Justement, malgré toute, les passagers d’la chaloupe 6 arrivaient toujours pas à croire que l’Titanic allait couler. C’tait trop surréaliste. Marcel Béliveau allait sortir d’en arrière d’un iceberg avec une couple de caméras pis dire surprise sur prise.
Sauf que là, la réalité était su’l bord d’leu rentrer dedans s’un moyen temps.
Les lumières du navire étaient encore allumées. De loin, Maggie put voir du monde – beaucoup d’monde – sortir su’l pont tout d’un coup. C’tait les passagers de la troisième classe qui avaient attendu tranquillement en dedans qu’on leu dise quoi faire pis qui venaient de comprendre, enfin, qu’y étaient abandonnés à leu sort. Maggie entendit du criage, du braillage d’enfants pis même des coups de fusil.
« Ben voyons, qu’est-cé qui se passe? Comment ça qu’y a encore des enfants à bord? se demanda Maggie avec une boule dans l’estomac. Y reste pu de chaloupes de sauvetage, coudonc? Y tirent pas su’l monde, toujours? »
Le Titanic avait l’air de plus en plus loin. Au début, les chaloupes de sauvetage étaient proches les unes des autres, mais fallait qu’y zigzaguent entre les bouttes d’icebergs qui flottaient un peu partout, pis là y s’perdaient d’vue dans l’noir. Chacune était devenue une p’tite île de vie dans l’néant.
Tout d’un coup, l’major Peuchen arrêta de ramer.
— Qu’est-cé qui se passe? demanda Maggie.
— Le navire, répondit Peuchen. Argardez.
Maggie arrêta de ramer aussi. Son bel habit en velours était déjà ben trempe, ses gants étaient mouillés bord en bord. Ses cheveux pis ses cils étaient pleins de frimas.
Le Titanic avait l’nez complètement en d’sour de l’eau pis l’derrière levé vers le ciel, les hélices à l’air.

Les centaines de personnes qui restaient à bord couraient su’l pont, le plus loin de l’eau possible, essayant d’artarder l’inévitable.
Tout d’un coup, les câbles qui artenaient les cheminées géantes lâchèrent; une première cheminée tomba su’l monde, suivie d’une deuxième une minute après.
Pis là, y’eut un grondement épouvantable.
« Les chaudières! C’est les chaudières qui pètent! J’vous l’avais dit! » cria Hichens.
Maggie se l’va d’boutte dans’chaloupe, les yeux fixés su’l Titanic, pas capable d’argarder ailleurs :
« Mon Doux Seigneur. »
Le son qui suivit fut ben pire. Pas décrivable. Des tonnes de fer qui déchiraient tandis que le devant du navire coulait toujours plus creux pis le derrière montait toujours plus haut.
CRRRRRAC! Le Titanic cassa en deux.
Le derrière artomba lentement pis fit un flat gigantesque su’a surface de l’eau. Toutes les lumières s’éteignirent; y restait pu yinque les étoiles. L’orchestre jouait pu. À’place, y’avait juste une chorale de cris de terreur.
À c’te moment-là, le derrière du navire s’arleva dins airs une dernière fois au milieu des flots comme pour faire un dernier salut.
Du point d’vue à Maggie, le Titanic avait l’air d’une grosse masse noire dressée en avant du firmament – genre le monolithe dans 2001, l’Odyssée de l’espace. L’océan s’mit à bouillonner, pis on aurait dit que des grands bras d’écume agrippaient l’navire pis l’tiraient vers le fond. En queques minutes, y resta pu rien à part des débris pis des centaines d’humains épouvantés, fragiles, abandonnés.
Tout l’monde dans la chaloupe s’tait levé de son siège pour argarder. Personne parlait. Pis là, chacune des passagères réalisa la même affaire en même temps : les hommes qu’a l’avait laissés su’l pont avant de monter à bord d’la chaloupe venaient toutes de couler avec le navire.
Ch’tais pas là, mais ch’fais yinque m’imaginer de perdre Mononc’Poêle de même pis ça m’coupe le souffle; le genre de choc qui t’rentre dans l’estomac pis qui s’répand dans tes veines.
Plusieurs avaient perdu leu mari; d’autres, leu père ou leu frère ou toute ça en même temps. Mme de Villiers criait le nom de son beau joueur de hockey; Maggie pensait aux amis qu’a s’tait faite pendant la traversée.
—Faut qu’on artourne! dit Helen Candee.
— Ben oui! Faut r’virer d’bord, insista Miss Martin. Y reste plein de places dans la chaloupe, on peut sauver du monde!
— Non! cria Hichens, la face ben rouge. On sauve not’peau pis qu’y s’arrangent avec leux troubles. Si on artourne, avec toute le monde qu’y a dans l’eau, y vont nous faire chavirer!
— On peut pas les laisser, voyons don! s’essaya Maggie, mais Hichens voulut rien savoir.
— Y’a pu rien pour nous autres là-bas à part d’la soupe aux macchabées. Là, aweille, ramez, maudit ciboire! Pis j’veux pu vous entendre!
Résignés, les passagers d’la chaloupe se rassirent pis s’armirent à ramer. Pendant deux heures, y ramèrent en chantant pis en s’encourageant. Maggie finit par donner chacune de ses sept paires de bas, sauf une, à d’autres madames pour les aider à s’tenir au chaud. A sentait quasiment pu sa face ni ses mains à cause du frette, mais à l’était tout trempe en nage de sueur; a savait que si a l’arrêtait de ramer, a mourrait gelée dans l’temps de l’dire.
Pendant c’temps-là, Hichens continuait son sermon de curé d’l’apocalypse :
« Pour moé on va dériver des jours de temps sans qu’personne vienne nous sauver. On a pas d’eau à boire, pas d’pain, pas d’boussole, pas d’carte. Si mettons y’avait une tempête qui se l’vait, on f’rait quoi? On s’rait faites à l’os. Moé j’dis, soit qu’on s’neille, soit qu’on meurt de faim. Ça peut pas finir autrement. »
À c’te moment-là, tout l’monde en avait plein son casse de l’entendre. Même Miss Martin, qui avait l’air d’une jeune femme polie pis ben élevée, échappa un p’tit sacre discret.
— Farme don ta yeule, explosa Maggie. Si c’est d’même que tu penses, garde donc ça pour toé! Fais don un homme de toé, simonac! Que ch’sache, pour là, la mer est calme pis on n’est pas encore morts!
— On sait même pas dans quelle direction qu’on rame, répliqua Hichens.
— On rame vers le nord, Monsieur, répondit Helen Candee, la p’tite bollée d’la chaloupe, en pointant la Grande Ourse.
Hichens eut la décence de prendre son trou.
Une des passagères, Leila Meyer, sortit une tite flasque de brandy pis la passa à sa voisine de rame.
— Heille, ch’peux-tu n’avoir, de t’ça, moé? demanda Hichens. Chus gelé!
— Tu peux ben être gelé, tu rames même pas, marmonna Peuchen.
— Vous avez pas besoin de t’ça, répondit Leila en r’mettant la flasque dans son manteau. J’ai ben peur que vous la vidiez toute au complet!
Quand même, a pris la couverte qu’a l’avait pis la mit autour des épaules du quartier-maître. Une autre madame fit pareil.
— Quins, là vous avez plus de couvertes que nous autres.
— Si tu ramais, t’aurais ben moins frette, dit Peuchen.
— Pis toé, si tu ramais pas comme un piochon qui sait pas c’qui fait, la chaloupe irait plus vite, répliqua Hichens.
Le temps continuait d’passer. Malgré l’immensité autour de Maggie, son univers était ben p’tit : rame, rame pis rame. Peuchen disait l’heure une fois de temps en temps, mais y s’fit dire d’arrêter; c’tait mieux de pas savoir. Un m’ment’né, une madame perdit connaissance pis personne fut capable d’la ranimer.
Là, une mince ligne grise apparut à l’horizon. L’aube.
Une autre chaloupe de sauvetage, la numéro 16, apparut pas loin, pis celle-là était pas mal pleine.
D’autre monde en vie! Ça faisait du bien à voir en sapristi!
« Heille! On va s’attacher ensemble, ok? cria Hichens à l’autre chaloupe. Lancez-nous une corde! »
Y’avait un monsieur assis à’proue d’la numéro 16. Y portrait yinque un pyjama blanc pis ses ch’feux étaient couverts de frimas. On aurait pu l’prendre pour une statue d’glace si y’avait pas été après claquer des dents comme si y’envoyait un message en code morse.
Voyant l’état du monsieur, Maggie lui cria :
« Allez, mettez-vous à ramer! Ça va vous faire circuler l’sang! »
Hichens était pas content que quequ’un parle par-dessus lui :
« Toé, ferme-la pis laisse-moé travailler! Vous autres! Lancez-moé une corde! »
Une corde atterrit aux pieds du quartier-maître, qui attacha rapidement les deux chaloupes ensemble.
« Bon, à c’t’heure lâchez vos rames, on s’arpose. »
Personne se fit prier.
Maggie argarda les faces blêmes dans la chaloupe 16. Tout l’monde était abattu, brûlé raide.
Dans la lumière falote de l’aube, l’horreur d’la situation était encore plus évidente : y’étaient carrément dans un champ d’icebergs. Y’en avait dans toutes les directions, à perte de vue, des pointus pis des plates, des gros comme des chars pis des immenses comme des navires.
Qui viendrait les chercher dans une place de même? C’tait ben que trop dangereux.
Tout d’un coup, une bourrasque de vent frette cogna les deux chaloupes ensemble.
— Si j’reste assis icitte une minute de plus, m’as mourir de frette, lança Helen Candee.
— Ouais, faut qu’on rame, c’est notre seule chance de pas geler dur, dit une autre madame.
— C’est moé qui décide quand est-ce qu’on rame, pas vous autres, rétorqua Hichens.
Pis là, y dit :
« On va pas vite vite, on a pas d’hommes qui rament dans not’chaloupe, pis vous autres, vous n’avez plein. »
Faique y demanda au monsieur en pyjama d’y envoyer un homme. Un gars tout graissé de suie – c’tait un de ceux qui chauffaient la chaudière à bord du Titanic – passa d’une chaloupe à l’autre. Y’était greyé pour faire sa job à’chaleur, les mollets à l’air, pas pour passer des heures au frette. Quand y s’assit pour ramer, Maggie y’enroula son étole en hermine autour des jambes.
— Bon, là, détachez-nous, demanda Maggie au bonhomme en pyjama.
— C’est MOÉ qui décide quand est-ce qu’on s’détache, c’tu clair? cracha Hichens en plein power trip. Si on fait ça, j’risque de passer par-dessus bord!
— M’as te crisser à l’eau moi-même, gronda Maggie en se l’vant d’boutte, menaçante comme une maman ours.
Hichens arcula, pas sûr que les chances étaient d’son bord dans c’te combat-là.
Miss Martin mit une main su l’épaule à Maggie :
— Faites pas ça, pour moé juste l’approcher y va tomber tout seul.
— Veux-tu ben t’assire! geignit Hichens; sa voix sonnait fragile pis clairette, comme une corde ben tendue su’l bord de péter. Si la chaloupe brasse, on risque de toutes crisser l’camp à l’eau! Laisse-moé don faire ma job pis prend don ton trou, maudite marde!
— Heille! s’indigna le chauffeur de chaudière à qui Maggie avait donné son étole. On parle pas d’même à une madame!
— C’est moé qui commande icitte, pis j’y parlerai ben comme j’voudrai, à elle!
Le monsieur gelé en pyjama s’crissait ben de qui commandait la chaloupe 6. Y détacha les embarcations, qui s’mirent à s’éloigner l’une de l’autre.
Maggie se rassit pis r’pogna sa rame. C’qui avait de bon à être pompée d’même, c’est que ça faisait oublier l’frette.
« Bon, là, ramez! Ramez, sinon on va toutes geler! »
Tout l’monde s’armit à l’ouvrage, mais y’avait une limite à c’que les tites chansons d’encouragement pis les « let’s go les filles » pouvaient faire. Si l’aide arrivait pas au plus maudit, les passagers d’la chaloupe allaient figer pour de bon.
Pis là, Miss Martin s’exclama :
— Argardez là-bas! On dirait un éclair!
— C’est yinque une étoile filante, c’est rien, répondit Hichens, le boute-en-train de l’Atlantique nord.
— C’est l’soleil qui s’arflète s’un boutte de glace, proposa une autre madame.
— Non, c’t’un bateau! cria une autre.
Pis, ben oui! Une autre lumière apparut, pis une autre, trop ben alignées pour que ça soye naturel. C’tait l’pont d’un gros navire transatlantique qui s’dessinait à l’horizon!
« Pour moé c’est l’Carpathia, dit Fred Fleet, la vigie. C’tait lui qui était l’plus proche de nous autres. »
Maggie fit l’saut : le jeune homme avait pas parlé pantoute depuis qu’y était embarqué dans’chaloupe.
— Est-ce qu’y va venir nous chercher? demanda Miss Martin.
— Ohhhh non ma p’tite madame, répondit Hichens, qui s’rait jamais élu président du club Optimiste. Yé pas là pour nous sauver; yé là pour ramasser les cadavres.
— Ben non! dit le chauffeur. C’t’un bon bateau! Y va nous aider, c’est sûr!
Rendu là, pu personne écoutait c’te vieille corneille défaitiste de Hichens. Plus crinqués que jamais, les rameurs ardoublèrent d’ardeur pour arjoindre le Carpathia.
C’tait pas gagné, parzempe. La houle allait en empirant, pis Maggie s’dit que ça prendrait yinque une vague un peu forte pour les renverser.
Les autres chaloupes aussi s’dirigeaient tant ben qu’mal vers leu meilleure – leu z’unique! – chance de survie.
« Sont quasiment vides, pensa Maggie. Sont toutes tellement vides! »
La chaloupe 6 essaya d’accoster l’Carpathia, mais par trois fois a l’arbondit, bonk! d’mandant encore un ti effort de plus aux braves madames pis au chauffeur. Finalement, la chaloupe réussit à s’glisser le long d’la coque du gros navire.
Maggie l’va les yeux : su’l pont, a voyait les têtes des membres d’équipage pis des passagers ouéreux.
Les marins du Carphathia firent descendre des cordes pour faire une espèce de siège de balancine qui allait servir à faire monter les gens un par un. Hichens passa en dernier.
À bord, les queque 700 rescapés furent accueillis avec des couvertes de laine pis du café chaud – ahh, ça dut les toucher drette dans l’âme, c’te tasse de brun-là! On se s’rait p’t-être attendu à c’qu’y sautent pis qu’y pleurent de joie, que l’party pogne su’l pont, mais non. Y régnait un drôle de silence, un genre de calme irréel dans l’quel les miraculés flottaient comme des fantômes, sans avoir l’énergie pour s’réjouir d’être en vie. Y pouvaient juste argarder autour d’eux autres dans l’mince espoir de trouver une face qui leu disait d’quoi.
Maggie était aussi à boutte que les autres, mais vous l’savez ben : c’te femme-là était pas capable de rester assise deux minutes. Fallait qu’a s’occupe, fallait qu’a l’aide. Faique a mit tout de suite ses talents d’organisatrice à l’ouvrage.
A l’alla chercher des brosses à dents, des peignes pis d’autres produits de toilette chez le barbier du Carpathia pis ramassa du linge donné par les passagers, pis distribua tout ça aux rescapés.
Là, c’tait un ti peu l’chaos social : les survivants de toutes les classes sociales étaient tous mélangés ensemble, horreur! Quand Maggie voulut aller réconforter des femmes d’la deuxième classe, le docteur du navire essaya de l’arrêter :
— Ah, vous êtes vraiment pas obligée de faire ça! Y’ont des couvertes, là, sont correctes!
— Pfff! Ça prend plus que des couvertes pour soigner les âmes en peine! répliqua Maggie.
Surtout que, tsé, Maggie avait pas oublié d’où qu’a venait.
Au-delà des besoins immédiats, Maggie pensa à une autre affaire : l’monde des deuxième pis troisième classes, là, y’avaient carrément toute perdu. Y’en avait une bonne gang là-dedans qui étaient des immigrants qui s’en venaient en Amérique pour se bâtir une nouvelle vie en emportant toute leu stock, pis là, y’avaient pu rien. En plus, si y pouvaient pas prouver qu’y avaient les moyens de s’établir aux États-Unis, l’immigration risquait de les renvoyer dans leu pays.
Faique, comme a savait si bien l’faire, a forma un comité de madames de la première classe, avec une couple de monsieurs aussi, pour aider ces gens-là. Quand l’Carpathia arriva au port de New York, le comité avait ramassé 15 000 piasses – quasiment 486 000 en dollars d’aujourd’hui.
Y’avait aussi les femmes pis les enfants qui se ramassaient tu’seuls, sans savoir comment trouver le mononcle, la matante, le cousin ou l’amie qui les attendaient su’l quai. Pour eux autres, Maggie fit une liste de noms pis la donna aux autorités. A s’assura aussi qu’y soyent escortés en sortant du bateau pour pas qu’y s’artrouvent vulnérables comme des tites souris dans la Grosse Pomme.
Après avoir débarqué du bateau, averti sa famille qu’a l’allait ben, s’être informée de l’état d’santé d’son p’tit fils – c’est pour lui qu’a l’avait traversé l’Atlantique, j’vous rappelle – pis s’être installée au Ritz Carlton, Maggie continua de ramasser les dons qui arrivaient des quatre coins des États-Unis pis des autres pays.
Un mois et demi plus tard, Maggie participa à une cérémonie pis armit des médailles à toutes les membres d’équipage du Carpathia.

Pis la vie à Maggie, après l’Titanic? J’veux pas que c’t’histoire-là s’transforme en liste comme su Wikipédia, faique j’dirai pas toute. Entécas, au moins une affaire : en 1914, a s’porta candidate pour devenir sénatrice du Colorado, mais a l’arrêta sa campagne à cause d’la Première Guerre mondiale pis d’dvint directrice du Comité américain pour les régions dévastées de France. Ça résume ben la femme qu’a l’était, ch’pense.
Faique pour en r’venir à la jeune fille dont j’vous parlais au début, qui a r’gardé l’film Titanic, qui a accroché ben raide su’l personnage à Molly Brown, pis sans qui on s’rait pas icitte à en parler… Si j’étais sa maman, là, ch’srais fière en maudit.
Source : Iversen, Kristen, Molly Brown: Unraveling the Myth, 3e édition. 2018. Johnson Books.














