Marie Iowa Dorion — partie V

Partie I
Partie II
Partie III
Partie IV

Marie sentait comme un gouffre atroce en dedans d’elle, sombre pis plein d’vent qui hurle, qui lui creusait les entrailles pis qui l’aspirait en même temps. Les jambes y manquaient. La tête y tournait. A l’avait l’goût d’vomir. A l’était tellement découragée, brûlée pis accablée d’peine qu’a put yinque se rouler en boule avec les flos en d’sour d’la peau de bison, sans parler, sans manger, sans même faire un feu.

A ferma pas l’œil d’la nuite tandis que ses pensées viraient en rond sans arrêt :

« Pierre est mort. Pis Reed pis Robinson pis Le Clerc pis les autres… Ah, c’tes pauvres hommes! Seigneur, tu parles d’une fin épouvantable! Y méritaient tellement pas ça! Pis nous-autres, si on reste icitte, on va mourir de faim ou ben s’faire pogner par les asties d’Flancs d’chien. Y fait frette à fendre, y’a ben que trop épais d’neige, on a rien dans l’ventre. Ah, Jésus-Christ, si seulement y’avait quequ’un pour v’nir nous sauver! Mais y’a pu parsonne. Y’a yinque moé. Pierre est mort… »

Si ça avait été yinque d’elle, Marie aurait clanché drette là vers l’ouest, en pleine nuite, pis couru pis couru jusqu’à temps qu’a l’aye pu d’jus, peu importe le danger. C’est ça que ça y criait d’faire au plus profond d’elle-même.

Mais a l’avait ses p’tits avec elle. A l’entendait leu ti respir tandis qu’y dormaient collés su elle. Y’étaient déjà faibles de faim – jamais qu’y tofferaient la run. Peu importe c’qu’a choisissait d’faire, fallait qu’a commence par leu trouver d’quoi à manger.

Y’avait toujours ben ça de clair.

C’est là que Marie pensa à d’quoi :

« Y’est censé avoir une réserve de poisson séché dans’cabane. Faique, à moins que les tueurs soyent partis avec, ça doit être encore là… »

Marie se l’va aux aurores. Avant d’aller à’cabane, fallait qu’a soye sûre qu’y aye pas de Flancs d’chien dans l’coin. Faique a l’emballa Paul pis Jean-Baptiste ben comme faut dans la peau d’bison pis leu dit :

« Faut que Maman aille voir de quoi. Ch’s’rai pas partie longtemps, ok? Restez ben tranquilles, j’vas r’venir, j’vous promets. »

A r’tourna su’a colline qui donnait vue su’a cabane pis observa un tit boutte : encore là, pas un chat.

« Ch’prendrai pas d’chance, m’as y aller c’te nuite. »

Quand à r’trouva ses p’tits gars, y’avaient les lèvres toutes bleues, les dents leu claquaient pis y bougeaient quasiment pu. A voulait pas faire de feu de peur que la fumée les fasse arpérer, mais rendu là, c’tait ça ou bedon les flos mouraient gelés.

Faique a fit une attisée pis l’éteignit dès que ses p’tits cœurs furent réchauffés ben comme faut. Pis une fois la noirceur tombée, a se dirigea vers la cabane : 

« Ah! Merci, merci, merci Seigneur Jésus-Christ, le poisson est encore là! »

Pis y’en avait pas mal, à part de t’ça; Marie put yinque en emporter la moitié pour tu’suite.

Juste avant l’aube, a r’fit le chemin vers son p’tit campement d’fortune. Y’était temps qu’a l’arrive avec de quoi à manger, parce que ses pauvres cocos avaient la p’tite lumière de batterie qui clignotait rouge.  

Marie fit un feu pis, enfin, donna aux flos du poisson séché. Y t’mangèrent ça s’un moyen temps, en grondant, les yeux fiévreux, comme si y’existait pu yinque ça dans l’univers.

Le lendemain, Marie arfit la même affaire pis ramena l’autre moitié du poisson séché. C’te job-là de faite, elle pis les p’tits étaient pu autant proches d’la perdition. Y’étaient quand même dans’marde en saint sifflette, mais… moins. Juste assez pour que Marie baisse un peu sa garde, c’te soir-là… Pis que le gouffre noir en dedans d’elle arcommence à la ronger :

« Pis là… Ch’fais quoi? Y’a rien à faire. Pierre est pu là. Y m’reste pu rien. Quand ben même que j’artournerais à’Willamette, ça donnerait quoi? Pu d’mari, j’vivrais dans’misère pis c’est toute… »

A passa quasiment une éternité presque sans bouger, effoirée par le désespoir; toute était trop grand, trop loin, trop frette, trop dangereux, trop impossible.

« Mourir gelés icitte ou bedon d’un banc d’neige à une semaine de route… Autant s’éviter du trouble pis rester proche des autres le temps que ça finisse… »

Mais au boutte de trois jours, Marie artrouva un semblant de force :

« C’pas vrai que j’ai pu rien. »

A se l’va enfin, paqueta littéralement ses petits, mis toute su le ch’fal pis prit la direction de l’Ouest.

Pendant neuf jours qu’a marcha, dans’grosse neige aux genoux en tirant le ch’fal par la bride, à monter pis à descendre des côtes pis en manquant s’tuer en tombant dins précipices ou bedon dans’bonne vieille rivière Snake. Pis c’tait pas comme dins parcs d’la SÉPAQ, là, que même si t’arrives à 6 h du matin un lendemain de tempête, y’a toujours un crinqué qui a déjà tapé l’sentier. Je l’sais pas si Marie avait des raquettes, mais j’y souhaite en astie.

En plus, pour faire du mal, a d’vait être dans l’même coin où c’qu’a l’avait accouché pis pardu son bebé deux ans avant – rien pour alléger l’atmosphère, mettons.

Pis là, le ch’fal arriva au boutte de ses forces. Y’était sec comme un coton pis c’tait clair qu’y frait pu un pas de plus.

« Bon, ben, advienne que pourra, c’est icitte qu’on va camper pour le reste de l’hiver. »

Marie trouva un spot caché, à l’abri du vent, au pied d’un précipice pardu au beau milieu des montagnes Bleues. Là, a fit boucherie avec la pauvr’bête. A l’accrocha la viande après un arbre pour qu’a gèle pis pour pas que la varmine tombe dedans; ça allait pas mal être la seule affaire qu’elle pis les p’tits auraient à manger jusqu’à ce que l’pire de l’hiver soye passé pis qu’y puissent espérer de s’rendre l’autre bord des montagnes.

Après ça, fallait qu’a pense à s’faire un abri. Comme matériaux, a l’avait des branches de sapin, du foin, d’la mousse pis d’la neige, pis c’tait toute. En plus, c’tait pas comme si y’avait déjà un beau p’tit tas d’branches coupées toute égal qui l’attendait – comme a l’avait pas de hache pis encore moins de sciotte, y fallut qu’a gosse toute à’mitaine avec son ti canif de rien! 

Mais, à force de savant taponnage, Marie finit par construire une p’tite hutte avec juste assez de place pour qu’a puisse rentrer dedans avec les deux flos. Fallait pas que ça soye ben ben plus grand que ça : l’idée, c’tait que l’abri se chauffe avec yinque la chaleur du des corps qu’y avait d’dans. Autrement dit, on était à des milles du shack en bois rond de luxe avec foyer, écran plat pis spa su’a galerie d’en arrière.

Moé, depuis l’début, y’a deux choses qui m’épatent sans bon sens : le courage à Marie, ben crère, mais aussi, la résilience des flos.

Tsé, de nos jours, tu pars juste pour une fin de semaine de vélotourisme dans Bellechasse avec les enfants pis t’es obligé de r’virer d’bord après deux heures parce que c’est plate, fait frette, est où ma tablette, veux des glosettes, perdu ma casquette, alouette, pis quand t’argardes su’l p’tit siège en arrière tu vois yinque une grand’bouche qui braille avec des larmes autour.

Mais Paul pis Jean-Baptiste, eux-autres, y’ont toute toffé comme des champions malgré la faim pis l’inconfort.

Quand Marie décida de l’ver le camp, au milieu du mois d’mars, ça faisait CINQUANTE-TROIS JOURS qu’y étaient là. Les flos d’vaient-tu faire la queue d’veau, un peu, vers la fin? Un bonhomme de neige, ça commence à être moins l’fun quand t’es rendu à ton 42e de suite, pis c’t’un peu poche de jouer à’cachette l’hiver.

Entécas, le temps s’tait assez adouci pour qu’y essayent de travarser les montagnes. Mais surtout, y leu restait pu de viande de ch’fal pis y’étaient passés au travers de leu réserve de poisson séché. C’tait l’temps qu’y partent. Sauf qu’y marchaient même pas depuis deux jours qu’y frappèrent un mur :

« Ahh, bonne Sainte Anne, mes yeux! Ça brûle! J’vois pu rien! »

Quand le soleil fesse su’a neige, sa lumière est réfléchie pis a t’arvient dins yeux; ça brûle, ça picote, ça larmoie pis tu peux même perdre la vue. C’pas pour rien que les Inuits ont toujours des espèces de lunettes avec une fente dedans!

Faique en s’promenant dins champs de neige en d’sour du gros soleil du printemps, Marie s’tait brûlé les yeux. Normalement, ça finit par guérir tu’seul, mais pour tu’suite, Marie était ben mal prise :

« Non, non, non! Ça s’peut pas! C’pas vrai! On peut pu avancer, sinon on risque de virer en rond ou de sacrer l’camp dans une crevasse. »

Une journée passa, pis une autre, pis une autre; Marie voyait toujours rien.

« Voyons, ça va-tu arvenir? D’un coup que ça r’vient jamais? Ben non, calme-toé, Marie, tu l’sais que ça r’vient. Mais c’est ben long! J’en peux pu! »

A stressait ben raide, sachant qu’y avaient pu d’reste de provisions pis chaque jour qu’y pardaient les mettait encore plus en danger de mourir de faim.

Finalement, le matin d’la quatrième journée, Marie s’réveilla en voyant assez pour être capable de s’orienter, faique a décida d’arprendre la route.

Elle pis les p’tits finirent par sortir des montagnes 15 jours après être partis d’leu camp d’hiver, pis y’arrivèrent dans une grande plaine. Sauf qu’y’étaient loin d’être sauvés : y’avait pas âme qui vive dins environs, pis ça faisait deux jours entiers qu’y avaient absolument rien mangé. Les enfants étaient rendus trop faibles pour marcher, faique Marie d’vait les porter.  

Marie avait besoin d’un miracle. Pis là :

« Hein! C’est-tu c’que ch’pense, ou ch’t’après halluciner? »

Au loin dans’plaine, y’avait un tout p’tit filet de fumée, le genre qui vient d’un feu d’camp.

« J’m’en sacre si y faut que j’me traîne avec les dents, mais j’vas me rendre là-bas. »

Sachant qu’a y’arriverait jamais avec Paul pis Jean-Baptiste dins bras, a prit une décision ben difficile :

« Mes cocos, Maman va aller chercher d’l’aide. J’vas r’venir, promis juré. Vous allez voir, dans pas long, on va manger des bonnes choses pis faire dodo près du feu pis on va être sauvés. »

A les emballa dans la peau d’bison, les cacha ben comme faut au travers des grosses roches puis, l’cœur qui savait pu si y d’vait s’gonfler d’espoir ou s’fendre en mille miettes, a partit en direction du filet d’fumée.

Au début, Marie avait pensé être capable de s’rendre au campement avant la noirceur, mais au coucher du soleil, a faisait pu yinque ramper. A pensa aux flos qui d’vaient capoter de passer la nuite tu’seuls pis de pas la voir arvenir, mais a l’était tellement écrasée de fatigue qu’a s’endormit dins fardoches.

A s’armit en ch’min dès qu’a l’ouvrit l’œil, mais a faisait chaque pas comme si a l’avait des boules de quilles dins bottines. Ben vite, a dut s’mettre à genoux. Vers la fin de l’avant-midi, chaque pied, chaque pouce qu’a l’avançait y prenait toute l’amour qu’a l’avait pour ses gars. Pis là, a pardit connaissance.

« Madame? Madame! Êtes-vous correcte? »

Heureusement pour elle, Marie avait pâmé assez proche du camp pour que quequ’un la voye, pis du monde vinrent tu’suite la ramasser. Y’étaient d’la nation des Walla Wallas, pis y furent super fins avec elle. A leur expliqua où c’qu’a l’avait laissé Paul pis Jean‑Baptiste. Une gang partit drette là les charcher pis les ramena le soir même, ben vivants.

L’horreur était finie pour de vrai.

On s’entend qu’après une aventure de même, Marie était ben écœurée de crapahuter pis de s’donner d’la misère; a décida donc de rester un boutte avec les Walla Wallas. Quand la Compagnie du Nord-Ouest construisit un poste de traite pas loin, a rencontra un autre voyageur du nom de Louis Vanier pis a se maria avec. A l’eut une fille avec lui, mais comme Pierre, y fut tué par des Autochtones. Ben coudonc.

Après, a s’armaria avec Jean-Baptiste Toupin, un employé d’la Compagnie d’la Baie d’Hudson. Y’eurent deux enfants ensemble, pis y’allèrent s’installer dans la belle vallée d’la Willamette, où quasiment tout l’monde parlait français. Super croyante pis hyper respectée, a d’vint un pilier de sa paroisse. À sa mort, a fut même enterrée en d’sour du parvis d’l’église, c’est ben pour dire.

Moé, entécas, j’me d’mande qu’est-cé qu’y attendent pour faire une vue ou un programme de tévé su sa vie. Après toute, y’ont ben faite un film su Léonardo DiCaprio qui arvient en ville tout crotté pis habillé en poil; mais lui, on sait ben, y’avait pas la charge mentale d’une femme qui est pognée pour survivre en s’occupant de deux flos en bas âge!  


Source : Larry E. Morris, The perilous West : seven amazing explorers and the founding of the Oregon Trail, 2013.

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Le Balloonfest’86 : quand l’enfer est pavé… de ballounes

Y’a-tu quequ’un qui aime pas les ballounes? C’est comme des belles cerises en plastique de toutes sortes de couleurs, toutes rondes pis toutes joyeuses; y peuvent exploser, pis quand y dessoufflent vite, y font des sons de pet pis y volent tout croche dins airs comme un papillon avec une fusée dans l’derrière. Heille, j’ai déjà gardé une gang de flos occupés pendant un après-midi de temps yinque en jouant avec ça. C’est l’fun de même, des ballounes.

Y’a rien d’méchant dans une balloune. Ça peut pas faire de mal. Mais si vous pensez ça, c’est clair que vous avez jamais entendu parler du Balloonfest’86 à Cleveland, en Ohio.

C’tait parti d’une bonne intention : pour se faire de la publicité pis ramasser de l’argent, Centraide du Grand Cleveland voulait battre le record du monde du plus grand nombre de ballounes gonflées à l’hélium pis r’lâchées en même temps.

En plus, dans c’te temps-là, Cleveland avait la réputation d’être un trou. Tsé : dins années 1970, ça allait tellement mal financièrement que la Ville avait fait défaut su ses paiements, la rivière Cuyahoga qui la traversait était tellement polluée qu’a l’avait pogné en feu, pis ses équipes de sport arrêtaient pas de perdre comme des pas bonnes – quoique, du côté d’la NFL, ch’pas sûre que ça c’est tant ramieuté. C’tait rendu au point où c’que Cleveland avait été surnommée « Mistake on the Lake » – l’erreur su l’lac, en français, parce qu’a l’était située su’l bord du lac Érié.

Bref, Cleveland avait d’quoi à prouver  :

« On est pas des jambons pis des ti-clins! Nous-autres aussi on peut faire des belles pis des grandes affaires, bon! »

Faique tout l’monde était hyper motivé. Ça a pris six mois pour organiser la patente; les flos d’école vendaient les ballounes à deux pour une piasse, pis une armée de bénévoles ont aidé à toute préparer. La veille, y se sont occupés de gonfler les ballounes, travaillant quasiment toute la nuite avec des bouttes de tape collés autour des doigts pour pas se faire des ampoules.

Le jour du lancement, y’avait 1,4 million de ballounes dans une espèce de filet au beau milieu de la ville, soit ben en masse pour battre le record; on aurait dit qu’une piscine à boules pour enfants s’tait mise à fortiller tout d’un coup comme un gros blob monstrueux pis allait bouffer Cleveland.

Comme y’arrivait de l’orage, les organisateurs ont décidé de lancer les ballounes plus vite que prévu. Faique le 27 septembre à 1 h 50 de l’après-midi, le filet a été détaché pis les ballounes se sont envolées.

C’tait ben impressionnant. Selon le point de vue, ça avait l’air d’une envolée de bonbons, de youptidou pis d’amour universel… Ou bedon d’la 11e plaie d’Égypte. Argardez ça :

Tout l’monde étaient fous comme des balais, pis ça criait :

« GO CLEVELAND! RECORD DU MONDE! WOUHOUUUU! »

Sauf que l’bonheur était pas pour durer.

Normalement, les ballounes gonflées à l’hélium montent pis montent pis montent, des fois jusqu’à 10 000 pieds d’altitude, où l’atmosphère est pas mal moins dense. Comme l’air du dehors pèse moins s’a balloune, tandis que la pression en-dedans de la balloune reste la même, la balloune gonfle. En plus, haut de même, y fait vraiment frette, faique la balloune gèle pis devient fragile. Résultat : la balloune pète en plein de tis bouttes qui ardescendent lentement su’a terre.

Entécas, c’est ça que les organisateurs pensaient qu’y allait se passer.

Mais là, avec l’orage qui s’en venait, les ballounes ont pas eu le temps de se rendre assez haut. En s’en allant vers le nord, par-dessus le lac Érié, y’ont frappé un front froid qui les a r’poussées vers la ville, pis la grosse pluie les a fait artomber pendant qu’y étaient encore gonflées.

Pis là, le bordel a pogné.

D’abord, plein de ballounes se sont ramassées au beau milieu d’la piste de décollage de l’aéroport Cleveland Burke Lakefront, qui a dû arrêter toute le trafic aérien pendant une grosse demi-heure.

À part de t’ça, les ballounes ont envahi les rues pis les autoroutes. Le monde qui chauffaient leu char voyaient c’te nuée psychédélique aux allures de mousse trois couleurs du lave-auto pis se disaient « Qu’est-cé ça câlisse? ». Soit y donnaient des coups d’volant pour éviter les ballounes dans l’chemin, soit y’étaient juste distraits par le spectacle, pis y’accrochaient les garde-fous ou les autres chars. Les accidents sont multipliés partout dans’ville.

Les ballons aboutirent à plein de places : su l’lac Érié, dins rivières, dins forêts, en Ontario, pis ailleurs en Ohio.

Y’a une madame qui élevait des chevaux arabes pur-sang qui coûtaient les yeux d’la tête su sa ferme au sud de Cleveland. A l’a poursuivi Centraide pour 100 000 piasses parce que des ballounes avaient atterri dans son champ pis avaient faite tellement peur à ses chevaux qu’y en a un qui avait pogné le mors aux dents, était parti à courir, avait foncé drette dans une clôture pis s’tait pété la fiole tellement fort qu’y avait pu rien à faire avec.

Pis pire encore, les ambitions ballouniennes de Cleveland ont p’t-être coûté la vie à deux gars.

L’affaire, c’est que quand les ballounes ont été lâchées, la garde côtière charchait déjà deux pêcheurs, Raymond pis Bernard. La veille, y’avaient été portés disparus su l’lac Érié, pis leu bateau avait été artrouvé vide le matin du 27.

Mais là, essaye, toé, d’artrouver deux gars au beau milieu d’une orgie de ballounes! À voir la surface du lac, on aurait dit que quequ’un avait échappé une chaudière complète de tites billes en sucre qui vont su’é gâteaux d’fête.

En entrevue à’tévé, un gars qui participait aux recherches en bateau a dit :

« C’est comme essayer d’trouver une aiguille d’une botte de foin! Tsé, on charche une tête ou bedon un gilet de sauvetage orange, mais là avec toutes c’te marde-là pleine de couleurs qui grouille su’l lac, comment c’tu veux qu’on les voye, les deux gars? »

C’tait pas plus vargeux du côté des recherches en hélicoptère :

« Ben là, on peut même pu décoller. Dins airs, c’est comme un champ d’astéroïdes en plein trip d’acide, viarge! »

Finalement, la garde côtière a dû abandonner les recherches, pis Raymond pis Bernard ont été artrouvés morts deux jours plus tard. Y’auraient-tu pu être sauvés si Centraide du Grand Cleveland avait pas répandu du vomi d’licorne partout su l’lac Érié? On l’saura jamais.

Quand même, Centraide pis la Ville de Cleveland avaient gagné leu pari : leu record s’est artrouvé dans l’édition 1988 du livre Guinness. Mais la catégorie du plus grand nombre de ballons r’lâchés en même temps a été abolie pas longtemps après parce que tsé… C’tait cave pis dangereux, pis polluant à part de t’ça.

Une chose est sûre, c’est que c’tait pas c’te fois-là que Cleveland allait ardorer son image. C’est ça qui arrive quand on part s’une balloune…


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Mon os est plus gros que l’tien : le duel des chercheux de dinosaures

Illustration originale : Christine Labrecque; couleurs: André St-Laurent

Par chez nous, quand ch’tais jeune, y’avait le Bonhomme Perreault pis Piton Dufour – que j’ai jamais su pourquoi qu’on l’appelait de même – qui restaient un à côté de l’autre pis qui étaient pas capables de se sentir. Ça aurait commencé parce que la clôture de Piton débordait un peu su’l terrain du Bonhomme, ça a dégénéré en chicane qui a duré 30 ans, pis ça a fini quand le Bonhomme Perreault a pété du cœur en apprenant que sa chambre allait être juste à côté de celle à Piton Dufour au foyer d’accueil. 

Nos deux zozos d’aujourd’hui, eux-autres, y se chicanaient pas pour des poteaux de clôture, mais pour des os de dinosaures. Pis pour la gloire, à une époque où c’que la paléontologie, la science qui étudie les restants d’être vivants de v’la ben longtemps, était encore toute neuve pis que toute était encore à découvrir.

En 1859, Darwin était arrivé avec sa théorie de l’évolution. À partir de ce moment-là, les paléontologues s’étaient pu sentis obligés de faire comme si les os et les fossiles qu’y trouvaient dans le sol avaient été mis là par le yâble pour nous faire douter de la création du monde en six jours par le Bon Dieu. Faique y couraient partout comme des p’tits veaux du printemps, pis c’tait à celui qui ferait le plus de découvertes. 

Dans c’te gang-là, y’avait justement Othniel Marsh et Edward Cope, deux paléontologues américains. 

Un jour, Cope, tout fier, montra à Marsh un beau squelette d’élasmosaure qu’y avait déterré pis reconstitué. Sauf qu’au lieu d’être épaté, Marsh partit à rire : 

« Heille, c’tu moé, ou ton élasmosaure a la tête su l’cul? Tsé, là, comme le ch’fal à PT Barnum qui était censé avoir la tête à l’envers, sauf que c’tait yinque un ch’fal viré de bord dans son box? » 

C’te jour-là, Marsh aurait vraiment dû farmer sa grand yeule. Mais tsé, c’tait un téteux : y’avait vu que les vertèbres de la bête étaient pas du bon bord, faique y’avait pas pu s’empêcher de l’dire. Pis Cope, lui, y’était susceptible pas à peu près. Faique comme la clôture à Piton Dufour, l’élasmosaure allait devenir le point de départ d’une chicane à pu finir.

Dans le coin gauche, Marsh : né dans une famille pauvre, y’avait pu faire des belles études grâce à son oncle millionnaire. Y’était sérieux, brillant, pis y’avait une maudite tête de cochon. Y’était resté vieux garçon, parce que les femmes le trouvaient « trop intense ». Faut dire que son habitude de les traiter « d’adorables petits vertébrés », c’tait pas trop séduisant pour ses prospects. 

Dans le coin droit, Cope, un flot de riche. Y’avait pas de diplômes, mais c’était pas parce qu’y manquait de jarnigoine : c’est juste qu’y avait tellement un maudit caractère de cul qu’y finissait tout le temps par se faire des ennemis pis sacrer son camp de l’école. Un jour, y s’était pogné avec son ami Persifor Frazer dans le lobby de la Société philosophique. Le lendemain, un autre chum vit son œil au beurre noir :

– Cibole, Cope, veux-tu ben me dire comment t’a fait ton compte? 
– Si tu me trouves magané, attends de voir Frazer à matin! 

Ça vous donne une idée. 

Les deux s’étaient rencontrés en Allemagne en 1863, pendant que Marsh, 32 ans, étudiait à l’Université de Berlin, pis que Cope, 23 ans, se pétait des belles vacances dans les Europes pour éviter d’être conscrit dans la guerre civile américaine. Au début, les deux s’entendaient pas trop mal; y passèrent plusieurs jours toué deux à Berlin, pis, plus tard, Marsh nomma une nouvelle espèce de dinosaure en l’honneur de Cope, pis vice-versa. 

Mais là, quand Marsh dit à Cope que son élasmosaure était sans devant derrière, Cope fut indigné ben raide :

– Ben non! C’pas vrai! J’ai trouvé les vertèbres dans ce sens-là! 
– Ben, je l’sais-tu, moé! Chus sûr que t’as pas mis la tête du bon bord! Le grand boutte, c’est le cou, pis le p’tit boutte, c’est la queue! 

Pour trancher l’affaire, y’allèrent chercher Leidy, un autre paléontologue – un bon gars que tout le monde aimait pis respectait. Y se planta en avant du squelette pis, sans dire un mot, y prit la vertèbre du boutte de la queue pis alla la mettre à la base du crâne : ça fittait parfaitement. 

Malaise. 

Pis ça allait pas en rester là. 

Les années passèrent, pis, en 1873, backé par l’armée pis l’Université Yale, Marsh se lança dans une grosse expédition au Nebraska pis au Colorado. Y ramena des waguines entières bourrées d’os pis de fossiles. 

Y’était gras dur. 

Cope, pendant ce temps-là, avait réussi à se faire engager par le Service géologique des États-Unis, ce qui lui donnait un bon moyen de publier ses découvertes. Y’avait juste un problème : c’était une job qui payait pas une cenne. Y dut donc téter des bidous à son paternel pour financer sa propre expédition au Colorado pis en Utah. 

Y trouva ben des fossiles, mais un m’ent’né, à force de travailler dans le frette, Cope pogna une grosse grippe d’homme pis se retrouva cloué à son litte à moitié mort. 

Sa femme Annie, une fille de bonne famille élevée dans la ouate pis dans les bondieuseries, eut comme un choc culturel quand a se retrouva pognée, avec pu une cenne, pour soigner son mari, chercher de l’argent au plus maudit pis dealer avec la propriétaire de la maison qu’y louaient, une pure créâture de l’Ouest au répertoire de sacres plusse garni que celui d’un bûcheux d’l’Abitibi. 

Pendant ce temps-là, Cope pis Marsh s’étaient pas oubliés : y se surveillaient pis se comparaient sans arrêt. Marsh avait plus de fossiles, mais, comme je l’ai dit, y’était ben téteux pis y prenait son temps avant de publier ses découvertes. Cope, lui, faisait complètement le contraire : y publiait le plus d’articles possible, le plus rapidement possible, quitte à faire des erreurs.

Ça gossait ben gros Marsh. Mais, un jour, y reçut une lettre intrigante :

Bonjour,
On a trouvé des fossiles que vous pourriez trouver pas pires? – ça a l’air d’être des os de grosses bebittes. On aimerait ça les déterrer pour vous, mais l’argent pousse pas dins arbres, faique ça serait pas pire si on était payés, tsé veut dire. Pour vous prouver que c’est pas des menteries, on va vous en envoyer une couple avant. On a pas parlé de t’ça à d’autres à part vous.  

En espérant que vous nous répondiez avant qu’l’hiver pogne,

Vos serviteurs ben d’adon,

Harlow et Edwards

Marsh se demandait ben qu’est-cé c’tait ça, mais d’un coup que c’tait la découverte du siècle pis que Cope finissait par mettre la main dessus parce qu’y avait pas été assez vite su’l piton? 

Drette tusuite, y’envoya un chèque aux deux gars, qu’y purent pas encaisser parce que Harlow pis Edwards, c’tait des faux noms : en fait, y s’appelaient Reed pis Carlin, pis y travaillaient pour le chemin de fer au Wyoming. 

Malgré ça, Marsh finit par s’entendre avec eux-autres, pis y se mit à recevoir un tapon d’os de dinosaures, dont les premiers spécimens de grands classiques comme le diplodocus, l’allosaure pis le stégosaure. 

Marsh avait beau essayer de garder son nouveau spot secret, mais ben vite, la nouvelle se répandit. En fait, c’tait Reed pis Carlin eux-autres mêmes qui s’étaient ouvert la trappe : y trouvaient que Marsh payait pas assez cher, pis y voulaient créer de la concurrence. 

Y’écrirent même à Cope, mais y demandaient tellement cher qu’y les envoya promener. Mais là, y’avait la puce à l’oreille. Ben vite, les hommes à Marsh remarquèrent qu’y avait un gars bizarre qui rôdait autour des carrières. Pas Cope en personne, mais clairement un espion qu’y avait envoyé. 

Malgré ça, Marsh était au-dessus de ses affaires : y payait en retard, pis Carlin trouvait que c’tait un maudit air bête, faique y décida de se lancer à son compte. Son premier client? Nul autre que Cope. 

Un m’ment’né, y restait pu grand-chose dans les carrières à Marsh, faique c’tait le temps d’arrêter les fouilles. Pis Marsh envoya une dernière directive à Reed : 

« Détruis toute c’qui reste pis remplis les trous. Pas question que c’te maudit amateur de Cope ramasse quoi que ce soit. »

Faique ouin. Espionnage, trahison pis destruction : pour eux-autres, y’avait rien de trop bas.  

La rivalité continua de même pendant des années. Pis tout ce temps-là, chaque fois que Cope publiait un de ses nombreux articles écrits à la va-vite, Marsh prenait plaisir à en écrire un autre pour montrer toutes les erreurs qu’y avait trouvées dedans. 

En 1889, Marsh travaillait pour le Service géologique des États-Unis pis était rendu un grand chum de John Wesley Powell, le directeur. Les deux ensemble, y’étaient déterminés à effoirer Cope pour de bon. Vous vous rappelez que Cope avait accepté une job au Service parce que ça y permettrait de publier un livre avec toutes ses découvertes? Ben là Powell avait changé d’idée pis refusait de publier son manuscrit sous prétexte que ça coûtait trop cher. 

Pis y’avait pas fini! Même si Cope avait pas reçu une cenne du Service géologique, là Powell disait que sa collection de fossiles appartenait au gouvernement pis qu’y devait la rendre drette là.

Cope capota ben raide : sa collection de fossiles, c’tait quasiment tout ce qu’y lui restait – y’avait d’la misère à payer son hypothèque, bazouelle! Si Marsh pis Powell voulaient la guerre, y’allaient l’awouère! 

Dans le fond d’un tiroir, Cope avait un petit cahier où c’qu’y’avait noté toutes les erreurs pis les passes croches que Marsh avait faites. Avec ça, y’alla voir William Hosea Ballou, journaliste indépendant. Pis là, ça péta solide : 

LA MARDE EST POGNÉE CHEZ LES SCIENTIFIQUES!
LE PROFESSEUR COPE ACCUSE LE DIRECTEUR POWELL ET LE PROFESSEUR MARSH DU SERVICE GÉOLOGIQUE D’AFFAIRES PAS CATHOLIQUES!
POWELL ET MARSH NIENT TOUTE! 

Dans l’article de Ballou paru dans le New York Herald, Cope accusait Marsh et Powell de passes croches, de favoritisme, de plagiat, de vol, de pigeage dans les fonds publics, alouette. Si Powell voulait y’enlever sa collection de fossiles, c’tait parce qu’y faisait de l’ombrage à Marsh. 

Marsh pis Powell y répondirent dans le Herald avec leur propre article, pis ça continua de même pendant que’ques semaines, les accusations qui r’volaient d’un bord pis de l’autre. 

Après c’t’épisode-là, leur lavage de linge sale en public était rendu aussi malaisant qu’une chicane de couple pendant un souper entre amis; pu personne voulait être associé avec eux-autres. Marsh dut démissionner du Service géologique, mais Cope put garder sa collection de fossiles. Pis après, leur rivalité tomba un peu dans l’oubli.

C’est Cope qui mourut en premier, même si y’était plus jeune que Marsh; y’avait la santé fragile. Mais y voulut avoir le dernier mot jusqu’à la fin. 

L’affaire, c’est que dans ce temps-là, on pensait que plus t’avais un gros cerveau, plus t’étais intelligent. Faique, dans son testament, y légua son corps à la science pis demanda que son cerveau soit prélevé, mesuré pis comparé à celui-là à Marsh. Marsh, lui, refusa de participer à un concours de pissettes entre intellectuels. 

À fin, y restait pu yinque lui. Pour ça, y’avait gagné, entécas. J’me d’mande si, comme Piton Dufour au foyer d’accueil, Marsh se sentait pas un peu tuseul à c’t’heure qu’y avait pu personne à haïr… 


Source : Mark Jaffe, The Gilded Dinosaur: the fossil war between E.D. Cope and O.C. Marsh and the rise of American science. https://archive.org/details/gildeddinosaur00mark

Quand ça passe par le mauvais trou : Alexis Saint-Martin, cobaye canayen

« Heille, je peux-tu saucer des affaires dans tes sucs gastriques par le trou dans ton estomac pour voir ce que ça fait? Tu serais logé et nourri, pis t’aurais un petit salaire… »

Alexis Bidagan, dit Saint-Martin, se serait jamais attendu à se faire demander une affaire bizarre de même. Né en 1794 à Berthier, au Québec, dans une famille pauvre, il aurait pas non plus pensé qu’il allait un jour aider à faire avancer la médecine… par accident.

Alexis Saint-Martin dans sa vieillesse (Source : Wikimedia Commons)

Toute a commencé quand Alexis avait 28 ans et travaillait comme trappeur pour l’American Fur Company. Au poste de traite de l’île Mackinac, au Michigan, un cabochon qui faisait pas attention lui tira un coup de fusil drette dans le ventre, sans faire exprès.

Il aurait dû être mort : il avait des côtes de cassées, des muscles déchirés, les poumons lacérés pis brûlés, pis il avait un trou dans l’estomac assez gros pour y rentrer l’index, par où la chevrotine avait ressorti.

Ça regardait mal, mais William Beaumont, médecin de l’armée en poste sur l’île Mackinac, l’opéra quand même en espérant qu’y toffe au moins la nuitte.

William Beaumont (Source : Wikimedia Commons)

Contre toute attente, notre brave Canayen français en réchappa. Y’avait juste une affaire : quand y fut assez en forme pour manger, toute la bouffe ressortit quelques minutes plus tard par le trou dans son estomac. Ouache.

Faique, au début, le Dr Beaumont nourrissait Alexis en lui faisant des lavements (par le péteux, là…). Après un p’tit boutte de même, le trappeur fut bon pour recommencer à manger même si le trou se refermait toujours pas. Un m’m’ent’né, comme Alexis avait pas une cenne pour payer, l’hôpital le crissa dehors.

C’était plutôt poche pour lui. Qu’est-ce qu’il allait faire, amanché de même? Mais le Dr Beaumont, lui, y vit une occasion en or :

« Ça parle au yâb! Je peux y voir dans l’corps! Faut absolument que je l’empêche de repartir – grâce à lui, je pourrais être le premier à percer les mystères de la digestion! »

C’est là qu’il lui fit la fameuse proposition. Dans le contrat qu’Alexis a signé, c’était écrit qu’il allait être employé comme serviteur chez le Dr Beaumont, logé pis nourri, avec un salaire de 150 $ par année – même avec l’inflation, c’était pas à se tirer dans les murs : ça revient à peu près à 2 800 $ aujourd’hui. Surtout qu’en échange, le Dr Beaumont pouvait faire les expériences qu’il voulait sur lui.

L’histoire, c’est que dans ce temps‑là, on parlait pas vraiment de t’ça, des affaires comme le consentement éclairé. Alexis était illettré pis y parlait à peine anglais, faique y devait pas trop savoir dans quoi y s’embarquait…

Le trou de la gloire
Dans ce temps-là, c’était ben mystérieux, la digestion. Pis on avait pas grand moyen de savoir comment ça marchait.
 
Quelques expériences avaient été faites sur des animaux, mais y’a toujours ben des limites à ouvrir bestiau après bestiau en plein lunch pour voir ce qui se passe en dedans. Pis on pouvait pas non plus étudier ça sur des cadavres, parce qu’un cadavre, ben ça digère pu.
 
Le scientifique Charles-Édouard Brown-Séquard, lui, avait une autre idée : il avalait des éponges attachées après une ficelle, pis il les régurgitait pour étudier ce qu’il y avait dessus. (Après ça, il était pu capable de manger normalement sans vomir. Un de ses collègues a dit que c’était un « sacrifice sur l’autel de la science ».)
 
Faique, dans ce contexte-là, le Dr Beaumont considérait le trou d’Alexis comme sa porte d’entrée au panthéon de la médecine. Et il était prêt à tout pour qu’elle reste ouverte…
 
Parce que c’est louche en maudit que le trou soit resté ouvert de même. Dans ses notes, le Dr Beaumont dit qu’il a tout fait pour le fermer, mais que ça a jamais marché, pis même qu’Alexis aurait refusé les points de suture ou une autre opération qui aurait pu régler le problème. C’est quand même dur à croire. Beaumont dit aussi qu’il a accueilli Alexis chez eux « par pure charité ». Prends-nous donc pas pour des valises, Doc.
 
En plus, selon un certain Gordon Hubbard, qui était là le matin de l’accident, le Dr Beaumont aurait mis quelque chose dans le trou pendant qu’il opérait Alexis pour que ça cicatrise autour pis que le trou reste ouvert…

À part saucer des affaires dans ses sucs gastriques par le trou dans son estomac (qu’il goûtait, des fois – selon lui, le poulet à moitié digéré, ça goûte « fade pis sucré »), le Dr Beaumont lui prélevait de l’acide gastrique pour voir si ça digérait pareil en dehors du corps pis pour en envoyer à d’autre monde.

D’autres fois, il prenait l’acide, le mettait dans une fiole avec un morceau de bouffe dedans, pis forçait Alexis à rester planté là comme un codinde avec la fiole accotée dans le t’sour de bras pour simuler la chaleur pis le mouvement de l’estomac :

— Combien de temps va falloir que je reste de même? Je suis pas mal écœuré pis faudrait vraiment que j’aille ch…
— Encore six heures, mon garçon. Lâche pas! C’est pour la science!

Le trou, dessiné par le Dr Beaumont (Source : Wikimedia Commons)

Le Dr Beaumont lui rentrait toutes sortes d’objets dans l’estomac. Mais une fois en particulier, c’était l’boutte du boutte :

— Enlève ta chemise, j’veux faire un autre test.
— Ok.
— À c’t’heure, penche-toi un peu par en arrière.
— Ok boss… Ark! Ben voyons quessé que vous faites là, tabarnak?
— Hm… Je note : «  Quand on liche l’intérieur de la muqueuse et que l’estomac est vide, ça goûte pas l’acide pantoute. »

Faique c’est pas surprenant qu’après un boutte à faire ça, Alexis ait fini par dire :  

« Moé, j’ai mon estie de voyage. Je câlisse mon camp d’icitte. »

Il retourna donc au Québec, où il se maria et eût une couple d’enfants.

Le Dr Beaumont, lui, était ben découragé de t’ça. Il avait perdu son trou pis il avait ben l’intention de le ravoir. Parce que, rendu là, tout le monde voulait le zieuter : une gang de granoles voulaient l’utiliser pour prouver que les plantes se digéraient mieux que la viande, pis la Medical Society of London avait même ramassé des sous pour faire le faire venir en Europe avec le Dr Beaumont. La gloire était à la portée du docteur, mais son cobaye, lui, en avait définitivement son tas.

Beaumont passa le reste de sa vie à essayer de le flatter dans le sens du poil pour le faire revenir, sans succès. Il écrivit quand même une grosse brique sur les résultats de ses expériences, pis on voit encore aujourd’hui sa face dans tous les livres de gastro-entérologie 101. Finalement, il mourut avant le Canayen français, à l’âge de 67 ans, en se pétant la fiole sur des marches pleines de glace noire.

Alexis, lui, mourut de sa belle mort à l’âge de 78 ans. Comme y’avait plein de maudits vautours qui voulaient avoir le corps pour l’exposer dans un musée ou fouiller dedans, la famille le laissa pourrir au soleil pour qu’il reste juste les os, pis l’enterra dans une tombe pas de nom sous un gros tas de roches.

Quand un autre docteur essaya de mettre la patte sur le cadavre, les enfants du trappeur lui répondirent par un télégramme assez raide, merci :

« Venez pas pour l’autopsie; on va vous faire la peau. »