAPITA Holopherne.

Après, les deux femmes se faufilèrent en dehors du camp avec la tête pis la ramenèrent à Béthulie.

« QUINS! N’a pu, d’Holopherne. Sans leu général, les Assyriens vont se battre tout croche pis manger leux bas. »

Pis en effet, les Israélites, crinqués ben raide, défoncèrent complètement les Assyriens, qui fuirent la queue entre les deux jambes.

Judith avait sauvé Israël!

Mais là, allons argarder, voir, comment différents artistes ont imaginé la scène…


Version du Caravage, vers 1598-1599

Expression de Judith : C’te Judith-là a le cœur qui lève pis vraiment pas d’fun. On dirait une floune qui dépiaute son premier djeuvre! A l’était tellement pas prête, pauvre chouette. Pis ça s’rait bon de valeur si du sang r’volait su sa belle chemise blanche! 4/10

Technique : Ah, non, là! Caravage, ch’t’aime ben, mais là, tu l’as pas pantoute. C’est pas d’même qu’on coupe une tête! Judith a clairement jamais tenu une épée dans sa vie – gad-z’y le ti-poignet toute mou! A met aucune force, a se sert pas pantoute du reste de son corps, a l’a pas de point d’appui. Franchement, pour un peintre de c’te talent-là, c’est carrément gênant. 1/10

Travail d’équipe : Je donne des points pour le soutien moral, parce que clairement la servante est ben plus dedans que Judith, pis j’gage qu’a l’aimerait ben le faire elle-même. 6/10

Note globale : 3,5/10


Version de Jan de Bray, 1659

Expression de Judith : Dans c’telle-là, Judith a pas la face de quequ’un qui fait ça pour la première fois – a l’a une face d’assassin d’la Guerre froide. Judith, c’t’une tueuse. Un missile téléguidé du peuple hébreu. Le lendemain en mangeant ses toasts, a pensera déjà pu à Holopherne. 8/10

Technique : Pour couper une tête, y’a rien comme un bon coup franc, SHTOK! Judith a un pas pire élan. Si a finit ben son mouvement, si sa lame est assez aiguisée pis si l’gars grouille pas, a devrait être bonne. 7/10

Travail d’équipe : La servante sert à rien. Si y’a d’quoi, est dins jambes. J’donne deux points pareil, parce qu’au moins, est là. 2/10

Note globale : 6,5/10


Version de Trophime Bigot, vers 1640

Expression de Judith : Calme, concentrée su’a tâche. Pas de colère, mais pas de mal de cœur non plus. Judith a une job à faire, pis a veut la faire comme faut. 7/10

Technique : On dirait que Judith est après couper un gros baloney au lieu d’une tête. On va y donner ça : est physiquement engagée dans c’qu’a fait, pis tu vois qu’a met d’la force. Mais va falloir qu’a change d’outil ou bedon de technique pour passer au travers. 6/10

Travail d’équipe : Heille, c’est quasiment touchant. On dirait une maître-menuisière qui transmet ses connaissances à sa jeune élève pis la guide d’une main sûre, avec ben d’la patience pis du renforcement positif. Sauf que, tsé, sont après décapiter un homme. 9/10

Note globale : 7/10


Version de Giulia Lama, 1730

Expression de Judith : Ben voyons. Qu’est-cé qu’a attend-là, l’intervention du Saint Esprit? Aide-toé pis le ciel t’aidera, ma belle. Faique arrête de téter, pogne un couteau pis vas-y! 3/10

Technique : Visualiser la mort d’Holopherne pis attendre que la loi de l’attraction fasse la job pour toé, c’est pas une technique. 0/10

Travail d’équipe : Sa servante a vraiment l’air de s’demander qu’est-cé qu’a niaise. Tasse-toé, Judith, pis laisse-là don faire! 4/10

Note globale : 2,5/10


Version de Louis Finson, vers 1607

Expression de Judith : Y’a clairement de quoi qui l’énarve, mais ch’comme pas sûre si c’est nous-autres qu’a r’garde parce qu’on a pas d’affaire-là ou ben si c’est sa servante qui la gosse. Entécas, moé, ch’prendrais pas d’chance. 8/10

Technique : A tient son arme comme faut, toujours ben. Mais est ben que trop loin du gars pour être vraiment efficace. Va falloir qu’a s’rapproche pis qu’a fesse plusieurs fois si a veut passer d’bord en bord. 5/10

Travail d’équipe : La servante tient le sac, toujours ben. Pis sa face pis celle à Judith attirent toute l’attention dans la peinture; on r’marque quasiment pas Holopherne, à force. Mais sérieusement, j’m’en fais pour elle : y’a-tu vu les ganglions lymphatiques? Faut qu’a fasse argarder ça au plus vite! 5/10

Note globale : 6,5/10


Version d’Artemisia Gentileschi, vers 1620

Expression de Judith : Ça, c’t’une face qui dit « Quins toé mon tabarnak! ». Les sourcils sont froncés pis la bouche est pincée : Judith est concentrée pis décidée. Pis c’tu moé ou y’a même une p’tite pointe de satisfaction là-dedans? 9/10

Technique : Là on jase! Le poignard tenu comme faut, le genou monté su l’litte pour mettre plus de poids pis d’force, pis d’la raideur dans l’mouvement. C’te version-là est crissement pas propre! Mais tsé, ça pisse, une jugulaire! C’est pas CENSÉ être propre! 9/10

Travail d’équipe : Ah ben là, parzempe! La servante est drette dans l’action pis a aide Judith à maîtriser Holopherne. J’aime ça, moé, l’entraide entre créâtures! Décrissons le patriarcat! 10/10

Note globale : 9/10

Marie Iowa Dorion — partie III

Partie I
Partie II

Comme vous l’savez, c’est pas parce que t’es pogné dans’bécosse pas de papier que tu peux pas te rentrer une écharde dans l’cul par-dessus l’marché. Autrement dit, ça peut toujours être pire.

Pas longtemps après que la gang de l’expédition Hunt eut décidé de continuer le ch’min à pied, les bords de la rivière s’mirent à monter pis à monter, tellement qu’après un boutte, c’tait rendu des falaises pis c’tait presque pu possible de descendre jusqu’à l’eau.

Après la faim, manquait pu yinque la soif!

Un beau jour, y croisèrent une gang d’Autchtones qui avaient pas l’air riches riches eux-autres non plus. Pierre jasa avec eux-autres :

« Y trouvent pas d’bisons pantoute, qu’y disent. Y’ont pas grand-chose à manger. Mais y s’raient d’accord pour nous troquer du poisson séché pis une couple de chiens. »

Là, j’vous entends siler par en dedans : pauvres pitous! Y’allaient pas les manger? Ben oui : tsé, quand t’es mal pris d’même, ça r’met une couple d’affaires en perspective.

Faique les chiens furent abattus drette là pour la viande, pis l’poisson fut gardé pour plus tard.

À part de t’ça, les Autochtones leu dirent où c’qui avait d’l’eau, mais là, ch’sais pas si Pierre avait mal compris ou d’quoi d’même, mais y’eurent beau charcher, y trouvèrent pas une maudite goutte.

Rendu là, Marie et compagnie en étaient à licher la rosée su’é feuilles pis les flaques d’eau dans l’creux des roches. Y’en a même qui buvaient leu pisse. Tout le monde était crissement à boutte :

« Heille, faut l’faire, pareil, avoir soif de même pis être pogné pour manger d’l’astie d’poisson séché! »

D’mandez à Mononc’Poêle : moé, mettons que j’vas m’épivarder dans’nature, c’pas long que ch’pas endurable si j’ai faim pis j’ai soif. Marie, elle, a marchait depuis DES SEMAINES, avec presque rien à manger ni à boire, ENCEINTE, avec deux enfants en bas âge – sans même ralentir le groupe, Hunt l’a écrit dans son journal! – pis a disait pas un maudit mot.

C’tait une sainte. J’ai pas d’autre mot pour ça.

Mais là, si y’arrivait pas d’quoi ben vite, nos explorateurs allaient finir aussi secs que leu poisson. Heureusement, le soir du 20 novembre pis toute la nuite après, y mouilla à siaux. Faique Marie et les autres étaient trempes pis gelés, mais au moins, y’avaient pu soif!

Deux jours plus tard, y croisèrent d’autres Autochtones, pis ceux-là, y’avaient des ch’faux. Hunt réussit à s’en troquer une couple, tandis que Pierre pis un autre gars purent n’avoir chacun’un en échange de tuniques en peau d’bison. Y’était à peu près temps que Marie puisse s’arposer les pieds!

Décembre attendait l’expédition avec une brique pis un fanal : le premier du mois, y’eut une tempête du yâble avec d’la neige aux genoux, des gros flocons humides qui te pètent dins yeux pis le genre de vent qui a l’air de t’en vouloir parsonnellement. Le 2, c’tait tellement l’enfer que la gang dut rester campée. Pour manger, y’avait pu yinque un castor ch’nu qu’un des hommes avait réussi à pogner, des merises restées accrochées su’é branches pis des s’melles de mocassins.

Rendu au 10, Hunt ordonna qu’on abatte un ch’fal pour la viande, pis un autre, pis un autre, jusqu’à ce qui reste pu yinque lui à Marie. Quand a vit les yeux du boss se poser su sa bête maigre à faire peur, Marie sentit l’angoisse y pogner l’estomac comme une grosse main méchante avec des griffes pointues : a savait ben que trop que pu de ch’fal, elle pis les deux p’tits pourraient pu suivre pis étaient pas mieux que morts.

Heureusement, Pierre se mit drette entre son boss pis sa famille :

« Non. Pensez-y même pas. »

À’face qu’y faisait, y’avait pas besoin d’en dire plus. C’tait clair que n’importe qui qui s’essayerait à pogner le ch’fal se ferait sauter dans’face.

Pierre s’arvira d’bord pis tira su’a bride d’la bête pour qu’a r’commence à avancer. Parsonne s’astina, même pas Hunt.

C’tait ça qui était ça.

Le 16, finalement, les explorateurs sortirent des montagnes pis débouchèrent dans une immense plaine pas d’arbres. Faique au sens propre, y’étaient sortis du bois. Mais au sens figuré, c’tait pas gagné pantoute : y’avaient rien pour se protéger du vent pis pas grand-chose pour faire un feu assez gros pour se chauffer la couenne. En plus, y’étaient toujours aussi affamés.

Pis là, au loin, Hunt vit des p’tits filets de fumée : un camp! Du monde!

Y s’trouva que c’tait un village de Shoshones. Encore une fois, Hunt s’faisait sauver le cul par des Autochtones.

Après s’être installée pas loin du village, la gang put se bourrer la face de viande de chien pis de ch’fal, de poisson séché pis de cerises effoirées. Bon ok : rendu là, tout l’monde devait être tanné de toujours manger la même affaire, pis ça aurait ben pris un pot d’vitamines Fred Caillou pour compenser le manque de légumes verts, mais c’tait mieux que d’mourir.

Le lendemain, Hunt essaya de se trouver un guide pour le reste du voyage, mais y’eut beau offrir plein de cossins en échange, les Shoshones voulaient rien entendre :

« Êtes-vous malades? C’est pu un temps pour voyager. Ça vous tente-tu de marcher dans’neige jusqu’à la ceinture? Vous allez geler dur! Restez donc icitte avec nous-autres pour l’hiver. »

Mais c’te tête de cochon de Hunt était ben décidé à s’rendre au Pacifique d’une traite sans arrêter, au risque de pardre une couple d’orteils, ou pire. Maudit orgueil à marde.

Faique au lieu d’armarcier ses hôtes pour leu générosité pis d’offrir un r’pos ben mérité à ses hommes, à Marie pis à ses enfants, y décida à’place de convaincre les Shoshones de le guider en leu sortant son arme secrète – l’argument massue capable de faire faire n’importe quelle niaiserie aux détenteurs de zouiz depuis le début des temps : « Vous êtes pas games ».

« Meuh! C’est même pas si pire que vous l’dites. Vous m’contez des menteries parce que vous êtes trop lâches pour sortir de votre p’tit confort pour m’aider. Des vraies femmes! »

Heille, franchement : dire une affaire de même après avoir vu Marie trotter pendant des mois comme une ultramaratonienne de feu! Une chance qu’a l’entendit pas, parce qu’a se s’rait foulé l’nerf optique à force de l’ver les yeux au ciel.

Mais heille, y’a rien d’pire dans’vie que de s’faire traiter de créâture, hein? Faique trois Shoshones piqués dans leu z’orgeuil acceptèrent de guider l’expédition jusqu’au territoire des Sciatogas, un peuple autochtone qui restait plus à l’Ouest pis qui avait supposément plein de ch’faux à vendre.

Drette le 21, c’tait déjà l’temps d’arprendre la route. Pendant neuf jours, toute se passa plutôt ben; y’avait d’la nourriture en masse, le terrain était pas trop escarpé pis l’temps était pas trop laitte.

Pis là, le 29, su’l bord d’la rivière Powder, dans l’Oregon d’à c’t’heure, Marie eut un p’tit sursaut pis poussa une p’tite plainte. Comme a l’avait pas fait un maudit son depuis l’début, Pierre y d’manda :

« Marie, t’es-tu correcte? »

Toute les hommes s’artournèrent pour la r’garder, l’air inquiet; tsé, depuis l’temps, y s’taient pris d’affection pour elle.

« Pierre. C’est l’temps. »

Le bébé s’en v’nait.

Là, y fallut ben qu’a l’arrête – y’a toujours ben un boutte à toute. Pierre prit tu’suite les choses en main, pas plus plus stressé que ça :

« Bon, nous-autres va falloir qu’on fasse un stop icitte. Continuez sans nous-autres. Donnez-nous une journée pis on devrait vous arjoindre. »

Tandis que Marie descendait d’son ch’fal, Hunt pis sa gang s’en allèrent, quasiment à r’culons, craignant de pu jamais arvoir leu mére courage.

Là, j’voudrais ben vous donner plus de détails sur c’qui arriva à Marie pis à sa p’tite famille, tu’seuls dans l’bois dans leu tente pleine de courants d’air. Mais tsé, l’histoire est écrite par les hommes, pis les hommes, y racontent pas c’te genre d’affaire-là.

Disons juste qu’accoucher, c’est toffe pis risqué même au chaud pis en sécurité avec une sage-femme qui veille su toé, l’ambulance au boutte du téléphone pis les autres flos qui se font garder chez grand-maman; m’aginez au milieu de nulle part à -10 direct à terre avec yinque ton mari pis deux enfants en bas-âge.

Malgré toute, le 31, la famille Dorion arsoudit en arrière du reste de l’expédition, comme Pierre avait dit! Hunt pis ses hommes en r’venaient pas; d’ailleurs, dans son journal, Hunt prit la peine d’écrire :

« La femme à Dorion était à ch’fal, son bebé dins bras pis son flo de deux ans enroulé dans une couvarte pis attaché après elle. A y voir la face, on aurait dit qu’y lui était rien arrivé pantoute. »

Par’zempe, y précisa pas si l’bebé était un garçon ou une fille. Pis on l’saura jamais, parce qu’une semaine pis tard, Hunt annonça :

« Le bebé à Dorion est mort. »

Juste queques mots ben frettes pis secs pour une tragédie sans bon sens. Quelle chance qu’a l’avait de survivre, c’te p’tite crotte d’amour-là, dans des conditions d’même? Encore là, parsonne prit la peine d’écrire comment Marie avait réagi. Sûrement que de déhors, a laissait rien paraître, même si a l’avait l’cœur en grénailles.

Le 8 janvier, le groupe arriva chez les Sciatogas. Y’étaient une grosse gang, ben installés dans une trentaine de cabanes, pis comme les Shoshones avaient dit, y’avaient pas moins que 2 000 ch’faux.

Les explorateurs restèrent six jours à c’te place-là, à s’arposer pis à manger. Tellement que, quand y’arpartirent, y’en avait plusieurs qui étaient verts d’avoir abusé des bonnes choses, pis d’autres qui filaient croche après avoir bouffé des racines louches. (J’voudrais ben vous dire c’tait quoi ces racines-là, pour référence future, mais Hunt le précise pas.)

Après ça, ça sert pas à grand-chose que j’vous raconte toute c’qui leu z’arriva dins s’maines d’après – encore des péripéties de plein air extrême version 19e siècle.

Pis finalement, le 15 février, l’expédition Hunt arriva su’l bord du Pacifique. Yé! Enfin! Après toute c’te misère!

Au début, John Jacob Astor, le commanditaire de l’expédition, avait dans l’idée que Hunt fasse le trajet par la terre pour trouver un ch’min fiable tandis qu’un navire, le Tonquin, irait l’arjoindre dans l’Pacifique en faisant l’tour par en d’sour de l’Amérique du Sud.

Le Tonquin s’tait bel et bien rendu, pas plus tard qu’en juin, même. L’affaire, c’est qu’une bonne journée, tandis que l’équipage faisait du commerce avec la nation Tla-o-qui-aht de l’île de Vancouver, un des chefs chiala que les prix avaient pas d’allure.

Pis là, le capitaine du Tonquin, un gros maudit moron de sans-dessein pas foutu de s’gérer l’astie de caractère de cochon, pogna les nerfs, ramassa une des peaux à vendre su’a table pis la frotta dans’face du chef comme si y’avait une grosse tache un milieu du front.

Les Tla-o-qui-aht étaient fâchés noir, mais y dirent rien su’l coup. Y’arvinrent le lendemain, pis quand y furent montés su’l Tonquin sous prétexte de faire du troc, y massacrèrent tout l’monde pis firent le dawa à bord. Plus tard, tandis qu’y r’gardaient pas, des survivants qui avaient réussi à s’cacher mirent le feu au stock de poudre du navire pis le firent exploser. BEDANG!

Bref, c’tait pas mal un échec total de c’côté-là. Pis du côté à Hunt, c’tait pas vargeux non plus : y s’était rendu, mais y’avait ben que trop viraillé comme un épais dins montagnes pour tracer une route commerciale dans l’sens du monde.

Pis Marie, elle, dans toute ça? Après avoir parcouru 2 073 milles, crevé de faim, gelé jusqu’à moëlle pis pardu un enfant, qu’est-cé qu’a l’allait faire?

Entécas, le calme pis le repos, c’tait pas pour tu’suite. Tant qu’à moé, son heure de gloire était encore à v’nir.

Partie IV


Source : Larry E. Morris, The perilous West : seven amazing explorers and the founding of the Oregon Trail, 2013.

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Marie Iowa Dorion : héroïne oubliée pis toffe d’entre les toffes — partie II

Partie I

Parce que là, voyez-vous, si pressé qu’y était de clancher vers le Pacifique, c’te cabochon de Wilson Price Hunt s’était lâché ben que trop de bonne heure dans la saison : la rivière Missouri était encore toute gonflée par les eaux de fonte pis embarrassée d’arbres morts pis d’autres cochonneries.

Bref, ça avançait vraiment pas vite – tellement pas, en faite, que deux mois plus tard, quand Marie et compagnie arrivèrent enfin su’l territoire du peuple des Mandans – dans l’Dakota du Nord à c’t’heure –, une autre expédition partie de Saint-Louis trois s’maines après eux-autres avait eu l’temps de les rattraper.

Pis pour le plus grand malheur de Pierre, c’t’expédition-là était justement celle à Manuel Lisa, c’t-à-dire son ancien boss d’la Missouri Fur Company, pis le gars à qui y d’vait de l’argent. 

Ah pis vous savez pas qui qu’y était là aussi? Nuls autres que la grande Sacagawea pis son mari Toussaint Charbonneau! Y’avaient pogné le lift avec Lisa pour arvenir chez eux, chez les Mandans.

C’pas écrit nulle part si Sacagawea pis Marie se sont parlé à c’te moment-là, mais c’est ben possible : leux maris s’connaissaient ben, pis les deux y jasaient en français pareil comme toé pis moé. L’affaire, c’est que Sacagawea pis Marie avaient pas d’langue en commun. Faique si y’ont piqué une jasette, c’tait avec Pierre pis Toussaint comme interprètes.

Heille, j’aurais-tu aimé ça, moé, être une tite mésange pas loin à faire tchikadi-di-di pis voir c’te rencontre-là? 

J’sais ben pas c’qu’y ont pu s’raconter. Mais si y’avaient pas été pognées avec leux maris comme interprètes, y se s’raient sûrement dit de quoi comme « maudits hommes » : après toute, y’étaient toutes seules de femmes au travers d’une centaine de zouiz des bois crottés pis puants. En plus, c’est crisse, mais Toussaint lui’ssi était porté su’es claques pis su’a bouteille, mais encore pire que Pierre.

D’ailleurs, m’as vous dire une affaire : quand a l’avait 12 ans, Sacagawea avait été enlevée par le peuple des Hidatsas, qui n’avaient faite une esclave. Un an plus tard, Toussaint l’avait achetée ou gagnée au jeu, comme un char ou un voyage dans l’sud, pis a l’avait pas eu pantoute son mot à dire. Pis quand Lewis pis Clark les avait arcrutés, Toussaint pis elle, probablement qu’a l’avait pas eu l’choix d’suivre, sous peine de mornifles pis d’serrage de bras qui laisse des bleus.

C’t’un peu la même affaire pour Marie : comme j’vous ai dit, on sait même pas si a l’avait l’goût de partir en expédition à l’autre boutte du continent ou bedon si Pierre l’avait obligée. Mais vous savez quoi? Dans mon livre à moé, ça montre juste à quel point les deux étaient toffes, des vraies survivantes qui ont faite du mieux qu’y ont pu dans un monde dur qui allait jamais leu laisser d’chance.

Scusez pour l’aparté, mais messemble que c’t’important de mettre les affaires en contexte.

Toujours est-il que pour tu’suite, Lisa, l’ancien boss à Pierre, avait d’autres chats à fouetter qu’son ancien employé. Les gars de l’expédition qu’y avait envoyés dins Rocheuses y’a plus qu’un an étaient jamais arvenus, pis y’avait entendu dire que des trappeurs canadiens s’taient faite tuer par des guerriers des peuples Absaroka pis Arikara.

Bref, les relations avec les Autochtones plus à l’ouest étaient pas vargeuses, pis, bon… c’tait compréhensible. Vous feriez quoi, vous-autres, si une gang d’étranges débarquaient chez vous pour chasser votre gibier, essayer d’vous enfirouaper avec des papiers bizarres pis vous donner la p’tite vérole?

Faique même si y’était en beau maudit que Hunt y aye volé ses hommes, Lisa était prêt à avaler son étron. Comme y’étaient yinque 25 en toute dans son expédition, y se disait que si sa gang pis celle à Hunt voyageaient ensemble, y’avaient plus de chance de s’en sortir vivants. 

Mais si y voulait convaincre Hunt, y’était aussi ben de s’atteler : Hunt avait pas pantoute envie de faire des risettes à un rival, pis McClellan, son numéro deux, était convaincu que Lisa avait grenouillé pour virer les Sioux contre lui pis ses trappeurs l’année d’avant. 

« Si j’vois c’t’astie d’mange-marde de Lisa, m’as l’abattre comme un coyote drette là, le tabarnak! »

Faique, avec les deux expéditions campées une à côté d’l’autre pas loin du village des Mandans, ça prenait yinque une étincelle pour partir une attisée. 

Pis ça aurait ben pu péter quand, un soir, Lisa fit dire à Pierre Dorion qu’y avait affaire à lui. Quand Pierre arriva su’l bateau à Lisa, y’était assis à son bureau, une bouteille de whisky pas loin :

« Salut mon Pierre! Heille, j’te vois la face, là, mais relaxe : viens t’assire pis prendre un p’tit verre, j’ai d’quoi à te proposer. »

Lisa connaissait son homme : jamais que Pierre allait arfuser un whisky. 

— Bon, qu’est-cé qu’t’as à m’dire?
— Gad’, m’as pas passer par quatre chemins. Ta dette, là… 
— Ah calvaire, ch’tais sûr que t’allais m’parler de t’ça! 
— Ouin, mais calme-toé. J’ai besoin d’gars comme toé, pis ça m’a faite ben mal quand j’ai su que t’étais parti avec Hunt. Faique mettons que tu lâchais Hunt pour t’en v’nir avec moé, pis qu’on oubliait toute le reste?
— Heille, penses-tu que j’ai envie d’arvenir avec un crosseur comme toé? Quand on était icitte l’année passée, t’as profité d’moé en m’vendant les affaires quatre fois l’prix parce qu’y avait yinque toé qui avait du stock à vendre!
— Pierre, tu sais ben qu’j’essayais juste de rentrer dans mon argent. J’t’ai jamais tordu un bras pour te faire boire, tsé. Mais entécas, c’est pas comme si t’avais l’choix, parce que j’ai pris un bref de dette contre toé à Saint-Louis. Faique si tu me payes pas pis que tu t’arpointes la face là-bas, tu vas te faire arrêter pis crisser à’prison civile! 

Pierre, en beau fusil, artroussa d’sa chaise pis crissa son camp drette là en lançant une darnière pointe : 

« T’es un astie d’chien sale! Jamais que j’te devrais autant d’argent si tu m’avais pas chargé 10 piasses la pinte de whisky! Que l’yâble t’emporte! »

Juste pour vous expliquer un ti-peu : dans c’te temps-là, tu pouvais vraiment aller en prison parce que tu d’vais de l’argent à quequ’un. Pis même si une pinte du temps, c’tait à peu près un litre, 10 piasses de 1810, ça r’vient à 225 piasses aujourd’hui. Faique oui, c’est vrai que Lisa chargeait les yeux d’la tête. Mais c’est vrai aussi qu’y lui avait pas varsé l’whisky d’force dans l’gorgotton. 

Plus tard, Lisa se pointa au camp Hunt pour emprunter d’quoi. Y v’nait pas pantoute pour Pierre. Sauf que Pierre le spotta, pis y s’garrocha su lui pour y sacrer une volée. 

Lisa, fâché noir, partit à course vers son bateau.

Pierre, convaincu qu’y allait r’venir armé, alla dans sa tente pis arsortit avec deux pistolets. 

Voyant ça, les autres gars de l’expédition Hunt se rangèrent en arrière de lui. 

Lisa arvint avec sa gang pis un gros couteau accroché après sa ceinture. 

La seule raison pour laquelle ça vira pas en échauffourée du yâble avec du sang partout, c’est qu’y s’adonnait à avoir un botaniste, John Bradbury, pis un écrivain, Henry Brackenridge, qui voyageaient avec les expéditions. 

Y’arrivaient de s’épivarder dans la plaine à trouver l’herbe fascinante pis à tirer su des bisons pour le fun quand y tombèrent su c’te scène-là. Comme y’étaient neutres dans la chicane pis que ça leu tentait pas pantoute de rester pognés tu’seuls su’l bord d’la Missouri avec un tas d’cadavres, y s’mirent entre les deux gangs pis réussirent à calmer l’jeu. 

Fiou. 

Mais, heille! C’est l’histoire à Marie, ça là! « Testostérone dans’prairie », c’t’assez pour aujourd’hui.

L’expédition Hunt resta un boutte chez les Mandans jusqu’au mois d’août avant de s’lâcher vers l’Ouest pour la partie la plus toffe du voyage : le Montana, le Wyoming, l’Idaho pis finalement, la traversée des Rocheuses, avant l’hiver à part de t’ça. Méchant contrat. 

Faique y partirent à ch’fal. Y’avait une bête pour deux hommes, mais Pierre s’arrangea pour qu’y en ait un jusse pour Marie pis les p’tits. C’tait ben la moindre des choses.

Y’avait aussi un ch’fal chaque pour les six gars, dont Pierre, qui avaient comme job d’aller chasser l’bison. Mais, m’as vous dire que la chasse était pas vargeuse. Une fois, y durent aller virer assez loin pour trouver d’quoi que quand y finirent par arvirer d’bord, leux traces s’étaient effacées, pis comme le terrain était plate comme un dimanche après-midi, y’avaient rien pour s’arpérer. Y’étaient pardus.

Marie, elle, continuait de suivre l’expédition pis à s’occuper de ses deux p’tits. A d’vait se sentir ben seule au travers de toute c’tes gars-là – des Anglais pour la plupart, pis a parlait pas anglais. En plus, tsé, parler à une « sauvagesse » qui « appartenait » à un autre homme, c’tait pas ben vu. A l’aurait aussi ben pu être invisible. 

Là, ça faisait quasiment une semaine que Pierre pis les autres chasseurs étaient partis : 

« Sont où, don? D’un coup qu’y se sont faite attaquer par des Sioux ou des Shoshones? »

Pis un soir où c’qu’y mouillait des hallebardes, Pierre et compagnie arsoudirent enfin au camp, brûlés raides pis trempés jusqu’à moelle. 

« Pierre! T’es là! »

Son mari avait beau s’comporter comme une vidange avec elle par bouttes, c’te soir-là, y’avait rien d’plusse doux pour le ti cœur à Marie que d’sentir sa chaleur contre elle. 

Vers la fin du mois d’août, y faisait déjà assez frette pour que les ruisseaux commencent à geler pendant la nuite. Y’étaient rendus au Wyoming, au beau milieu des montagnes Rocheuses, pis ça montait comme dans’face d’un singe. Ça descendait aussi raide, pis ça avançait pas vite vite. 

Un beau jour, un des chasseurs arconnut trois grosses montagnes pointues une à côté de l’autre pis annonça, toute content : 

« Juste l’autre bord, c’est l’fleuve Columbia! On a yinque à s’rendre là-bas, pis après, ça va être un pet de descendre en canot jusqu’à l’océan! » 

C’tes trois montagnes-là, Hunt les nomma les « Pilot Knobs », mais plus tard, une gang d’ados attardés les appelèrent les « Trois Tétons », pis c’est le nom qui est resté.

Faique quand l’groupe tomba su la rivière Snake, un affluent du Columbia, Hunt ordonna qu’on abandonne quasiment toutes les ch’faux à un village autochtone pas loin pis qu’on construise des canots pour continuer l’chemin su l’eau. 

Tout l’monde était tellement tanné d’crapahuter – tsé, la rando, c’t’un goût qui s’développe – que l’idée à Hunt passa comme du beurre dans’poêle.

Sauf que la Snake avait un autre nom : « the mad river », la rivière de fou. Tandis que les gars construisaient les canots, deux Shoshones arsoudirent à leu camp, pis quand y comprirent c’que Hunt et compagnie voulaient faire, y s’mirent à faire des sparages qui disaient clairement : 

« Prenez pas c’te rivière-là, astie, vous allez toute finir en écrapou su’é roches! »

Mais bon. Les Blancs, ça s’pense toujours plus fin que l’monde des Premières Nations, faique Hunt changea pas d’idée. 

Câline que Hunt aurait dû écouter les Shoshones! La Snake était pleine de rapides du yâble, pis la gang était tout l’temps obligée de débarquer pour faire du portage. 

Par trois fois, des canots chavirèrent pis plein de stock fut pardu dans les eaux blanches en furie. Pis le 28 octobre, y’arriva d’quoi d’horrible : Antoine Clappin, un voyageur canadien français expérimenté qui était pratiquement né avec une pagaie dins mains, fonça drette dans une grosse roche au milieu des rapides pis disparut pour pu jamais être artrouvé. 

C’tait la première fois que Hunt pardait un gars dans son expédition, pis ça y rentra d’dans pas pour rire. Y fut obligé d’se rendre à l’évidence : si y s’obstinaient à continuer en canot, y’allaient toute finir comme Clappin. 

« Ok, on laisse les canots là pis on continue à pied! »

Rendu là, y tombait déjà d’la grosse neige mouilleuse, pis y faisait frette, tellement frette! À cause de c’qui avait été pardu avec les canots, le groupe avait pu yinque pour cinq jours de provisions. Les chasseurs avaient beau essayer, y trouvaient yinque du castor; pis l’castor, ça fait des beaux casses de poil, mais ça fait pas des gros lunchs. 

Les gars faiblissaient de jour en jour, pis plus y v’naient faibles, plus y v’naient lents. Si y trouvaient pas d’l’aide ben vite, y’allaient toute mourir de faim gelés comme des crottes entre deux sapins. 

Marie, elle, endurait toute en silence, son plus vieux qui marchait à côté d’elle pis son plus jeune su son dos. En faite, a faisait tellement ça comme une championne qu’a l’inspirait les hommes à toffer sans chiâler pis à continuer d’avancer.

Pis c’qu’y savaient pas, c’est qu’en plus de toute ça, Marie était enceinte de six mois.

Partie III


Source : Larry E. Morris, The perilous West : seven amazing explorers and the founding of the Oregon Trail, 2013.

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